Malispier, «La Princesse et son dragon », traduction du russe
Chapitre 4 : Comment éloigner des prétendants indésirables ?
2242 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 30/10/2025 16:35
Peu de temps après l'arrivée du personnel et des entrepreneurs, le palais devint méconnaissable. Comme convenu, une partie du château fut entièrement restaurée, tandis que l'autre fut laissée intacte. Ainsi, le nid d'amour se trouva divisé en deux parties : les salles majestueuses de la belle princesse et l'antre du redoutable dragon. Cependant, la demeure du lézard bénéficia également de légères améliorations : des toiles d'araignée artificielles en soie suspendues ici et là, et quelques colonnes supplémentaires délibérément démolies.
Au début, tous les serviteurs se firent des cheveux blancs de peur pour leurs vies. Rien d’étonnant : travailler pour une sorcière et un dragon, ce n'était pas facile... Tout le monde imaginait des images effrayantes de chambres de torture, de cachots, de montagnes de squelettes ici et là, mais en réalité, que dalle, nada, rien de tel. La princesse eut même l'impression que les gens étaient déçus…
Sarah n'exigeait rien d'extraordinaire de la part du personnel, tandis qu'Aaron, dès le premier jour, se pavanait sur sa montagne d'or, laissant entendre que chacun recevrait une généreuse récompense pour son travail bien fait, ou se contenterait de passer par les dents du dragon si Sarah venait à être mécontente de quoi que ce soit.
Cependant, cette menace prit rapidement des allures de plaisanterie.
Les gens chuchotaient dans les coins, se moquaient discrètement du masque que le dragon portait la nuit, de ses petites lunettes, de ses goûters avec la princesse, qui semblaient très gênants vus de l'extérieur. Les serviteurs étaient attendris de voir Aaron se promener avec sa bien-aimée dans l'enceinte du palais.
Cependant, beaucoup s'inquiétaient du fait que la princesse-sorcière préférait parler avec un squelette plutôt qu'à ses servantes personnelles. Mais cela s'avéra contagieux, et toutes les jeunes femmes sans exception échangeaient sans cesse des phrases avec Sir Perceval.
Bref, les employés s'habituèrent à la situation, même s'ils priaient on ne sait trop qui lorsque le dragon et sa maîtresse partaient pour une nouvelle expédition. Ils rapportaient bien sûr de l'or, des tissus, des bijoux et bien d'autres choses encore... Mais le souvenir de l’incursion sur la ville fut encore frais, et tous avaient donc pitié des braves gens qui eurent la malchance de croiser ces brigands récidivistes.
Mais tout ne se passa pas sans problème : les chevaliers commencèrent à venir de plus en plus souvent aux portes du château pour exiger la libération de la princesse. Le dragon se fatiguait bien des incursions incessantes de ces boîtes de conserve.
D’ailleurs, y avait-il des conserves dans leur monde ? Peut-être.
Et voilà, c'était reparti ! Au cœur de la nuit, un nouveau héros autoproclamé vêtu d'une armure étincelante s'introduisit dans le château pour terrasser le monstre. Aaron aperçut par hasard l'intrus à travers un trou dans le plafond de sa salle du trésor, alors qu'il survolait le palais avant d'aller se coucher. Les entraînements du soir étaient importants, même pour les dragons !
Sarah se lamentait que son bien-aimé soit devenu plus gros et plus massif. Cette prise de poids n’était pas explicable par la seule augmentation de la masse musculaire. Le régime alimentaire s’étant avéré inefficace, il fut complété par des séances d’entraînement intensives et épuisantes. La princesse se joignait souvent à lui pour lui tenir compagnie.
Le rugissement tonitruant d'Aaron résonna dans tout le château : les serviteurs se réveillèrent, mais pas Sarah, qui était depuis longtemps habituée à ces bruits violents.
Combattre un dragon ! Tant d'épopées écrites, tant de pièces jouées, tout le monde rêvait de voir ne serait-ce qu’un instant de vrai combat. Le dépassement de soi ! Oui, un vrai héros se devait de se dépasser et vaincre l’adversaire de force supérieure et plonger son épée directement dans son immense cœur enflammé !
C'était sans doute ce que pensaient les chevaliers, mais ils finissaient toujours par se heurter à la réalité. Ils ne parvenaient à tuer que les dragons qui souhaitaient déjà eux-mêmes passer dans l'autre monde. Aaron n'était pas de ceux-là.
Le palais tremblait, mais Sarah continuait à dormir paisiblement dans son immense lit, serrant son oreiller dans ses bras. Les vases sur la fenêtre tremblaient dans un tintamarre, la porte en bois grinçait, les livres tombaient par terre depuis la petite étagère dans le coin de la pièce. Rien ne pouvait réveiller la princesse. Elle dormait à poings fermés en mouillant son oreiller de sa salive, faisant de petits bruits de succion et marmonnant de temps en temps quelque chose à propos de spaghettis…
— Maîtresse, Maîtresse ! s'écria la jeune servante au visage couvert de taches de rousseur en entrant précipitamment dans la chambre. Levez-vous vite !
Elle eut du mal à réveiller Sarah. La princesse ouvrit les yeux à contrecœur et regarda à travers le voile du sommeil le visage charmant et familier. Pourquoi la réveiller à un tel moment ?
La réponse était simple ! Aaron, le farceur, essayait sans cesse d'avaler quelques chevaliers à la dérobée. La diète ne fut pas d’une grande efficacité, mais ce n’était pas une raison pour y renoncer pour autant. On ne pouvait maigrir qu'en suivant un régime alimentaire et un programme d'entraînement !
— Encore ? ! Sarah se leva brusquement, réalisant ce qui se passait. Combien de temps s'est-il écoulé ?
— Trois minutes, Maîtresse !
— Merde !
La princesse se précipita vers la sortie, attrapant au passage son châle chaud. Encore sept minutes, et il allait l’engloutir !
Aaron aimait les chevaliers cuits à point. Et comme tout le monde le savait, il fallait neuf à dix minutes pour cela. On l’apprenait à l'école, semblait-il.
Sarah arriva à toute vitesse au trésor, telle un véritable golem de combat, sautant par-dessus la colonne tombée comme si c'était un mouton de saut, tout en retenant son châle d'une main. La servante eut du mal à suivre sa maîtresse et se perdit quelque part dans les couloirs. Elle s’évanouit peut-être de fatigue, mais la princesse ne le remarqua pas.
— Halte là !
Aaron, debout sur ses pattes arrière, se penchait au-dessus d'un immense feu de camp en tenant le chevalier par la jambe d'une patte, tandis que de l'autre, il vérifiait la température d'une poêle géante qui flottait au-dessus du feu.
C'était un dragon cultivé, et il respectait donc toutes les règles de la cuisine. Rôtir les gens dans les flammes de sa gueule, c'était bon pour le siècle passé. Même si cela lui arrivait parfois.
Le lézard se tourna lentement vers Sarah et resta immobile, comme s'il voulait se fondre dans le décor. Mais les cris du chevalier, qui tentait de se libérer de son emprise, rendaient cette manœuvre inutile.
— Je compte jusqu'à trois, mon cher, dit la princesse en avançant lentement d'un pas. Un...
Aaron ne réagit pas.
— Deux...
Le dragon déglutit avec effroi.
— Trois.
À la dernière seconde, il lâcha la jambe du chevalier et frappa la poêle d'un coup si violent qu'elle fut projetée dans le coin le plus éloigné de la salle du trésor. Les flammes s'éteignirent soudainement, emportant avec elles les dernières traces du crime. Le fracas de l’armure attira toute l'attention.
Le pauvre héros poussa un cri, car il ne s'attendait pas à tomber et, à cause du poids de son armure, il n'essaya même pas de se relever.
— Quoi, moi ? Aaron détourna le regard. Moi ? Rien du tout !
Sarah fit signe à Aaron : « Je te surveille » et se précipita pour aider le pauvre mercenaire. Le dragon fit la gueule. La princesse releva sans peine le malheureux, car elle avait une force incroyable. Y avait-il des orques dans sa famille ?
— D'où viens-tu, misérable ? demanda-t-elle à l'inconnu.
Le chevalier s'éclaircit la voix et, après avoir rapidement évalué la situation, s'exprima d'une voix langoureuse.
— Je viens pour vous sauver, princesse ! Je suis un chevalier de la compagnie AdopteUnHéros !
Aaron rit doucement, mais Sarah lui lança un regard furieux et le dragon se tut.
— Prenons un thé ? Sarah s'assit sur un coussin apparu comme par magie. Chéri ?
Une petite table avec du thé et des tasses apparut entre l'inconnu et la princesse. Un agréable parfum de jasmin se répandit dans l’antre.
Aaron, se déplaçant lourdement, s'allongea sur le ventre et étendit son long cou de manière que son museau se trouva à gauche de Sarah. Le chevalier soupira lourdement et retira son casque : il était blond aux yeux bleus, exactement comme la princesse le rêvait autrefois. Mais hélas, les temps changeaient, et les goûts avec eux.
— C'est un peu bizarre, dit le héros à voix haute en s'asseyant par terre.
— Présente-toi au moins, dit Sarah en remplissant trois tasses de thé.
— Ainsi nous saurons quoi écrire sur la pierre tombale… persifla Aaron.
Le chevalier tressaillit, mais la princesse esquissa un léger sourire au même moment.
— Il plaisante, sans doute…
Le couple échangea un regard malicieux.
— Sois honnête et tu rentreras chez toi par le même chemin.
— Arthur de Camelot, Madame !
Le chevalier but une gorgée de thé avec méfiance, mais il sembla en apprécier le goût.
Arthur regardait avec perplexité une pipette alchimique apparaître à côté de la tasse du dragon. À l'aide de cet instrument, Aaron prélevait du liquide et le versait goutte à goutte sur sa langue. Les papilles gustatives des dragons étaient bien mieux développées que celles des humains, il n'était donc pas nécessaire d'avoir une grande tasse et beaucoup de thé pour sentir le goût.
— Comment en es-tu arrivé là ? demanda Sarah en sirotant élégamment et silencieusement sa boisson chaude.
— Le magicien m’a trompé…
Aaron trop pris par son expérience gustative cessa presque d'écouter, tandis que la princesse regardait son interlocuteur avec étonnement. Arthur baissa les yeux vers le sol, mais pas avant d'avoir bu quelques gorgées supplémentaires du thé au jasmin.
— Le sorcier m'a dit que je deviendrais roi, commença-t-il, le cœur lourd. J'ai vendu ma cabane pour payer les cours d'escrime. Je l'ai appris, mais quand je suis venu chercher l'épée dans la pierre.
Sarah regarda Aaron qui toussa.
— Vous direz que c’était idiot, mais bon ! Je suis arrivé, et il y avait ce vieil homme étouffé par sa propre barbe, mais ni de pierre, ni d'épée ! Vous imaginez ? !
— Je ne l’imagine pas…
Aaron posa bruyamment sa tasse sur la table, se souvenant comment il avait accidentellement étranglé le magicien pendant le jeu, puis empoché la pierre.
— J'ai essayé de retrouver cette épée, car c'est le symbole du pouvoir royal et seul un vrai monarque peut l’extraire, mais rien... Peut-être que quelqu'un l'a déjà trouvée ?
— Je ne pense pas…
Sarah sourit nerveusement, se rappelant qu'elle avait déjà sorti l'épée de la pierre.
— J'ai fini par m'endetter... et j'ai dû devenir chevalier à la demande ! s'écria Arthur. Vous n'imaginez pas ce que ces jeunes femmes aristocrates nous font subir !
Le héros, comme s'il se souvenait de quelque chose de désagréable, couvrit de ses mains sa poitrine déjà protégée par une armure et rougit.
— Nous ne l’imaginons pas ! répondirent les amoureux à l'unisson.
— Je mourrai donc en chevalier à la demande ! Arthur frappa violemment sa tête contre la table et se mit à pleurer.
Un sentiment de gêne flottait dans l'air. Aaron ressentait une sorte de culpabilité vague et lointaine, car, en réalité, le vieil homme s'était emmêlé dans sa propre barbe ! Pourquoi les sorciers la laissaient-ils pousser ? Pour se pendre à la branche la plus proche en cas de coup dur, peut-être ?
— Je paierai ta dette, dit Sarah en donnant un coup de coude à Aaron. Plus précisément, c'est mon fiancé qui la remboursera, et toi, s'il te plaît, fais courir le bruit que la princesse et le dragon sont liés par un amour passionné. Et personne ne recevra de récompense pour ma libération. Tu peux le faire ?
La princesse se mordit la lèvre inférieure.
— Et pour ton épée, on trouvera bien une solution…
— Je peux, bien sûr que je peux ! s'enthousiasma Arthur en se levant d'un bond, essuyant ses yeux remplis de larmes. Et je vous servirai fidèlement, mes bienfaiteurs.
— Dis-moi, qui t'a envoyé ici ? demanda Aaron.
— Les parents de la princesse ! répondit calmement Arthur. Ils ont demandé de faire une reconnaissance des lieux avant de venir vous rendre visite.
Le dragon regarda avec stupéfaction sa bien-aimée, qui devint plus blanche que le marbre en un clin d'œil. La princesse se couvrit la bouche avec la main et jura à voix basse.