JE SUIS VIVANT

Chapitre 13 : Un air de guitare

3407 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/10/2023 21:31

Un air de guitare



Vêtu de son pull bleu clair à capuche et d'un jean délavé, avec de baskets Converse noires aux pieds, Connor ne dépareillait pas avec la tenue décontractée de Hank, qui lui, était habillé d’une chemise turquoise à carreaux, d’un jean bleu foncé et de chaussures de randonnée. L'illusion de vacances père-fils, loin de l'agitation de la ville trépidante était parfaite.


Le Lieutenant avait décidé de programmer un weekend détente dans une cabane située à la limite de la frontière Canadienne, histoire de faire oublier au déviant ces derniers jours éprouvants et de lui changer les idées. Par chance, il avait réussi à réserver le logement à la dernière minute.


Ayant déjà voyagé une heure hors de la ville, Hank tendit sa main plâtrée par-dessus son épaule pour caresser la tête de Sumo qui reposait affectueusement sur son épaule. Le grand Saint Bernard semblait tout autant apprécier la sortie improvisée que ses maitres.


Incapable de rester à l'intérieur de l'espace confiné de la voiture, Connor baissa sa vitre et laissa la brise automnale traverser son visage et déplacer ses cheveux sur son front. 


Il admira le paysage verdoyant défiler sous ses yeux. C'était un spectacle étrange pour lui de voir des centaines d'arbres verts imposants le long de la route plutôt que les bâtiments froids de la ville.


« Ça va ? » Hank remarqua que Connor se penchait légèrement par la fenêtre ouverte « Rassure-moi, les androïdes ne tombent pas malades en voiture ? »


Amusé, le jeune homme lui offrit un petit sourire en coin.


« Je n’étais encore jamais sorti de Détroit. C'est si beau. »


« Et tu n’as encore rien vu, gamin. »


Le déviant revint enfin à l’intérieur du véhicule. « Vous semblez bien connaître ces routes. Êtes-vous déjà venu ici avant ? »


« Ouais. Avec mon père. Nous avions l’habitude de pêcher ensemble, jusqu’à mes quatorze ans. » Il poussa un petit soupir avant de poursuivre « Je n'ai pu y emmener Cole que deux fois... »


Connor remarqua le regard soudain sombre de son ami. « Combien de temps allons-nous rester ici ? »


« Quarante-huit heures de paix et de tranquillité totale. On va en profiter tous les deux pour recharger les batteries. »


Souriant vaguement au commentaire, Connor regarda la modeste cabane en rondins apparaître à travers les épais arbres verts qui entouraient la route. 


« Nous y sommes. » Hank confirma d'un simple pointage du doigt à travers le pare-brise. « J'espère que nous n'aurons pas à nettoyer le bordel laissé par des adolescents venus se planquer ici. »


« Des adolescents ? Que feraient-ils si loin de la ville ? »


Cette fois, c'est Hank qui souriait tant la question était naïve et innocente. 


« Oh, plein de choses… tu peux me croire. »


Connor sortit de la voiture tandis que Hank coupait le moteur et empochait la clé dans sa poche. La cabane ne ressemblait à aucun bâtiment de Détroit.


C'était une bâtisse en bois à deux étages, aux teintes ambrées avec des bardeaux sombres sur le dessus. Le toit descendait bas, près des bords de la cabane pour protéger le revêtement des intempéries. Deux grandes fenêtres délimitaient la porte d'entrée au sommet du porche en bois et une seule grande baie donnait sur la zone depuis le deuxième étage. Juste derrière, une clairière d'herbe verte offrait suffisamment d'espace pour camper à l'extérieur, faire des feux ou pique-niquer. La propriété menait également directement à un lac à l’eau cristalline.


« Tout ça est pour nous ? »


« Ouais. » Confirma Hank en ouvrant la porte arrière du véhicule pour faire descendre Sumo de la banquette afin de laisser vagabonder librement autour de la propriété. « Beaucoup d'espace et personne à des kilomètres à la ronde. Viens voir le lac. C'est l'eau la plus claire de tout le Michigan. »


Connor regarda Hank récupérer les cannes à pêche dans le coffre avant de le suivre le long de la cabane. D'épais pins dominaient la maisonnée et cette présence intimidante de la nature était une expérience nouvelle pour le déviant. Il y avait des moments comme ça où il semblait voir le monde à travers les yeux innocents d'un enfant.


Le doux clapotis des vagues calmes s'écrasant sur la rive sablonneuse attira l'attention de Connor vers le vaste et grand lac clair. Debout sur la rive, il regarda l’étendue d’eau et effectua une analyse cybernétique des environs, détectant une douzaine d’espèces différentes de poissons, ainsi que des grenouilles, des tortues, et des escargots.


 « Aide moi à vider la voiture, ensuite nous irons faire une ballade. » Déclara Hank en désignant le petit bateau à moteur qui se balançait doucement au rythme parfait des vagues. 


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Le calme s’installa sur le lac après que le petit bateau à moteur se soit arrêté en douceur au centre du plan d'eau pour y jeter l'ancre. Connor ne put s'empêcher de scruter par-dessus bord, se déplaçant d’une extrémité à l’autre avec curiosité alors que ses yeux améliorés scannaient les fonds pour y observer le moindre signe de vie animale.


« Reste tranquille. » Déclara fermement Hank en ramassant sa canne pour vérifier la ligne et le moulinet. « Tu fais bouger le bateau. »


« Désolé. » le déviant s’assis enfin et baissa curieusement les yeux sur la boîte de pêche ouverte à ses pieds comme si le contenu venait d'une autre planète. Ramassant la deuxième canne, il la regarda dans sa main avec un air intrigué.


Après avoir placé son poids, son flotteur et son hameçon sur sa propre canne, Hank choisit son appât ; un ver vivant, puis jeta rapidement sa ligne dans l'eau. 


Connor imita les mouvements du quinquagénaire mais choisit d'utiliser un leurre à la place.


Du coin de l'œil, Hank regarda l’androïde finir d'appâter son hameçon puis se diriger vers l'autre côté du bateau. 


« Je ne comprends pas très bien le but de la pêche. » confia le déviant en lançant sa ligne de manière experte dans le lac. « Cela semble être un passe-temps plutôt chronophage. »


« C’est ça le truc. Tu jettes simplement ta ligne et tu attends. Pas de pression, pas de soucis, pas de stress. »


« Que se passe-t-il si un poisson mord à l'hameçon ? »


« Tu le remontes. »


« Et ensuite ? Que dois-je faire après l'avoir remonté ? »


Hank secoua légèrement la tête alors qu'un sourire amusé apparaissait sur son visage. « Tu n'as pas besoin de le blesser ou quoi que ce soit. Il te suffit de ramasser le poisson, de retirer l'hameçon de sa bouche et de le laisser partir. »


« Et c’est tout ? Cela semble contre-productif. »


« Eh bien, certaines personnes attrapent du poisson pour le sport ; plus c'est gros, mieux c'est, et d'autres en attrapent pour le manger. »


Les yeux de Connor s'écarquillèrent pendant un moment.


« …le manger ? »


« Du calme. Je sais que tu aimes les poissons et toutes les autres bestioles de cette planète. Ne t’inquiète pas, je ne tuerai rien de ce que j'attraperai. J’ai apporté une glacière de nourriture pour moi. »


Se détendant à nouveau, les épaules de Connor s'affaissèrent de soulagement sachant qu'aucun animal ne serait blessé pendant leurs vacances. 


« Merci. »


« Maintenant, arrête de t'inquiéter de la logique de la pêche et profite simplement d'être loin des soucis de la ville. »


Moins intéressé par la capture du poisson que Hank ne l'était à ce moment-là, Connor remonta sa ligne après une heure d'inactivité et posa sa canne sur le côté alors qu'il se penchait en arrière dans le bateau pour s'allonger.


Il ferma les yeux face au soleil et laissa échapper une profonde expiration. « J’aime être ici. C'est très serein. »


« Je savais que ça te plairait. » Sourit le lieutenant alors qu'il enroulait sa ligne sur quelques mètres pour essayer d'attirer les poissons.


« Merci d'avoir programmé ce weekend, Hank » Déclara le déviant sur un ton reconnaissant.


« Pas de problème. La prochaine fois, c’est toi qui choisiras la destination. Tout ce que tu veux gamin, mais pas de parc d'attractions ! Je suis trop vieux pour les montagnes russes. »


« Je m’en souviendrais. » Répondit Connor avec amusement. Après avoir marqué un court silence, il reprit la parole, taraudé par une question. « Hank, vous m'avez dit que vous et votre propre père veniez ici quand vous étiez adolescent. Pourquoi avez-vous arrêté ? »


« Ma mère est morte à mes quatorze ans. Après son décès il était impossible pour mon père de revenir ici sans elle. » Le Lieutenant soupira lourdement avant de poursuivre. « C’est comme ça que nous avons abandonné cette tradition familiale. »


Tout en s'empêchant de trop chahuter le bateau, l’androïde se plaça juste à côté de Hank. « Je suis désolé si j'ai abordé un sujet inconfortable. »


« C'est bon. » L'homme posa sa main sur l'épaule du déviant bien trop empathique et la secoua légèrement. « J'ai passé de nombreuses années en colère lorsque ma mère est décédée, puis je l'ai été encore plus lorsque mon père est mort à son tour. Je me suis isolé du monde pendant des années. Barbara a été la première personne dont je me suis rapproché après avoir perdu mes parents, puis elle m'a donné Cole… » ​​Passant une main sur son visage, Hank effaça rapidement les larmes qui menaçaient de perler dans ses yeux bleus. « J'étais fâché contre le monde entier après avoir perdu Barbara, et j'étais prêt à tout abandonner quand Cole m’a été arraché… »


« ...Qu'est ce qui a changé ? »


« Toi. » Hank répondit fermement et sans aucun doute. « Tu m’as sauvé la vie, Connor. Je le pense vraiment. »


« Je… » La déclaration secoua l’androïde à un niveau qu'il n'avait jamais connu auparavant. « Vous m'avez aussi sauvé la vie. Vous m'avez aidé à accepter ma déviance. Vous m'avez encouragé à devenir un être vivant. » Connor porta son regard pensif sur la surface de l'eau. « Sans vous, je serais resté une machine, j’aurais assassiné Markus, mis fin à la révolution et Cyberlife m’aurait détruit. Rien que de l'imaginer je… »


« Tu as déjà surmonté tellement de choses Connor. Tu es devenu plus humain que je n'aurais jamais cru possible. Ne pense plus à ce qui aurait pu être et profite simplement de ta nouvelle vie. »


« Oui, vous avez raison » Sourit le déviant « C’est ce que je vais faire. » Ce faisant, il remarqua que le flotteur de Hank à la surface de l'eau plongeait légèrement, comme s'il était tiré vers le fond. Une analyse rapide confirma qu’un bar assez gros avait mordu l’hameçon. 


« Hank ! Votre ligne ! »


« Ah ! Il était temps ! » Le quinquagénaire remonta lentement le poisson qui commençait à se battre et à résister. « Je déteste rentrer à la maison sans au moins une belle prise. »


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La chaude journée de ce début d'automne s'était transformée en une nuit légèrement plus fraîche alors que les deux amis profitaient du calme et de la tranquillité de la cabane au milieu de nulle part. Hank avait allumé un petit feu de camp dans le foyer creusé de la propriété, et s'était assis sur une bûche, près de Sumo, grattant nonchalamment sa guitare avec sa main handicapée. Des milliers d'étoiles parsemaient le ciel noir, donnant à l'homme une vue dégagée pour la première fois depuis des années alors qu’une pleine lune d'un blanc impeccable imposait sa présence.


Connor était allongé sur le dos, un bras sous la tête, fasciné par cette immensité cosmique qui étincelait de mille feux. Il n’avait jamais pu voir les étoiles dans les limites de la ville sans avoir à utiliser des filtres pour bloquer la pollution lumineuse. C’était un spectacle magnifique.


 « Tu sais quoi, Connor ? » Le détective arrêta brusquement sa mélodie, vite remplacée par celle des grillons.


« Mmm ? »


« Je ne t'ai jamais entendu jouer de cette guitare. »


« Je l’ai pourtant utilisée quand vous n’étiez pas là. Je ne voulais juste pas vous déranger. »


« Gamin, il va falloir bien plus qu'une guitare pour me déranger. » Avec un petit sourire, Hank tendit l’instrument vers Connor et attendit que ses mains le saisissent par le manche. « Va s’y, montre-moi de quoi tu es capable. »


Avec précaution, le déviant retourna la guitare puis passa la bandoulière par-dessus sa tête et autour de ses épaules.


« Que voulez-vous que je joue ? »


« Peu importe. Qu’est-ce que tu aimes jouer quand tu t'entraînes ? »


« Je préfère des chansons que j'ai déjà entendues, notamment celles de "Knights of the Black Death" et "Fifty-One Times Metal".»


« Ah ! Je le savais ! » S’exclama fièrement le quinquagénaire. « Je t’ai rendu accro. »


« J'ai écouté d'autres genres de musique et je trouve vraiment que le Heavy Metal est le plus... passionnant. »


« Connor, n’utilise jamais les termes Heavy metal et passionnant dans la même phrase, je pourrais te botter le cul. »


« Pourquoi ? »


« Laisse tomber… » Hank se réajusta sur le rondin et passa une main dans ses cheveux avec désinvolture. « Pourquoi ne joues-tu pas quelque chose ? Fais-moi entendre tes compétences. »


« Si vous voulez. »


Avec les mouvements précis de ses doigts, Connor put jouer parfaitement la chanson « Truths and Lies » de « Knights of the Black Death » sans un seul défaut dans les notes ou dans son rythme. Pendant que la chanson jouait, Hank le regardait avec incrédulité face à la perfection absolue dont il faisait preuve lors de sa performance.


« ...Putain. » s’exclama t’il.


La réaction fit geler les mains de Connor. 


« C'était bien ? »


« C'était parfait. Combien de temps as-tu mis pour faire ça ? »


« Une heure. »


« Tu as appris à jouer cette chanson en une heure ? »


« Non, la chanson en elle-même a duré quatre minutes. L'album entier a duré une heure. »


Hank était stupéfait mais pas surpris.


« Très bien, maintenant laisse-moi entendre quelque chose que tu as composé toi-même. »


« Je n'ai créé aucune mélodie. » Répondit Connor d’un haussement d’épaules.


« Tu devrais. »


« Je peux jouer les autres chansons sans difficulté. Pourquoi aurais-je besoin de jouer quelque chose que j'ai écrit moi-même ? »


« Connor, la musique, c'est bien plus que jouer parfaitement une chaîne de notes et d'accords. Il s'agit de transmettre des émotions, de l'énergie. Le Heavy Metal t’attire car son émotion et ses histoires reflètent tes propres expériences personnelles... » Hank marqua une pause, réfléchissant soigneusement à ses prochains mots « … Mais ces chansons ne représentent pas ton histoire. »


« Mon histoire... Vous voulez que je la raconte ? »


« Exactement. »


« Mais comment je fais ça ? »


« Ferme les yeux. » Ordonna Hank appuyant ses avant-bras sur ses genoux.


« En quoi ça va m’aider ? »


« Fais-le, s’il te plait. » Le Lieutenant attendit que le gamin s’exécute avant de poursuivre. « Ok, maintenant concentre toi. Pense à un moment de ta vie, imprègne-toi de son émotion et libère la avec ta musique. »


Connor hocha légèrement la tête alors qu'il posait à nouveau ses doigts sur les cordes.


« Par quoi je commence ? »


« Souviens-toi de la nuit de la Révolution. Revisionne la dans ta mémoire et laisse tes mains bouger sans réfléchir. »


« Est-ce vraiment aussi simple ? »


« Ça l’était pour moi. »


« Pour vous ? »


« J'avais l'habitude de jouer quand j'étais plus jeune. Je trouvais de l'inspiration dans tout. Mais ce que tu as vécu est dix fois plus intéressant que les conneries angoissantes et hormonales typiques de mon adolescence. Alors, va s’y. »


« Je ne suis pas sûr de pouvoir faire ça, Hank. »


« Allez, gamin. Fais-moi plaisir ! Tu es l'une des personnes les plus empathiques que j'ai jamais rencontrées. Je sais que tu peux créer quelque chose d'unique et je suis sûr que tu entendras la musique différemment après avoir écrit ta propre composition. »


« ...D'accord. » Retenant son souffle, Connor, toujours les yeux fermés, essaya de se détendre et de se concentrer sur l'histoire qu'il voulait raconter. Sa LED clignota frénétiquement en orange alors qu’il replongeait dans ses souvenirs.


Son esprit accéda à la nuit très détaillée de la Révolution, revivant le moment où il avait brisé sa programmation restrictive et aidé Markus à échapper au Raid. Il se regarda infiltrer CyberLife et réveiller les androïdes avec Hank à ses côtés. Il se souvint du vent glacial souffler sur sa peau alors qu'il les conduisait au centre-ville pour s'unir à Hart Plaza. Les mains de Connor commencèrent à gratter une sombre mélodie, comme si elles étaient en pilote automatique.


La chanson que Markus et les autres déviants avaient chantée en un chœur parfaitement harmonieux résonna avec puissance dans l'esprit de Connor, l'inspirant davantage.


La LED jaune dans la tempe du déviant revint progressivement au bleu alors qu'il se perdait dans sa musique et commençait à se détendre encore plus.


Avec admiration, Hank écouta et apprécia chaque accord, chaque note parfaitement jouée par l’androïde. En regardant les mains de Connor faire chanter à sa guitare, avec grâce et perfection, une chanson pleine d'émotion et d'énergie brute, Hank ne put s'empêcher de penser que la musique en elle-même était vraiment la clé pour aider le gamin à baisser sa garde. Sans aucun doute, Hank savait que les talents du déviant s'étendaient bien au-delà du travail de police et s'adressaient à des domaines plus artistiques.


La cacophonie des grillons semblait être lentement réduite au silence par la chanson. C'était comme si la nature elle-même était impressionnée par le don du déviant et cédait lentement la place à la musique jouée.


Combattant l'envie d'utiliser son téléphone pour enregistrer Connor sans qu’il le sache, Hank croisa les bras sur sa poitrine pour empêcher ses mains de chercher son appareil et se détendit simplement pour se souvenir de ce moment. Fier de tous les progrès réalisés par le gamin, il ne put dissimuler le doux sourire paternel qui se forgeait sur son visage alors que la clairière se remplissait d'une beauté mélodique.



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