Cœur givré

Chapitre 32 : Retrouvailles

4172 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/12/2025 20:57

Une semaine s’était écoulée depuis l’arrivée de Lucy au village.

Une semaine durant laquelle elle avait réparé des maisons, soulevé des poutres comme des brindilles, désherbé des champs entiers en quelques secondes et terrassé trois autres démons qui avaient tenté d’approcher.

Et chaque jour, les villageois la remerciaient.

Chaque jour, ils lui offraient des petites choses : des fleurs séchées, des paniers de riz, des rubans, des dessins d’enfants, des amulettes faites de ficelles tressées.

Comme si elle était une déesse à qui l’on faisait des offrandes.

Lucy restait toujours un peu mal à l’aise devant leurs gestes… mais profondément reconnaissante.

Et presque heureuse.

Pourtant…

Koriha n’était toujours pas revenu.

Et sans son retour, elle ignorait si Muichiro avait reçu sa position.

S’il savait.

S’il viendrait.

Elle ne l’avouerait à personne mais…

il lui manquait.

Vraiment.

))))))))))((((((((((

Ce matin-là, le ciel était gris, épais, cotonneux.

Aucun rayon du soleil ne filtrait à travers les nuages :

une sécurité bienvenue, lui évitant une combustion spontanée.

Lucy était assise dans l’herbe humide devant une maison en reconstruction.

Autour d’elle, une petite ribambelle d’enfants.

Elle tressait doucement les cheveux d’une fillette aux nattes dorées, tandis que deux autres — très concentrées — essayaient de faire la même chose avec les siens.

On aurait dit un étrange petit atelier de coiffure improvisé.

— Ne bougez pas trop, mesdemoiselles, murmura Lucy avec un sourire amusé.

Les enfants gloussaient, silencieusement ravies.

Les journées s’étaient écoulées ainsi :

Paisibles.

Rythmiques.

Presque douces.

Lucy aidait… et recevait en retour une gratitude débordante.

Les villageois la vénéraient littéralement.

Et les enfants…

ah, les enfants l’adoraient au point de la suivre partout comme une nuée de canetons attachés à leur mère.

C’était devenu sa routine.

Une routine simple.

Tranquille.

Presque réconfortante.

Jusqu’à ce que—

FWOOSH—

Un bruit d’ailes fendit brusquement l’air.

Les petites têtes se levèrent en même temps que la sienne.

Lucy plissa les yeux.

Une silhouette noire perçait les nuages et descendait à toute vitesse vers le village.

— …K-Koriha ? C’est toi ?

Le corbeau fondit droit sur elle et se posa sur son épaule dans un battement d’ailes vif, presque impatient.

— KROO !

Il inclina la tête, l’air très fier d’être reconnu — comme s’il répondait clairement :

« Bien sûr que c’est moi ! Qui d’autre serait aussi brillant ? »

Lucy rit doucement.

Koriha frotta affectueusement sa tête contre sa joue.

— Mais… si tu es là, alors…

Son cœur fit un bond dans sa poitrine.

Elle leva lentement la tête, ses cheveux tressés pleins de fleurs retombant derrière elle.

Ses yeux se posèrent sur la lisière de la forêt.

Une brise légère fit trembler les feuilles.

Une présence familière.

Presque palpable.

Il était là. Elle le sentit avant même de le voir.

Une pression dans l’air.

Une présence familière.

Une douceur froide, comme un souffle de vent qui reconnaissait son propre givre.

Puis une silhouette glissa entre les arbres.

L’uniforme ample et noir flottait légèrement autour de lui.

Muichiro Tokito.

Ses pas étaient rapides, précis, décidés.

Il ne regardait ni les maisons, ni les villageois, ni même le ciel couvert.

Il marchait droit vers elle.

Seulement elle.

Le sourire de Lucy jaillit aussitôt, spontané, éclatant.

Un sourire qui lui réchauffa la poitrine jusqu’aux côtes.

Elle se releva lentement — sans bousculer les enfants — mais à peine debout, sa maîtrise s’effondra.

Elle courut, faisant tomber Koriha de son épaule dans un « CROO ! » surpris.

Muichiro !

Les filles derrière elle poussèrent de petits cris ravis, leurs tresses encore en main, mais Lucy ne s’en rendit même pas compte.

Muichiro leva la tête.

Ses yeux s’agrandirent.

Surprise.

Joie.

Soulagement.

Et ce quelque chose de tendre qu’il ne montrait qu’à elle.

Ses lèvres s’étirèrent en un sourire rare, lumineux.

Il ouvrit les bras.

Juste à temps.

Lucy se jeta littéralement sur lui.

— Oh ! Doucement ! rit-il, manquant de perdre l’équilibre.

Il la rattrapa de justesse, son bras se glissant instinctivement dans son dos, ferme, protecteur, possessif malgré lui.

Elle se blottit aussitôt contre lui, ses tresses épaisses pendantes comme une cascade travaillée.

Elle murmura, la voix un peu étouffée contre son uniforme :

Tu m’as manqué…

Muichiro la serra plus fort.

Ses doigts s’accrochèrent légèrement à son kimono, ses épaules se détendirent comme si toute la tension d’une semaine fondait d’un coup.

Il enfouit son visage dans ses cheveux tressés, respirant son parfum avec un léger frisson.

Puis un rire lui échappa — doux, intime, réservé à elle seule.

Je sais… tu m’as manqué aussi.

Il se recula juste assez pour la regarder entièrement… et se figea.

Ses yeux glissèrent lentement sur sa coiffure.

Les longues tresses épaisses.

Les mèches relevées avec soin.

Les rubans colorés que les enfants avaient ajoutés en douce.

Son sourire devint malicieusement tendre.

— …Mitsuri serait fière, dit-il en arquant un sourcil.

— Enfin, si elle n’était pas trop occupée à batifoler avec Obanai…

Lucy rit doucement.

— J’ai eu des petites coiffeuses adorables, expliqua-t-elle.

Et elle se tourna pour leur montrer Muichiro…

…avant de réaliser qu’une chose extraordinaire venait de se produire :

Tout le village était sorti.

Des têtes se penchaient aux fenêtres.

Des portes s’entrebâillaient.

Des habitants sortaient sur le pas de leurs maisons, certains encore poussiéreux de reconstruction.

Les enfants prenaient appui sur les mains de leurs parents pour mieux voir.

Et tous…

absolument tous…

Regardaient.

Les adultes restaient bouche bée.

Les enfants, eux, fixaient la scène avec des yeux énormes, scintillant d’excitation.

Les vieillards, qui observaient depuis les seuils de leurs maisons réparées, semblaient au bord des larmes tant cette vision leur paraissait irréelle : leur protectrice retrouvant quelqu’un qui, visiblement, l’aimait profondément.

Muichiro cligna lentement des yeux, comme s’il réalisait seulement maintenant que tout le village entier avait assisté à leurs retrouvailles.

Les regards pleuvaient sur eux : fascinés, attendris, curieux.

Et surtout, sur lui, le mystérieux jeune garçon qui venait d’attraper Lucy dans ses bras comme si elle lui appartenait depuis toujours.

Une petite fille tira soudain sur la manche de sa mère et murmura beaucoup trop fort :

Maman ! C’est le prince charmant de Lucy-sama ??

La mère devint écarlate, étouffa un rire nerveux et plaqua sa main sur la bouche de sa fille.

Muichiro, lui, se raidit brusquement.

Il ne bougea plus.

Ses doigts restèrent suspendus derrière la taille de Lucy comme s’ils avaient gelé.

Une ombre de rose monta à ses oreilles, horriblement trahissante pour quelqu’un d’aussi stoïque.

Lucy, prise d’un léger fou rire, glissa sa main dans la sienne et répondit à la mère, douce et rassurante :

— Ce n’est rien, ne vous en faites pas.

Puis elle se tourna vers Muichiro, les yeux brillants d’une joie qu’elle ne cherchait même pas à cacher.

— Est-ce que… Kyojuro t’a expliqué la situation ?

Muichiro expira lentement par le nez, et ses épaules se détendirent un peu.

La teinte rosée resta pourtant bien accrochée à ses oreilles.

Il hocha la tête.

— Oui.

Kyojuro m’a tout raconté.

Sa voix était calme, mais son pouce, posé sur la main de Lucy, traçait des cercles distraits — un geste qu’il ne faisait que lorsqu’il était soulagé de la retrouver.

— Il m’a dit que tu étais devenue l’ange gardien de ce village, ajouta-t-il.

Puis… il m’a parlé de ce qu’il s’est passé juste avant.

Son regard glissa vers le visage de Lucy, plus grave, plus attentif.

Ses doigts se resserrèrent un peu plus autour des siens.

Ça va ?

Lucy hocha doucement la tête.

— J’ai… bien cru que j’allais perdre le contrôle en entrant dans cette cabane.

Mais je ne l’ai pas fait.

Heureusement.

Muichiro eut une réaction étrange :

il expira brutalement, comme s’il retenait ce souffle depuis une semaine entière.

Un tressaillement discret parcourut sa mâchoire.

Puis il l’attira un peu plus près, le ton presque imperceptiblement tremblant :

— Bien.

Un silence.

Il baissa la voix pour que seuls eux deux puissent entendre :

— Parce que si les choses avaient mal tourné…

j’aurais dû te traquer et te ramener moi-même.

C’était censé être une menace.

Vraiment.

Dans sa tête, ça l’était.

Mais la manière dont il pressa sa main, la manière dont ses doigts s’entrelacèrent aux siens, la manière dont ses yeux la dévoraient pour vérifier qu’elle était vraiment saine et sauve…

…disaient exactement l’inverse.

Lucy pinça les lèvres pour retenir un sourire, touchée malgré elle.

Elle savait que c’était son devoir.

Elle savait qu’elle avait exigé elle-même qu’on la tue si elle perdait totalement le contrôle.

Et pourtant…

Muichiro n’avait rien d’un bourreau en cet instant.

Il ressemblait à quelqu’un qui avait failli perdre l’amour de sa vie —

et qui réalisait maintenant que non, elle était toujours là.

L’expression de Muichiro vacilla imperceptiblement, comme si cette simple pensée avait traversé son esprit au même instant.

Ses doigts se resserrèrent autour des siens, un geste chaud, sûr, rassurant — un ancrage tendre malgré la promesse tacite et terrible qui pesait entre eux.

— …Arrête de trop réfléchir, murmura-t-il.

Il leva une main et lui donna une petite tape du bout des doigts sur le front, un geste doux et familier qui la fit cligner des yeux.

Puis il la ramena contre lui, la serrant dans une étreinte brève mais pleine.

— Tu es là, souffla-t-il contre ses cheveux.

— C’est tout ce qui compte pour l’instant.

Lucy sentit quelque chose se dénouer dans sa poitrine.

))))))))))((((((((((

Les villageois finirent par retrouver le courage de s’approcher.

Le chef du village, les mains jointes derrière le dos, s’éclaircit poliment la gorge avant de s’avancer.

Il s’inclina légèrement vers Lucy… mais son regard glissa immédiatement vers Muichiro.

— Alors… il doit s’agir de votre mari ?

Lucy écarquilla les yeux.

Son visage prit feu en une seconde — un rouge vif, éclatant, violent.

Muichiro, lui, manqua littéralement d’air.

Il se figea.

Suffoqua.

Devint rouge écarlate.

Sa prise sur la main de Lucy se relâcha deux secondes — juste assez pour trahir son choc — avant qu’il ne revienne à lui dans une toux désespérée.

— Je… euh… pas… pas encore…

Il jeta un regard rapide, paniqué et terriblement gêné en direction de Lucy, puis se frotta la nuque dans un geste désespéré, cherchant où enterrer sa dignité.

— … On est juste…

Mais il n’eut pas le temps de finir.

Car les enfants, derrière eux, venaient d’exploser en gloussements étouffés.

Certains se cachaient derrière leurs mains.

D’autres avaient carrément roulé au sol en riant.

Lucy, elle, resta bouche ouverte.

Mariée ?

Elle ?

L’idée lui explosa dans la tête comme un pétard trop proche.

Le chef gardait un sourire parfaitement aimable… mais une lueur de malice brilla dans ses yeux.

Clairement, il venait de s’amuser.

Et comme si la situation n’était pas déjà assez catastrophique, un petit garçon cria soudain :

— ALORS VOUS ALLEZ AVOIR DES BÉBÉS ?!

Muichiro devint violet.

Violet.

Il ouvrit la bouche, pas un son n’en sortit.

La mâchoire crispée.

Les pupilles tremblantes.

Son regard, désespéré, implorait Lucy de l’aider, de sauver ce qu’il restait de sa dignité.

Lucy, elle, émit un petit son étranglé — une sorte de « hiiii— » — avant de cacher son visage dans sa main, rouge jusqu’aux oreilles.

Le chef faillit perdre son sérieux : un rire à peine contenu vibrait dans sa gorge.

Les enfants, enhardis, se mirent à l’assaut.

— C’est quand le mariage ??

— Et les bébés ?!

— On peut venir au mariage ?!

— Moi je veux porter les talismans !!

— Moi je veux lancer les pétales !!

Muichiro ressemblait à une statue sur le point de s’effondrer.

Lucy, elle, serra les dents avant de lever une main pour calmer la marée d’enthousiasme.

— Ça suffit !

Le ton n’avait rien de dur — juste assez ferme pour rétablir un minimum d’ordre.

Les enfants se figèrent, mais restaient suspendus à ses lèvres, curieux comme des chatons.

Lucy inspira, cherchant ses mots.

— Nous ne pouvons pas nous marier, dit-elle doucement.

— Pas dans mon état.

Un silence tomba.

Un silence pur, suspendu.

Les adultes échangèrent des regards confus.

Les enfants penchèrent la tête de côté, comme si la phrase était une énigme impossible.

Muichiro, lui, cligna des yeux en direction de Lucy… un mélange de gêne, de surprise… et d’autre chose, plus profond, plus tendre.

Le chef du village, lui, reprit finalement la parole, cette fois sans la moindre trace de taquinerie.

Son regard était sérieux, respectueux.

— Et pourquoi ne pouvez-vous pas… si je puis me permettre ?

Lucy n’hésita pas.

Elle inspira à peine et répondit avec une simplicité honnête — brutale.

— Vous savez bien… parce que je suis un démon.

Un silence tomba.

Lourd.

Dense.

On aurait entendu une feuille tomber.

Le chef hocha lentement la tête, sa malice envolée, remplacée par quelque chose de plus grave.

Les enfants, eux, se figèrent complètement.

Puis… ce fut la petite fille aux yeux ronds, celle qui l’avait appelée ange, qui osa poser la question que tous retenaient.

D’une voix tremblante :

— Pourquoi… les démons ne peuvent pas se marier ?

Lucy sentit sa poitrine se serrer.

Elle s’accroupit devant la fillette, posant doucement une main sur son épaule.

Elle sourit.

Un sourire triste, doux, résigné.

— Parce que nous ne sommes pas censés aimer, murmura-t-elle.

Les enfants retinrent tous leur souffle.

Lucy regarda la fillette dans les yeux.

— Je suis un monstre… pas une future épouse. Je ne mérite pas un mariage. Tu comprends ?

La fillette ouvrit la bouche… et la referma aussitôt.

Ses grands yeux se remplirent de larmes.

Sa petite lèvre trembla, un reniflement pitoyable montant dans sa gorge.

Avant qu’elle ne s’effondre, un autre enfant leva la main — comme en classe.

Un geste si pur que, malgré la douleur, Lucy sourit faiblement.

— Vous… ne le méritez pas ? balbutia-t-il.

Il voulait comprendre.

Vraiment comprendre.

Derrière lui, d’autres petits visages attentifs, sérieux, se penchaient, suspendus à ses mots.

Lucy secoua doucement la tête.

— Non.

Elle déglutit.

— Même si j’en reçois…

Son regard glissa vers Muichiro.

Un regard chargé de nostalgie.

D’un si seulement si puissant qu’il aurait pu fissurer la terre.

Muichiro sentit ce regard comme un coup dans le cœur.

Il ne détourna pas les yeux.

Il ne chercha pas à masquer quoi que ce soit cette fois.

Il l’aimait.

C’était évident.

Et le voir… voir qu’elle croyait ne rien mériter… lui donna envie de briser le monde entier en deux.

Mais il resta silencieux.

Parce qu’elle parlait.

Et qu’il devait entendre jusqu’au bout.

Le chef, lui aussi, demeurait immobile, absorbant chacune de ses paroles, conscient qu’il assistait à quelque chose de profondément intime.

Alors l’enfant aux talismans — celui qui voulait absolument être garçon d’honneur — s’avança d’un pas.

Sa voix tremblait.

Mais il laissait son cœur parler.

— Mais… tu veux être aimée.

Lucy baissa la tête.

Elle ne put pas le nier.

Elle ne put pas mentir à cet enfant.

— Oui…

Sa voix se brisa légèrement.

— Je le veux.

Un frémissement traversa les rangs des enfants.

Un petit « oh… » triste monta d’une fillette.

Un autre renifla.

Un troisième s’essuya brusquement les yeux avec sa manche.

Puis le garçon insista, parce qu’il avait besoin de savoir, besoin de comprendre ce chagrin trop grand pour eux :

— Et… tu es triste… de ne pas pouvoir te marier… à cause de ce que tu es ?

Cette fois, Lucy sentit sa gorge se nouer.

Elle hocha la tête.

Lentement.

Très lentement.

— Oui.

On aurait dit que le monde s’arrêtait autour d’eux.

Même les adultes se figèrent.

Les enfants… eux… s’effritèrent.

Le petit groupe d’innocents, ceux qui la suivaient partout comme des canetons, la regardaient maintenant comme si on venait de leur annoncer que le soleil était malade.

Certains reniflaient.

D’autres avaient les yeux pleins de larmes.

La petite fille blonde murmura en s’essuyant les yeux :

— C’est horrible…

Et tous la regardèrent avec une telle innocence déchirante…

Comme si Lucy venait de leur confier le secret le plus triste du monde.

Comme s’ils voulaient l’aider, chacun d’eux, mais ne savaient absolument pas comment faire.

Puis, soudain—

— Est-ce que tu l’aimes ?

La voix était petite mais déterminée.

C’était le garçon aux talismans.

Celui qui semblait prendre cette histoire beaucoup trop au sérieux.

Il déglutit, mais ses yeux brillaient d’un courage inattendu.

D’un espoir fébrile.

Lucy, qui échangeait un regard avec Muichiro, tourna brusquement la tête vers lui, les yeux ronds.

— …quoi ?

Le garçon fronça les sourcils, comme si elle venait de donner la pire réponse possible.

— Tu l’aimes ?!

Il désigna Muichiro du doigt avec une conviction comique, ses joues se gonflant d’agacement devant son hésitation.

Autour d’eux, les enfants se redressèrent, captivés.

Même le chef se pencha imperceptiblement pour mieux entendre.

Muichiro, lui… se raidit comme s’il venait de se faire transpercer par un éclair.

Sa respiration se bloqua.

Lucy sentit ses joues s’enflammer.

Un instant de silence.

Puis, très doucement :

— … oui, je l’aime.

Le petit garçon s’essuya le nez du revers de sa manche.

Puis son visage s’illumina d’un sourire gigantesque, sincère et triomphant —

comme si cette simple phrase venait de réparer tout le chagrin du monde.

Il se tourna vers Muichiro.

Le fixa droit dans les yeux.

Puis… lui donna un petit poke du doigt dans le ventre.

— Alors tu l’épouses.

Il tapota du pied, l’air outré.

— TOUT. DE. SUITE.

Les autres enfants acquiescèrent avec une énergie explosive.

— OUI !!

— ÉPOUSE-LA !!

— DIS OUI !!

— TU DOIS LE FAIRE !!

— ALLEZ !!

Muichiro resta pétrifié.

Bouche entrouverte.

Regard vide.

Littéralement en train de buguer comme un poisson hors de l’eau.

Lucy porta une main à ses lèvres pour étouffer un rire, émue et amusée devant ce spectacle.

Elle lança un petit regard taquin vers son Hashira — qui se recolora comme un coquelicot sous le soleil.

Les enfants se rapprochaient, encerclant presque Muichiro, scandant leur verdict avec une intensité quasi religieuse.

— ALLEZ !

— DIS OUI !

— DIS-OUI-DIS-OUI-DIS-OUI !!

Finalement, il se tourna vers Lucy.

Toujours rouge.

Mais aussi étrangement résigné… et touché.

— … ils n’accepteront pas un refus, n’est-ce pas ?

Lucy secoua doucement la tête, un sourire tendre étirant ses lèvres.

Il inspira profondément.

Puis, dans un souffle amusé :

— Eh bien… je suppose que je n’ai pas le choix, n’est-ce pas ?

Il parla assez fort pour que les enfants l’entendent.

Ce fut une erreur.

— OOOOOOOOH !!!

— IL A DIT OUIIII !!!

— YAAAAAAAY !!

Les enfants explosèrent de joie, sautant partout comme des petits singes.

Le chef sourit d’un air beaucoup trop satisfait.

Lucy se rapprocha, aussi amusée qu’émue.

— Tu fais des heureux, tu sais.

Muichiro la fixa, puis rit doucement — un rire minuscule, discret, mais réel.

Il leva la main… et lui donna une petite tape sur le front.

Beaucoup moins gênée.

Beaucoup plus tendre.

— Je rends une personne heureuse, répondit-il d’une voix douce, presque timide.

Ses yeux plongèrent dans les siens.

— Et c’est plus que suffisant pour moi.

Le cœur de Lucy fit un bond.

Autour d’eux, le village entier vibrait, éclatait, acclamait, chantait presque.

Le chaos était total, hilarant, magnifique.

Muichiro, pourtant, ne voyait qu’elle.

Lucy fredonna un rire attendri, puis leva doucement ses mains pour encadrer son visage, ses doigts caressant ses joues rougies.

— Tu es tellement adorable…

Muichiro s’inclina dans son contact comme un chaton cherchant la chaleur, un léger bourdonnement satisfait s’échappant de sa gorge.

Son visage se détendit totalement, sa douceur naturelle enfin visible malgré les cris de fête.

— … Rien que pour toi, dit-il en murmurant.

Puis, en jetant un regard faussement agacé aux enfants surexcités :

— Et peut-être aussi pour ces morveux.

Il n’y avait pas la moindre trace de reproche dans sa voix.

Lucy éclata d’un rire léger.

Puis elle l’embrassa.

Tendrement.

Sincèrement.

Sous les applaudissements tonitruants des enfants qui hurlaient :

— MARIAGE !!!

— MARIAGE !!!

— MARIAGE !!!

Muichiro ferma les yeux au contact de ses lèvres.

Son bras glissa autour de sa taille, la serrant contre lui dans une étreinte tendre et instinctive, comme s’il avait attendu ce moment depuis des semaines.

Un sourire imperceptible étira ses lèvres contre les siennes avant qu’il ne recule juste assez pour la regarder.

Ses yeux brillaient —

tendres, et un peu taquins.

— Devant tous les enfants, hein ?

Lucy rit doucement, un rire qui fit palpiter son cœur.

— Je n’ai pas l’impression que ça les choque, dit-elle en jetant un coup d’œil aux enfants.

Elle avait raison.

Les clameurs, loin de s’éteindre… avaient redoublé.

Les enfants sautaient partout, convaincus que le baiser signifiait que le mariage venait d’avoir lieu — certains criaient déjà qu’ils avaient « TOUT VU » et « TOUT COMPRIS ».

Même les adultes, d’abord surpris, avaient désormais des sourires attendris, adoucis par la scène.

Muichiro laissa échapper un souffle amusé, son pouce traçant des cercles lents et distraits sur son flanc.

Il tenta de retenir un rire… échoua lamentablement.

— Je pense qu’ils s’attendent à ce que nous ayons dix enfants maintenant.

Lucy arqua un sourcil, un sourire malicieusement provocateur aux lèvres.

— Dix ? Seulement ?

Petit joueur…

L’expression de Muichiro se décomposa une seconde — offensé, sincèrement.

Puis il éclata d’un rire bref et la pinça légèrement à la hanche en retour.

— Sache que dix, c’est déjà beaucoup, merci bien.

Son regard se détourna vers les enfants qui trépignaient, certains déjà en train de chuchoter une liste de prénoms imaginaires.

D’autres se disputaient pour savoir qui allait porter les talismans lors de « LA cérémonie suivante ».

Lucy éclata d’un rire encore plus franc.

Car à peine avaient-ils échangé un baiser que plusieurs enfants s’étaient déjà mis en mission :

— « JE VAIS CHERCHER DES FLEURS ! »

— « MOI JE FAIS LES GUIRLANDES !! »

Les parents, complètement dépassés mais étrangement heureux, se faisaient traîner par leurs enfants dans tous les sens.

Lucy, émue et amusée, saisit la main de Muichiro.

— Viens, mon chéri.

Muichiro manqua de trébucher.

Pas à cause du surnom.

Mais à cause de la douceur désarmante avec laquelle elle l’avait prononcé.

Il serra sa main, ses doigts s’entremêlant aux siens avec une familiarité naturelle, évidente, presque intime.

Un éclat d’amusement dansait encore dans ses yeux, mais derrière…

On voyait la joie.

La vraie.

Celle qu’il ne montre qu’à elle.

Ils avancèrent ensemble vers les villageois.

Autour d’eux, les enfants s’éparpillaient pour rassembler décorations et nourriture ; certains revenaient déjà avec des paniers de fleurs sauvages, d’autres tiraient leurs parents par la manche pour qu’ils « se dépêchent, bon sang, c’est un MARIAGE ».

Le chef du village, déjà lancé dans l’organisation d’une « célébration improvisée », donnait des ordres d’un air beaucoup trop enthousiaste pour un homme de son âge :

— Accrochez des lanternes ! Faites du thé ! Et que quelqu’un retrouve mon chapeau de cérémonie !!

Les adultes observaient la scène avec un mélange de :

• tendresse,

• incrédulité,

• rire discret,

• admiration silencieuse.

Et au milieu de tout cela…

Lucy rayonnait.

Plus heureuse qu’elle ne l’avait été depuis longtemps.

Et Muichiro, juste à côté d’elle, semblait enfin respirer comme quelqu’un qui avait retrouvé sa maison.

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