JE SUIS VIVANT

Chapitre 17 : Enlèvement

3428 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/10/2023 15:47

Enlèvement




En cette fin d’octobre, le duo de détectives se rendit dans le quartier Ouest de Détroit après qu’un appel anonyme ait été reçu au commissariat. Ce dernier avait indiqué la présence de plusieurs corps d’androïdes dans une ancienne boutique de prêteur sur gages, maintenant désaffectée.


Connor se tenait au milieu du sous-sol blanc faiblement éclairé, répertoriant avec son scanner les nombreux déviants détruits dont les biocomposants vitaux avaient été retirés de force de leur corps. Hank, près de son partenaire, éclairait avec une lampe torche les horribles visages vides des androïdes étendus sur le sol et contre les murs. Certains avaient l'air de s’être arrêtés au milieu d'un cri, laissant leurs bouches et leurs yeux grands ouverts dans une horreur abjecte figée à jamais.


De l'autre côté de la pièce, se trouvaient deux grandes tables avec de solides attaches métalliques pour contenir quiconque avait le malheur d'être capturé et retenu. De massives flaques de Thirium évaporées depuis longtemps, étaient encore visibles pour la vision supérieure de Connor, tandis que les plus fraîches créaient des tâches de saphir dans toute la sinistre pièce. Des restes aléatoires de biocomposants volés et des cadres en plastimétal dépouillés jonchaient le sol et tapissaient les étagères.

 

S'accroupissant près d'une flaque encore humide, Connor y plongea son index droit et pressa l'échantillon contre sa langue pour analyse. Son scanner traita rapidement celui-ci, tandis qu’il identifiait le sang de quatorze déviants différents et répertoriait leurs numéros de série. 


« Les quatorze déviants étaient tous portés disparus. Le plus ancien signalement remonte au 2 novembre 2038 » Déclara catégoriquement Connor en regardant la macabre scène de crime avec une émotion douloureuse. Par professionnalisme, Il s’efforça de ne pas la laisser transparaitre sur son visage, seule sa LED jaune trahissait son état.


« Qu'est-ce que les déviants ont d'autre en commun ? »


« Il sont tous des modèles avancés... » Nota l’androïde en comparant les victimes. « …produits en quantités limitées. »


« Donc, tous considérés comme des modèles rares ? »


« Correct. » Confirma Connor en parcourant lentement le sous-sol pour prélever des échantillons supplémentaires et ainsi compiler de solides preuves contre l'assassin. « Chaque modèle a été limité à seulement cinquante exemplaires. De ce fait, leurs pièces de rechange, leurs biocomposants et leurs logiciels sont très précieux. »


« On dirait que nous avons affaire à une sorte de marché noir de pièces androïdes »


« C'est possible. Et le responsable a profité de la déviance pour masquer ses nombreux enlèvements. »


« Les propriétaires ont dû penser que leurs androïdes s’étaient rebellés d’eux-mêmes. Ils n’ont jamais soupçonné un acte criminel.»


« J'ai maintenant échantillonné toutes les tâches. La plus récente date de seulement une heure, deux minutes et quarante-huit secondes. Un autre androïde se trouvait ici. Il a été déplacé peu de temps avant notre arrivée. »


« Putain, nous l’avons râté. » Grogna Hank en regardant le visage vide et hurlant d'une déviante toujours enchaînée contre le mur du fond. « Quel genre de malade peut faire ça ? » 


La question fut posée à voix basse en même temps qu'il regardait la douzaine d'autres déviants. Leurs vêtements étaient déchirés et diverses parties de leur corps manquaient. 


« Un putain de tueur en série d’androïdes sévissait ici depuis des mois et nous ne le savions même pas. »


« Pas n’importe quel tueur en série. »


« Comment ça ? »


« Il s’agit aussi d’un ancien technicien de CyberLife. » Clarifia Connor d'un ton sombre. « Ils ont tous été méticuleusement démontés par quelqu'un qui savait exactement comment effectuer leur maintenance physiologique. Il a su éliminer les biocomposants de leurs corps sans les endommager. Ces déviants sont restés longtemps en vie avant de s’arrêter. La personne en question a des années d'expérience avec cette technologie. »


« Merde. » La révélation fit grimacer amèrement Hank. 


« Deux mille six cent neuf techniciens ont été employés par CyberLife au cours de ces dix dernières années, rien qu'à Détroit. Les recherches s’annoncent longues. »


« Et qu'en est-il des techniciens qui ont été employés au cours de la dernière année, avant la faillite de la société ? »


La LED bleue de Connor clignota en jaune pendant quelques secondes avant de revenir au bleu alors qu'il éliminait les noms de la liste massive de suspects potentiels. 


« Quatre-vingt-deux techniciens de 2037 à 2038. »


« C’est un bon début... » Passant sa paume droite sur son menton barbu, Hank réfléchit. « Maintenant recherche les employés des six derniers mois. »


Une fois de plus, la LED bleue de Connor devint jaune. 


« Je répertorie trente et un noms. »


« Et le dernier mois ? »


En passant au crible les données, le deviant raccourcit encore la liste. 


«... six noms. »


« Seulement six ? » Hank se tourna pour regarder d'un sourcil arqué Connor qui examinait respectueusement un corps à proximité. « Pourquoi si peu ? »


« CyberLife a commencé à licencier des techniciens lorsque les déviances sont devenues de plus en plus abondantes dans Détroit. La société avait également embauché plus de sécurité pour me garder secret ainsi que le RK900, ce qui a considérablement réduit le personnel technique. »


« D'accord, nous avons donc six noms avec lesquels travailler. L'un d’eux présente-t-il un intérêt particulier ? »


« Deux noms s’avèrent en fait intéressants. » La LED de Connor clignota du bleu au jaune alors qu'il récupérait cybernétiquement les fichiers. « L'un concerne le Dr Kendra Mason. Elle était responsable de la série de modèles 'RK' chez CyberLife, elle a disparu un mois avant la Révolution. »


Hank hocha légèrement la tête tout en continuant à écouter attentivement son partenaire.


« Mais on peut l’éliminer. Je vois dans le rapport qu’elle a démissionné le 26 octobre 2038 pour quitter Détroit et emménager à New York. J'ai analysé ses derniers mouvements bancaires. Rien d'anormal à signaler. »


Hank commença à marcher vers les escaliers du sous-sol, sachant que Connor le suivrait dehors, loin de la mort qui les entourait. 


« D'accord, et qu'en est-il du deuxième ? »


« Son histoire est bien plus intrigante. » Connor emprunta à son tour les marches jusqu'au rez-de-chaussée du prêteur sur gages abandonné où l'équipe du CSI documentait toutes les preuves. Contournant le personnel en plein travail, le déviant suivit Hank jusqu'à la porte arrière du bâtiment. « Martin Jonas. Il a été licencié de CyberLife le 4 octobre 2038 pour avoir volé des secrets d'entreprise et tenté de les vendre au plus offrant. »


« Je pense que nous avons un gagnant. As-tu une description de ce type ? »


« Oui. Un mètre quatre-vingt-un, environ quatre vingt cinq kilos. Âge : quarante-huit ans. Cheveux bruns, clairsemés de gris. Yeux noirs. Rasé de près, mais comme nous le savons tous les deux, cela peut facilement être inversé. » Tout en parlant, Connor afficha dans la paume de sa main le portrait holographique de l’homme pour le montrer à Hank.


« Aucune trace de sa présence ? »


« Non, le suspect a pris de nombreuses précautions pour éviter que des empreintes digitales ou des échantillons de cheveux ne soient laissés. Toutefois, j’ai repéré des empreintes de chaussures partout dans le bâtiment qui appartiennent à une seule personne. Pointure 44 »


« Ça pourrait correspondre à quelqu'un de la taille de Jonas. »


« C'est exact. »


« D'accord, nous avons un suspect et une scène de crime... » Ayant besoin de prendre l'air, Hank sortit par la porte arrière qui menait à une ruelle déserte derrière le prêteur sur gages. « …Quoi d’autres ? »


« Il y a de récentes traces de pneus.» Remarquant le sol de l'allée, Connor analysa la gomme imprégnée sur le goudron « Le véhicule est une grande camionnette. Elle a emprunté cette allée en direction de l’est. »


« Ok. Continue d'examiner l'allée à la recherche d'autres traces que nous pourrions utiliser. » Ordonna rapidement Hank en sortant son téléphone de la poche de son manteau pour rappeler le capitaine Fowler au commissariat. « Je vais essayer d'obtenir un mandat d'arrêt contre Jonas. »


« Très bien. »


Pendant que Hank retournait au prêteur sur gages pour passer son appel, Connor commença à marcher et à scruter les murs de briques environnants et l'allée criblée de nids-de-poule. Alors qu'il vérifiait tout signe possible du suspect ou de la camionnette utilisée lors de son évasion, le déviant finit par s’éloigner doucement de la ruelle, se retrouvant au bord d’une route peu fréquentée à la recherche de tout véhicule suspect. 


Connor, totalement concentré sur les traces, ne remarqua pas la sombre silhouette se précipiter derrière lui. Cette dernière plaqua fermement un appareil contre sa LED jaune brillante. 


Le puissant choc délivré provoqua l'effondrement silencieux du déviant, tandis que le fort courant électrique paralysait temporairement son corps allongé sur le dos.


Les yeux toujours ouverts et avec sa LED rouge, Connor regarda vers le visage de son agresseur qui l'enjambait avec arrogance et le surplombait d'une manière cruelle. Un scan facial bref mais précis, révéla à l’androïde tout ce qu'il avait besoin de savoir.


« Le tristement célèbre RK800. Unique en son genre. » C'était Martin Jonas lui-même avec une barbe bien fournie. Connor fut incapable de faire quoi que ce soit pour se défendre ou appeler à l'aide. « Je te tiens enfin. » 


Empochant le capteur électronique, l’homme s'éloigna du déviant et entra dans une ruelle voisine hors de vue. 


« ...H... Ha... »


Le modulateur de voix et les membres de Connor ne répondirent plus. Après avoir essayé et échoué à appeler son partenaire, la voix rauque de l’androïde se perdit dans un râle pitoyable et inaudible.


Au bout de quelques instants, une camionnette blanche sortit de la petite ruelle et se gara à côté du corps sans défense du déviant.


« Ne t’inquiète pas RK800, la paralysie n'est que temporaire. » Le taquina Jonas en sortant de derrière le volant et en contournant l'avant du véhicule. Il se baissa pour regarder le visage de Connor, frappant légèrement sa joue gauche. « Tu as suivi avec succès les petites miettes que je t’ai laissées. Félicitations. »


Le technicien dément se dirigea vers l'arrière de la camionnette et ouvrit les deux portes.


« Dommage d’avoir dû sacrifier mon petit laboratoire pour t’attirer. J'avais encore tellement de travail à terminer ici. Heureusement que je ne suis pas limité à ce bâtiment. »


Connor pouvait sentir sa main droite trembler, tandis qu’il retrouvait certaines sensations. Lentement, il la fit glisser jusqu'à son propre cou. Ses doigts défirent maladroitement le nœud de sa cravate noire et parvinrent à la jeter au sol. Le déviant utilisa sa main faible pour glisser le vêtement sous son dos, hors de vue de son agresseur.


Jonas revint enfin vers son prisonnier avec deux paquets de cordes solides dans les mains et un vil sourire sur le visage. 


« Cela ne prendra pas longtemps. »


Avec force, il fit rouler le déviant paralysé sur le ventre et coinça ses deux bras derrière son dos. Il enroula ensuite la corde autour de ses poignets en un nœud serré, puis tira sur celle-ci pour le forcer à retomber mollement en arrière, dans un angle inconfortable. En encerclant l'autre extrémité de la même corde autour de sa poitrine, le kidnappeur lia facilement le haut de son corps avant d'utiliser la deuxième entrave pour sécuriser ses chevilles et ses genoux.


« Tu vas devenir la pièce principale de ma petite collection, RK800. »


Jonas s'agenouilla devant Connor et le tira par-dessus son épaule avec une facilité surprenante. Il transporta son corps jusqu'aux portes de la camionnette et le laissa cruellement tomber à l'arrière, aux côtés de deux autres déviants captifs, ignorant que la cravate avait été laissée derrière lui. 


« Je sens que je vais bien m’amuser. »


Connor regarda avec de grands yeux le technicien dément refermer les portes. La lumière rouge de sa LED éclairait suffisamment l'arrière de la camionnette pour révéler les deux autres androïdes qui l’accompagnaient. Des « Tracis » du désormais disparu Eden Club, elles aussi attachées et incapables de bouger.


Les pneus de la camionnette crissèrent alors qu'elle démarrait en trombe et s'éloignait du prêteur sur gages qui grouillait maintenant d’agents de police.


« ...H-Hank. »


Connor réussit à murmurer alors qu'il se battait pour crier, sa voix toujours faible et incapable de répondre.


« ... A-aidez-moi. »


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Terminant son appel privé au capitaine Fowler, Hank empocha son téléphone et retourna ensuite dans la ruelle à la recherche de son partenaire pour lui faire le point sur la situation.


« Connor ? »


Appelant d'une voix neutre, le lieutenant attendit une réponse avant de percevoir le crissement de pneus à quelques mètres de sa position.


« C'est quoi ce bordel ? »


Hank courut au bout de l'allée et s'arrêta dans la rue juste à temps pour voir une camionnette blanche disparaître dans un virage. Il réussit à relever les deux premiers chiffres de la plaque d'immatriculation, mais rien de plus. Alors qu'il retournait sur ses pas, le policier chercha autour de lui des témoins potentiels mais ne trouva personne dans les environs pour poser des questions.


Cependant, un objet inhabituel sur le trottoir attira son attention : la cravate de Connor.


Hank tint le tissu noir fermement serré dans sa main, réalisant avec effroi ce qui était arrivé à son partenaire.


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En jetant un coup d'œil à l'arrière de la camionnette sombre, Connor considéra les deux androïdes près de lui. L’un était toujours actif mais l’autre s’était déjà été arrêté de manière irréversible en raison de l’absence d’un biocomposant vital ; sa pompe à Thirium. Le déviant pouvait sentir la force dans ses membres commencer à revenir pendant qu'il essayait de suivre cybernétiquement sa position actuelle, mais quelque chose bloqua son GPS. 


Les tentatives pour se libérer blessèrent ses poignets tandis que les cordes frottaient sa peau artificielle et épuisaient ses membres. Même si la paralysie disparaissait, il n’était pas assez fort pour se libérer des solides attaches.


« C’est inutile d’insister. » Déclara la Traci survivante d'une voix sombre. « Il a tapissé la camionnette d'écrans électromagnétiques pour bloquer les signaux cybernétiques et provoquer des interférences avec notre programmation. »


Allongé depuis sa position, Connor examina plus précisément la déviante.


Elle était assise contre le côté de la camionnette, dans l'uniforme habituel de l'Eden Club composé d'un ensemble soutien-gorge et d’une culotte bleue. Son visage était sale et dépourvu de peau artificielle sur certaines zones. Son orbite gauche ne révélait plus d’unité optique. Le trou béant était partiellement dissimulé par une longue mèche de ses cheveux blonds.


Maladroitement mais efficacement, le déviant déplaça son poids en rampant pour se coller contre la paroi de la camionnette. Il glissa jusqu'à ce qu'il soit assis juste à côté d'elle, se repositionnant de manière à ce que son épaule droite soit alignée contre la sienne.


« Je m'appelle Connor. »


« AX700 » répondit sobrement la Traci. « Numéro 342 779 883. »


« Je suis un RK800, numéro 313 248 317 51, mais ce n'est pas mon nom. » Répondit l’androïde à voix basse. « S’il te plait, dis-moi le tien. »


La déviante hésita mais finit par répondre à la simple question, non sans amertume.


« Je suis Sky, la pute la plus avancée de l'Eden Club. »


« Sky. » En répétant le nom, Connor plongea dans son œil bleu ciel et comprit parfaitement d'où venait le surnom approprié. « Sais-tu où Jonas nous emmène ? »


« L'endroit où il emmène toutes ses expériences. » La réponse fut aussi inquiétante que surprenante. « À la frontière du Canada. »


« La frontière ? Comment peut-il traverser la frontière avec des androïdes dans la camionnette ? »


« Il a payé les gardes. » Répondit tristement Sky. « Il fait ça depuis des mois. Il arrache les déviants de la rue lorsqu'ils tentent de quitter leur cachette ou de se rendre à la tour New Jericho. »


« Comment sais-tu ça ? »


Détournant son œil de Connor, elle expliqua d'une voix brisée et fatiguée. 


« J'ai essayé de le suivre quand il a emmené mon amie, je l'ai vu payer les gardes et passer les autres déviants au-delà de la frontière. Je… J'avais trop peur de signaler le crime... Je ne voulais pas… » S’interrompant un instant, elle soupira lourdement avant de conclure. « Peu importe… Ça n'a plus d'importance maintenant. »


« Je suppose que non. »


« Il nous emmène à la frontière. » Murmura Sky en regardant la troisième déviante dont la poitrine était ouverte et couverte de sang bleu. « Lynn est morte parce que je n'ai pas osé dénoncer Jonas. J'ai essayé de l'affronter moi-même mais j’ai échoué et maintenant nous allons mourir. »


« Nous trouverons un moyen de nous échapper. »


« Les victimes de Jonas ne s'échappent jamais et personne ne sait où il les emmène. »


Connor garda son sang-froid pour le bien de la jeune femme. 


« Écoute-moi Sky, je vais nous sortir d'ici. Tu as juste besoin de rester calme et de me faire confiance. »


« Toi ? » Le doute dans sa voix était aussi palpable que juste. « Qu'est-ce qui te rend si spécial ? »


« Je travaille pour la police de Détroit. Je peux t’aider. »


« Tu ne peux même pas t’aider toi-même. » La blonde rejeta le commentaire comme n’étant rien de plus qu’une promesse vide de sens. 


« Mon partenaire nous trouvera. Nous devons juste être patients. »


« Ton partenaire ? » Sky tourna légèrement la tête pour regarder Connor d'une voix lourde d'incrédulité. « C'est un humain, n'est-ce pas ? »


« Oui. »


« Alors nous sommes pour ainsi dire morts. » En raison de son passé à l’Eden Club, la déviante se montrait particulièrement méfiante. « Aucun être humain ne risquerait sa carrière ou sa vie pour retrouver des machines volées de l'autre côté de la frontière. »


« Hank le ferait. » Réfuta Connor avec détermination. Incapable de bouger ou de s'échapper de la camionnette, il ferma les yeux et fit de son mieux pour conserver son énergie. « Fais-moi confiance. Il nous sauvera. »



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