ROPE AND ROGUE

Chapitre 10

1625 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/05/2020 19:43

Certaines nuits, il fait plus chaud dans mon lit que dans le bayou de La Nouvelle-Orléans. Je me réveille en sueur, obsédé par un rêve torride.

Cette canaille de Leo a mis le feu à ma vie ! Au bout d’un mois, je suis toujours hanté par le baiser, par le désir dans ses yeux et dans mon corps.

Je suis sans cesse sur le qui-vive, de crainte de trahir notre accord d’un regard trop intense, d’un geste de trop.

Seul le travail et nos petits concerts quotidiens au Golden Cross m’apportent un apaisement.

Quelquefois, je me dis que ce nouveau job chez les sapeurs-pompiers est un trait d’ironie de la vie : « Ainsi, tu brûles, Riario ? Va donc te rafraîchir là-haut, au sommet de ton échelle ou de ton pylône ! »

J’ai donc remis le harnais, les jambières et retrouvé les gestes des cordistes. C’est comme si je rentrais chez moi : ce boulot me plaît, il réclame de la souplesse, de la force, une grande concentration et me fait me sentir utile. Plus encore avec les gars du feu, bien entendu. En même temps, je prête l’oreille aux conseils des équipes de premiers soins et je compte suivre cette formation pour me rendre plus utile encore.

Ils sont admirables.

Le projet de Leo est en bonne voie. Il a recruté pour nous accompagner ce jeune étudiant en économie que je surnomme Botticelli. Moi, je revois quelques détails pour conforter mes connaissances de l’art en Italie et des relations entre les gouvernements et les artistes. Nous devrions entamer un cycle de conférences gratuites dès le mois prochain.

Où suis-je donc passé, moi qui paniquais à l’idée de m’exprimer devant vingt-huit étrangers ?

Les Mourning Birds, que je vois encore en séance tous les quinze jours, et le groupe de Raoul m’ont décidément bien changé.

Dernièrement, j’ai repris contact avec un cousin, qui travaille toujours pour mon père. C’est imprudent, mais il a toujours été loyal envers moi, donc j’ai tenté le coup. Je veux m’assurer que cet enfant inconnu qu’est mon fils, Ottaviano, ne subit pas la même éducation que moi. J’attends des nouvelles de Giovanni qui, s’il en apprend assez, me dira ce qu’il en est. Je détesterais que ce gamin devienne un autre moi-même en passant par les mêmes tortures physiques et psychologiques.

Il est bien temps de m’en inquiéter !

C’est vrai, mais à quoi aurait pu lui servir un père tel que moi ? Est-ce qu’on attache une jeune pousse à un tuteur tordu ?

Aujourd’hui, grâce à mes amis, je peux offrir une autre image que celle d’une embarcation en perdition.

J’ai même écrit ma première chanson pour les Weirdos. Je l’ai intitulée “Wasted Levels“… allez savoir pourquoi, hein ?


You found the wasted levels in me

Fixed them with your magic emerald key

Gave them all to you, my friend to be,

Fearless, hopeful and in love, maybe.



Mischievous us, with broken levels,

Broken children with wasted levels,

Wasted youth of a violent house

Th' house of hate at so many level !.


Love all the wasted levels of you

Fix them with my love, tender and true,

Maybe it’s not enough, what Ido,

But my life’s in it, my future too.


Mischievous us, with broken levels,

Broken children with wasted levels,

Wasted youth of a violent house

Th' house of hate at so many levels.


What we’ll do of both our damaged minds

Is in hearts, spirits and love divine

Feel me, strong, walking right by your side

Th' wasted levels, we’re leaving behind.


Mischievous us, with broken levels,

Broken children with wasted levels,

Wasted youth of a violent house

Th' house of love has so many levels. **


Leo a aimé.




** Traduction pratiquement littérale :


Tu as trouvé mes niveaux gâchés

Tu les répares avec ta clef d’émeraude magique

Je te les ai donnés, mon ami à venir

Sans peur, plein d’espoir et, peut-être, épris.


Nous, malfaisants aux niveaux cassés,

Enfants cassés aux niveaux gâchés

Jeunesse gâchée d’un foyer violent

Foyer de haine, à tant de niveaux.


J’aime tous tes niveaux gâchés

Je les répare de mon amour tendre et sincère

Ce n’est peut-être pas assez, ce que je fais,

Mais j’y mets ma vie, mon futur aussi.


Nous, malfaisants aux niveaux cassés,

Enfants cassés aux niveaux gâchés

Jeunesse perdue d’un foyer violent

Foyer de haine, à tant de niveaux.


Ce que nous ferons de nos deux âmes abîmées

Se trouve dans nos coeurs, nos esprits, le merveilleux amour,

Sens-moi, fort, qui marche à tes côtés

Les niveaux gâchés, on les laisse derrière nous.


Nous, malfaisants aux niveaux cassés,

Enfants cassés aux niveaux gâchés

Jeunesse perdue d’un foyer violent

Foyer d’amour a tant de niveaux !


***


Quatre mois déjà depuis mon dernier morceau de vie !

Depuis que nous nous sommes lancés dans notre tournée de conférences, Rio, Nico et moi ne savons plus où donner de la tête.

Oui, j’ai bien écrit Rio. C’est le petit nom que je lui donne, il est mon exclusivité. Je suis son meilleur ami, le seul à connaître tout de son histoire, ce qu’il cache aux autres par honte ou modestie.

Il est bien plus difficile pour moi de le faire parler de ses actes de bravoure et de générosité que des autres, qu’il déplore.

À côté de son boulot de cordiste chez les pompiers, il est toujours, avec les Weirdos, sous contrat avec le Golden Cross qui, grâce à eux, voit exploser ses recettes.

Peu après la soirée confidences chez lui, il m’a fait le plus beau cadeau de ma vie, une chanson composée par lui, appelée “Wasted Levels“… Wasted Layers aurait été bien trop évident, mais nos amis ont bien entendu compris que nous ne cachions plus ce quelque chose entre nous qui nous rend inséparables.

Nico suit toujours ses cours d’économie et s’est arrangé avec la direction de l’école et ses professeurs pour pouvoir faire toute la tournée avec nous. Son très jeune âge fait que son exposé convainc les adolescents bien mieux que les nôtres.

Bientôt, mon expo se baladera dans toute l’Europe. Je serai sans doute amené à voyager de temps en temps et on s’arrangera pour adapter les conférences.

Nous donnons la priorité aux écoles de sciences sociales, d’économie et aux lycées. Notre idéal serait de nous adresser à d’autres publics, mais plusieurs associations de travailleurs nous ont fait savoir qu’ils avaient bien plus besoin de travail que de discours sur les activités créatives. *** Malgré tout, certaines villes nous réclament, des centres de santé et hôpitaux aussi, ce qui fait qu’en fin de course, ça représente tout de même un bel éventail de population.

En général, Rio commence avec un aperçu historique des moments où gouvernements et arts ont été liés en Italie. Il lit des textes d’auteurs et les illustre de musique ou d’oeuvres graphiques de la même époque. Il a toujours un peu de trac, mais le surmonte en quelques minutes.

Ensuite, Nico parle du couple économie-art à l’époque actuelle. Il abat un boulot de dingue pour se documenter et court les bibliothèques et les archives pour pouvoir placer son exposé au niveau mondial.

Je conclus avec l’aspect personnel, mon vécu d’artiste mais aussi les récits de gens de tous les domaines artistiques que je rencontre.

Voilà.

Ce soir, nous célébrons les trente-cinq ans de Rio avec les Mourning Birds et les Weirdos.

Oui, Clarice m’a mis dans la confidence et je sais aujourd’hui exactement en quoi consiste leur groupe de discussion. Jerome n’aurait pas trahi la nature de leurs réunions pour ne pas violer l’intimité de ses compagnons, mais Clarice n’a pas ce genre de scrupules : « J’ai perdu une fille de seize ans et je ne ressens aucune honte à demander de l’aide en de telles circonstances ! » dit-elle.

On est bien d’accord.

Tommaso travaille toujours pour moi et est toujours mon ami, mais plus mon compagnon. Le lendemain de la mise-au-point de Rio, j’ai avoué à Tom que j’aimais cet homme et que je ne l’utiliserais pas, lui, comme partenaire sexuel par défaut.

Je sais qu’il en a été peiné, comme moi-même je l’ai été au refus de Rio, mais notre genre d’amour à tous les deux va au-delà de ça : Tom m’aime assez, lui aussi, pour ne rien attendre que ma présence à ses côtés. La complicité est quelque chose de diablement fort.

Parfois, vieux Leo, j’aimerais tout de même avoir ton âge l’espace d’un instant pour savoir si un jour je me réveillerai dans le lit de mon Jem, car il m’arrive d’avoir envie de hurler à la lune au beau milieu de nulle part, tant m’obsède l’envie de le toucher et l’embrasser.

Heureux toi, qui sais déjà ce qui sera ou ne sera pas.


*** Dans les années 80, des mineurs en grève ont déclaré : "Nous voulons des emplois, pas des clowns !" aux artistes venus leur proposer des ateliers.


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