LES TEMPS D'AVANT

Chapitre 8

1087 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/05/2020 21:20

Ses draps étaient trempés de sueur. L’orage de la semaine dernière n’avait rien rafraîchi du tout, il avait juste laissé suffisamment d’eau pour que l’air se charge de la moiteur collante que l’on imagine à d’autres contrées, au Brésil ou à la Nouvelle-Orléans.

Leonardo essayait de se coucher sur le côté gauche pour se trouver immédiatement gêné par un hématome, tentait le dos, mais il lui semblait que le matelas de sa couchette suait de fièvre.

À bout de nerfs, il s’assit et gémit : « sors de ma bon dieu de cervelle ! »

Il perdait la tête, ma parole ! D’où lui venaient ces mots qu’il n’avait pas pensés… ou pas eu conscience de penser ?

Il le haïssait ! 

Alors c’était gagné ? Oui. Il avait atteint le stade de la haine bien plus vite qu’il l’avait espéré. 

Seulement, voilà, elle n’avait pas la saveur escomptée. Elle n’était en rien reposante ou satisfaisante, ce n’était pas la fée consolatrice qu’il avait imaginée, penchée sur lui, un doux sourire aux lèvres. Elle avait les dents longues et pointues et ses yeux de lézard évoquaient la mort.

Jamais il n’avait eu aussi peur de sa vie.

Une barre de plomb lui pesait en travers de la poitrine et il aspirait l’air tiède et liquide par petites bouffées rapides. Il se noyait.

Accroché au bord de son lit à deux mains, au point d’en blanchir ses phalanges, il laissait couler des larmes dont il ne connaissait rien, juste des étrangères qui s’emparaient de ses yeux, en traitre.

« Cherche ! Cherche ! » souffla alors une voix féminine… « La robe, la coiffe, tout ! »…

« Cherche ! Cherche, Artista ! »

La femme byzantine souriait. Il lui lança sa pipe à opium à la figure. Elle s’effaça dans un rire narquois. 

Les pleurs se transformèrent en sanglots.

Il n’y comprenait rien.

  

***


Vanessa sentait une sueur abondante lui couler dans le dos et le top gris perle qu’elle avait enfilé au retour du cours de danse avant de se rendre au Shelter était taché d’une vilaine auréole sur la poitrine, entre ses seins. De fines mèches rousses collaient à son front. 

L’air conditionné du Hilton n’offre aucune utilité contre les réactions de votre instinct.

Girolamo Riario l’avait interceptée à deux pas du pub, l’avait invitée à monter dans sa voiture et, un peu par sympathie, beaucoup par fierté de se balader en si séduisante compagnie et dans une telle voiture — une autre Jaguar que celle marquée par Tommaso —, elle avait accepté.

Il avait dit, mystérieux mais grave : « Alessandro della Rovere veut vous voir. Quoi qu’il advienne, obéissez-lui. Je serais peiné qu’il vous arrive malheur. »

C’est là, bien entendu qu’était née l’inquiétude, que sa gorge s’était serrée et que sa respiration s’était faite plus difficile.

Mais elle avait obéi, comme Riario le lui avait conseillé.

Della Rovere s’était montré attentif, lui avait offert du champagne, lui avait demandé de danser pour lui après avoir appris d’où elle rentrait. Elle s’était faite marionnette et avait suivi les instructions.

Mais là…

Là, il s’était approché et l’avait attirée avec force sur ses genoux. Il soufflait à sa joue une haleine forte d’ail mêlé de tabac, passait sur la peau fine de son cou une lanque chaude et épaisse et sous son top une main brutale qui lui serra violemment le sein gauche.

Elle cria.

« Chut ! Soyez docile, bel ange. Vous ne voudriez pas qu’il arrive malheur à l’un de vos amis, n’est-ce pas ? »

Il saisit l’encolure de son vêtement léger et l’arracha d’un coup sec, blessant sa nuque, marquant sa peau.

Elle étouffa un autre cri. Il l’en félicita et, pensant l’émoustiller sans doute, se mit à décrire en termes crus ce que sa beauté d’albâtre éveillait en lui.

« Père ! Une urgence ! »

Le vieil homme la repoussa immédiatement comme si, petit chien indésirable, c’était elle qui s’était jetée à son cou.

« Avez-vous perdu la tête, Riario ? rugit Della Rovere.

— Pardon. Mais je ne pouvais vous laisser dans l’ignorance des événements qui se déroulent actuellement à Turin.

— Turin ! Encore ! 

— Giovanni vous attend dans votre bureau pour un rapport précis.

— Remballez-moi cette donzelle, Girolamo et livrez-la où vous jugerez bon. J’aurais dû choisir l’autre : les garçons font moins de manières.

Dans son dos, tandis qu’il consultait les mails qui lui parvenaient d’Italie, Girolamo fit un signe de tête à Vanessa et prit un ton dur et méprisant :

— Je vous reconduis, mademoiselle Moschella. Il dénoua le grand foulard qu’il portait en cravate à son cou et le lui tendit : fabriquez-vous de quoi vous couvrir avec ça.

Della Rovere disparut enfin sans un mot de plus et le Comte glissa à la jeune fille :

— Vous avez bien joué. Je vous présente des excuses car lui ne le fera pas.

— Vous… vous êtes arrivé à point nommé, vous savez, dit-elle en quittant l’hôtel.

Des larmes de soulagement et d’humiliation brillaient dans ses yeux. Un battement de paupières les libéra.

— J’attendais derrière la porte. Je ne vous aurais pas laissée vivre ce dont j’ai bien trop souvent été témoin, Vanessa."

Ils reprirent la voiture et roulèrent en silence. Londres était pareille à elle-même. Une capitale ne change pas juste parce qu'une insignifiante jeune fille s'est fait malmener par un goujat.

Quand ils abordèrent la rue du Shelter, elle posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres :

" Est-ce… Est-ce qu’il est vraiment votre père ?

— Oui. Mais ni lui ni moi ne tenons à cette filiation et nous n’en faisons pas de publicité. Je lui suis utile, et j’ai grand intérêt à le rester, mais il n’éprouve que dégoût pour moi... et c’est réciproque.

Elle posa la main sur la sienne, au volant. Il n’eut aucun mouvement de retrait.

— Merci." dit-elle seulement.


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