ROPE AND ROGUE

Chapitre 11 : Chapitre 11 et Fin

Chapitre final

1865 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/05/2020 20:04

Et puis, il y eut Florence. La Toscane, ses vignes et oliveraies, ses villages et piazze d’autres siècles, ses innombrables oeuvres d’art. 

La Toscane, sa divine lumière… et ses plus profondes ténèbres.



Leonardo, à genoux pour la première fois de sa vie, sanglotait devant un homme de deux mètres, large comme une porte, une matraque dans une main, un couteau dans l’autre : « Je vous en supplie, ne lui faites pas de mal ! Vous n’allez tout de même pas abimer ce corps, hein ? Il tendit un bras pour désigner Jerome, derrière lui, attaché à une espèce d’horrible croix de métal rouillé : regardez-le ! Cet homme est une oeuvre d’art, bon dieu ! C’est l’Homme de Vitruve ! Enfin, vous êtes Italien, vous devez être sensible à la beauté ?

L’homme s’esclaffa, alors qu’apparaissait un homme plus âgé, moins grand, mais plus imposant par son allure et sa tenue vestimentaire stricte mais luxueuse :

— C’est à mon éducation, à ma discipline, qu’il doit cette perfection que vous lui trouvez… Alors, c’est donc ça que vous voulez sauver, Maestro ? Juste ça ? Puis, avec un large sourire de mépris à Jerome : vous voyez ? L’histoire se répète. Personne ne vous a jamais aimé pour vous-même, Girolamo. Vous n’êtes rien, en dehors de votre plastique et votre aptitude au combat… Il eut un geste de rejet de la main : c’est pitoyable ! Capitaine, ôtez donc ce baillon à votre prédécesseur, qu’il nous chante quelque chose. Il paraît que c’est sa dernière marotte.

L’homme obéit.

Sans quitter son père des yeux, Jerome humecta ses lèvres desséchées par la toile et dit, avec tout le mépris qu’il ressentait pour ce personnage :

— Vous n’avez pas changé. Vous êtes toujours aussi abject. Je sais que vous traitez Ottaviano de la même manière que moi à son âge et que c’est tout ce que votre lâcheté tolère comme adversaire. Il suivra mes pas et vous abandonnera comme je l’ai fait à votre désert doré. Personne ne vous respecte. Vous inspirez la crainte, c’est tout, aucun respect ne se cache derrière elle.

— Tandis que vous… Il désigna Leo : le spectacle écoeurant de cet homme à genoux ne vous inspire donc rien ? Regardez-le ! Il rit : le bel amour, en effet ! Est-ce là le respect que VOUS, vous inspirez ? Il vous laisserait mettre à mort, si ce n’était pour votre prétendue beauté… D’ailleurs, ç’en est si risible que j’ai bien envie de vous laisser libre... Votre enfer, il est là, Riario : vous saurez désormais que votre… amoureux ne vous veut que pour votre apparence. Oui, vivez heureux et surtout, longtemps… il ne parvenait plus à maîtriser son hilarité ; Ha ha ! Oui… TRÈS longtemps… vous serez peut-être un beau vieillard, après tout ? Venez, Capitaine… Mais pour l’amour du ciel, rendez-lui ses vêtements !

L’homme lança les vêtements à Leonardo avant d’emboîter le pas à son chef : 

— Tiens, l’artiste, va rhabiller ta princesse, mon coeur ! Lui aussi riait encore en quittant la cave de la villa.

Leo ne e le fit pas dire deux fois.

— Tu as compris le schéma mental de mon père plus vite que je ne le pensais possible, Artista ! sourit Jerome, tandis que Leo le détachait.

— Si j’avais plaidé ls sentiments, ces sauvages t’auraient battu à mort ! Est-ce que j’ai été assez théâtral ?

— Juste ce qu’il fallait ! La perfection.

Quand il eut enfilé son T-shirt, il prit le visage de Leo entre ses mains et embrassa doucement ses lèvres.

Leo en resta figé, abasourdi :

— Est-ce que… Est-ce que ça veut bien dire ce que j’espère que ça veut dire ? bredouilla-t-il.

— Tu n’en as pas assez, toi, de cette longue pénitence ? 

— Quoi ? Tu te fous de moi ? rit Leo en lui donnant un coup de poing dans le bras.

— Ouch ! Si c’est comme ça que tu traites toutes tes princesses ! Allez, viens, on va voir si Tom a réussi ! »


***


« Donc… dit Tom, oui, bien sûr, le gamin veut partir. Évidemment, qu’il veut partir ! Je me suis déguisé en moine, comme prévu, après que j’ai un peu embobiné son confesseur habituel. Les gardes n’y ont vu que du feu : ils se font tellement chier à garder ton gamin qu’ils s’endorment debout. Il vit dans une petite cellule, comme tu l’avais supposé, Rome. Il déteste ton père, qui le bat et, pour reprendre ses mots — Tom cracha et jura — “lui fait faire des choses pas propres“. Sa mère a disparu avant qu’il ait l’âge de s’en souvenir, mais ton cousin lui montre de temps en temps des photos d’elle et de toi.

— Il a dit au petit que j’étais en voyage, très loin, confirma Jem.

— Oui… En réalité, le gosse est un petit futé : depuis un bon moment, il fait un trou, petit à petit, dans une des haies du parc où on le promène tous les jours avant les vêpres.

— Ah ! Bien ! L’orphelinat a un parc maintenant.

— Il y en a un. J’ai vérifié après la confession pour rire et j’ai repéré la place où la haie a été entamée. Il suffira d’agrandir un peu le trou, il était très près de pouvoir s’échapper.

— On est arrivé à temps ! Quand je pense… 

Il ne put poursuivre. Soudain, il se cacha le visage et des sanglots étouffés s’échappèrent de ses mains. Tom le serra contre lui :

— C’est presque fini maintenant, Rome. On va le libérer de cette foutue cellule et des mauvais traitements de ce salopard.

— J’aurais dû venir…

— Stop ! Non. Tu n’aurais rien pu faire tout seul, à part peut-être te jeter dans la gueule de cette murène et en plus, tu n’étais pas assez costaud toi-même pour élever un gamin. Mais maintenant, oui, maintenant tu es toi et tu vas être un père du tonnerre !

Leo regardait la scène sans pouvoir rien dire, partagé entre le chagrin pour Jem et l’admiration pour Tommaso qui, comme pour lui à une certaine époque, trouvait encore les mots qui sauvent.

Jerome refit surface, le remercia d’un signe de tête et d’un battement de paupières :

"Oui, on va le tirer de là !" dit-il.


***


Sans l’amour, sans cette nuit de bras et de jambes entremêlés sous les mêmes draps, Leonardo et Jerome auraient trouvé ce jour de mai interminable.

À cinq heures, ils se mettraient en route pour l’orphelinat et devraient encore patienter non loin de la haie sans se faire voir, qu’Ottaviano joue comme chaque jour avec ses petites branches de troène, sous la surveillance trop distraite de deux gardes bien inconscients de son manège.

Qui se méfierait des jeux d’un enfant de cinq ans ? Quel adulte soupçonne une logique, un plan, dans la tête d’un petit bonhomme aussi insignifiant ?

Oui, il fallait attendre encore, et de la plus agréable manière qui soit — en faisant des projets pour trois.

« On va former une famille, Rio ! Est-ce que tu aurais cru ça il y a un an ?

— Attends que je réfléchisse… À l’époque où je livrais mon charbon tous les jours par la faute d’une crapule de peintre qui avait sectionné les cordes auxquelles j’étais suspendu ? La réponse est non.

Leo le bouscula, joueur :

— Espèce d’arrogante canaille de bas étage ! Tu oses médire du grand Leonardo Vinci ?

Alors, Jem demanda :

— Ça t’ennuierait si on allait vivre ailleurs que dans ton appart’ ?

— Non. Il faut une maison, un jardin et un ou deux chiens…

— Mimi. Il y aura une Mimi.

— Oui, et un parfum de café, le matin. On emportera ta vieille cafetière, j’y tiens, et il y aura une annexe, aménagée pour les amis qui viendront en visite le week-end.

— Une pièce pour les répétitions avec les Weirdos ?

— Oui, et même un studio. Il est temps de faire profiter le pays et le monde entier de ta belle voix.

— Arrête ! Je chante juste, ça s’arrête là.

— Si tu préfères le croire…

— Un grand atelier pour mon Artista, aussi !

— Un vrai capharnaüm. Rio allait protester, il posa les doigts sur ses lèvres : uniquement dans mon atelier… Je ne peux pas être créatif dans ton rangement à la militaire.

— Bien. Un grand atelier bordélique.

— On sera toujours ensemble et ton gamin nous adorera, parce qu’on est nous et qu’on est de grands benêts sentimentaux.

— On effacera ce qu’il a vécu, il apprendra à être enfant, à jouer, à chanter et dessiner… et Tom sera son parrain.

Pour ça, Leo l’embrassa une fois de plus :

— Tu es un dieu, Girolamo Riario.

— Tu veux dire… l’Homme de Vitruve ? sourit Jem.

— Oui, ça aussi !

On frappa à la porte :

— Dites, les gars, il est midi. Il serait peut-être temps de penser à manger quelque chose d’autre que vous-mêmes, hein ? » cria Tom, le sourire dans la voix.


***


Tom se promenait le long de la haie, nonchalant, une main dans le dos, une cigarette dans l’autre, en fredonnant “Bella ciao“ mais l’oreille aux aguets.

« Pst ! Pst ! Tommaso ! »

Une petite main sortait du trou agrandi par Jerome à l’aide d’un sécateur. Tom s’en saisit et aida l’enfant à s’extraire de sa cachette. Leo et Jerome sortirent alors de derrière le mur en ruine de ce qui avait été une chapelle.

L’enfant reconnut l’homme des photos :

" Est-ce que tu es moi-plus-vieux des photos de cousin Giovanni ?

Décontenancé par cette idée d’une similitude parfaite, Jem opta pour la réponse simple :

— Tu es toi-même. Je suis ton père, dit-il en s’accroupissant, trouvant par miracle un sourire assez assuré.

L’enfant vint lui caresser les joues pour tester sa réalité et dit, naïf, les yeux pleins d’étoiles :

— Quelle belle barbe ! Qu’elle est douce ! Et tu sens bon….

Ne pas brusquer les choses. Le gamin ne devait guère avoir confiance aux gestes des adultes. Lui-même, à son âge…


Tout se passa en un éclair.

Dix coups de feu.

Le réflexe de Tom pour emporter le petit.

Jerome, étendu sur le trottoir

et Leo…


***


Wimbledon High Street, juin 1976.


« Je m’appelle Leonardo Vinci et j’ai besoin de votre aide. Le mois dernier, j’ai perdu le seul amour de ma vie... »

Il n’y eut pas de choeur pour dire « bonjour Leonardo ». Les Mourning Birds venaient eux aussi de heurter une nouvelle fois de plein fouet la vitre du passé.


Laisser un commentaire ?