Cœur givré
Chapitre 18 : Naissance d'un démon de givre
1799 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 18/11/2025 19:36
Des bruits de pas — rapides, précipités — résonnèrent entre les arbres.
Des voix.
Des silhouettes.
Et surtout… des odeurs familières portées par le vent.
Lucy secoua la tête, agrippa la terre de ses ongles pour ne pas sombrer davantage.
Pas maintenant.
Pas eux.
La voix de Shinobu retentit, lointaine mais affolée :
— Lucy !
Un croassement nerveux de Koriha suivit aussitôt.
Les pas se rapprochèrent. Trop vite. Trop près.
Lucy releva les yeux, juste assez pour voir des silhouettes se découper dans l’obscurité de la forêt :
Giyu. Shinobu. Obanaï. Muichiro.
Ils stoppèrent net en la voyant — leurs visages figés entre le choc et le soulagement.
Lucy détourna immédiatement les yeux, et, dans un réflexe désespéré, leur lança une poignée de terre et d’herbe arrachée.
— Non… partez ! Ne vous approchez pas de moi !
Sa voix, rauque et tremblante, sonnait comme un avertissement animal.
Ils s’immobilisèrent, déstabilisés.
Shinobu fit un pas hésitant vers elle, la main tendue.
— Lucy ? murmura-t-elle. Qu’est-ce qui… ça va ?
Lucy releva lentement la tête vers elle.
Et les Hashira virent.
Les changements.
Ses yeux, autrefois vert, étaient à présent striés de bleu — comme de l’encre diluée dans l’eau.
De fines veines sombres serpentaient sur son front, pulsant sous la peau.
Et ses canines… courtes, mais clairement visibles.
Quelque chose ressemblant à une rage instinctive vibrait dans son regard, comme si quelque chose dans sa poitrine tentait de prendre le contrôle.
Shinobu pâlit immédiatement.
Ses yeux s’écarquillèrent d’horreur et, malgré elle, elle fit un pas en arrière.
Obanaï, lui, se tendit comme un serpent prêt à frapper.
Giyu posa instinctivement la main sur son katana, le regard froid.
Muichiro resta immobile.
Son visage était calme… mais ses yeux trahissaient une peur qu’il tentait d’étouffer.
Lucy retomba au sol, son front touchant la terre humide.
Elle grattait encore le sol, luttant pour garder le contrôle de son propre corps.
— Partez… souffla-t-elle. Partez…
Un battement de pas arriva derrière eux.
— Lucy !!
Mitsuri surgit, paniquée, basculant immédiatement en courant vers son amie sans réfléchir.
— Lucy ! Que se passe-t-il ? Tu — !
Obanaï la saisit brusquement par le bras, la retenant de force.
Il ne la quittait pas des yeux, ses pupilles fines comme celles de Kaburamaru.
— Attends.
— Quoi ?! Mais qu’est-ce que tu fais ?? Elle souffre !
Giyu répondit avant Obanaï, la voix glaciale :
— C’est trop dangereux.
Elle est en pleine mutation.
Le visage de Mitsuri se décomposa.
Elle regarda Lucy, secouée de spasmes, ses doigts enfoncés dans la terre comme pour ne pas se jeter sur eux.
— Non… non, non, non… murmura-t-elle, les larmes aux yeux.
Une tension insupportable s’installa dans l’air.
Personne n’osait avancer.
Personne n’osait reculer.
Lucy se redressa légèrement, appuyée sur ses bras qui tremblaient.
Ses poings se fermèrent.
Des larmes roulèrent sur ses joues.
Elle releva les yeux vers eux.
Son visage exprimait un mélange déchirant : douleur, peur, mais aussi une volonté farouche qui refusait de s’éteindre.
— S’il vous plaît…
Sa voix se brisa en un souffle.
— Partez… je ne veux pas… je ne veux pas vous faire de mal…
Un silence lourd s’abattit.
Aucun des Hashira ne savait quoi faire.
Shinobu porta une main à sa bouche, le cœur en miettes — ses yeux tremblaient d’une détresse rare chez elle.
Giyu, lui, restait immobile mais son regard n’avait jamais été aussi intense, aussi inquiet.
C’est alors que Muichiro bougea.
Sans réfléchir.
Sans écouter la raison.
Sans écouter la peur.
Il fit un pas. Puis un autre.
— Muichiro ! gronda Giyu.
— Tokito, ne t’approche pas plus ! siffla Obanaï, prêt à bondir.
Mais Muichiro ignora tout.
Il s’accroupit devant Lucy.
Tout près.
Bien trop près.
Au point que Lucy sentit immédiatement une vague de chaleur dans sa poitrine — une chaleur dangereuse, qui voulait dévorer.
Il planta son regard dans le sien, ses yeux d’un bleu limpide, immobile comme une montagne.
Sa voix fut douce. Étrangement douce pour quelqu’un qui affrontait une menace mortelle.
— Tu ne nous feras pas de mal.
Lucy secoua la tête, les dents serrées, ses canines à peine visibles sous ses lèvres.
— …Éloigne-toi…
— Non, répondit-il simplement.
Son ton ne laissait aucune place au doute.
Aucune faille.
— Tu es plus forte que ça.
Tu ne vas pas perdre.
Lutte.
Lucy sentit son cœur se tordre si fort qu’elle en eut presque la nausée.
Son instinct hurlait de le tuer.
Sa volonté hurlait de le protéger.
— Muichiro… gémit-elle.
Mais il ne recula pas d’un millimètre.
Derrière eux, le reste des Hashira arrivait.
Kyojuro déboula le premier, haletant, son aura flamboyante prête à brûler la nuit.
Tengen surgit juste après, ses yeux brillant d’un sérieux rare.
Gyomei avançait, lourd, silencieux, les larmes roulant déjà sur ses joues.
Sanemi grognait, une veine battant sur sa tempe, sa main crispée autour de son katana.
Tous se figèrent en voyant la scène.
Une Lucy agenouillée, tremblante, prête à perdre le contrôle.
Et Muichiro… juste devant elle, à portée de ses crocs, totalement exposé.
Mains sur les armes.
Respirations coupées.
Tension palpable.
Un seul geste de Lucy — un seul — et la clairière deviendrait un champ de bataille.
Muichiro, pourtant, ne détourna jamais les yeux.
Il resta là, immobile, solide, comme s’il était la seule chose qui la maintenait encore du côté humain.
Lucy serra les dents, le fixant comme si sa vie — ou la sienne — en dépendait.
La soif de sang lui vrillait la poitrine.
Un instinct brut, animal, qui montait, montait encore, l’étouffant presque.
Sa main tremblante se leva, s’étendit vers lui… hésitante, dangereuse.
Muichiro suivit ce mouvement du regard, lentement.
Aucun tressaillement, aucun recul.
Mais ses épaules se tendirent, imperceptiblement.
Il était prêt à réagir.
Au moindre écart.
Au moindre souffle trop rapide.
Derrière eux, un unique son déchira l’air :
schh-clang
Les katanas furent tirés de leurs fourreaux.
Les Hashira venaient de dégainer.
Lucy tourna faiblement la tête — juste assez pour les voir.
Shinobu, tremblante, mais lame à la main.
Sanemi, déjà en position d’attaque, les pupilles contractées.
Obanaï, Kaburamaru prêt à bondir depuis son épaule.
Kyojuro, le visage déchiré entre la douleur et la détermination.
Mitsuri, les yeux pleins de larmes mais prête à frapper.
Giyu, la lame parfaitement stable.
Tengen, l’expression raidie d’un sérieux absolu.
Gyomei, mains jointes mais posture d’affrontement.
Elle les observa un par un, le cœur se brisant un peu plus à chaque visage qu’elle reconnaissait.
C’était la pire vision qui soit.
Ses amis.
Ses alliés.
Son corps devenu une menace pour eux.
Elle reporta son regard sur Muichiro.
Toujours accroupi devant elle.
Toujours aussi proche.
Toujours aussi calme.
L’envie de sang la submergea.
Une vague violente, brûlante.
Lucy serra les dents si fort qu’elles en crissèrent.
De la mousse blanche se forma à la commissure de ses lèvres, signe que l’instinct prenait le dessus.
Sa main tremblait à seulement quelques centimètres de la manche de Muichiro.
Lui prit une profonde inspiration, lente, maîtrisée — ou du moins il tenta de l’être.
Ses épaules frémissaient à peine, mais son regard restait fixé sur elle, entièrement.
Derrière eux, tous les Hashira n’étaient que tension et lame pointée.
Prêts à frapper.
Prêts à la tuer si nécessaire.
Mais Muichiro n’en démordait pas.
Il ne voyait qu’elle.
— Concentre-toi sur moi. Uniquement sur moi.
Sa voix était basse.
Presque suppliante.
Lucy le fixa… lutta… tenta de s’accrocher à ses mots comme à une branche au-dessus d’un gouffre.
Puis—
CRAQUE.
Une branche se brisa dans le bois.
Un son sec, précis.
Déchirant le silence comme un coup de tonnerre.
Lucy tourna violemment la tête, toutes ses veines se tendant sous sa peau.
Son instinct hurla.
Démon.
Un démon approche.
Ici.
Tout près.
Une odeur âcre, répugnante, glissa jusqu’à ses narines.
Faible, mais rapprochée.
Affamée.
Son corps bouge avant même qu’elle ne l’ordonne.
Un whoomph lourd, comme si l’air cédait sous son mouvement.
Elle pivote —
ses muscles brûlant,
la douleur irradiant,
ses mains griffées par la terre —
Et elle fonce sur Muichiro.
Pour les Hashira, elle vient de se jeter sur lui pour le tuer.
Ils n’ont pas le temps de comprendre.
Mais pour Lucy, tout est encore au ralenti :
Muichiro la regarde — ses yeux bleus s’écarquillant d’une incompréhension pure, presque enfantine.
Ses lèvres s’ouvrent à peine.
Un souffle suspendu.
Le démon, juste derrière.
Si proche.
Ses griffes descendent.
Lucy étend les bras —
son corps se déploie comme une barrière vivante —
et elle frappe Muichiro à l’épaule pour le renverser.
Le temps se comprime autour d’eux.
Muichiro bascule.
Son souffle s’arrache de sa poitrine.
La terre se rapproche.
Et Lucy se couche au-dessus de lui au moment exact où—
FWOOSH
Les griffes du démon fendent l’air.
Elles passent si près que
quelques mèches des cheveux de Lucy sont coupées nettes,
volant en l’air comme des plumes noires au ralenti.
Muichiro sentit son souffle se couper sous l’impact.
Le choc l’écrasa contre la terre froide avant qu’il puisse comprendre ce qu’elle faisait.
Ses yeux s’écarquillèrent.
Lucy venait de le repousser —
et une griffe démoniaque passa là où sa gorge aurait dû se trouver.
Il resta figé, haletant, son cœur cognant contre sa cage thoracique.
— …Lucy ? parvint-il à articuler, la voix brisée par la surprise.
Il n’eut pas le temps d’en dire davantage.
Lucy, déjà redressée, se jeta sur le démon avec une sauvagerie qui n’avait plus rien d’humain.
Ses doigts — tremblants, crispés — agrippèrent la créature avec une force qu’elle n’aurait jamais dû posséder.
La scène devint un chaos de terre retournée et de silhouettes floues.
Les deux corps roulèrent au sol, un geyser de poussière s’élevant sous l’impact.
Lucy ne pensait plus.
Elle ne ressentait plus.
Plus de douleur.
Plus de peur.
Juste ce vide brûlant dans sa poitrine —
cet instinct qui noyait tout le reste.
Tuer.
Tuer.
Tuer.