Ce qu'il reste de moi
Chapitre 6 : C6 : Le quart d'heure de sincérité
5272 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 10/11/2016 02:42
CHAPITRE VI
Le quart d'heure de sincérité
JOHN HART
Quand elle se glissa enfin près de lui au bout de longues et insupportables minutes d'hésitation, John retint un profond soupir de bonheur et d'exaspération mêlés. La peste soit des petites filles trop habillées à qui il ne plaisait pas ! Il la prit tout contre lui, mais il sentait à la raideur de ses membres qu'elle avait peur.
— Détends-toi, arrête de trembler… tu n'as rien à craindre.
— Tu n'as pas dit que tu ne me toucherais pas, à l'instant ?
— Si.
— Mais quand tu me tiens contre toi avec tes mains qui me caressent le dos, tu appelles ça comment, au juste ?
Il se mit à rire doucement parce qu'elle prenait tout au pied de la lettre.
— Chut ! Tu ne vas jamais te taire ? Est-ce que tu peux me donner un quart d'heure de silence ?
— Mais ça me rend nerveuse que tu fasses ça !
Il lui aurait bien dit que ça l'excitait follement de savoir qu'il la rendait nerveuse mais devinait que ce n'était pas avec ce genre d'argument qu'il arriverait à quelque chose avec elle.
— C'est pour te réchauffer…
— Tu me prends vraiment pour une idiote, hein ?…
— Non. Mais c'est clair que nous avons du mal à nous comprendre.
— Sur Velquesh, ça ne se fait pas de tenir comme ça quelqu'un qui n'est pas de la famille ou… en passe de le devenir.
Il la relâcha et se déplaça pour n'être plus à son contact, malheureux de devoir renoncer à sa chaleur. Il se croisa les bras sur la poitrine.
— Nous allons avoir un enfant, ce n'est pas assez familial pour toi ? lâcha-t-il avec un soupir. Et puis, il n'aurait pas dû t'échapper que je ne suis pas de Velquesh !
— Oui je sais, mais tu pourrais t'adapter si tu as l'intention de rester un peu ici… Tu n'en es pas capable ?
— M'adapter ou rester ?
— Jack et toi vous vivez comme si tout cela n'était que temporaire et que vous comptiez partir bientôt.
C'était assez juste : elle marquait un point. En fait, tout dépendait plutôt d'elle et de River. Il pouvait être n'importe où avec Jack, mais les deux femmes, elles, avaient d'autres raisons de rester. Impliquant des hommes riches et des bébés… Il éluda la réponse.
— Dis-moi ma petite, est-ce que t'as l'intention de me la jouer « soirée pyjama » et papoter comme ça toute la nuit ? J'ai dix heures de vol non-stop dans les pattes, dont trois dans la zone des débris, et je suis claqué…
— Matthew, ça ne le dérange pas de parler avec moi toute la nuit… rétorqua-t-elle.
— Ah le malheureux, il mérite une médaille !… Est-ce qu'au moins, lui, Velquesh l'autorise à t'embrasser pour te faire taire de temps en temps ?
Elle poussa un petit couinement vexé et se poussa au maximum pour être le plus loin de lui possible, triste et déçue qu'il ne veuille répondre à aucune de ses questions. Parler avec lui aurait été le seul moyen qu'elle aurait eu d'essayer d'apprendre à le connaître et il s'y refusait obstinément.
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Par miracle, elle avait fini par se taire, très vraisemblablement pour bouder. Malgré lui, il avait jeté un regard vers elle et l'avait regretté aussitôt ! De dos, sa robe courte était une vraie provocation qui laissait bien visible par son grand décolleté la douceur satinée de sa peau nue. Ses mains tremblaient rien qu'à l'idée de pouvoir sentir encore la finesse de son grain. Et ses longues jambes galbées… Oh Seigneur ! La nuit promettait d'être désespérément longue si le désir qu'il avait d'elle le tenaillait en le maintenant éveillé…
Pour qu'elle reste, il devinait toutefois qu'il valait mieux ne pas se comporter comme un débile en rut. Trop de points négatifs plaidaient pour qu'il se tienne à carreau.
— Je sens que tu me regardes, dit-elle sans tourner la tête.
— Je te regarde parce que tu es belle et que j'ai envie de toi !
— Je te l'interdis !
Il soupira et se retourna de l'autre côté. C'était là une parfaite illustration de leur relation.
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Tôt le matin suivant, il se réveilla le corps endolori. La proximité quasi immédiate mais refusée du beau corps d'Amy, plus plein et plus féminin que jamais, avait engendré une kyrielle de rêves érotiques relativement réalistes qui lui laissaient pourtant un sentiment très mitigé. La femme qui les avait peuplés – présentant fallacieusement des traits un peu similaires à ceux de sa jeune voisine – s'était montrée experte, brutale et dominatrice. Il se sentait triste et fatigué, comme si cette inconnue aux yeux inhumains lui avait pris beaucoup plus qu'elle ne lui avait donné. Par comparaison, faire l'amour avec River avait été un éblouissement, et être aujourd'hui capable de mesurer cette cruelle différence le rendait misérable.
En regardant vers elle, il fut soulagé de constater qu'elle semblait tout-à-fait paisible. Et vraiment mignonne, toute pelotonnée en boule, avec juste un petit bout de son nez qui dépassait des draps et couvertures.
Il s'assit et se prit la tête dans les mains pour se frotter les yeux de ses paumes et ébouriffer ses cheveux courts. Il se disait qu'il avait bien mérité une douche et allait se lever, quand derrière lui, quand il sentit une petite main lui tapoter le dos, tout doucement. Il tourna des yeux interrogateurs vers la jeune fille qui le remercia.
— Pourquoi me remercies-tu ?
— Parce que tu as fait ce que tu as promis…
Il détourna la tête pour masquer son rictus dubitatif, étant donné la teneur de ses rêves. Elle tira encore son tee-shirt noir.
— Je voulais te dire que ça compte pour moi.
— Je sais… Repose-toi encore, il est tôt. Je prends la salle de bains. Après, je t'emmène à l'hôpital et tu fais cet examen. C'est moi qui paye.
Elle hocha la tête silencieusement et se mordit la lèvre.
— Tu as… une tête affreuse, remarqua-t-elle, tu n'as pas pu dormir ?
— Si, éluda-t-il.
— Attends… le bébé bouge, donne ta main.
— Tout à l'heure, refusa-t-il en se levant.
Elle lui jeta un regard hésitant et déçu. Mais il préférait vraiment éviter de la toucher car il n'était pas sûr alors de pouvoir s'arrêter s'il commençait. Elle revint cependant à la charge en fronçant les sourcils, cherchant à comprendre :
— Est-ce que tu m'en veux parce que je t'ai empêché de te reposer ? Tu dois déjà repartir aujourd'hui pour emmener d'autres clients, c'est ça ?
— Non pas du tout. Il faut juste que je puisse voir Jack ensuite, pour savoir comment il se remet.
— Se remet ? Il est triste que je sois partie ?
— Non… Il a été attaqué et blessé assez gravement, t'es pas au courant ?
Elle ouvrit la bouche sous la surprise et ses yeux se mouillèrent. Il ne pouvait pas le deviner mais c'était plutôt sous la honte de réaliser combien elle avait été égoïste en ne pensant qu'à elle, fantasmant sur l'inquiétude qu'ils éprouveraient tous de son départ brutal et mystérieux. Elle devait convenir qu'il avait bien raison sur un point : elle n'était qu'une enfant stupide…
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Lorsqu'il fut sous le jet d'eau chaude, il y resta un peu plus longtemps pour soulager ses diverses douleurs et raideurs. Son épaule particulièrement lui faisait mal. En lui jetant un coup d'œil, son malaise ne fit que s'accentuer : le tatouage de Portabellion était rouge et brûlant au toucher.Assez rationnellement, il se demanda d'abord s'il pouvait faire une réaction allergique aux pigments. Mais une bribe de rêve s'interposa. La femme qui l'y chevauchait sans douceur l'avait griffé et mordu justement là, en déclarant qu'il était à elle, qu'il le serait toujours et qu'elle le marquait pour qu'il s'en souvienne mieux à l'avenir...
Il s'ébroua pour chasser ce souvenir qui le renvoyait très profondément aux souffrances de son âge le plus tendre. Quand trop bel enfant abandonné et livré à lui-même, il avait très tôt suscité la convoitise d'adultes sans scrupules, qui avaient tout d'abord ruiné son estime, ses repères, puis sa moralité... Cela n'aurait eu aucune autre incidence pour lui si le partage totalement ouvert, fou et enivrant de ses pensées avec celles de River, n'avait pas déverrouillé des portes qu'il avait soigneusement cadenassées depuis des années. Et fait remonter ensuite des sentiments oubliés, parfois merveilleux mais également des souvenirs terribles…
Si terribles qu'il avait même parfois du mal à partager encore une intimité physique avec Jack qu'il aimait pourtant.
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JACK HARKNESS
Se sentant déjà mieux grâce à l'intervention généreuse de River pour le soigner plus rapidement et contre laquelle il n'avait pas beaucoup lutté, Jack était déjà assis à la table de travail de sa chambre, quand John entra à son tour, juste après une brève visite préalable d'Amy.Sortant une liasse de billets roulés de sa poche, il vint la déposer devant lui d'un pas nonchalant.
— Tiens, c'est ta part sur la course vers Salkinagh dont je suis rentré hier. Comment ça va, ton épaule ? Mieux, je suppose ?
Jack acquiesça avec un sourire en coin. Il percevait l'inquiétude inavouée de son ami, à la façon qu'il avait de parler boutique et de s'enquérir poliment de sa petite santé…
Il n'aurait pas fait ça avant.
Il serait entré, son triomphe immodeste plaqué sur la figure, et aurait déclaré sans préambule qu'il avait enfin couché avec « Miss Watts » et que cette fois, elle allait plutôt s'en souvenir ! Car ce point précis le chagrinait tout particulièrement. Ensuite, en grand sportif mythomane, il aurait probablement brodé plus ou moins sur la durée de sa performance, l'inventivité de ses caresses, ou d'autres choses ridiculement touchantes du même acabit. Qui en vérité ne signifiaient maladroitement qu'une seule chose : qu'il voulait pouvoir tout partager avec lui.
Mais au lieu de fanfaronner, il avait juste posé une fesse sur un coin du bureau, en le considérant avec ce qui aurait pu facilement passer, chez quelqu'un d'autre, pour une forme de préoccupation discrète.
— Alors, tu ne vas pas me raconter ta soirée ? l'encouragea Jack. J'imaginais que tu aurais eu envie de faire le malin en me contant ta bonne fortune…
John le surprit en acquiesçant d'un air soucieux :
— Si tu veux, mais ce n'était pas aussi drôle que tu pourrais le penser... Qu'est-ce qui se passe au juste avec Amy ? Quand elle a débarqué chez moi, elle était sur le point de se tirer définitivement d'ici et elle parlait d'abandonner l'enfant. J'ai quand même réussi à ce qu'elle ne se barre pas séance tenante, mais c'était moins une !…
— Ouh, je me demande bien comment tu as réussi ça.
— Ben, très franchement moi aussi… On n'est vraiment pas sur la même longueur d'ondes, elle et moi.
Il se frotta les yeux qui le piquaient, accusant une certaine fatigue.Jack sentit malgré lui son cœur se serrer en comprenant qu'à l'avenir, ceci arriverait toujours plus souvent : tout en étant maintenant beaucoup plus jeune que lui, John vieillissait aussi beaucoup plus vite. Les joies de la désynchronisation temporelle... Avec naturel, il passa une main familière et caressante sur la cuisse de son ami. Ce dernier sursauta et laissa échapper un petit rire presque surpris.
— Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda Jack avec une sollicitude non feinte parce qu'ils étaient seuls. T'es une vraie pile électrique.
— Holà, je serais toi j'arrêterais ça tout de suite ! Surtout tant que tu « héberges » River…
— Ah zut, c'est Cormack qui a vendu la mèche ? Tout mon effet de surprise est gâché alors… Elle a été assez bonne pour accélérer ma guérison de l'intérieur… Pourquoi est-ce que je devrais arrêter ? demanda-t-il d'un air taquin.
Mentir plausiblement devait toujours comporter une grosse part de vérité. John sentait bien que Jack n'émettait pas la longueur d'onde de River quand elle prenait un hôte mais fit comme s'il l'ignorait. Jack ne pouvait pas tout savoir là-dessus, ou en tous cas, il l'espérait. Elle devait l'avoir déserté assez vite, s'il devinait juste et n'être restée que le strict temps nécessaire.
— Oui, c'est lui, acquiesça-t-il. Il faisait la gueule d'ailleurs… Et pas qu'un peu. Quant à savoir pourquoi tu devrais arrêter, River m'a déjà fait bien comprendre que le plan à trois… ce n'était même pas la peine d'y penser. Elle pourrait nous faire payer ça de diverses façons très désagréables si on passait outre. Donc si tu veux l'énerver, continue. Moi, je n'y tiens pas.
— Elle te flanque la trouille ? C'est inimaginable !
— Tu parles sans savoir ce qu'elle peut faire.
— Comment peux-tu croire qu'elle me ferait du mal juste parce que j'ai envie d'être un peu avec toi ?
John le toisa avec l'air de s'étonner de l'euphémisme. Jack n'était « un peu » avec personne. Il se taillait la part du lion à toutes circonstances, quoiqu'il sache aussi se montrer généreux en retour.
— Ton silence est inquiétant, commenta Jack en le scrutant attentivement.
— Je suis en train de me dire que tu ne la connais pas très bien, répondit prudemment Hart.
— Dis voir ! Je vis et travaille avec elle depuis des mois !… Elle n'a jamais montré la moindre agressivité envers personne.
— Sans blague !… Et bien apprend que le premier truc qu'elle a fait en me voyant… ça été de me mettre KO sans sommation.
— Comment le saurais-je ? rétorqua le Capitaine un peu boudeur. Tu ne me parles jamais d'elle. L'une des très rares choses que tu gardes jalousement pour toi… Mais tu devais l'avoir bien mérité, non ?
John ne répondit pas et Jack accentua sa caresse. Ce n'était pas expressément sensuel, mais plutôt comme un simple encouragement à ce qu'il parle encore.
— Pourquoi tu ne veux jamais parler de ce qu'il y a eu entre vous ?
— Parce que je n'en ai pas envie, soupira John.
— Et si moi j'avais envie de le savoir quand même ? Vous vous donnez du mal tous les deux pour soutenir la version officielle en vertu de laquelle « ça n'était rien ». Pour elle, peut-être bien. Mais je suis certain que pour toi, c'est autre chose… Est-ce que tu as conscience qu'il y a du changement chez toi ?
— Je sais et je n'arrive pas à redevenir comme avant. Je me suis salement ramolli. Parfois, ça me met encore les nerfs d'être obligé de le constater.
— Ouais, d'ailleurs à ce propos, Amy m'a dit il y a cinq minutes que tu t'étais à peu près bien comporté avec elle…
— A peu près ? Mmm, ça veut dire presque mal, l'honneur est sauf ! Elle n'était pas censée parler de ça.
— De quoi était-elle censée parler ? Pourquoi voulais-tu qu'elle me mente ?
— Et ta tête quand tu l'as vue dans mon lit, on en parle ?…
Jack le regarda les yeux brillants, les commissures légèrement relevées dans une ébauche de sourire. Il tapa deux fois sur sa cuisse et le pointa du doigt.
— Oh mais moi je veux bien parler de tout… Toi par contre, j'en dirais pas autant !... Tu sais quoi ? Je vais décréter un Quart d'Heure de Sincérité ! On y va. Et je commence. J'aime bien Amy. Je vais te dire, plus je suis sevré d'affection et plus je la trouve attirante… C'est bizarre comme phénomène, hein ? C'est dire si en ce moment, elle est magnifique étant donné que je suis extrêmementsevré ! Elle n'est pas complètement idiote et s'en rend parfaitement compte. Elle me conseille d'ailleurs – sans doute pour sa propre sécurité – de me « réconcilier » avec toi.Tiens, puisqu'on en parle. Point numéro deux. Toi. Dans ta distraction exemplaire, il t'aura sans doute échappé que tu refuses que je te touche depuis des jours, en alignant à chaque fois de bonnes excuses, particulièrement créatives, je dois dire que tu sais te renouveler dans ce registre aussi…J'aime bien Amy parce qu'elle est magnifique c'est sûr, et parce qu'elle porte ton enfant. Je suis vraiment curieux de voir ce que ça pourrait donner, toi avec un enfant. Est-ce que ce petit ou cette petite saura recharger une arme plus vite que son biberon ? Est-ce qu'il ou elle planquera des poignards dans ses couches-culottes ? Ou… Est-ce que ce sera à moi de lui apprendre ?Parce que je ne suis vraiment pas sûr que tu pourrais survivre, déjà jusqu'à la naissance, ensuite plus de quelques années après. Tu es tellement sur le fil, je ne sais pas si tu t'en rends compte… et tu refuses qu'on t'aide. Que je t'aide. Qu'est-ce que j'ai fait de travers ? Je n'ai pas l'impression de me montrer exigeant. Tu veux de moi, je suis là tu n'en veux plus, je te fiche la paix et je ne me plains pas. Mais maintenant, j'aimerais bien savoir ce qui t'attache encore à moi si ce n'est ni le sexe, ni le besoin de mon aide ?
John lui jeta un petit regard en dessous, entre l'amusement et l'embarras.
— Tu passes trop de temps avec les monogames, ils sont en train de te pervertir méchamment.
— Ça se peut. Ça se peut aussi que ce soit une ruse de ta part pour encore éviter de répondre…
— Ça se peut aussi que je n'aie aucune envie de te faire de la peine, que je ne sache pas très bien comment me sortir de ce que je traverse actuellement, mais sans forcément vouloir couper tout contact avec toi.
— Te sortir de quoi ?
John rejeta la tête en arrière pour inspirer profondément, fermant les yeux une minute avant de les rouvrir pour le toiser très directement, comme il le faisait trop rarement à présent, depuis qu'il était si distant.
— River et moi avons partagé une expérience qui va bien au delà du sexe. Je n'aime pas en parler en partie à cause des conséquences humiliantes que ça a pour moi, elle n'aime pas en parler parce qu'elle le sait, le regrette, et croit qu'elle n'aurait jamais dû se le permettre... Sur le moment, elle a dû se dire qu'on était foutus tous les deux, de toute façon, et que ça n'avait aucune importance puisqu'on n'allait pas s'en tirer…Elle m'a, pour ainsi dire, dépecé de l'intérieur. Mes pensées. Mes émotions – enfin ce qui m'en restait. Mes souvenirs. Elle a tout examiné curieusement et puis a tout reflanqué en vrac une fois qu'elle a eu fini. Tu dis que j'ai changé mais c'est juste que mes trucs ne sont plus dans l'ordre où je les avais mis ! Dans le processus, elle a joyeusement détruit un certain nombre de… protections que j'avais, par rapport à certains vieux souvenirs. Très vieux souvenirs. Bien avant qu'on se connaisse. Des choses que j'avais planquées sous le tapis et qui y étaient toujours depuis…
— Tu parles des sévices que tu as subis dans l'enfance ?
Les poings serrés, John se rembrunit, sa ligne d'épaule soudain très tendue.
— Comment es-tu au courant de ça ?
— Avant que tu n'accuses quiconque de quoi que ce soit, je dois te dire que je l'ai toujours su. C'était dans ton dossier à l'Agence. Quand on m'a désigné pour être ton équipier, après la première mission où je suis allé te récupérer dans ce trou à rats dont j'ai oublié le nom, la prison de Krivine ? Kiridine ?... Bref. Ils m'ont briefé sur ton cas pour être sûrs que j'accepte en connaissance de cause, étant donné que deux autres agents étaient déjà morts et que tu étais étiqueté « incontrôlable »…
— Tu le savais et tu n'as pas demandé ta mutation ?!
— On n'a jamais dit que j'étais super équilibré moi-même, reconnut Jack avec un large sourire. Tout ton comportement le confirmait, en plus. Comment River a-t-elle pu te faire ça ?
— C'est une question morale ou technique ?
— Si tu me réponds aux deux, je t'embrasse. Très gentiment, ajouta-t-il.
— Et voilà, s'exaspéra un peu le pilote de son coeur, c'est exactement ça que j'aime pas ! Je ne veux pas que tu me traites comme si j'étais fragile !
— On a sa petite fierté, hein ?... Pour quelle raison tu ne veux plus coucher avec moi ?
— Mais bougre d'idiot, parce que je ne suis pas très sûr d'avoir une réaction… appropriée ! Il y avait beaucoup de souffrance liée au sexe dans ces vieux souvenirs. Ils m'ont explosé à la tête sur Modarkand et tu as vu le résultat... A un moment, je n'ai plus eu conscience que c'était toi… Je ne voulais pas te blesser mais je ne contrôlais plus rien…
— Je ne t'en veux pas. Je suis difficile à blesser, comme tu sais.
— Moi je m'en veux ! reconnut John d'un ton véhément et hanté.
— Donc c'est pour ça que les rares fois où nous avons fait l'amour depuis, tu étais passablement ivre ? Est-ce que c'est juste avec moi ou les autres hommes aussi ?
— C'est plutôt moins pire avec toi, je suppose parce que je te connais bien.
— Moins pire ? releva Jack avec une petite grimace. Tu aurais vraiment dû m'en parler plus tôt. J'aurais pu me montrer plus…
— Je t'ai dit que non ! Avant que tout ça n'arrive, je dois bien te dire que ça me foutait en rogne que toi tu aies autant changé depuis l'Agence... Et puis maintenant que je suis complètement à la ramasse, je ne reconnais plus rien, alors j'aimerais que tu restes toi juste comme tu es d'habitude. Cinq minutes.
— OK… acquiesça Jack les yeux brillants d'émotion contenue. Continuons l'état des lieux : et avec les filles ?
John haussa une épaule avec un étrange sourire désabusé.
— Explique, le pressa Jack. Le Quart d'Heure de Sincérité n'est pas fini…
— Harkness, tu me casses les pieds.
— Je sais, mais je t'ai dit que je veux un panorama complet de la situation, parce que pour le moment, t'as l'air très mal barré… Les filles, ça va ou pas ?
— Ça va.
Jack haussa un sourcil et déclara d'un ton amusé et insistant :
— Pourrais-tu être juste un poil plus détaillé ?
John plissa les yeux et répondit en détachant les syllabes, furieux et provocateur :
— Anatomiquement : agréable. Émotionnellement : sans intérêt !
Jack se mit à rire malgré lui en le couvant d'une œillade lascive.
— Allons bon ! Alors maintenant, Monsieur veut pouvoir éprouver des émotions avec les filles !... le taquina-t-il. Ce n'est plus une révolte, c'est une révolution… Enfin, il te reste encore ça. Méfie-toi quand même, tel que je te vois parti, tu vas bientôt exiger d'avoir des sentiments pour coucher. Fais bien attention à toi, Johnny, tu files un mauvais coton…
— Ne te sens pas menacé…
— Je ne me sens pas du tout menacé… Mais j'aimerais bien que tu dises aux deux locataires qui occupent illégalement ton cœur, toutes autant qu'elles sont, qu'elles ne s'imaginent pas que je vais me rendre sans combattre. Et aussi qu'à la minute où je serai sur pied, je te reprendrai, comme ça ! fit-il en claquant des doigts avec l'un de regards les plus séducteurs de son répertoire.
John éclata de rire de bon cœur en l'entendant lui resservir cette réplique familière.Le Capitaine fut heureux de constater, encore une dernière fois peut-être, que la tendresse et le désir brûlaient toujours dans les prunelles de son amant. Il le recueillit bien volontiers dans ses bras pour l'embrasser en se félicitant qu'il y soit toujours si remarquablement réceptif. Avec ce qu'il venait d'avouer, il se doutait bien que leur relation allait devoir évoluer quelques temps dans un sens probablement tragiquement platonique.
Mais il avait appris à aimer les fins tragicomiques. Aussi se permit-il de demander à mi-voix pendant qu'ils reprenaient leur souffle et que leurs mains vagabondaient sans hâte :
— Dis voir blondinet, tu n'aurais tout de même pas l'intention d'abuser d'un pauvre convalescent tout juste remis ?
— Appelle-moi encore une seule fois « blondinet » et tu vas pas tarder à découvrir le vrai sens du mot « convalescent »… murmura l'autre à voix basse.
Comme John retirait son tee-shirt, Jack haussa deux fois les sourcils à cette perspective rien moins qu'alléchante mais assez vite, son sourire s'effaça et il désigna son épaule, où la jolie volute du tatouage de Portabellion disparaissait sous une épaisse croûte sombre.
— Et qu'est-ce que tu as là, au bras ?
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