L'histoire que l'on veut écrire.

Chapitre 4 : Rivalités

Chapitre final

968 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 24/10/2019 18:05

L'attente lui paraissait interminable. La basilique avait déjà annoncé quatre heures une à une avant que la porte ne s'ouvrît enfin.

Girolamo se releva de derrière l'immense coffre non loin de l'âtre : "Et alors ? L'as-tu trouvé ?

  • Ah ! Tu es venu !

Leonardo vint à grands pas étreindre son visiteur.

  • L'as-tu retrouvé ?
  • Pas encore. Certains l'ont vu prendre la direction de Rome il y a quelques jours. Je parie qu'il n'a pas résisté à la tentation de me suivre quand je me suis rendu chez toi, dit Leo en allumant un chandelier amélioré à sa façon d'un chapiteau de métal qui reflétait la lumière des bougies.
  • Je vois que tu as abandonné tes oeuvres guerrières, plaisanta son ami.
  • Quand les commandes se font plus rares, ces petits riens me divertissent et ce paralume me rend de grands services quand j'écris, tu peux me croire ! Vois par toi-même ! Il désigna un cahier sous le chandelier et disparut tandis que Girolamo se penchait sur l'écriture fantaisiste de l'artiste. Il revint avec une corbeille de fruits d'automne et d'hiver qu'il présenta à son visiteur.
  • Merci, Maestro, je meurs de faim... de soif aussi, pour ne rien te cacher. Je ne me suis pas permis de fouiller ton atelier...

Leo ne réagit pas. Il observait le jeu des flammes des bougies dans les yeux extraordinaires du Comte, se laissait hypnotiser par les nombreuses histoires que racontait ce regard, beaucoup d'histoires de mort et de souffrance qui ne s'effaceraient jamais. Ici même, un an plus tôt, il avait vu et tenu tête à la bête féroce en Riario, celle qui voulait broyer ce qui restait de bonté en lui-même, qui lui répugnait, le "ver" comme il l'appelait alors...

  • Je peux te demander de l'eau ? insista Riario pour rompre ce charme.

Cette admiration non déguisée le mettait un peu mal à l'aise, il n'avait pas l'habitude de lire autant d'éloges dans les yeux d'autrui. Seules Zita et Laura l'avaient regardé ainsi. Il avait tué la première en échange de la vie de Leonardo et s'était seulement laissé aimer de la deuxième.

C'est ainsi que Zoroastre les trouva, en plein échange muet, mais d'autant plus éloquent.

" Alors, il a fallu que tu reviennes ! J'aimais bien te savoir à Rome, couleuvre... Même si le dernier cercle de l'enfer m'aurait bien convenu aussi, dit-il en jetant un baluchon sur la table.

  • Bon dieu, ça fait trois jours que je suis à ta recherche ! reprocha Leo.
  • A ma recherche ? Merde, ça n'en a pas l'air ! Qu'est-ce qu'il fait ici ? demanda Zo avec un mouvement de tête en direction du Comte.

Leo vint poser une main apaisante sur le bras de son ami :

  • Il faut qu'on file d'ici en vitesse pour aller te mettre à l'abri. Tous les gardes d'Italie, dans toutes les provinces, sont à ta recherche. Tu es sur une liste noire, Zo. Des tas de gens aimeraient bien te faire cuire à petit feu sur la place publique pour cause d'hérésie et de sodomie.
  • Comment... mais Zo devina la réponse à la question qu'il allait poser et passa à la suivante... Tu l'as vue, cette putain de liste ?
  • Oui. Girolamo a pu obtenir qu'on supprime le nom de Nico mais pas plus, pas le tien.
  • Ha ! On se demande bien pourquoi !
  • Tu sais que tout se monnaie, à Rome, en argent ou en sacrifice...

Girolamo dit, au plus grave de sa voix :

  • Je n'ai jamais caché que ma sympathie allait davantage à Nicolo Machiavelli, c'est un fait. Pourtant, pour faire plaisir à Leo — ce diminutif ! Insupportable dans la bouche de Riario ! — j'aurais aussi fait supprimer votre nom si cela m'avait été possible, croyez-le ou pas.
  • Ouais, ben, ce sera "pas" ! Et où veux-tu m'emmener, si j'ai mon mot à dire ? fit Zo à l'adresse de Leonardo.
  • En France. J'ai envoyé un message à un ami là-bas. La réponse devrait me parvenir une fois à Nice."

Le feu recracha un morceau de métal qui avait servi à l'une ou l'autre expérience de Leonardo, ce qui le sortit du mutisme qui s'était imposé. Mais cette intransigeance de Zo le navrait et le décevait. Comment un homme doté d'autant de qualités humaines pouvait-il refuser de voir l'évidence, l'authenticité de la métamorphose de Riario ?

"Oh ! Tu n'as toujours pas eu ton verre d'eau, pardon, mon ami..." Et il disparut en toute hâte vers la pièce d'un peu plus tôt.

Resté seul avec Zo, Girolamo prit une autre noix dans le plat et la brisa, comme les autres, entre ses doigts.

" Belle démonstration ! railla Zo dans son dos.

L'autre se tourna vers lui pour dire posément :

  • Vous ne m'aimez pas et j'en connais la vraie raison, mais allez donc prendre place dans la longue file des baveux * qui attendent désespérément que cela me chagrine.

Zo donna un coup sur la table du plat de la main :

  • Oui, je vais attendre, mais pas longtemps, parce que Leo comprendra vite qu'il s'est entiché d'un arrière-faix de truie ladre ** et alors, je serai là pour ramasser et recoller les morceaux, comme d'habitude ! "

Quand Leonardo revint avec sa carafe, Zo lui lança en sortant qu'il serait de retour dans deux heures et claqua la porte derrière lui.

L'artiste vit le rire contenu sur les lèvres de Girolamo et sourit : "Bon sang, que vais-je faire entre vous deux pendant ce voyage !

  • Tu peux peut-être me donner ce pichet, en attendant... Moi qui croyais qu'on n'avait jamais soif à Florence ! "



* bavard, insulte du Moyen-Age

** une insulte majeure : l'arrière-faix étant le placenta expulsé après l'accouchement et une truie ladre étant une truie malade, infectée ou infestée de vermine.


https://parciparla.fr/insultes-desuetes-oubliees-lexique/


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