Ce qu'il reste de moi
CHAPITRE VII
Les vieux amants
LE DOCTEUR ET RIVER SONG
Le Docteur surveillait les constantes de Quentin dans l'infirmerie du Tardis. Le jeune homme avait été plongé dans un léger sommeil pour aider à toute cette opération. L'avantage du Tardis, c'était la durée du traitement importait peu. Quentin avait accepté de mauvaise grâce s'il pouvait retourner à son travail dès le lendemain, mais il n'était pas heureux de ce qu'il vivait comme l'amputation des souvenirs de la merveilleuse présence de River.
Le Seigneur du Temps lui avait expliqué patiemment quels risques il encourait, en décrivant les effets comme ceux d'une drogue, avec le même genre de conséquences néfastes. Pour achever de l'en convaincre, il lui avait demandé si cela valait la perte de son entreprise et de tous les projets auxquels il tenait, qu'il ne pourrait pas continuer à mener quand il perdrait petit à petit la raison. Quentin avait toujours été un homme raisonnable et accessible à une argumentation de bon sens. En appeler à son sens des responsabilités était la meilleure chose à faire. Montrer comment en dérivant vers le monde merveilleux et illusoire où il vivait depuis un mois, il allait perdre son statut, son pouvoir durement gagné, et la possibilité d'accomplir les rêves sains qu'il avait dans l'ingénierie médicale… Comment il allait se couper de son frère et de ses amis…
Avant que le Docteur ne lui injecte une solution légèrement narcotique, le jeune homme ignorant que River se trouvait là parce qu'il ne la voyait pas, lui avait demandé alors avec inquiétude :
— Est-ce que mes sentiments pour elle sont une conséquence de cette « intoxication psychique » ? Disparaîtront-ils quand j'en serai libéré ?
— J'ai l'impression que vous n'en avez pas très envie… remarqua le Docteur avec un regard discret vers River.
— Pas envie du tout ! reconnut-il alors qu'il se détendait sous l'effet de l'anesthésiant. Je suppose que je ne devrais pas vous le dire.
— Ne vous préoccupez pas de ça.
— Ça dépend… Si vous me considérez comme un rival, je ferais mieux de me soucier de ce qu'il y a dans cette seringue…
— Ne soyez pas ridicule…
Le fantôme de River lui fit signe de se taire avec une mine courroucée. Il voyait qu'elle essayait de faire le signe de lui couper la gorge mais elle n'avait plus de mains apparentes. Il avait d'ailleurs éprouvé un choc désagréable en la voyant arriver dans le Tardis, car la moitié de son corps avait déjà disparu et ses mains étaient translucides. Elle s'évanouissait peu à peu. Les milliers de petites particules qui composaient son corps lumineux que lui seul et Otto pouvaient voir, s'effilochaient rapidement, comme du sable qui aurait glissé entre les doigts. Exactement comme Astrid Perth.
— Comment voulez-vous qu'un vieux bonhomme comme moi l'intéresse encore, de quelque façon que ce soit ? questionna-t-il en tâchant de ne pas sourire. Vous êtes bien placé pour savoir qu'elle préfère les jeunes gens…
Quentin n'entendit pas cela car il venait de s'endormir. Le Docteur prit une seconde seringue, vérifia qu'il n'y avait pas de bulle d'air, et puis injecta un second liquide.
— J'en ai fini avec lui pour l'instant, déclara-t-il en reposant la seringue vide. Le produit va circuler dans son organisme pendant qu'il dort et à mesure qu'il s'éliminera petit à petit, il devrait aller rapidement mieux. C'est la façon la plus douce. Voyons ce que je peux faire pour toi maintenant.
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Elle ne répondit rien, comme si elle se désintéressait de la question. Il sortit les batteries de la poche de Quentin et leur donna un petit coup d'analyse de tournevis sonique.
— Elles sont déchargées, commenta-t-il.
River leva les yeux au ciel et le suivit comme il sortait à pas rapides de l'infirmerie pour se diriger vers la salle de pilotage. Elle aurait préféré une info qu'elle n'avait pas déjà. Une fois là-bas, le Docteur ouvrit une trappe dans la console du Tardis, et y glissa les barrettes. Puis il se retourna, l'air content de lui et déclara que d'ici le réveil de Quentin, les batteries seraient chargées par le Tardis et qu'elles dureraient beaucoup plus longtemps. Elle eut un demi-sourire toujours sans répondre.
— Tu ne veux rien dire ? Tu es toujours mal à l'aise à l'idée d'être revenue à bord ?
— Je m'économise. C'est devenu une habitude, esquiva-t-elle en jetant un coup d'œil à cette nouvelle déco à laquelle elle ne se faisait pas bien.
— Tu veux faire un petit tour en attendant ? Voir Amy et Rory ? demanda-t-il les mains planant au dessus des leviers.
Elle secoua la tête.
— Oh, non je ne veux pas qu'ils me voient comme ça ! Mais qu'est-ce que tu as dans le crâne ? Confronter des parents à la mort de leur enfant ! Vieux fou !
— Ils ne pourraient pas te voir, techniquement… Mais toi, tu pourrais…
— Non, laisse. Je vais juste attendre dans ma chambre… Euh, j'ai toujours ma chambre ici, oui ?
— Et si nous allions à Darillium ?
— Ton unique destination en cas de mort imminente ? se moqua-t-elle tristement.
Il s'approcha d'elle et enlaça sa taille d'un bras, en touchant le bout de son nez d'un index d'abord moralisateur.
— Ça, c'était inutilement cruel, professeur Song, dit-il en faisant rouler les R avec l'accent qu'il avait maintenant.
— Qu'est-ce que tu fais ? protesta-t-elle, plutôt pour la forme.
— Tu n'as plus de mains que je pourrai tenir…
— Ah, je n'irais pas jusqu'à dire : « Comme c'est commode pour toi » ! convint-elle en lui accordant l'ombre d'un sourire.
Il pressa brièvement ses lèvres contre son front puis l'entraîna dans les couloirs du vaisseau où ils marchèrent quelques minutes durant lesquelles River mesura avec une pointe d'amertume combien elle était reléguée loin à présent, dans les priorités du Tardis.
— Je crois que c'est par là ! murmura le Docteur.
Ils traversèrent une salle claire et poussiéreuse qui ressemblait à un atelier d'artiste. Au milieu, trônait un bloc de marbre à moitié sculpté : tout le haut de la statue la représentait avec une surprenante précision.
— Étonnamment fidèle à l'original, commenta-t-elle avec un peu d'embarras en faisant allusion au fait qu'elle n'était plus littéralement que la moitié d'elle-même, mais aussi à l'aspect très réaliste du nu qu'ils avaient sous les yeux. Je ne sais pas trop quoi penser de ça…
Il la regarda avec un sourire en coin tout en continuant à traverser.
— Voilà une statue d'ange que je ne crains pas de contempler sans ciller… Oui je sais, c'est honteux. Je ne l'ai jamais terminée mais…
— Tu veux dire que ce n'est pas récent ?
— Non pas vraiment ! reconnut-il.
— Quand ? voulut-elle savoir.
— La première fois que tu m'as dit « oui ».
— A notre mariage alors…
— Non, en fait c'était… à celui de tes parents. Je ne comprenais pas tout. Tu étais là à te payer radieusement ma tête en silence pendant que je voulais savoir si tu étais mariée et que tu me demandais si c'était une proposition... Tes yeux sur moi quand tu disais « Oui » !... Hem. Enfin, bon, dit-il en se raclant la gorge, ce qu'il y a là derrière cette porte t'intéressera davantage, dit-il en poussant celle qui leur faisait face.
Il activa un plafonnier avec le sonique et marcha jusqu'au centre de la pièce paraissant vide, où un grand drap était jeté sur un haut objet rectangulaire. Il tira dessus pour révéler un caisson de stase où attendait une parfaite réplique d'elle-même, les yeux fermés, auréolée de minuscules diodes de fonctionnement qui projetaient des lumières roses sur son visage.
— J'ai toujours su que tu en aurais besoin tôt ou tard…
River, les yeux brillants de larmes qu'elle essayait de contenir, restait muette de saisissement, au point de ne pas réaliser que la pièce contenait plusieurs autres caissons voilés, tous rangés contre les murs et dissimulés dans l'ombre.
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— Alors ? demanda-t-elle.
Elle l'avait fait rougir une énième fois en admirant sans honte dans le miroir de sa chambre son nouveau clone de Chair aux proportions idéales. Et d'une technologie ultérieure. Le Tardis avait obligeamment rematérialisé la pièce plus près, car le Docteur n'était pas sûr de pouvoir se remettre de la voir arpenter les couloirs du vaisseau dans le plus simple appareil...
— Comment allons-nous procéder pour que je te paie ma dette ?
— Ce n'est pas une dette… D'abord, tu vas avoir la bonté de passer quelques vêtements, puis nous allons dans un endroit tranquille et paisible, et enfin tu lis quelques-uns de mes souvenirs et puis nous en parlons…
— Ta chambre ? demanda-t-elle avec un sourire suggestif.
— Je pensais plutôt à la salle du Cloître, je ne crois pas que tu la connaisses. C'est comme un jardin, il y a des bancs et probablement que la vieille interface de l'œil de l'Harmonie s'y trouve encore. Elle ne sert plus à rien mais c'est joli. Si aucun danger ne nous menace, ça sera paisible… estima-t-il avec un air confiant. Je vais te laisser t'habiller et on se retrouve là-bas ?
— Et plusieurs centaines d'années plus tard, tu es toujours aussi poule mouillée !… Docteur, j'étais ta femme ! Mon corps n'a plus rien de mystérieux pour toi… Reste là et aide-moi !
— Mon nom c'est « Le Docteur » pas « La Camériste de Mme Song » !… grinça-t-il en tournant les talons pour quitter la pièce.
Fâchée de le voir fuir une nouvelle fois, elle se dépêcha de passer la première robe kaki qu'elle trouva dans sa vieille armoire et de le rejoindre dans cette mystérieuse salle du Cloître où il l'attendait dans une posture hiératique, les yeux perdus sur l'œil de l'Harmonie. L'artefact était protégé et fermé par un sceau ouvragé qui faisait comme un imposant monument.
Elle se jeta dans ses bras dès qu'elle arriva et contre toute attente, il la recueillit tendrement.
— Dois-je te rappeler que ton amant ne dort pas loin d'ici ?
— Quentin n'est pas mon amant. J'ai menti.
Il haussa ses sourcils broussailleux.
— Pourquoi ?
— Pourquoi il n'est pas mon amant ?
— Pourquoi m'as-tu menti !…
— Parce que c'est ton sport favori et que j'aime y jouer avec toi !
Elle se pressa impudiquement contre lui mais il se contenta de lui caresser doucement les cheveux.
— Shhh, ma toute belle… calme-toi. Tu étrenneras ton nouveau clone avec un autre que moi. Je crois qu'il n'en manque pas qui seraient intéressés sur cette planète où tu vis maintenant…
— Je ne veux que toi…
— Tu sais que ce n'est plus tout à fait vrai.
— Je ne crois pas à tes stupidités gallifréennes sur le mariage. C'est à mes stupidités terriennes que je veux croire…
— L'amour qui dure toujours ? Une valeur bien facile à tenir pour ton peuple éphémère…
— Ephémère ? Mais où trouveras-tu une femme de 84 ans aussi étourdissante et en forme que moi ?
— Hem, pour l'instant dans mes bras, concéda-t-il avec un sourire.
Elle rit et lui vola un tout petit baiser.
— Arrête de jouer avec moi, jeune fille, la morigéna-t-il. Je me sens idiot quand tu fais ça…
— Jeune fille ? Le flatteur n'est pas complètement mort en toi ! lança-t-elle en rayonnant. Mais pourquoi te sentirais-tu idiot d'être aimé de moi ?
— A chaque fois que je te vois, je me sens redevenir mon ancien moi ! lui avoua-t-il à voix très basse.
— Et c'est très bien comme ça, dit-elle en posant sa tête contre ses cœurs.
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Le Docteur s'était servi du sonique comme d'une télécommande pour projeter au plafond l'espace extérieur à Velquesh et cela leur faisait l'équivalent d'une nuit étoilée juste au-dessus d'eux. Ils étaient allongés tous deux dans un carré herbeux du Cloître, main dans la main.
River essayait de se recentrer un peu alors qu'elle venait de partager un grand nombre de souvenirs avec lui. Cette guerre, cette longue guerre sur la planète Trenzalore… Elle savait qu'il avait vécu la « fameuse » guerre du Temps qui avait fait des dégâts, mais la dernière ! Toutes ces années seul au village de Christmas, à servir de rempart contre des ennemis attaquant tous azimuts, comme si ce qui était arrivé à Stonehenge avec la Pandorica n'avaient été que le faible écho préalable de ce qui se produirait par la suite… Sans personne pour l'aimer ni le soutenir… à part peut-être cette vilaine Tasha Lem…
« Tout va bien » émit-il silencieusement en pressant gentiment ses doigts. « Ne t'attarde pas trop sur Trenzalore ».
« Sur quoi alors ? »
« Peux-tu scanner mes souvenirs de Jack ? Je suis… très en colère après lui et ça n'a pas de sens… Il m'a fait remarquer à juste titre que l'on ne s'est pas vus depuis des années – plus encore pour moi que pour lui, d'ailleurs. Pourtant depuis que je l'ai retrouvé, j'ai juste envie de le pousser dans une supernova et de le regarder brûler… ».
« Non, tu as juste essayé de le pousser dans mes bras… ».
Sursaut de dignité outragée et réprobation fusèrent dans ses pensées.
« Pas du tout ! Je voulais que tu le protèges de moi si le besoin s'en faisait sentir ! ».
« Alors c'était ça ton plan ?... J'étais vraiment loin du compte… »
River s'approcha à nouveau mentalement pour déplier doucement ses autres souvenirs. Son toucher mental était exquis et, instinctivement, il s'ouvrit davantage… ce qui la fit rire.
« Et bien, voilà ! Tu cesses enfin de faire le timide… ! Alors qu'avons-nous là ?… Oh mon dieu, qu'est-ce que je vois ? Tu as déjà embrassé Jack ! »
« Passons rapidement là-dessus, si tu veux bien… »
« Ah pardon, mais en plus tu le trouvais très séduisant… et tu étais jaloux de lui… jaloux de l'attention qu'il suscitait auprès de ta compagne ».
« Mmpff. Que vois-tu d'autre à part ça ? »
« Un truc… énorme. Incroyable. Et vraiment puissant ».
« Je te demande pardon ? »
« Chut. Ce truc est partiellement encore en toi, et je réalise que je l'ai aussi perçu très fort dans le Tardis quand j'y étais la dernière fois… C'est bizarre. Je ne m'en rends compte que maintenant ».
« Mais… Quel rapport avec Jack ? » s'inquiéta-t-il.
Elle rit doucement.
« Oh, Docteur… Il semble y en avoir un pour toi !... Mais pas ce n'est pas ce que tu imagines… Qu'est-ce que c'est que… Bad Wolf ? C'est impressionnant ! Est-ce que c'est un esprit ? Un dieu ? ».
« C'est ce qui a rendu Jack immortel ».
« Mhm… J'ai eu l'occasion de voir de près comment il s'y est pris. Un boulot vraiment étonnant… ».
« Quoi ? »
« Chut, mon petit cœur… Dis-moi, si ce Bad Wolf t'a tué, qu'est-ce qu'il fiche à demeure dans le Tardis alors ? »
« A demeure ? »
« Tu ne sais pas qu'il est là ? ».
« C'est une sorte de demi-surprise, en effet… Est-ce qu'il se cache ?».
« Non. Il est plutôt inactif. On dirait qu'il attend... ».
Pas préparée à ce qui allait suivre, River vit soudain sans transition un affreux visage de démon hacher par intermittence les souvenirs du Docteur qui s'accélérèrent en un carrousel infernal.Elle s'agrippa convulsivement à lui, avant de plonger à la poursuite de cette affreuse face ricanante et malfaisante, dans le vaste territoire inférieur qui lui était désigné comme l'inconscient.
Totalement à sa merci, il ne ressentait que tristesse et peine de lui imposer cela, mais aussi de la gratitude, une immense gratitude qui la submergea. Elle reçut de plein fouet les sentiments bruts du Docteur…
« Oh, ici, tu sais déjà tout » murmura-t-elle à peine, comme un souffle.
« Remonte » la supplia-t-il. « Mon inconscient est un endroit dangereux ».
« Je peux me voir comme tu me vois… Tellement jeune… si terriblement jeune… Attends une minute !… J'ai l'air d'avoir dix ans sauf que je n'avais pas cette tête là… Est-ce que tu me considères comme une enfant ?»
« Je crois que j'ai quelques fois prouvé que non…».
« Pas récemment » le taquina-t-elle. « Et… Non mais de quoi ?! Docteur, je suis positivement choquée ! ».
Son ton laissait toutefois entendre que ce n'était pas vraiment le cas. Il émit une pensée inquiète et non formulée qui résonnait un peu comme « par quoi ? » parce que pour choquer River, il fallait y aller fort.
« Et bien d'après ce que j'ai sous les yeux, tu as regardé Jack faire l'amour à… Amy-Leigh ?! »
« Quoi ?! Jamais de la vie, enfin ! »
Elle perçut son indignation sincère mais aussi sa profonde révolte.Et le rush d'une violente colère contre lui. Plus qu'une colère, une sorte de rage impuissante.
« Jack qui embrasse Amy sur… sur mon canapé ! Jack qui te donne une lettre, ça ce sont des souvenirs très récents... Wao ! Cette lettre te rend dingue… Doucement, doucement… ».
Elle sentit sa détresse et son désespoir et ne put rien faire d'autre que de se rapprocher de lui pour l'apaiser par son contact physique. Le visage de l'ignoble démon lui sauta littéralement à la face. Elle comprit en s'abstenant de le reformuler avec tact que le Docteur était fou de jalousie, à un point difficilement compréhensible, mais que Jack portait le chapeau pour un autre dont le Docteur ne pouvait pas se souvenir. Un autre qui était le vrai responsable.
Dans une sorte de sanglot, il fit tomber pour elle une dernière résistance pour lui montrer le film où celle qu'il aimait était lovée, éperdue, contre Jack. Ce n'était certes pas dans une occasion pareille qu'elle aurait pensé pouvoir contempler l'anatomie avantageuse du Capitaine... Par-dessus cela, le visage du démon triomphait. De sa main impitoyable, il drainait la vie du Docteur. Elle sentait la vie le quitter. Il mourrait ! Que s'était-il donc passé, et quand ?
Elle s'obligea à se calmer et ne pas se laisser influencer par ce qu'elle voyait. ça pouvait être une peur irrationnelle puisqu'elle n'était pas vraiment dans la zone des souvenirs, et qu'il n'était manifestement pas mort... Elle se demanda pourtant comment il pouvait éprouver cela pour Amy et quelle n'en ait jamais rien su… Amy était-elle une représentation de quelqu'un d'autre ?…
Elle finit par comprendre son erreur lorsqu'elle put voir nettement le visage de la femme quand ce grand escogriffe de Jack la laissa un peu respirer... Cette blonde n'était pas du tout Amy !La percevant comme le Docteur, elle découvrit qu'elle avait de longs sourcils noirs, d'immenses cils qui pouvaient commander aux battements de son cœur, une grande bouche dont elle savait instantanément qu'il adorait la voir sourire. Une femme qu'il avait aimée follement et douloureusement autrefois, sans jamais vraiment se déclarer.
« Est-ce que cette femme est… Rose ? » demanda-t-elle presque timidement au bout d'un moment.
« River, je ne sais pas ce que tu vois dans mon inconscient, c'est pour ça que j'avais besoin de toi… »
Une seconde après, la violence de la pulsion de meurtre émanant de lui la terrassa. Il voulait tuer Jack, c'était très clair et il avait plein d'idées créatives pour déjouer son immortalité…
« J'ai besoin d'un break ».
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River désengagea doucement sa fusion mentale avec le Docteur et se redressa assise, quand elle fut revenue pleinement à elle. Il lui fallait quelques instants pour gérer la gueule de bois que procurait la séparation, et tous ces effets secondaires qu'elle avait vus à l'œuvre chez John, chez Quentin, dans une moindre mesure chez Jack – et pas du tout chez Amy ! On n'avait jamais su pourquoi…
Le Docteur avait l'air extrêmement penaud. Sur son épaule, il posa une main légère, inquiet et concerné par son bien-être, mais comme s'il n'osait pas la toucher.
— Est-ce que tu vas bien ?
Elle opina silencieusement.
— Oh, je me sens tellement confus ! Parle-moi ! supplia-t-il.
Elle continua à hocher la tête avec un petit mouvement ouvert de la main qui signifiait qu'elle réclamait encore un moment de plus, puis elle inspira profondément.
— Tu as raison sur toute la ligne… Quelque chose est en train de jouer très méchamment avec toi. Jack fait écran à cela dans tes cœurs écartelés… Est-ce que dans la fameuse lettre, il y a des précisions sur les « ennemis très puissants » que tu te serais fait ? C'est lui qui me les a désignés ainsi.
— Non, il a souligné lui-même le manque cruel d'informations à leur sujet.
— As-tu jamais rencontré le Diable ? Son visage est constamment associé à une souffrance extrême. Je ne sais pas, par contre, dans quelle mesure c'est réel ou simplement le fruit de tes plus grandes de tes peurs.
— Mes plus grandes peurs se produisent toujours… Qu'as-tu vu ?
— J'ai vu ce que le Diable t'a fait. Ce qu'il t'a pris et sur quoi il a appuyé pour y arriver.
— Qu'est-ce que tu appelles le Diable ?
— Un géant immonde avec une face de crâne surmontée de cornes…
Le Docteur s'assit à son tour, ferma les yeux et plongea son visage dans ses mains.
— Oh je craignais que ce ne soit encore celui-là… dit-il d'un ton lugubre et résigné. Je le sens dans mes cauchemars… Que m'a-t-il pris ?
— Hélas comment je vais expliquer ça ? Je ressentais qu'il avait… aspiré de force une grosse partie de tes émotions et de tes sentiments. Et, ne me demande surtout pas comment, il en a fait un fils ! Une créature qu'il a emmenée avec lui. Dans le processus, il t'a fait affreusement mal. Je comprends pourquoi tu es ainsi maintenant… Je n'en vois aucun souvenir conscient. Tout est trop profond et comme… dissimulé. Mais il y a des événements récents qui le font remonter presque en lisière. C'est exactement ce que tu pensais… Je ne peux que te conseiller de ne surtout pas laisser Clara seule. Elle était là elle aussi, je l'ai vue. Le démon voulait la prendre, ou tout du moins c'est ce dont tu as eu peur…
— Je pensais qu'elle serait plus en sécurité chez elle qu'avec moi… Qu'est-ce que tu veux dire par « un fils » ?
— Il a formé une créature avec tes souffrances. Je regrette… Oh je regrette tellement de devoir te l'apprendre… cette créature va te faire du mal… elle a déjà un nom… Il l'a appelé « Valeyard »…
Le Docteur sembla soudain respirer plus difficilement.
— C'est terrible… terrible… Tu ne peux pas savoir combien.
— Si, mon cœur. J'ai tout vu et tout ressenti.
— Où est le Valeyard ? Est-ce qu'on sait où il est allé ?
Elle secoua la tête négativement.
— Et tu dis que le démon s'est servi de Jack contre moi ?
— Pas directement. Je pense qu'il savait qu'il te ferait souffrir en te montrant Jack et ce que j'imagine être Rose, en train de prendre du bon temps. Tu as pris de la distance avec tes émotions pour essayer d'avoir moins mal de voir ça, et ça lui a permis de te les dérober sans difficulté.
— Je suis navré que tu aies dû supporter ça…
— Par « ça », tu veux dire la vision de Jack tout nu ? Ou tes sentiments pour une femme que tu aimais plus que moi ?... le taquina-t-elle.
— Tout ! admit-il avec un air consterné.
— Il y a pourtant une bonne nouvelle dans tout ça… souligna-t-elle. Il est très clair que le Bad Wolf est de ton côté, c'est ton allié et il ferait tout pour toi. Il faut que tu y penses sérieusement car je crois que tu te mesures à forte partie cette fois.
Le Docteur ferma les yeux pour réfléchir, se massant les tempes pour essayer de calmer sa migraine naissante. Il était tout décoiffé à force de se passer la main dans les cheveux pour désespérer un petit peu.
— Il y a un truc que je ne comprends pas… réfléchit-il. Pourquoi la Bête ne t'a pas utilisée toi, plus que toute autre, contre moi ? demanda-t-il en relevant soudainement la tête.
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