Ce qu'il reste de moi

Chapitre 5 : C5 : Amours à l'unilatérale

5296 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 08:56

CHAPITRE V

Amours à l'unilatérale

JACK HARKNESS

Il tendait l'oreille depuis que le Docteur l'avait quitté pour discuter avec River et, pour autant qu'il puisse en juger de là où il était, ça ne se passait pas super bien. Jack vit son bracelet clignoter à peine quelques minutes après qu'il soit resté seul. Il pressa le bouton correspondant et aperçut l'image de John. Ça, c'était presque une bonne nouvelle.

— Salut ! fit John. Je suis rentré tout à l'heure. C'est quoi ce que je vois là ? Des bandages ?

— Ouais. Ils sont surtout là pour cacher les marques de dents et les bouts qui manquent.

— Ça il faut reconnaître que tu sais captiver ton auditoire… Qu'est-ce que t'as fichu ?

— Je me suis fait descendre dans une ruelle et deux types ont commencé à me bouffer pour faire disparaître les preuves.

— Ah ouais quand même… répondit John avec l'air un peu distant qu'il prenait toujours pour tenter de cacher très maladroitement qu'il se sentait en réalité très concerné – ce que Jack trouvait adorable.

— Et toi, qu'est-ce que t'as ?

— Ah ben, rien d'aussi ébouriffant. Je suis entier, le client a payé ce qui était convenu, ton zingue est en bon état… J'ai même refait le plein…

Il s'interrompit un bref instant et sembla regarder à côté de lui, hors cadre pour Jack.

— Tu n'es pas tout seul ? s'enquit le Capitaine.

— Euh… non. Mais c'est bon, elle se repose.

— Elle ? releva le Capitaine en essayant de ne pas sourire.

John tourna son bras pour faire en sorte que le capteur de son bracelet cadre le visage d'Amy.Avec un lourd pincement au cœur Jack enregistra ses bras nus, ses cheveux soyeux défaits en pagaille sur un oreiller noir, la pulpe brillante de ses lèvres entrouvertes… Rétablissant la caméra, le visage de John réapparut avec un sourire sardonique.

— Si tu voyais ta tête en ce moment !

— Si c'est bien Amy qui est nue dans ton lit, j'ai quelques raisons de m'inquiéter, crâne de piaf !

— Shh, tu vas la réveiller ! J'ai eu assez de mal à la calmer et surtout à éviter qu'elle quitte la planète par le premier vol… Tu devrais plutôt me remercier.

Jack se passa sa main valide sur la figure.

— John, je crois avoir essayé de te faire comprendre à plusieurs reprises que nous étions plus ou moins ici sous la protection de la famille Cormack et j'ai des raisons de penser que si nous nous montrons ingrats envers eux, cette protection pourrait très vite disparaître. Coucher avec la fiancée du gamin est un bon exemple de ce qu'ils pourraient considérer comme une forme de pure traîtrise...

— On n'aurait qu'à partir avec elle…

— Johnny, je n'ai fait que la regarder ce soir. Mais dès que son boyfriend s'en est aperçu, dix minutes après, des Kektèques me remettaient miraculeusement la main dessus et me descendaient sans autre forme de procès. C'est ce que j'appelle une drôle de coïncidence. Est-ce que tu saisis ce que je pourrais vouloir dire par « protection qui disparait » ? Et si les choses avaient plus mal tourné, ton appel aurait sonné dans le vide… Alors si tu couches avec elle, je te laisse une idée de ce qui t'attend…

— Mec, dit-il avec un léger ton de reproche, ne tire aucune conclusion de ce que tu vois… Elle est en sous-vêtements c'est vrai, mais parce que je ne voulais pas que sa cochonnerie de robe me laisse en souvenir un tas de paillettes irritantes dans mon plumard… Et si elle s'est évanouie dans mes bras, ce serait plutôt à cause de mon fils que d'autre chose…

— Ton fils ? Elle a fini par aller la faire, cette échographie ?

— Non, grand imbécile. Ça fait des semaines qu'elle n'y est pas retournée. Elle dit que vous n'avez plus d'argent…

— Il en reste assez pour un rendez-vous chez le médecin…

— Ouais, il faudrait qu'elle y aille. Elle est inquiète de quelque chose. Elle dit un truc absurde comme quoi son ventre est trop gros.

— Ma foi, mais vous êtes devenus super copains tous les deux, vous vous racontez tout…

— Hem, ça on en parlera une autre fois, si tu veux bien… Elle bouge. Je coupe !

.°.

Jack n'avait pas du tout envie d'en rester là, il voulait continuer à parler avec John parce qu'il y avait trop de questions sans réponse. Pourquoi Amy voulait-elle les quitter soudainement ? Comment John s'y était-il pris pour l'amener dans son lit alors qu'elle ne le supportait pas ? Et pourquoi est-ce que ça lui faisait si mal d'y penser ?

Affreusement frustré de tout ce qui se passait depuis quelques temps, il éprouvait douloureusement l'éparpillement de ceux qu'il avait essayé, peut-être vainement, de réunir autour de lui.

En voyant le Docteur passer la tête par sa porte, il lui réalisa qu'il n'avait pas su comment ça tournait avec les deux autres et demanda :

— Vous partez ? River va vous aider ?

— Non. Je venais juste vous saluer.

— River ne vous aide pas ? Pourquoi ?

— Je suppose parce que je suis un – je cite – foutu Seigneur du Temps arrogant.

— ça ne date pas d'hier, ça ! Pourquoi elle ne vous aiderait pas ?

Comprenant qu'il fallait qu'il reste une minute de plus, le Docteur ouvrit et entra complètement. Il se gratta le cou dans un geste qui, pour une fois, sembla familier au Capitaine.

— Parce qu'elle n'est plus libre de le faire. L'opération requière un certain degré d'intimité et elle ne veut pas que son nouvel amant en prenne ombrage.

— Son nouvel amant ?!

— Quentin.

— Quentin ?!

— Vous avez fini de répéter tout ce que je dis ?

— Excusez-moi, ce n'est pas la nouvelle à laquelle je m'attendais… Elle n'a rien dit à ce sujet...

— J'y vais alors… prévint le Docteur.

— Mais du coup, vous allez faire comment ? le retint Jack.

— Autrement sans doute, éluda-t-il. Les obstacles me stimulent d'habitude… Ah, je crois que j'entends qu'il arrive justement…

— J'ai très envie de lui coller un direct du gauche sauf que j'ai plus de gauche pour l'instant, vous ne pourriez pas vous en charger pour moi ?

Le Docteur sourit et dit en fermant la porte :

— Remettez-vous, c'est tout.

.°.

 

QUENTIN CORMACK

Ignorant les sentiments mitigés que sa présence suscitait, Quentin avait l'air heureux de revoir le Docteur qui lui expliqua qu'il était passé ramener Otto. En lui parlant, le Seigneur du Temps retrouvait facilement le jeune homme agréable qu'il avait rencontré quelques mois plus tôt. C'était difficile de lui en vouloir. Il pouvait comprendre que River se sente redevable envers lui. Et d'une certaine façon, il se sentait redevable lui aussi.

L'industriel eut l'air déçu en comprenant que le Docteur ne restait pas même si ce dernier lui promit de ramener Otto à chaque fois qu'il le retrouverait dans son vaisseau. Le risque était toutefois minime maintenant que River était revenue, et c'était bien pour cette raison qu'il pouvait se permettre de faire une telle promesse. Le sourire de River disait assez qu'elle en avait parfaitement conscience.

Quand il fut parti, Quentin sortit les batteries de sa poche et les lui donna à tenir.

— On aurait dit qu'il avait le diable à ses trousses, je l'ai fait fuir ou quoi ? se chagrina-t-il.

Sans répondre, elle s'assit le dos bien droit sur un pouf et repoussa sa longue chevelure sur le côté en un geste inconsciemment sensuel. Venant dans son dos, la bouche un peu sèche devant le design pur de sa nuque dégagée, il descendit la fermeture à glissière de sa robe et repoussa doucement les pans sur le côté. D'une pression légère du bout des doigts le long de la colonne vertébrale, il commanda l'ouverture du panneau dorsal permettant d'accéder au point d'insertion des batteries.Bien qu'il eut répété ce geste depuis plusieurs semaines, à chaque fois qu'il se retrouvait ainsi derrière elle à devoir la déshabiller légèrement, il n'arrivait pas à endiguer son trouble.

Elle lui tendit l'une des batteries par-dessus son épaule.

A la déconnexion de la première batterie, le corps synthétique perdait toujours légèrement l'équilibre en s'affaissant un peu car une seule ne suffisait pas pour alimenter l'ensemble. Il la maintint d'un bras autour de sa taille pour effectuer le remplacement de l'autre main, puis retira prestement la seconde batterie, attrapa celle qui restait et l'inséra à son tour. Le panneau dorsal coulissa souplement à sa place et ses contours se fondirent dans la peau artificielle en ne laissant aucune démarcation : une magnifique technologie concurrente, il devait bien le reconnaître.

Elle se relevait déjà. Cela ne durait qu'une minute à peine.

Mais cette petite minute, plusieurs fois par jour, le laissait chaque fois plus désespérément amoureux. Il avait envie d'embrasser cette nuque, juste une fois. Il était cependant bien placé pour savoir que le contact de la peau synthétique était déroutant et singulièrement décevant. Pourrait-il cesser de penser à elle en découvrant que ça lui faisait le même effet que d'embrasser un tube en acier ?

Elle avait envie de s'échapper d'entre ses bras mais il lui chuchota d'attendre un peu alors qu'il s'occupait de refermer sa robe.

— Pourquoi chuchotes-tu ? demanda-t-elle. Tu peux parler normalement. Tout le monde pense déjà que nous sommes amants depuis que tu as voulu m'emmener dans ce club…

— Les gens pensent ce qu'ils veulent, moi je sais bien ce qu'il en est, lui répondit-il enfin.

— Je vois bien la façon dont tu regardes cette machine et… je ne suis pas très sûre que tu sois animé par le seul intérêt scientifique… le taquina-t-elle.

— Pourtant j'aimerais bien savoir où Transmat se fournit pour certaines pièces… reconnut-il en levant les batteries déchargées avant de les empocher. J'essaie de comprendre mais ça m'échappe. J'aimerais y arriver plus vite…

— Mhh… Et comme ça tu n'aurais plus besoin d'essayer de cacher ta fébrilité quand tu me déshabilles…

— J'admets que ce modèle n'est pas désagréable, mais si tu sous-entends que je pourrais être simplement troublé par une machine, tu as tort, répondit-il en s'assombrissant.

Spontanément, elle aurait eu envie de lui toucher le bras pour adoucir la portée de sa petite provocation… Mais ce réflexe était inutile aujourd'hui. Son corps était froid et muet. " Rien ne filtre " avait résumé lapidairement le Docteur. Elle s'était sans doute plainte un peu trop de l'enthousiasme incontrôlable que produisait son contact quand elle était dans le clone…

— Oh… Ne fais pas la tête. Excuse-moi, s'il te plaît. Je reconnais que je ne gère pas bien cette situation… Dès que je t'ai demandé de l'aide, nous nous sommes trouvés dans une situation totalement équivoque, reconnut-elle en croisant son regard. Je me suis remise littéralement entre tes mains alors que nous nous connaissions à peine. C'était trop tôt, pour nous deux, mais j'avais confiance en toi.

Il baissa la tête à l'évocation de ce moment vieux de quelques semaines à la fois dramatique et hélas excitant, où il avait dû découper sa tenue aux ciseaux pour la déshabiller plus vite pour essayer littéralement à tâtons plusieurs combinaisons afin de trouver comment mettre en veille l'automate. Il n'y avait pas un simple bouton marche arrêt sous le bras, pour ce genre de modèle : il fallait éviter qu'ils ne puissent s'éteindre par inadvertance à la suite d'un choc involontaire…

En soi, la recueillir sur le pas de sa porte en pleine détresse alors qu'il la croyait perdue, aurait déjà été suffisant pour le troubler. Tout comme découvrir qu'il pouvait faire quelque chose pour la sauver, s'il réagissait vite et bien. Mais gagné par la panique et submergé par la certitude qu'elle souffrirait affreusement tant qu'il ne trouverait pas cette fameuse commande à triple pression, il avait accepté ce dont elle l'avait supplié : qu'elle trouve refuge en lui.

Quelle justification aurait pu lui permettre de refuser ? Pour être honnête, il n'en avait pas eu la moindre envie. Vaguement au courant qu'il y aurait des séquelles pour lui, il avait accepté comme un geste de pure compassion, qu'il voyait de la même façon que l'engagement qu'il avait pris envers son frère dans leur jeunesse. Sauver un autre être auquel il tenait. C'était tout.

Croyait-il.

Il n'était sans doute pas prêt pour le choc de cette « cohabitation » de quelques heures, cette espèce de sensation grisante qui ne ressemblait à rien de ce qu'il avait pu connaître jusqu'alors. « Une légère euphorie » avait dit le Docteur lorsqu'ils l'avaient évoquée de façon purement théorique sur Modarkand quelques mois plus tôt. Une longue extase affolante, plutôt ! Une sensation incroyable, un cocktail terriblement efficace qui à la fois pur et indécent, qui aurait pu le pousser à se jeter par la fenêtre avec joie, à marcher sur des braises, ou à n'importe quoi d'assez fou qui aurait à peine pu rivaliser avec ça. Depuis, il ne pouvait plus rien souhaiter d'autre que devenir son homme, et son home à la fois.

— Je sais que je peux être un peu trop taquine avec toi, continuait-elle. Les jeunes hommes me font toujours cet effet-là… Depuis que j'ai emprunté cette poupée géante asexuée, je pense sans arrêt à ce que j'ai perdu.

— Sans arrêt ?

— Plus souvent qu'avant en tous cas, admit-elle avec un coin de sourire.

Peut-être un peu nerveusement, elle se mit à arpenter le salon pour le ranger. Manifestement ni Amy ni Jack n'étaient des champions du ménage… Elle poursuivit plus sérieusement pendant que Quentin la suivait des yeux, avec un rien de fascination :

— Te voir tomber amoureux n'est pas la meilleure chose qui soit dans ces circonstances... Je savais par expérience ce que la fusion te ferait. Le genre de désir incommensurable qu'elle attise et les risques mortels que tu encours à y être exposé tous les jours…

Elle poussa un profond soupir attristé.

— Si je savais comment faire et que je pouvais revenir en arrière, je crois que je choisirais de mourir désintégrée.

— Ne dis pas ça !

— Quentin ! Ne peux-tu pas comprendre que j'ai peur pour toi ? Tu es un homme important et une figure appréciée de cette ville, de cette planète sans doute. Tu peux accomplir de grandes choses qui survivront à ton nom et tu aurais dû avoir toute ta vie pour ça. Ce n'est pas juste que tu pâtisses de tout cela par ma faute. Comme si Amy, ce n'était pas suffisant !

Elle soupira encore et évita un peu lâchement son regard qui la poignardait de tristesse.

— Ecoute-moi, j'ai changé d'avis. Il faut… que tu rappelles l'homme qui sort d'ici. Ne change pas mes batteries la prochaine fois, remets-moi à lui et demande lui de t'aider médicalement à endiguer les effets de la fusion. Il t'aime bien, il ne dira pas non.

— Je refuse ! s'entêta-t-il.

— Je t'en prie ! A quoi ça sert si nous mourons tous les deux ? As-tu pensé à ce que deviendra ton frère ? J'ai près de quatre-vingt-quatre ans. J'ai assez vécu !

— Combien ? répéta-t-il avec incrédulité.

— Tu as trois heures pour y penser. Prends-les. Réfléchis sérieusement. Et avec ta tête, ajouta-t-elle.

.°.

 

AMY-LEIGH WATTS

Lorsqu'elle ouvrit brusquement les yeux dans la nuit, elle se demanda brièvement où elle était. Son cœur se mit à cogner sous la surprise et la peur quand elle réalisa qu'elle se trouvait dans l'endroit le plus improbable du monde : le lit de John Hart. Il poussa un long soupir dans son sommeil et elle s'immobilisa aussitôt.

L'éclairage de provenant de la rue qui filtrait par le rideau entrouvert lui permit de chercher des yeux l'endroit où il aurait pu mettre sa robe. Elle fouilla la pièce du regard, espérant apercevoir sa matière scintillante au pied du lit, sur une chaise, ou tombée par terre. En se tournant pour voir si elle n'était pas de son côté de la descente de lit, elle tressaillit de joie en apercevant le lamé frangé du tissu jeté nonchalamment en boule sur la chaise toute proche. C'était parfait. Il suffisait de se lever, de la passer, de mettre ses chaussures… Où étaient ses escarpins ? Elle estima qu'elle pourrait se contenter de les repérer, de les attraper et de les enfiler plus tard, quand elle serait sortie de sa chambre. Ce plan lui plaisait bien.

Elle regarda encore de son côté, écouta sa respiration lente qui lui laissait savoir qu'il dormait toujours. Elle essaya d'affermir sa résolution en se répétant qu'elle pouvait y arriver.

Mais en quête inconsciente d'un peu de chaleur, il se retourna sans s'éveiller et vint se nicher contre elle avec un petit soupir de contentement. Terrifiée, elle ne respira plus. Machinalement, il déposa un baiser sur son épaule tandis que sa main gauche partait à l'aventure vers sa taille pour l'attirer plus près de lui.

Amy le cœur en déroute, sentit la panique la gagner et sa respiration se fit plus courte quand elle se retrouva ainsi plaquée contre lui. Presque instantanément, comme s'il l'avait ressenti sa tension, son corps répondit et il se mit à flatter sa hanche d'un mouvement doux qu'il aurait sans doute voulu apaisant.

— John ! dit-elle à haute voix pour le réveiller.

— Quoi ? répondit-il dans son cou d'une voix endormie.

— Retire tes mains de là où elles sont !

Relevant la tête, il ouvrit un œil bleu légèrement surpris sur elle, puis s'écarta en roulant à distance de l'autre côté sans la regarder.

— Désolé… marmonna-t-il. J'étais en train de rêver et j'avais froid… Rendors-toi.

Elle avait l'impression que son cœur allait sortir de sa poitrine tant il battait fort. Elle se sentait un peu soulagée qu'il obtempère sans discuter. Au bout d'un moment, elle s'enhardit à demander :

— Euh, moi aussi j'ai froid. Tu ne pourrais pas me prêter un pyjama ?

— Un pyjama ? Non.

— Tu t'en fiches que je me gèle ?! s'indigna-t-elle.

Il se dressa sur un coude. Elle était sûre, même s'il faisait noir, qu'il la regardait méchamment de travers, avec son sempiternel sourire qui se moquait d'elle.

— Je dors nu d'habitude, rétorqua-t-il, et j'ai d'autres façons de me réchauffer, particulièrement si je ne suis pas seul…

Aussitôt, elle repoussa d'un coup drap et couvertures pour se lever et prendre sa robe. Il ronchonna :

— Qu'est-ce que tu fais encore ?

— Je vais rentrer chez moi où il y a du chauffage. Et des pyjamas d'hiver !

— Amy, je t'en prie, il est plus de trois heures du matin…

— Et alors ? Je vais appeler un taxi, ne te dérange surtout pas.

Elle alluma une lampe près de son chevet et posa son petit sac à main sur une commode pour y chercher son téléphone. Elle ne le vit pas venir comme il s'était glissé hors du lit. Quand il se coula dans son dos pour la ceinturer, elle poussa un cri de stupeur, lâchant l'appareil qui tomba par terre.

— Ne t'en vas pas, dit-il dans son cou.

— Mais qu'est-ce que tu fais ? Lâche-moi tout de suite !

— Si tu quittes la planète, je ne connaîtrai jamais mon enfant... Stop ! Ne gigote pas autant ou je vais avoir une érection et tu seras très embarrassée…

En frissonnant sous l'effet du froid, du dégoût et de l'attirance mêlés, elle se dégagea de sa prise pour se retourner et le regarder en face.

— Oh, il faut toujours que tu dises des choses répugnantes ! Tu le fais exprès ! Ça t'amuse de me mettre mal à l'aise !

— Oui. Mais je ne veux pas que tu t'en ailles, reconnut-il en penchant la tête avec un sourire.

— Parce que tu t'intéresses vraiment à ce bébé, peut-être ?

— Pourquoi crois-tu que je sois resté ici, à faire ce boulot stupide et mal payé ?

— Pour River ! lâcha-t-elle. Tiens ! Je ferai bien attention d'aller dans un coin où personne ne la connaît !

Il arbora un drôle de sourire qui la mit mal à l'aise, l'air de s'étonner faussement de la nouvelle.

— Oh, ça y est ! Votre petite love story est finie, tu es jalouse d'elle maintenant ?

Elle resta un moment à cligner des yeux puis fronça les sourcils avec une expression choquée.

— Tu es… l'homme le plus détestable, le plus mal élevé et le plus indécrottablement grossier que je connaisse !

— Mon cœur, ne me flatte pas, conseilla-t-il d'un ton amusé.

Elle secoua la tête d'un air navré et dégoûté et puis haussa les épaules. Elle laissa son téléphone par terre, car la manœuvre pour le récupérer aurait été périlleuse face à lui, puis elle alla ouvrir en grand la porte. Il enfonça ses poings crispés dans ses poches.

— Attends ! J'ai un marché à te proposer. Que dirais-tu de rendre la monnaie de sa pièce à River et de faire en sorte qu'elle soit jalouse de toi ?

— Je ne joue pas à tes petits jeux, ça ne m'intéresse pas.

— Je parie que c'est parce que je n'ai pas encore trouvé celui auquel tu voudrais jouer… Il y a tout à fait moyen de s'entendre avec moi, tu sais. Veux-tu plutôt jouer cette scène où Jack te rejoint enfin dans ta chambre pour t'arracher cette fichue robe à paillettes… et te donner en t'effleurant à peine un plaisir que tu n'imagines même pas ?… Je veux bien que tu m'appelles Jack et dans le noir, je pourrai l'imiter à la perfection…

— Tu me donnes envie de vomir, commenta-t-elle simplement.

Il réduisit la distance entre eux, inquiet qu'elle ne franchisse le seuil.

— Veux-tu que je sois ton Matthew ? Que je t'embrasse et je te touche tout timidement, comme un adolescent ?

— Arrête ! Laisse-moi !

Il l'enlaça néanmoins pour l'empêcher d'avancer plus. Elle s'en exaspéra. Pourquoi s'obstinait-il à vouloir toujours ça ? Ne pouvait-il pas comprendre qu'elle n'en avait pas envie ? Que toute cette situation était inconvenante ? Qu'il ne pouvait pas la tenir d'aussi près en étant un inconnu ?Sa bouche tout près de son oreille, il dit tout bas :

— Veux-tu que je sois ce vaurien désespéré qui te supplie de ne pas le traiter en étranger, parce qu'il veut une place dans la vie de son enfant ?

Indécise, elle resta un moment immobile, mais son tout être répugnait à se trouver contre lui. Pas après ce qu'il avait fait. Elle dénoua ses bras d'autour d'elle pour le repousser, puis referma la porte et s'y adossa. Les yeux baissés, elle regarda un long moment la moquette anthracite à ses pieds. C'était difficile de soutenir son regard bleu si interrogateur et si avide. Elle soupira, à moitié vaincue par ce si rare accès de sincérité.

— Tu n'as pas besoin de faire cela. Je veux dire… tu ne devrais pas avoir à marchander comme ça le fait de pouvoir voir ton bébé. Ta demande est légitime. C'est juste que je suis… si fatiguée et que je n'ai pas les épaules pour tout ça.

Il posa une main à plat sur la porte, si dangereusement proche d'elle qu'elle sentait son souffle sur son front.

— C'est précisément la raison pour laquelle nous voulions rester près de toi, petite fille. Regarde-moi.

Elle s'en abstint et garda les yeux baissés.

— Bon sang ! Regarde-moi, je veux te promettre quelque chose !…

Elle lui jeta un regard de bête traquée qui l'énerva, en lui faisant l'effet d'une gifle ou d'une insulte. Ou les deux à la fois. C'était bizarre de ressentir cette sorte de… peine d'être détesté par elle. D'où ça sortait ?

— Miss Watts, si tu restes à l'abri ici cette nuit, je te promets solennellement que je ne te ferai rien du tout. Tu pourras dormir près de moi comme ça tu n'auras pas froid, et dans cette robe si tu y tiens, je ne te toucherai pas. Tu as compris ?

— Oui.

Il plissa les yeux en essayant d'éviter de penser qu'il avait sa jolie bouche à portée, et ajouta :

— Par contre, j'ai une certaine réputation à laquelle je tiens. Tu ne diras donc pas un mot sur cette nuit, ni sur notre accord ! A personne, à commencer par ton fiancé ! Mais ça vaut aussi pour Jack. La version officielle, c'est que je ne suis pas resté. C'est d'accord ?

Elle opina silencieusement.

— Et si Jack insiste – ce qu'il va probablement le faire – je veux que tu lui mentes avec conviction, en soutenant que je suis le meilleur amant que tu aies jamais connu… Vu ?

Elle le regarda retirer son bras de la porte et retourner se coucher.

— Viens là maintenant, ordonna-t-il en la couvant d'un œil qui la fit hésiter

Comme elle n'en faisait rien, il leva les yeux au ciel en marmonnant qu'elle fasse comme elle voulait mais qu'il éteignait la lumière.

.°.

 

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