JE SUIS VIVANT

Chapitre 28 : Partenaires malgré eux

5770 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 18/01/2024 12:37

Partenaires malgré eux



Ces dernières semaines, les arrestations massives des trafiquants de RED ICE avaient entraîné une diminution drastique de la violence dans les rues de Détroit. Malheureusement, il ne fallut pas longtemps pour que de nombreux aspirants barons de la drogue se disputent le trône vacant et encore moins pour que la ville subissent de nouveaux réseaux de distribution.


Par conséquent, Fowler affecta plusieurs de ses agents à des patrouilles afin de localiser les nouveaux points de deal pour les démanteler le plus rapidement possible et éviter ainsi qu'ils ne gangrènent à nouveau la ville.


Que ce fut par hasard ou à dessein, Connor se retrouva associé à Reed et sans grande surprise, cette collaboration forcée ne provoqua pas un grand enthousiasme chez les deux officiers.


« Notre Capitaine a un putain de sens de l'humour. » Grommela amèrement Gavin tout en conduisant avec Connor comme passager indésirable. « Forcément, il a fallu que je me retrouve coincé avec toi. Mais qu'est ce que j'ai fait pour mériter ça ? »


« Rien du tout. C'est juste que Chris a la grippe et qu'il te fallait obligatoirement un partenaire pour t'accompagner. » Expliqua platement Connor en vérifiant un curieux sac rempli de bonbons dans la poche de sa veste en cuir.


« Je ne voulais pas dire littéralement, espèce de morceau de plastique débile ! » Grogna l'officier en garant la voiture sur un tronçon de trottoir désert. Après avoir arrêté le moteur, il s'enfonça en arrière dans son siège et lança au déviant un regard particulièrement agacé. « Il va falloir que tu assimiles un peu mieux le sarcasme et la rhétorique. »


Le déviant concentré resta silencieux, sa LED allumée d'un bleu calme. Il procéda sans attendre à une analyse cybernétique des bâtiments environnants pour y repérer toute activité illégale derrière les épais murs de briques.


Laissant échapper un soupir, Gavin prit son gobelet de café tiède et commença à le siroter avec une légère grimace. 


« Alors ça donne quoi, détective androïde ? »


« Rien d'intéressant à signaler. »


« Je vois... » Répondit l'officier en avalant d'une traite le restant de sa boisson. « Nous allons garder à l'oeil cette zone pendant une heure, puis nous passerons à la suivante. »


« Ça semble raisonnable. »


« Oh, ferme la ! »


« Pourquoi ? Je suis d'accord avec toi. »


« Et je déteste ça, alors tais-toi ! »


Le coin de la bouche de Connor se contracta un peu. Avec irritation, sa LED passa brièvement au jaune, pour ensuite revenir au bleu tandis qu'il obéissait et reprenait ses scans. Il y avait peu de passages dans le quartier et l'activité de la rue disparaissait à mesure que la nuit avançait. 


Au moment où il commençait à déposer une mise à jour cybernétique auprès du commissariat, Connor détecta un groupe d'individus qui se faufilait discrètement dans le bâtiment par la porte arrière.


« Gavin. » Le déviant fit un signe de tête en direction de l'immeuble. « Il y a quatre personnes qui viennent de rentrer. »


« Des trafiquants ? »


« Je l'ignore. » La LED du déviant continuait à clignoter en jaune pendant son analyse. « Mais ce bâtiment est prévu à la destruction, ce qui signifie que personne ne doit y pénétrer, quelles que soient les circonstances. »


« Bien, informe le commissariat. » Tirant son arme au niveau de sa hanche droite, Gavin la vérifia puis sortit du véhicule. « Je vais regarder ça de plus près. Tu m'attends ici. »


« Hors de question. » Rétorqua Connor en suivant immédiatement le détective dans la rue enneigée. « Je viens avec toi. »


L'androïde vérifia sa propre arme avant de la remettre dans l'étui dissimulé dans son dos, sous sa veste en cuir et son blazer gris. 


Les deux officiers se déplacèrent furtivement jusqu'au bâtiment en briques et regardèrent à travers les fissures des planches plaquées contre les vitres brisées un groupe de quatre personnes blotties autour d'une table rectangulaire où étaient posés plusieurs sacs de RED ICE fraîchement préparée.


« ...Putain. » Jura Gavin à voix basse en remarquant la quantité alarmante de drogue. « Il y en a au moins pour quinze mille dollars. »


« Quinze mille six cents... »


« Arrête. » Intima le Sergent avec agacement. Connaître le montant exact n'était pas un débat qui lui importait. « Nous pourrons nous en préoccuper plus tard. »


Malgré l'éclairage de la lampe intentionnellement faible pour éviter d'être détecté par quiconque depuis l'extérieur, le déviant aux yeux vifs n'eut aucun problème à identifier les suspects.


« Tous ont des antécédents dans le trafic d'armes et la toxicomanie. »


« Tu as prévenu le commissariat ? »


« Oui. Les renforts devraient arriver d'ici... »


Soudain, le crissement aigu de pneus hurlant dans la rue fit se retourner le duo juste à temps pour voir une Mustang rouge passer à toute vitesse devant le bâtiment. 


Alors que la voiture arrivait à hauteur des deux flics, la vitre du passager s'abaissa et une arme semi-automatique apparue.


« À terre ! » Cria Connor en réaction à la pluie de balles qui s'abattit sur eux. Sans ménagement, Il poussa Gavin sur le trottoir, hors de portée des tirs.


« Les fils de pute ! » Jura t'il en atterrissant sur sa poitrine, la main de Connor toujours appuyée sur son épaule pour le maintenir au sol. Immédiatement, il sortit son arme et tira deux coups de feu sur la voiture qui faisait demi-tour pour une seconde salve.


« Nous devons partir d'ici ! » Sans une seconde d'hésitation, Connor se releva aux côtés de Gavin et tous deux coururent vers la voiture garée. Les balles continuèrent à jaillir au-dessus de leurs têtes, frappant le bâtiment, brisant les vitres exposées, s'enfonçant dans le trottoir et transperçant le côté de la voiture personnelle de Gavin alors que les deux détectives revenaient à bord.


« Enfoirés ! » Cria le sergent en gardant la tête basse. Une autre balle traversa le pare-brise arrière et s'incrusta dans le tableau de bord, à proximité du volant. « Vite ! Trouve nous un moyen de sortir d'ici ! »


Connor calcula rapidement un nouvel itinéraire, sa LED passant du rouge au jaune.


« Tourne à gauche ! »


Une nouvelle rafale de balles frappa sans pitié le véhicule en fuite.


Alors que Gavin s'apprêtait à tourner au coin, Connor saisit soudainement le volant et le tira vers la droite, emmenant la voiture dans une impasse sombre du bord de la route.


« Tu es malade ! arrête ! » Gavin reprit de suite le contrôle. « Ne fais pas ça ! » Tandis que ses mains se resserraient autour du volant, il sentit quelque chose de chaud et de collant contre sa paume, le faisant baisser les yeux sur sa peau imprégnée d'une curieuse tache sombre. « C'est quoi cette merde ? »


« Mes excuses. » Déclara Connor en essuyant avec la manche de sa veste en cuir une traînée de thirium au coin de sa bouche. « Tourne encore à droite. »


« Quoi ? Pourquoi ? » Gavin gardait la tête basse et regardait dans les rétroviseurs pour guetter le moindre signe de la Mustang qui les poursuivait. « C'est une impasse ! »


« Une balle a touché le réservoir de carburant. Nous serons à court dans huit secondes. Nous devons fuir à pied si nous voulons échapper à nos assaillants. »


« Ah, super... »


Effectivement, la voiture commença à crachoter et à ralentir. Les dernières réserves d'essence s'écoulaient du réservoir endommagé et tâchaient la rue. 


Rapidement, Gavin ouvrit sa portière et courut vers l'avant de la voiture pour se cacher derrière le pare-chocs.


« Allez ! Il faut qu'on bouge ! »


En rejoignant l'officier, le déviant tomba à genoux et toussa une éclaboussure de sang bleu sur le goudron.


« Hé ! Qu'est-ce qui ne va pas chez toi !? »


Connor retira les revers de sa veste, et montra les deux impacts de balle sur chaque côté de son abdomen qui saignaient à un rythme alarmant. Ses mains étaient trempées de son thirium alors qu'il essayait, sans succès, d'endiguer l'hémorragie.


Gavin baissa les yeux sur les siennes et réalisa que lorsque Connor avait saisi le volant, il avait étalé son propre sang dessus.


« Sauve toi. » L'androïde désigna la rue avec son doigt tendu. « Ils vont arriver... »


« Alors grouille ! Lève ton cul. » Gavin agrippa le bras du déviant affaibli et le releva sur ses pieds, entourant son bras autour de ses épaules pour l'aider à marcher. « Nous devons nous cacher ! »


« ...Laisse-moi. » Insista Connor tout en luttant pour avancer rapidement. « Je vais te ralentir. »


« Putain ! Qu'ils soient en plastique ou pas, je ne laisse jamais mes coéquipiers derrière moi ! »


Un sifflement douloureux s'échappa des dents serrées du déviant tandis que sa LED devenait rouge et que le sang imprégnait sa chemise blanche d'une teinte bleu foncé.


Gavin s'arrêta au milieu de la rue enneigée et regarda un instant autour de lui.


« Où allons-nous ? »


« Je ne... sais pas. Je ne peux pas faire d'analyse. » Trop faible pour accéder à son GPS, Connor ignorait leur position actuelle.


« Parfait... Juste parfait... » Grommela Gavin en entraînant le blessé entre deux maisons décrépites, abandonnées depuis des années. La neige s'était suffisamment accumulée pour garder le duo à l'abri des regards immédiats. « Reste silencieux une seconde, d'accord ? »


Connor hocha seulement la tête et s'assit sur le sol froid en s'appuyant lourdement contre le côté extérieur de la maison.


Dissimulé dans l'ombre, Gavin regarda la Mustang arriver à hauteur de son véhicule juste en bas de la rue. Sans attendre, deux hommes ouvrirent le feu dessus, laissant celui-ci complètement détruit dans une impitoyable rafale de balles.


« MA caisse ! Merde. Je venais de finir de la payer... »


Dépité mais toujours concentré, le Sergent s'écarta du talus de neige et regarda à travers la fenêtre déjà cassée du rez-de-chaussée de la maison abandonnée. Plusieurs meubles moisis étaient sporadiquement placés dans le salon et une désagréable odeur de nourriture pourrie laissée dans la cuisine remplissait l'air.


« Il n'y a personne. » Confirma Reed à voix basse. « Nous pouvons nous cacher à l'intérieur. »


Connor ne répondit pas à la déclaration.


« Hé ! » Gavin poussa l'épaule du déviant et lui aboya bruyamment dessus. « Je t'interdis de crever ! »


Il attrapa le bras de Connor et le remit sur ses pieds. Le soutenant contre le côté de la maison pendant un moment, il enroula ensuite son bras autour de son dos et commença à le traîner comme un poids mort à l'arrière de la propriété.


« Allez, putain ! » Jura l'officier en faisant asseoir Connor par terre, près de la porte avant de tester la poignée verrouillée.


Propulsant son épaule contre le battant, Gavin força son ouverture après deux grosses poussées. Une fois à l'intérieur, il sortit instinctivement son arme et vérifia la cuisine dégoûtante à la recherche de tout signe de vie.


« Allez, espèce de connard en plastique... » Après avoir rangé son Glock dans l'étui, Gavin retourna dehors et releva Connor une fois de plus en tirant fermement sur son bras. « ...On y va. »


Après avoir traîné le déviant à l'intérieur de la maison, il ferma la porte avec son pied et glissa une chaise de cuisine contre la poignée pour essayer de la bloquer de l'intérieur.


« J'ai laissé ma radio et mon téléphone dans cette foutue bagnole. Fais chier ! »


Gavin était visiblement agité et jurait de manière vénimeuse. Tout en transportant l'androïde à travers la cuisine, il localisa un couloir et une chambre au premier étage de la maison.


« Ok, ce n'est pas le meilleur endroit au monde mais au moins nous sommes hors de portée de tir. »


La chambre avait un vieux matelas queen-size qui avait été laissé sous une bâche de protection en plastique. La commode dans le coin de la pièce disposait également du même revêtement et la fenêtre abîmée était dissimulée derrière un épais rideau sombre.


« Attends une seconde, le robot... »


Gavin plaça Connor sur le sol en position agenouillée puis entreprit de déchirer le plastique sur le lit. Le revêtement retiré révéla une partie étonnamment propre, bien plus hygiénique que les autres surfaces de la maison.


« C'est bon, allonge-toi. »


Le sergent le porta jusqu'au lit et le coucha sur le dos sans trop le bousculer. Une fois que l'androïde fut positionné sur le matelas, Gavin ouvrit les épais rideaux de la fenêtre voisine et laissa entrer la lumière environnante des lampadaires extérieurs.


Dans le faible éclairage jaune, il vit l'énorme tache bleue sur la chemise.


« Bordel, ne crève pas pendant mon service, je n'ai pas besoin de rajouter ça à mon dossier. »


Avec précaution, Gavin s'agenouilla sur le bord du matelas, au-dessus de Connor, et posa sa main sur sa poitrine pour vérifier son rythme cardiaque. Puis il remonta sa main droite et donna une seule et ferme gifle sur le côté de son visage.


« Hé ! Ouvre tes foutus yeux ! »


Ramené à la réalité par la douleur cuisante sur sa joue, les yeux bruns vitreux de Connor s'ouvrirent lentement.


« ...G-Gavin. » Sa voix était rabougrie à cause de la faible puissance et portait une réverbération électronique. « Où sommes-nous ? »


« En sécurité. C'est une maison merdique et délabrée mais nous sommes hors de vue. »


« Es-tu blessé ? »


« Attends, tu te fous de ma gueule ? » La question fit doucement rire Gavin. « Mec, arrête tout de suite avec ton altruisme à la con. Je te rappelle que tu viens de te faire tirer dessus. »


« Je... je suis sincère...» Répondit le déviant d'une respiration laborieuse. « Je... je ne veux pas que tu... sois blessé. »


« T'occupe pas de moi. Le plus important pour l'instant, c'est de savoir si tu as pu atteindre le commissariat. »


« J'étais... en contact avant... notre fuite. Des renforts sont... dans la zone. »


« A quelle distance ? »


« ...Je l'ignore. »


« Oh, allez. Donne-moi au moins une estimation. »


« Je ne peux pas. Trop faible... » Connor laissa échapper un autre gémissement de douleur tandis que ses mains se posaient de manière protectrice sur son abdomen. « ...Je suis désolé. »


Gavin était presque malade à la vue du sang bleu s'infiltrant entre les doigts du déviant.


« À quel point es-tu blessé ? »


« Les dégâts sont... importants. »


« Et alors quoi ? Tu peux mourir ? »


« Oui... »


« Putain. »


« J'ai eu le temps de trianguler... notre zone après... notre fuite. Les secours savent... où chercher... Ils te retrouveront. » Connor marqua une pause le temps de reprendre son souffle puis continua avec une voix pleine de désespoir. « Je te... te demande juste une faveur... S'il te plaît, va voir Hank et dis lui que... »


« Eh, oh ! Je t'arrête tout de suite le pleurnicheur. Je ne dirais rien du tout à Hank parce que tu vas t'en sortir. » Gronda l'officier avec sévérité.


« C'est trop tard. Il me reste... huit minutes et... dix-neuf secondes avant de m'arrêter. »


« Quoi ? » Gavin commença à faire les cent pas, ses mains s'agrippant nerveusement aux mèches de ses cheveux noirs. Il regarda avec panique les paupières de Connor se fermer lentement. « H-Hé ! Hé ! » Balbutia t'il rapidement en attrapant le bras de l'androïde et en resserrant sa prise juste assez pour attirer son attention. « Reste éveillé ! »


« Je ne peux pas. Mon système... est... compromis. »


Gavin serra nerveusement ses mains déjà tachées de sang bleu et baissa les yeux vers l'abdomen hémorragique.


« Est-ce que je peux faire quelque chose pour t'aider ? »


« ...J'ai besoin d'un... technicien. »


« Ça je l'ai bien compris, crétin en plastique. Mais est-ce que je peux faire quelque chose pour t'aider ici et maintenant ? »


Connor se tourna pour regarder Gavin qui semblait sincèrement inquiet et cligna plusieurs fois ses yeux d'incrédulité.


« Allez quoi ! J'essaye de t'aider ! »


Il y eut une autre pause avant que l'androïde ne réponde enfin. 


« Le saignement... doit être... endigué. »


« Ok... » S'agenouillant sur le bord du matelas, Gavin ôta sa propre veste en cuir et la laissa tomber au pied du lit, à côté des jambes du déviant. D'un mouvement lent et prudent, Gavin déboutonna la chemise de Connor et tressaillit devant les blessures en dessous. 


Une seule balle avait traversé le côté droit, juste au-dessus de sa hanche, et s'était dirigée vers son abdomen pour ressortir du côté gauche. Le projectile avait laissé deux blessures qui saignaient toutes les deux abondamment. La peau artificielle autour des impacts était si gravement endommagée que le cadre en plastimétal blanc situé en dessous brillait en bleu. À chaque fois que Connor respirait, tout son abdomen suintait du thirium, et il avait déjà perdu une quantité considérable du liquide entre le moment où il avait été abattu et celui où Gavin l'avait mis en sécurité.


« Qu'est-ce que la balle a touché ? »


Connor ferma les yeux et effectua un autodiagnostic lent mais précis. 


« Ma pompe au thirium... Mon régulateur. »


« Ton quoi ? »


« ...Il régule... le rythme cardiaque. »


« Ce truc contrôle ton coeur ? »


« Correct. »


« D'accord. Alors c'est du sérieux. » L'officier regarda par la fenêtre et chercha tout signe de renforts, mais il ne pouvait pas les attendre pour sauver le déviant mal en point. Il devait agir de suite. « Comment puis-je arrêter le saignement ? »


« Besoin de... » Connor s'interrompit un peu mais la main de Gavin revint sur son bras et le serra assez fort pour le ramener à la réalité. « Tu dois... trouver la... conduite endommagée. Arrêter la... fuite. »


« Comment ? Putain, comment je fais ça ? »


Les yeux de Connor se fermèrent un instant, sa LED passant brièvement au jaune tandis qu'il rétractait la peau artificielle sur son abdomen. Sa main fébrile appuya sur le centre du cadre en plastimétal et ouvrit le panneau. Immédiatement, un jet de sang bleu s'infiltra sur les côtés et le déviant gémit à nouveau de douleur.


« Putain ! » N'ayant aucune connaissance de l'anatomie androïde, voir le sang bleu et les étincelles fut très déconcertant pour Gavin. « C'est quoi ce bordel ? »


« ...Attache... la ligne. »


Le trentenaire grogna de dégoût. 


« Est-ce vraiment aussi simple ? »


« ...Oui. »


Bien que nerveux, l'officier resta aussi professionnel que possible. 


« Euh, où est-elle ? »


La main tremblante de Connor se leva et pointa vers la ligne en question juste en dessous du régulateur de sa pompe Thirium, près du centre de son abdomen. 


« ...Là. »


La main de Gavin flottait avec hésitation au-dessus de la zone désignée. 


« Est-ce que ça va te faire mal ? »


« P-Pas autant... qu'une balle. »


« Ouais, ouais... C'est vrai. » Retenant son souffle, il utilisa son index droit et son pouce pour saisir la ligne et la ramassa hors de l'abdomen de Connor. « Ah, mec ! C'est tellement dégoûtant. » Alors qu'il pinçait fermement la conduite, l'homme remarqua qu'elle n'était pas endommagée, juste déconnectée du biocomposant vital. 


« Attends, on dirait qu'elle est seulement détachée. La balle l'a juste effleurée. Tu es un putain de sacré veinard ! »


Connor hocha faiblement la tête et ses mains se plièrent en poings serrés. 


« Rebranche la. Le couplage métallique va... »


« Ouais, ouais. Ça va, j'ai compris. C'est comme lorsque je répare mon vieux lave-linge. »


Si Connor n'était pas au bord de la mort, il aurait sans nul doute explosé de rire.


Gavin regarda les biocomposants entièrement exposés avec un sentiment de confusion. 


« Euh, de quelle pompe tu parlais déjà ? »


Avec un sourire amusé, Connor répondit en désignant l'organe du doigt.


« ...Celle qui clignote... en rouge. »


« Euh... oui. Logique. » Gavin se concentra sur la manipulation. « Je vais la sécuriser. Ne bouges pas. »


Le déviant resta parfaitement immobile pendant que l'officier entreprenait de relier la ligne.


Avec un « clic » audible, le câble se reconnecta enfin au biocomposant et Connor laissa échapper un gémissement de douleur. Le régulateur de la pompe Thirium émit plusieurs impulsions rouges avant de passer à une teinte bleue pâle.


« Est-ce que c'est ça ? » Gavin retira ses mains et essuya le sang sur son pantalon avec dégoût. « Tu vas bien ? »


Connor inspira faiblement et hocha affirmativement de la tête. Il remit le panneau de plastimétal sur son abdomen d'un simple toucher mais n'eut pas la force de régénérer sa peau artificielle.


« Connor ? »


Les yeux du déviant roulèrent soudainement à l'arrière de sa tête et sa respiration se coupa. La LED cramoisie commença à rythmer de plus en plus lentement jusqu'à ce qu'elle devienne presque grise et vide.


« Bordel ! Qu'est-ce qui se passe ? »


En posant sa main au centre de la poitrine, Gavin pouvait sentir que la pompe, le cœur, avait du mal à battre.


« Putain ! Cette merde va s'arrêter ! »


Gavin ouvrit le reste des boutons de la chemise de Connor pour exposer son torse. Remontant son poing, Gavin le frappa fermement, avec suffisamment de force pour que le cœur réagisse.


Les yeux de l'androïde s'ouvrirent brusquement et sa LED se mit à clignoter frénétiquement en rouge.


« Connor ! »


« ...Je vais bien. »


« Espèce de connard en plastique ! »


« ...Gavin... » Siffla pathétiquement l'androïde. « Merci. Tu as redémarré... mon cœur. »


Gêné par la considération du déviant, l'officier se détourna vers la fenêtre pour qu'il ne puisse pas voir son visage.


« Alors tu vas bien maintenant ? »


« ...Oui. Je peux... m'auto-guérir. »


« Si je te laisse seul pendant quelques minutes, est-ce que ça ira ? Je dois voir si je peux repérer les renforts. »


Encore une fois, Connor hocha faiblement la tête.


« Pourquoi tu as l'air toujours aussi mal ? »


« ...J'ai perdu trente-six pour cent... de mon volume sanguin. »


« Oh. »


« Mon... battement de coeur est... irrégulier. Mon système... doit... se recalibrer. »


« Ecoute, je vais juste vérifier le reste de la maison et m'assurer qu'il n'y a personne d'autre dans les parages. Reste éveillé et surtout ne fais pas de bruit. »


Sans prononcer un mot, Connor resta immobile sur le lit et laissa ses mains reposer sur son abdomen endommagé.


Gavin sortit à nouveau son arme et poussa la porte de la chambre pour arriver dans un couloir recouvert de tags. Il s'approcha prudemment de l'escalier menant au deuxième étage et prit un instant pour tester les marches grinçantes avant de se décider à les emprunter.


Le deuxième étage de la maison était tout aussi désert que le premier. Deux chambres et une salle de bain que le détective prit soin de vérifier.


Aucun signe d'intrusion récente. L'endroit était sécurisé.


En jetant un coup d'œil à travers une des fenêtres, Gavin remarqua que la Mustang rouge faisait lentement le tour du pâté de maisons, toujours à leur recherche. Mais peu de temps après, des lumières clignotantes rouges et bleues vives illuminèrent la rue.


« Enfin ! »


Alors que la voiture de police empiétait sur la zone, la Mustang démarra soudainement à toute vitesse, entamant une course poursuite avec la patrouille.


« Super. Un problème en moins. »


Descendant l'escalier avec autant de prudence, Gavin retourna au salon et vérifia les meubles en mauvais état. En plus du canapé et d'une petite table basse, il y avait une armoire contre le mur du fond. À l’intérieur de celle-ci se trouvaient quatre bouteilles en verre, dont trois entièrement vides et une quatrième à moitié remplie de whisky.


« C'est mieux que rien. »


Gavin prit l'alcool, dévissa le bouchon et l'avala directement au goulot avec une grimace sur le visage.


Il ramena ensuite la bouteille jusque dans la chambre et observa Connor entre deux gorgées.


Son regard était un étrange mélange de sympathie et d'indifférence. Il regardait une personne et une machine en même temps, ce qui laissait Gavin totalement en conflit.


« Hé, le bout de plastique, tu es toujours réveillé ? »


Connor ne répondit pas. Il s’était endormi, ou plus exactement, lancé en mode repos pour activer son programme d’auto-guérison.


« Bien. »


Saisissant sa veste au pied du lit, Gavin l'enroula sur le déviant pour cacher le plastimétal exposé couvert de sang bleu, puis il s'assit sur le sol, le dos appuyé contre le lit et se rinca à nouveau le gosier.


« Au moins l'un de nous est détendu. »


Il jeta un coup d'œil à la pièce négligée et secoua la tête. L'aspect de la maison, l'odeur de pourriture et le bruit inquiétant des lames de parquet, des murs et du plafond lui donna la nausée.


« Putain, je pourrais me croire de retour chez mes vieux... »


En avalant une plus grosse gorgée, l'officier regarda dans le vide et laissa échapper un souffle dégoûté qui puait le whisky bon marché.


« ...Tu ne devrais pas boire. »


Surpris par la voix de Connor, Gavin recracha la moitié du liquide. Toussant et essuyant avec son avant bras le whisky sur son menton, il se retourna sur le déviant allongé qui le regardait à travers ses yeux mi-clos. 


« Depuis combien de temps tu es réveillé ? »


« ...Quatre virgule neuf secondes. »


« Putain. »


« Ton taux de sucre dans le sang est déjà bas. L'alcool ne fera que... »


« Hé, comment tu sais ça toi ? »


« Tu n'as rien avalé depuis six heures et demie, à l'exception d'une tasse de café noir. Tes mains commencent également à trembler, ce qui indique un taux de sucre bas. »


« N'importe quoi. Tu m'as juste fait peur. Rien à voir avec mon diabète. » Répondit sèchement le sergent en serrant ses poings pour les maintenir immobiles. « Connard en plastique... »


Connor essaya de sourire mais finit par tousser plusieurs fois et renforça l'étreinte de ses mains sur son abdomen endommagé.


Le geste n'échappa pas à l'attention de Gavin. 


« Niveau douleur, c'est comment ? »


« ...Tolérable. »


« Ouais. Il va falloir que tu apprennes à mentir mieux que ça. » Agitant un peu la bouteille de whisky, le détective essaya de proposer sa solution. « Est-ce qu'un shot de cette merde aiderait ? »


« Non. Cela ne fera que diluer mon thirium et aggraver mon état. »


« Ah. C'est con d'être un androïde... » Se moqua Gavin. « Au fait, j'ai vu une patrouille passer. Peux-tu la contacter pour qu'elle nous envoie de l'aide ? »


La LED rouge de Connor clignota brièvement en jaune avant de revenir au rouge.


« ...Oui. Je l'ai informée de notre position actuelle. »


« Comment sais-tu où nous sommes ? Tu étais hors service quand je t'ai ramené ici. »


« Mon GPS a enregistré notre position immédiate et j'ai pu ainsi relayer l'information lors de ma réactivation. »


« Je vois. » Soupirant de soulagement, Gavin posa ses mains sur ses hanches et lança un regard sévère au déviant. « Dis moi, quand est ce que tu t'es pris cette fichue balle ? »


« Quand je me suis jeté sur le trottoir, je n'ai pas pu me baisser assez vite et la balle m'a frappé de manière inattendue. »


« Tu as été touché, mais pas moi ? Je suppose que les androïdes ne sont pas aussi rapides qu'ils le paraissent. »


« Pas toujours, non. » Regardant curieusement autour de la pièce, Connor essaya de se relever sur ses coudes mais la vive douleur dans son abdomen l'arrêta net. Il ferma les yeux et effectua un autre autodiagnostic. « Tu as réussi à reconnecter la ligne. Toutes les hémorragies internes ont cessé. »


« Ne me redemande plus jamais de faire ça, tu m'entends ? »


Connor laissa échapper une longue expiration et posa à Gavin une question qui lui taraudait l'esprit.


« Pourquoi as tu dis que tu avais l'impression d'être de retour chez tes vieux ? »


Gavin lança à Connor un regard agacé. 


« Quoi ? »


« En me réveillant, je t'ai entendu parler tout seul. Tu as dit... »


Immédiatement, Gavin écarta sèchement la question.


« C'est rien. Lâche l'affaire. »


« Je ne voulais pas me montrer intrusif. Je m'excuse. »


Gavin resta silencieux jusqu'à ce qu'il s'agace de voir le déviant gigoter.


« Arrête de bouger ! »


« Mais je... »


« Allonge-toi ! Je ne veux pas que tu mettes du sang partout sur ma veste. »


« Désolé. » S'allongeant à plat sur le matelas, Connor laissa échapper un faible soupir et ferma les yeux. Soudain, sa LED teintée en rouge devint jaune à la réception d'une mise à jour. « Gavin, il y a une patrouille qui vérifie ta voiture. »


« Enfin ! » La légère amélioration de leur situation soulagea l'officier qui se précipita vers la porte. « Bouge pas. Je reviens tout de suite... »


Comme demandé, Connor resta sur le matelas pendant que Gavin quittait la pièce. Roulant légèrement sur le côté, il plaça son bras sous lui et se redressa quelque peu sur sa hanche. Lentement, le déviant travailla à reboutonner sa chemise d'une main et fut rapidement réprimandé par Gavin très vite de retour dans la pièce. 


« Putain, mais je t'ai dit de ne pas bouger. »


« Ça va un peu mieux. Je vais pouvoir t'accompagner au poste, si tu m'aides à marcher. »


« Tu ne devrais pas plutôt aller dans un établissement ? »


« Non. Mes blessures ne mettent pas ma vie en danger, je peux facilement être aidé par Julia au dispensaire du commissariat. »


« Julia ? »


« ...La nouvelle technicienne de garde. »


« Oh. »


Connor rendit sa veste à Gavin puis déplaça son poids pour pouvoir se lever du lit. 


« Merci pour ton aide. »


« Ouais, bon, tu m'as aussi aidé par le passé. » Répondit Gavin en remettant sa veste sur ses épaules. « Disons que maintenant nous sommes quittes. »


« Parce qu'il faut compter les points? »


« Est-ce qu'il t'arrive de te taire et d'arrêter de poser des questions stupides ?


Connor adressa un demi-sourire au sergent qui l'aidait à se déplacer jusqu'à l'extérieur de la maison, où la voiture de patrouille les attendait le long de la rue. 


Silencieusement, les deux détectives s'installèrent côte à côte sur la banquette arrière.


Au cours du trajet, Gavin penché vers avant, les paumes pressées sur son visage, laissa échapper une gémissement douloureux. Un vilain mal de tête s'installait et il n'avait ni la caféine ni la patience nécessaires pour le tenir à distance.


En quelques secondes, Connor remarqua l'inconfort du sergent et lui parla à voix basse. 


« Tu as besoin de glucose. »


« Je sais. Mais je ne peux rien faire jusqu'à ce que nous soyons de retour. »


Connor fouilla dans la poche droite de sa veste en cuir et présenta à Gavin un petit sac rempli de bonbons durs.


L'officier regarda l'objet proposé puis lança au déviant un regard très confus. 


« Pourquoi diable tu te trimballes avec des bonbons ? »


« Parce que je suis bien conscient que les surveillances peuvent durer de longues heures. Lorsque j'ai été informé de notre partenariat, j'ai pris le temps d'en collecter une petite quantité pour empêcher ton taux de sucre de trop chuter. »


« ...Pourquoi ? »


« Je ne comprends pas la question. » Connor resta perplexe face à la réaction apparemment désapprobatrice de Gavin. « Le diabète est une maladie grave et doit être traité comme tel. »


« Non. Je veux dire... Pourquoi tu t'en soucies ? »


« Je sais que tu n'aimes pas les androïdes mais ce n'est pas pour autant que je te souhaite du mal. »


« Mouais... » En tendant la main, Gavin accepta les petites friandises. « ...Merci. »


« On compte encore les points ? »


« Oh. La ferme. » Souffla l'officier en avalant une sucrerie.


Il ne fallut pas trop de temps pour retourner au commissariat. Une fois le véhicule à l'arrêt, Connor posa sa main sur la poignée de porte, prêt à sortir.


« ...Tu veux vraiment savoir ce que je voulais dire là-bas ? » l'interpella Gavin, le stoppant net dans son action.


« Pardon ? » La LED du déviant vacilla en jaune. « À quoi fais-tu référence ? »


« Ce que j'ai dit sur le fait d'avoir l'impression d'être de retour chez mes vieux... »


« Seulement si tu veux en discuter. »


« Cette maison... » Gavin s'arrêta un instant pour mettre un autre bonbon goût fraise dans sa bouche. « C'est comme ça que j'ai grandi. Entouré de négligence et d'indifférence. »


« Gavin, je suis désolé. Si j'avais su, je n'aurais pas posé une question aussi personnelle. »


« Ne t'inquiète pas pour ça. Va vite te faire soigner avant que ton partenaire ne m'arrache la tête en apprenant que tu as reçu une balle pour me protéger. »


« Je... Je ne t'ai pas protégé. »


« Je te l'ai dit, le bout de plastique, apprends à mieux mentir. Je sais que tu m'as sauvé la mise ce soir. » Conscient de ce qui aurait pu lui arriver cette nuit-là sans l'intervention du déviant, Gavin soupira. « Merci encore, détective androïde. »


Connor lui lança un regard quelque peu humble.


« ...Tu n'as pas à me remercier. »


« Eh, je n'ai pas vraiment été le gars le plus sympa avec toi. Alors, laisse-moi au moins te dire ça et nous pourrons ensuite faire comme si toute cette merde n'était jamais arrivée. »


« Ça me va, partenaire. »


Gavin se figea brusquement, les sourcils froncés de contrariété.


« Putain, comment tu m'as appelé ? »


« Trop tôt peut-être ? » Grimaça Connor avec gêne.


« Trop tôt ! Ouais ! »


Le sergent sortit précipitamment du véhicule et se dirigea en grognant vers les portes d'entrée du commissariat sous le regard amusé du déviant.


Gavin Reed lui avait sauvé la vie.


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