Inquisition
Lédara se réveilla dans une petite chambre, allongée sur un lit confortable fait d’un matelas de paille recouvert de couvertures. Des draps propres et des peaux de bêtes la recouvraient, lui tenant particulièrement chaud avec le feu de cheminée qui se trouvait à quelques pas de son lit. Elle cligna plusieurs fois des yeux, s’extirpant de la brume qui enveloppait encore son esprit endormi, puis se redressa pour mieux observer le lieu où elle se trouvait : des peaux de bêtes recouvraient le sol et maintenaient la chaleur du feu dans la pièce ; une petite table sur laquelle étaient disposés des fioles et des onguents se trouvait en face de son lit, éclairée par le soleil qui filtrait au travers d’une fenêtre à sa gauche d’où elle pouvait voir un talus de neige avec le tronc d’un arbre, mais rien de plus. L’habitation semblait très simple et, mis à part le pépiement des oiseaux dans les arbres, le silence régnait.
Le bruit d’une porte s’ouvrant vint rompre ce silence et une elfe habillée chaudement et portant une caisse de linges qui venaient d’être lavés et encore humides fit son apparition dans la petite pièce. En voyant que la jeune femme était réveillée, l’elfe sursauta et laissa tomber son fardeau. La jeune elfe se mit à bégayer lorsqu’elle vit qu’elle la regardait, s’excusant plusieurs fois.
- Je ne savais pas que vous étiez réveillée, je vous le jure ! disait l’elfe, effrayée.
- Ne vous en faites pas, répondit Lédara qui voulait l’apaiser, c’est juste que…
La petite elfe s’effondra sur ses genoux, se prosternant devant la jeune femme :
- J’implore votre pardon et votre grâce ! Je ne suis qu’une simple domestique !
Lédara se tut et ne comprit pas pourquoi la jeune fille lui vouait autant de respect. Son dernier souvenir était qu’elle était prisonnière et considérée comme responsable du cataclysme qui ravageait le ciel. Elle s’assit sur le lit, l’une des peaux serrée contre sa poitrine et son corps nus, et regarda autour d’elle. Ses vêtements avaient été lavés et posés sur le dossier d’une chaise devant la cheminée, elle se rendit alors compte qu’elle-même avait été nettoyée des poussières et salissures, et que ses cheveux étaient propres et peignés. Elle regarda sa main gauche, espérant que tout ce dont elle se souvenait n’était peut-être qu’un rêve, mais la sensation étrange qu’elle y sentait ne lui donnait que peu d’espoir. En effet, la marque était lovée au creux de sa main, mais elle semblait plus calme, la douleur était bien moins vive et seules quelques lueurs s’en échappaient.
- Vous êtes de retour à Darse, noble dame, dit l’elfe en se relevant et ramassant les affaires qu’elle avait fait tomber ; elle semblait s’être calmée. On dit que vous nous avez sauvés, la Brèche a cessé de s’agrandir, tout comme la marque sur votre main. Les gens ne parlent que de cela depuis trois jours.
- Donc, vous dites que … les gens sont contents de moi ? demanda Lédara, un peu abasourdie par ce que lui racontait la domestique.
- Je vous répète simplement ce que j’ai entendu ! N’y voyez rien d’insidieux, répondit l’elfe d’un souffle.
La jeune domestique se releva tout à fait, pensant soudain à quelque chose :
- Je devrais aller prévenir dame Cassandra, elle avait dit : « Dès qu’elle ouvre les yeux ».
- Où est-elle ? lui demanda Lédara avec intérêt.
- A la Chantrie avec le Chancelier, « Dès qu’elle ouvre les yeux », finit-elle par répéter avant de s’enfuir en courant.
Lédara soupira en la regardant partir. Elle tendit ensuite le bras vers ses vêtements qu’elle déposa sur le lit à ses côtés, et commença à s’habiller. C’est à ce moment qu’elle put se rendre compte de tous les événements qu’elle avait subi depuis l’explosion : son pantalon était déchiré en plusieurs endroits sur les cuisses et les genoux et sa tunique avait dû être raccommodée aux épaules pour qu’elle tienne encore. Elle enfila son bustier de cuir dont les lacets ne pouvaient plus monter jusqu’en haut, dévoilant sa poitrine sous le mince voile de sa tunique. Elle mit ensuite ses bottes qui étaient encore en bon état comparé au reste de ses vêtements, puis elle enfila son manteau qui couvrit ses bras nus. Elle finit par son écharpe en lambeaux qui lui permit de cacher sa poitrine. Elle se dirigea ensuite vers la sortie et s’arrêta lorsqu’elle vit son reflet dans un miroir posé sur le petit bureau. Elle avait passablement maigri depuis la dernière fois qu’elle s’était vue, ses pommettes saillaient plus qu’à l’ordinaire, ses joues s’étant creusées ; elle avait un front régulier dont seule une cicatrice venait ternir la douceur des traits. Celle-ci commençait au-dessus de son arcade sourcilière, traversait l’arcade de son œil gauche et se finissait sur sa joue. Ses sourcils, un peu plus foncés que sa chevelure qui était d’une couleur atypique, oscillant entre le rouge du brasier et celui du sang, étaient joliment dessinés sans être disciplinés. Ses yeux juraient presque avec la couleur de ses cheveux, leur couleur bleu-vert d’une grande clarté lui donnant un regard lumineux et quasi hypnotique. Ses cheveux étaient complètement relâchés, lui arrivant jusqu’à mi-cuisses, et de petites mèches balayaient son visage. Elle décida de les attacher comme elle en avait l’habitude en une longue tresse serrée, disciplinant sa chevelure ondulée, couleur de feu.
Enfin prête, elle sortit et se retrouva dans le petit village de Darse où un impressionnant cortège l’attendait : tous les villageois s’étaient rassemblés devant la maison après l’annonce de la petite elfe comme quoi elle était réveillée, et des soldats maintenaient un passage libre pour la jeune femme parmi tout ce monde. Elle s’avança lentement, sentant des centaines d’yeux la dévisager. Des murmures parcouraient la foule comme un frisson parcourrait sa peau. Le passage laissé par les soldats menait à la Chantrie, mais, contrairement à son premier réveil, pas d’entraves ni de chaînes ne la maintenaient prisonnière. Elle jeta un œil dans le ciel clair parsemé de nuages et aperçut la Brèche qui tournoyait lentement. Cependant, celle-ci ne crachait plus de démons et les faisceaux de lumière qui la reliaient à la faille du Saint temple avaient disparu. Les murmures se faisant plus nombreux autour d’elle, elle détacha ses yeux de la Brèche et se dirigea alors vers l’église, espérant ne plus être livrée aux regards une fois dans le bâtiment.
Les portes s’ouvrirent à son arrivée et à son grand soulagement, il n’y avait pas d’autres villageois à l’intérieur, seulement quelques soldats et deux templiers devant la porte du fond. Elle marcha à travers la nef de l’église, ses pas résonnant dans l’immense bâtisse en pierre et en bois. Tout en s’approchant de la porte gardée, des voix se faisaient entendre de l’autre côté : elle reconnut celles du Chancelier et de la Chercheuse Cassandra.
« Avez-vous donc perdu la tête ? » dit le Chancelier Roderick, « elle doit être conduite à Val Royeaux immédiatement, et jugée par la nouvelle Divine ! »
« Je ne crois pas qu’elle soit coupable », dit Cassandra.
« La prisonnière a échoué, Chercheuse, lui rétorqua-t-il, la Brèche est toujours là, et si cela se trouve, c’est exactement ce qu’elle voulait. »
« Je n’y crois pas » s’obstina-t-elle.
« Ce n’est pas à vous d’en décider, votre devoir est de servir la Chantrie ! » lança-t-il.
« Mon devoir, comme le vôtre, cher Chancelier, est de servir les principes sur lesquels la Chantrie a été fondée », rétorqua-t-elle fermement.
Lédara était arrivée au niveau de la porte et les deux templiers la lui ouvrirent, l’accompagnant à l’intérieur. Au centre de la pièce se trouvait une table avec plusieurs livres et rouleaux de parchemin éparpillés, des torches éclairaient l’espace sans fenêtre, les ombres jouant sur les murs. Autour de la table se tenaient la Chercheuse Cassandra, Léliana et le Chancelier Roderick qui se disputaient.
- Enchaînez-la ! ordonna le Chancelier dès qu’il aperçut la jeune femme, je veux qu’on la prépare pour son procès à la capitale.
Les deux templiers saisirent les bras de la jeune femme qui se laissa faire, s’étonnant moins de cette réaction que de celle de la domestique et des villageois.
- N’en faites rien, entendit-elle sur sa gauche.
Elle n’avait pas remarqué la présence du Commandant ; il entra dans la lumière des torches, lançant un regard de défiance aux templiers qui relâchèrent immédiatement la jeune femme.
- Vous jouez avec le feu, dit amèrement le Chancelier.
- La Brèche est stable, rétorqua Cassandra, mais elle reste une menace, je refuse de fermer les yeux.
Lédara s’approcha de la table.
- Donc je suis une suspecte, même après ce que je viens de faire, dit-elle calmement, ses yeux fixés sur ceux du Chancelier afin de soutenir son regard accusateur.
- C’est ce que vous êtes, assurément, lui asséna celui-ci.
- Non, c’est faux, objecta Cassandra.
- Quelqu’un a provoqué l’explosion au Conclave, dit Léliana en s’approchant du Chancelier, quelqu’un que sa Sainteté ne soupçonnait pas. Peut-être qu’il est mort avec les autres…
- Ou qu’il a des alliés encore en vie, ajouta le Commandant.
- Vous me soupçonnez, moi ? s’écria le Chancelier, outré.
- Vous, et beaucoup d’autres ! lui répondit Léliana avec véhémence.
- Mais pas la prisonnière, s’énerva-t-il.
- J’ai entendu les voix dans le temple, dit Cassandra, la Divine l’a appelée à l’aide.
- Donc sa survie, cette chose sur sa main… Tout cela n’est que coïncidence ? lança ironiquement Roderick qui croisa ses bras de mécontentement.
- Non, c’est la providence, lui répondit sincèrement Cassandra, le Créateur l’a envoyée nous aider dans cette épreuve.
Dans la dispute, Lédara s’était un peu reculée pour observer ses interlocuteurs. Cassandra, Léliana et le Commandant semblaient donc la soutenir ? Elle avait peine à le croire, mais se sentit soulagée de ne plus être considérée comme l’ennemi numéro un de tout le royaume. Par contre, elle n’appréciait guère l’idée qu’elle était l’élue du Créateur, car il n’y avait aucune preuve à cela et elle ne se souvenait de rien. Cassandra s’était soudain tournée vers elle, la regardant avec cette lueur d’espoir qu’elle avait déjà aperçue lors de la fermeture de la première faille dans ses yeux :
- On a tout perdu… et puis, comme par enchantement, vous êtes arrivée.
- La Brèche est toujours là, intervint Léliana, et votre marque est notre seul espoir de la refermer.
- Ce n’est pas à vous d’en décider, s’obstina encore le Chancelier.
Cassandra prit un des livres qui se trouvait sur un coin de la table et le posa sèchement au centre, face au Chancelier Roderick :
- Vous savez de quoi il s’agit, Chancelier ? dit-elle en pointant son doigt sur le livre. Une ordonnance de la Divine qui nous autorise à agir en tant que Main Gauche et Main Droite de la Divine, respectivement Sœur Léliana et moi-même. A partir de maintenant, je déclare la renaissance de l’Inquisition. Nous refermerons la Brèche, nous trouverons les responsables et nous rétablirons l’ordre, avec ou sans votre approbation.
Elle s’était approchée du Chancelier d’un pas ferme en disant cela, et ce dernier reculait au fur et à mesure qu’elle avançait. Une fois acculé contre la porte, Roderick regarda l’assemblée d’un air dégoûté et sortit de la pièce, vaincu.
- Telles sont les instructions de la Divine, murmura Léliana, trouver ceux qui accepteront de se dresser face au chaos, et refonder la première Inquisition.
- On n’est pas prêts, on n’a ni dirigeant, ni effectifs, ni le soutien de la Chantrie, lança le Commandant.
- Nous n’avons pas le choix non plus, lui répondit Cassandra, on doit agir immédiatement, avec vous à nos côtés.
Elle s’était à nouveau tournée vers Lédara.
- Attendez…, qu’est-ce que vous appelez « la Première Inquisition » ? les interrogea cette dernière.
- Elle date d’avant la Chantrie, lui répondit Léliana, elle fut amenée à rétablir l’ordre dans un monde en proie au chaos.
- Puis, continua Cassandra, elle déposa les armes et fonda l’Ordre des Templiers. Mais celui-ci a également été corrompu. Aujourd’hui, le monde est à nouveau en proie au chaos.
- On a besoin de gens prêts à agir, à s’unir de nouveau sous le même étendard, finit par dire le Commandant.
- Mais vous faites toujours partie de la Chantrie ? leur demanda Lédara.
- Qu’est-ce qui vous fait croire cela ? répondit Cassandra un rictus aux lèvres.
- La nomination d’une nouvelle Divine, votre jugement et la prise d’une décision prendra du temps, lui répondit calmement Léliana.
- Temps que nous n’avons pas, coupa Cassandra. Non, nous sommes seuls, et ce peut-être jusqu’à la fin.
Lédara les regarda les uns après les autres, puis soupira.
- Je ne m’attendais certainement pas à cela en me réveillant, dit-elle.
- Nous non plus, la rassura la Chercheuse, aidez-nous à régler cela avant qu’il ne soit trop tard.
Cassandra tendit sa main vers elle. Lédara ne s’était véritablement pas attendue à tous ces événements et encore moins à rejoindre une organisation considérée comme hérétique par la Chantrie. Toutefois, c’étaient les seules personnes à vouloir faire quelque chose pour arranger la situation et elle ne pouvait rester les bras croisés à attendre que les choses se passent. Lédara empoigna la main que lui tendait la Chercheuse, déterminée à les aider dans cette folle quête où elle avait été embarquée malgré elle. Cassandra lui sourit, confiante.
- Bien, reprit la Chercheuse, Cullen, retournez au terrain d’entraînement, il faut réorganiser nos troupes.
- J’y retourne de ce pas, répondit le Commandant. Dame Trevelyan, suivez-moi, je vais vous montrer quelques emplacements importants à Darse pour vous y retrouver, et je vous mènerai également à l’armurerie pour vous fournir de nouveaux vêtements.
Le Commandant, dont le ton était distant et froid, avait déjà ouvert la porte quand il l’invita à le suivre et se mit à marcher d’un pas rapide que Lédara suivit en courant presque.
- Vous ne m’appréciez guère, je me trompe ? lui lança Lédara en le fixant du regard une fois arrivée à ses côtés.
- Je… Ne le prenez pas pour vous, je n’apprécie guère les nobles de manière générale, répondit-il de but en blanc sans jeter un seul regard à la jeune femme.
Lédara n’insista pas et tous deux sortirent de la Chantrie, qu’il expliqua être devenue le centre de commandement. Ils prirent le chemin de gauche descendant la colline et arrivèrent devant trois bâtisses transformées en maisons de soins, avec comme chef le guérisseur Adan. Ils ne s’y attardèrent point et arrivèrent devant une grande maison d’où sortaient des éclats de voix, c’était la taverne. Ils ne s’arrêtèrent pas et continuèrent jusqu’à arriver devant de lourdes portes qui étaient celles de l’enceinte du village. A ce moment, le ventre de Lédara émit un grondement qui ne semblait pas vouloir s’arrêter. Cullen stoppa sa course et se retourna vivement, la fixant de ses yeux mordorés. Lédara ne put que détourner le regard, gênée par la situation.
Sans une parole, Cullen attrapa au vol un soldat qui passait à côté d’eux et lui ordonna d’aller chercher un repas et de l’apporter au plus vite à l’armurerie. Une fois le soldat parti, la jeune femme eut un sourire timide mais reconnaissant pour le geste bienveillant du Commandant. Cette fois-ci, ce fut lui qui détourna le regard pour reprendre leur chemin vers l’armurerie, l’air imperturbable. Arrivés, il la confia au maître forgeron Harritt qui avait déjà préparé une tenue plus adéquate pour la jeune femme.
- Vous serez entre de bonnes mains, dit enfin Cullen. Quand vous serez prête, revenez à la Chantrie, nous discuterons de la suite des événements.
- Je vous remercie.
Elle le regarda s’éloigner ; son allure était un peu abrupte de prime abord, bâti comme un templier et la démarche sûre, mais derrière cette armure on pouvait déceler une certaine bienveillance et elle semblait voir dans ses yeux une douceur inattendue malgré la froideur avec laquelle il avait pu l’aborder depuis leur rencontre au Saint temple cinéraire.
Avec le recul, elle se rendit compte que Cassandra avait également cette bienveillance qui émanait d’elle, malgré la façon dont elle l’avait traitée lors de leur première rencontre. D’ailleurs, Lédara pouvait aisément lui pardonner de l’avoir prise comme suspecte, car elle aurait sûrement fait de même à sa place. Elle sentait que les événements de ces derniers jours n’étaient peut-être pas dus au hasard, que son destin était d’intégrer cette Inquisition. Mais seul le temps le lui dirait.
Elle prit la pile d’habits que lui tendait le maître Harritt ; celui-ci avait deviné d’un coup d’œil sa taille et lui proposa de se changer dans sa propre habitation, à côté de la forge. Elle acquiesça et se retrouva seule dans la modeste chambre du forgeron. Elle se déshabilla rapidement, contente de pouvoir enfin changer de vêtements car elle ressentait de plus en plus le froid s’insinuer en elle. Elle enfila d’abord un pantalon en peau de bélier qui s’avéra être parfaitement à sa taille. Elle mit ensuite une chemise de coton fin, renforcée au niveau des manches qui étaient doublées, suivie d’un bustier lacé sur les côtés et sanglé par devant ce qui lui permettait de l’ajuster au plus près de son corps et n’entravant pas ses mouvements. La maison n’étant que peu chauffée, elle enfila les bottes qui montaient jusqu’aux genoux, fines et de cuir solide.
Elle finissait de lacer sa deuxième chausse lorsqu’on frappa à la porte. Elle l’entrouvrit et vit que le soldat croisé plus tôt lui apportait un plateau couvert de victuailles. Elle le prit, remercia le jeune homme aux joues roses et referma aussitôt la porte. Elle avait à peine posé le plateau sur une petite table qu’elle commençait déjà à dévorer son repas. Les mets étaient simples, mais elle appréciait chaque bouchée, se rassasiant rapidement. Ce ne fut qu’après avoir fini de manger qu’elle reprit son habillement : elle enfila le manteau de cuir, sans manches, justifiant la doublure de celles de la chemise. Il était lui aussi fait de cuir de bélier, ce qui rendait l’habit plus solide mais cependant moins souple. Elle enroula une première petite écharpe autour de son cou, puis fit de la grande une ceinture ceignant toute sa taille, maintenant parfaitement sa posture. Des gants longs finissaient cette tenue qui semblait avoir été réfléchie pour elle.
Elle ressortit enfin. Le maître forgeron se tourna vers la jeune femme et sourit de contentement, voyant que sa confection lui allait comme un gant.
- Alors, lança Harritt d’une voix bourrue, comment trouvez-vous votre nouvelle tenue ?
- Chaude et agréable, j’apprécie, lui répondit-elle.
- J’ai entendu dire que vous maniiez l’arc ? continua le forgeron, une pointe de malice dans sa voix.
- En effet.
- J’ai ce qu’il vous faut, dit-il le regard brillant.
Le forgeron farfouilla dans un bric-à-brac de caisses pleines d’épées, de dagues et d’armes en tout genre. Il en tira d’abord une fine ceinture à poches qu’il tendit à la jeune femme qui l’accrocha autour de sa taille ; elle était déjà munie de plusieurs outils de crochetage et de survie en forêt. Il lui donna une dague qu’elle glissa à l’arrière de sa ceinture, puis prit un arc de chasse parmi d’autres, recourbé sur les extrémités, qui était posé contre la bâtisse. Il le tendit à Lédara qui testa la corde. Il semblait plus puissant et plus adapté à sa longue expérience d’archère. Maître Harritt lui prépara un carquois de flèches afin qu’elle puisse essayer sa nouvelle arme.
- Allez sur le terrain d’entraînement, en face, dit-il en pointant du doigt les cibles où quelques soldats s’entraînaient déjà.
- Je vous remercie pour tout, lui dit Lédara, reconnaissante ; le forgeron ne répondit que par un signe de tête.
Elle se dirigea vers les cibles, rejoignant les autres archers. En la voyant arriver, tous s’arrêtèrent et un nouveau murmure parcourut l’assemblée. Toutefois, elle s’aperçut que les rumeurs ne portaient pas uniquement sur la marque lumineuse, mais également sur sa frêle silhouette de femme. Qu’est-ce qu’une jeune femme comme elle pourrait apporter aux combats de l’Inquisition ? Elle avait cette marque magique, mais pouvait-on réellement s’y fier ? Lédara fit mine de ne pas s’en rendre compte ; elle prit une flèche, l’encocha et banda son arc au maximum. Elle visa et en moins d’une seconde, elle atteignit sa cible. Sa tenue ne limitait nullement ses mouvements, les rendant fluides et précis ; son arc était adapté, mais manquait tout de même de rodage.
Tous les soldats avaient retenu leur souffle, ils se regardaient, effarés, car ce n’était pas une des cibles d’entraînement qu’elle avait visé, mais un lièvre qui se trouvait à quelques dizaines de mètres plus loin caché parmi les arbres. Elle l’avait abattu d’un seul trait. Elle alla chercher son butin, le chargea sur le côté, et en revenant sur le terrain, demanda qui s’occupait des cuisines. Les soldats lui indiquèrent la direction d’une tente à l’intérieur du village, encore abasourdis par ce qu’ils venaient de voir, mais finalement rassurés.
Lédara passa les portes de Darse et déposa la carcasse du lièvre sur l’une des tables de la tente des cuisines. Elle était tenue par plusieurs elfes qui, en voyant l’animal, la remercièrent et s’activèrent pour compléter le repas du soir. La jeune femme les laissa faire, s’éloignant de la tente ; en se retournant, elle vit Varric qui semblait marchander avec un homme élancé, blond et dont le visage traduisait une forte contrariété. Ce dernier partit non sans lâcher quelques jurons, laissant le nain satisfait de son négoce. Il avait bien l’allure d’un nain, robuste, le visage carré. Il ne portait plus sa veste de cuir, mais seulement sa chemise rouge ouverte sur son torse velu, il ne craignait nullement le froid. Elle s’approcha de lui, et celui-ci, non mécontent de son opération, lui dit :
- Bon, maintenant que Cassandra ne nous entend plus… Vous vous sentez comment ? Parce qu’il n’y a pas si longtemps, vous étiez la criminelle la plus recherchée de Thédas, et maintenant vous rejoignez les armées des fidèles… La plupart des gens auraient étalé cela sur plusieurs jours.
- A vrai dire, je m’y perds moi-même, répondit-elle.
- Vous n’êtes pas la seule, fit-il en se relevant, cela fait des jours maintenant qu’on voit sortir de la Brèche des hordes de démons et je ne sais quoi d’autre. Ce n’est pas ce qu’il y a de mieux pour le moral des troupes, vous voyez. Je ne sais pas comment c’est possible d’aller là-dedans et d’en ressortir vivante.
- Si c’était si terrible, pourquoi êtes-vous resté ? lui demanda-t-elle en haussant un sourcil, Cassandra vous a dit que vous étiez libre de partir.
- J’aime à penser que je suis quelqu’un de foncièrement égoïste et irresponsable, mais là… des milliers de gens sont morts sur cette montagne, j’ai failli être l’un d’entre eux. Et maintenant, il y a un trou dans le ciel. Cette fois, je ne peux pas tourner les talons et laisser les choses se régler d’elles-mêmes.
La réponse de Varric était sensée, mais néanmoins courageuse.
- Je ne réalise pas vraiment ce qui m’est arrivé, ce qui arrive, confia-t-elle alors au nain.
Lédara lança un regard sur la Brèche dans le ciel, puis reprit :
- Mais nous devons refermer la Brèche, et le plus tôt sera le mieux.
- A supposer que cela soit possible, rétorqua Varric. Si l’occasion se présente, vous feriez peut-être mieux de fuir. J’ai écrit assez de tragédies pour savoir où tout cela va nous mener. On ne manque pas de héros, je le sais bien. Mais ce trou dans le ciel ? Cela dépasse tous les héros réunis ; c’est un miracle qu’il nous faut.
Lédara soupira ; le nain avait peut-être raison, tout cela avait de grandes chances de finir mal. Cependant, elle ne pouvait pas se résoudre à partir ainsi. Elle se devait de faire quelque chose, d’aider dans la mesure de ses moyens, aussi petits pouvaient-ils être.
Elle repartit en direction de la Chantrie, comme le lui avait demandé le Commandant plus tôt dans la journée. Le soleil avait déjà commencé à décliner à l’horizon, les jours se faisant très courts en cette période de l’année. Elle entra dans l’église où l’attendait déjà la Chercheuse. Les deux femmes se dirigeaient vers la salle de commandement, lorsque Lédara enleva son gant pour observer la marque dans sa main. Celle-ci la faisait moins souffrir depuis que la faille du temple avait été refermée, mais une sensation étrange persistait.
- Cela vous gêne ? demanda Cassandra, la regardant du coin de l’œil.
- Cela n’a pas refermé la Brèche, répondit la jeune femme.
- Ce qui compte, c’est que votre marque soit maintenant stable, tout comme la Brèche. Vous nous avez offert le luxe du temps, et Solas pense qu’une deuxième tentative pourrait aboutir, à supposer que la marque ait encore des forces. Le genre de puissance qui a ouvert la Brèche. Cela ne va pas être facile à trouver.
- Cela ne risque-t-il pas d’aggraver les choses ? l’interrogea Lédara.
- Et c’est moi qu’on traite de pessimiste, ricana la Chercheuse.
Elles entrèrent dans la petite pièce sans fenêtre où Léliana et Cullen se trouvaient déjà, accompagnés d’une troisième personne que Lédara n’avait encore jamais rencontrée.
- Vous connaissez déjà le Commandant Cullen, présenta Cassandra, il dirige les forces de l’Inquisition.
- Ce qu’il en reste, répondit-il, nous en avons perdu une bonne partie dans les combats contre les démons. Mais je suis ravi que vous ayez rejoint l’Inquisition, ajouta-t-il rapidement en faisant un signe de tête à la nouvelle venue.
- Voici dame Joséphine Montilyet, continua Cassandra, notre Ambassadrice et chef de la diplomatie.
- J’ai beaucoup entendu parrrler de vous, rrravie de vous rrrencontrer, dit la jeune femme.
C’était une noble des contrées antivanes sans le moindre doute ; son accent la trahissait, et sa tenue de drapés or et bleu était une mode bien connue chez les nobles d’Antiva. Elle était petite, la peau métisse et les cheveux d’un noir profond, retenus en un chignon avec des tresses sur les côtés. Elle avait une tablette de scribe dans son bras gauche, avec encrier et bougeoir intégré, et tenait une plume d’oie de la main droite, prête à écrire.
- Et bien sûr, vous connaissez sœur Léliana, termina Cassandra.
- Mon poste ici exige un certain degré de… commença Léliana tout en pesant ses mots.
- C’est notre Maître-espionne, la coupa la Chercheuse, abrupte.
- Voilà. Merci pour votre tact, Cassandra.
- Enchantée de faire votre connaissance, dit Lédara en saluant l’assemblée.
Léliana ôta sa capuche, dévoilant enfin son visage à la jeune femme. Elle devait avoir trente-cinq ans, peut-être plus, des petites ridules naissant aux coins de ses yeux bleu électrique. Ses cheveux coupés au carré étaient d’un roux vif, lisses et d’une extrême finesse, durcissant les traits de son visage qui étaient eux-aussi fins. De petites taches de rousseur parsemaient ses joues et son nez en trompette. Toute sa personne dégageait une expérience et un vécu qu’on ne pouvait imaginer, allant bien au-delà de sa jeunesse présumée.
- Je vous ai dit que votre marque avait besoin de plus de puissance pour refermer définitivement la Brèche, poursuivit Cassandra, entrant dans le vif du sujet.
- Ce qui veut dire qu’on va devoir solliciter l’aide des mages rebelles, dit Léliana d’un ton catégorique.
- Je ne suis pas d’accord, rétorqua Cullen, les templiers suffiraient amplement.
- On a besoin d’une magie puissante, Commandant, lança Cassandra, assez pour que la marque…
- Nous détruise tous, la coupa-t-il avec véhémence. Les templiers pourraient contrôler la Brèche, l’affaiblir pour…
- Ce n’est que pure spéculation, s’écria Léliana agacée.
- J’ai été templier, répliqua-t-il encore, je sais ce dont ils sont capables.
- Malheurrreusement, les interrompit l’Ambassadrice Montilyet, les deux grrroupes rrrefusent encore de nous adrrresser la parrrole. La Chantrrrie condamne l’Inquisition… Et vous, en particulier, ajouta-t-elle en se tournant vers Lédara.
- Ils me croient toujours responsable, soupira la jeune femme.
- Ils ne devraient pas plutôt s’occuper de qui sera la prochaine Divine ? demanda le Commandant, sarcastique.
Joséphine l’ignora et continua :
- Cerrrtains vous appellent la « Messagère d’Andrasté »… Cela effrrraie la Chantrrrie. Les prêtrrresses ont crrrié au blasphème et nous ont accusés d’hérrrésie pour vous avoir abrrritée.
- Certainement sous l’influence du Chancelier Roderick, grogna Cassandra.
- Ce qui nous laisse peu de choix, continua Joséphine imperturbable, solliciter l’aide des mages ou des templiers est actuellement horrrs de question.
Lédara avait tiqué sur le titre qu’on lui donnait. Cela expliquait les murmures entendus dans tous le village sur son passage, mais elle ne comprenait pas pourquoi on lui avait donné ce titre saint.
- Et je peux savoir en quoi je suis la « Messagère d’Andrasté » ? demanda-t-elle en appuyant ses mots tout en jetant un regard perplexe à l’Ambassadrice.
- Les gens ont vu ce que vous avez fait au temple, lui répondit Cassandra, ils vous ont vue arrêter l’extension de la Brèche. Ils ont aussi entendu parler de la femme aperçue dans la faille quand on vous a retrouvée. Ils pensent qu’il s’agissait de la prophétesse Andrasté.
- Même si on essayait de démentir cette rumeur, commença Léliana.
- Ce qui serait absurde, la coupa encore Cassandra.
Les deux femmes se regardèrent, se défiant l’une l’autre, puis sœur Léliana reprit :
- Bref, tout le monde ne parle que de vous.
- Sacré titre… marmonna Cullen.
- Vous pouvez le dire…, lui répondit Lédara contre toute attente du Commandant. Je ne sais pas trop quoi en penser à vrai dire. C’est… déroutant.
- La Chantrie serait d’accord avec vous, dit-il en esquissant un sourire, le premier qu’elle ait pu voir émanant de lui.
- Les gens ont désespérément besoin d’espoir, reprit Léliana, et pour beaucoup, c’est ce que vous représentez.
- Pour les autrrres, vous êtes le symbole de la déchéance, ajouta platement l’Ambassadrice.
- Donc, si je n’étais pas dans l’Inquisition… réfléchit Lédara.
Elle était désappointée par tout ce qu’elle venait d’entendre ; elle qui voulait passer inaperçue et aider par ses simples moyens, c’était un choc et la situation lui faisait peur. Mais le Commandant reprit vivement :
- Soyons réalistes : ils nous auraient censurés de toute façon.
- Vous êtes là, et c’est comme cela, ajouta Cassandra.
- Il y a bien quelque chose que vous pourriez faire, dit mystérieusement Léliana. Une prêtresse de la Chantrie, Mère Giselle, a demandé à vous parler. Elle n’est pas loin. Elle est bien plus informée que moi, son aide pourrait nous être précieuse.
- Pourquoi un membre de la Chantrie voudrait aider des hérétiques ? lança Lédara d’un ton sceptique.
- D’après ce que je comprends, reprit Léliana, elle est connue pour sa droiture. Elle ne partage peut-être pas l’avis de ses sœurs. Mère Giselle se trouve auprès des blessés des Marches Solitaires, non loin de Golefalois, en région féreldienne.
- Tant que vous serez là-bas, saisissez la moindre occasion d’étendre l’influence de l’Inquisition, ajouta abruptement Cullen.
- Nous avons besoin d’agents pour élargir notrrre portée au-delà de cette vallée, expliqua alors Joséphine, et vous êtes la mieux placée pour les rrrecruter.
- En attendant, on ferait bien de réfléchir à d’autres solutions, conclut Cassandra, mieux vaut ne pas se reposer entièrement sur « la Messagère ».
Léliana et Joséphine quittèrent immédiatement la pièce, retournant à leurs affaires laissées en suspens. Le Commandant partit également de son pas assuré, laissant Cassandra et Lédara seules dans la petite salle. La Chercheuse l’invita à venir manger avec elle à la taverne, invitation que la jeune femme déclina, prétextant la fatigue. Elle avait surtout besoin de digérer toutes les informations qu’elle venait d’entendre, et surtout cette histoire de « Messagère d’Andrasté » qui ne lui plaisait guère. Quand elle sortit de la Chantrie, la nuit était tombée depuis une petite heure. Les étoiles parsemaient lentement le ciel étrangement illuminé par la Brèche. Les gens s’activaient encore dans le village, les recrues retournaient à leurs baraquements improvisés. La jeune femme erra dans les rues terreuses de Darse, entendant encore par-ci par-là des rumeurs sur la « Messagère ».
Elle n’aimait pas ce titre : elle ne se souvenait de rien, et ne pouvait donc rien affirmer ou au contraire infirmer. Seul le vague souvenir d’avoir vu une femme derrière elle subsistait, mais en aucun cas elle ne se hasarderait à clamer que c’était la divine Andrasté, ni que la marque qu’elle portait venait d’Elle ou du Créateur. Son errance, ainsi perdue dans ses pensées, la mena aux fortifications du village ; elle grimpa sur le mur d’enceinte et se trouva un endroit à l’écart d’où elle pouvait observer les allées et venues et en même temps être à l’abri des regards. Elle s’y assit, dos contre une tour en ruine et se laissa bercer par la musique de la nuit. Elle écouta le bruissement du vent dans les arbres, les rumeurs des discussions des soldats, un loup hurla au loin dans la forêt. Elle regarda les étoiles mener leur course lente dans le ciel noir, et la Brèche qui était toujours présente, telle une menace en dormance. Elle ne sut pas combien de temps elle resta là, si elle s’était endormie ou non. Elle se leva, engourdie par le froid et retourna dans la chaumière qui l’avait accueillie.
Le jour se levait sur le village de Darse ; une effervescence nouvelle semblait mouvoir tous ses habitants, tous appliqués à leurs tâches respectives. La rumeur du ralliement de la Messagère à la cause de l’Inquisition avait donné un nouveau souffle aux fidèles. C’était dans cette atmosphère que Lédara parcourut le village à la recherche de tâches qu’elle pouvait effectuer en attendant le signal de la Maître-espionne pour partir dans les Marches Solitaires. Elle avait d’abord été voir l’intendante Threnn, se renseignant sur les besoins les plus urgents : la chasse au bélier et la récolte d’elfidée étaient toujours des tâches bienvenues. Adan, le guérisseur, l’avait littéralement chassée de « son territoire » puisqu’elle ne pouvait être « d’aucune utilité aux malades ». Elle partit donc en chasse dans la forêt qui bordait le lac gelé.
Les béliers s’étaient faits rares à cause du froid grandissant. Ils descendaient de plus en plus bas dans les plaines, et elle ne croisa la route que d’une mère et de son petit. Elle ne les prit point en chasse, laissant les deux béliers rejoindre leurs pairs dans la vallée où ils pourraient se nourrir plus facilement. Elle se rabattit donc sur la récolte de l’elfidée. Cette plante était reconnaissable par ses feuilles en forme d’oreilles pointues, d’où leur nom dérivé des elfes. Elle arpenta l’orée du bois et les rives du lac qui étaient les endroits les plus propices à la croissance de cette plante aux vertus médicinales incontestées. Cette récolte l’amusait car elle lui permettait de faire un pied-de-nez au guérisseur Adan. Mais cela permettrait surtout à nombre de gens de guérir de leurs blessures ou de soulager leurs souffrances. C’est ainsi qu’en début d’après-midi, elle revint au village avec quatre sacoches remplies de cette herbe, pour la plus grande joie des guérisseurs sous la tutelle du guérisseur en chef, qui ne lui accorda cependant qu’un bref signe de tête en guise de remerciement.
Ceci fait, elle erra à nouveau en quête d’une tâche à effectuer ; elle devait aider, quelque chose l’y poussait inconsciemment. Elle atterrit sur les terrains d’entraînement : les soldats apprenaient à combattre à l’épée et au bouclier, sous le regard d’un soldat gradé, un lieutenant peut-être. Ils répétaient leurs mouvements inlassablement, les perfectionnant à chaque nouvel enchaînement : coup – blocage – contre-attaque. Lédara s’était adossée au muret des escaliers de l’enceinte, se laissant hypnotiser par le bruit des armes qui s’entrechoquaient et les mêmes mouvements effectués par les soldats, éreintés. Puis elle le vit. Le Commandant circulait au milieu de ses troupes en exercice, donnant ses consignes, rabrouant certains pour des mouvements erronés, montrant l’exemple. Il avait le regard sévère, concentré sur son travail, mais aussi sur les rapports que lui apportaient des éclaireurs. Son esprit était sur plusieurs fronts à la fois, mais il restait imperturbable. Ses cheveux châtain, ramenés en arrière pour ne pas gêner sa vue, brillaient sous le soleil automnal. Il était à la fois impressionnant et intriguant. Toutefois, Lédara n’osait l’aborder après ce qu’il lui avait dit la veille et continua d’observer l’entraînement des soldats.
Puis elle aperçut la Chercheuse qui s’entraînait contre des mannequins de paille, un peu à l’écart. Son visage était sévère, accentué par ses traits anguleux et ses cheveux noirs coupés courts. Les quelques petites rides autour de ses yeux et autour de sa bouche dévoilaient son âge mûr, elle devait approcher de la quarantaine. Une balafre sur sa joue gauche venait assombrir le tableau, et une cicatrice, plus petite, soulignait sa pommette droite, témoins de combats qu’elle avait dû mener plus jeune. Celle-ci semblait plus en train de se défouler que de parfaire ses techniques de combat. Lédara décida d’aller la voir.
Elle s’approcha lentement de Cassandra ; celle-ci l’avait vue, mais elle ne s’arrêta pas. Elle continuait à donner des coups violents sur le pauvre mannequin, le débitant en morceaux de plus en plus petits.
- Inquiète ? demanda Lédara, devinant les pensées de la guerrière.
- C’est si évident ? dit la Chercheuse de sa voix légèrement éraillée, sarcastique.
- Je crains que oui, lui répondit la Messagère, le sourire aux lèvres.
Cassandra abattit à nouveau son épée sur le mannequin d’entraînement, lui arrachant le bras droit déjà largement abîmé.
- Est-ce que j’ai fait ce qu’il fallait ? s’interrogea la Chercheuse, ce que j’ai déclenché pourrait détruire tout ce que j’ai toujours vénéré. Et si, un jour, les livres d’Histoire me décrivaient comme une traitresse, une folle, une imbécile ? Ils auraient peut-être raison…
- Qu’est-ce que vous dit votre foi ? dit Lédara qui avait ressenti en la Chercheuse le besoin de faire le point, et surtout qu’elle était disposée à lui livrer le fond de ses pensées.
- Je crois que vous êtes innocente. Je crois qu’on ne sait pas tout ce qu’il se passe. Et je crois que personne d’autre ne veut y faire quoi que ce soit. Les gens préfèrent marcher dans les flammes et se plaindre de la chaleur. Mais est-ce que c’est vraiment la volonté du Créateur ? On ne peut que le supposer.
Cassandra ponctuait chacune de ses phrases par un coup d’épée, évacuant la tension accumulée depuis bien plus longtemps que l’explosion au Conclave.
- Vous ne croyez pas que je sois la Messagère d’Andrasté ? demanda Lédara, curieuse de connaître son point de vue.
- Je crois que vous avez été envoyée pour nous aider. Je l’espère. Mais les voies du Créateur sont impénétrables. Il est parfois difficile de savoir à qui cela profite vraiment, et comment.
Un court silence s’ensuivit. Sa réponse inquiétait un peu Lédara car elle pouvait refléter ce que pensaient d’autres gens, ce qui les avait menés à la surnommer « la Messagère d’Andrasté ». Toutefois, Cassandra restait pragmatique de par sa fonction, ce qui rassura la jeune femme.
- Vous n’aviez pas d’autre choix, reprit Lédara en répondant à ses premières interrogations.
- Vous en êtes sûre ? l’interrogea Cassandra qui se tourna tout à coup vers elle en laissant tomber son épée au sol. Mes instructeurs m’ont toujours dit : « Cassandra, vous êtes trop effrontée. Réfléchissez avant d’agir. » Je vois ce qu’il faut faire, et je le fais ! Je ne vois pas l’intérêt de tourner autour du pot. Mais je me suis trompée sur vous, au début, j’ai cru que la réponse était en face de moi. Je ne peux plus me permettre d’être aussi négligente.
- Ce n’est pas comme si vous n’aviez aucune raison de vous méfier, lui répondit la Messagère, lui pardonnant indirectement de l’avoir traitée en prisonnière.
- J’étais décidée à trouver un responsable, quel qu’il soit, se justifia la Chercheuse.
Elle se détourna pour ramasser son épée, puis s’arrêta soudain.
- Vous dites que vous ne croyez pas avoir été choisie, mais… croyez-vous en le Créateur ? demanda-t-elle à Lédara en se retournant vers elle et en la regardant droit dans les yeux.
- Je crois qu’il existe, oui.
- C’est… rassurant, soupira Cassandra, presque soulagée. Je préfère croire qu’on a été mis sur ce chemin pour une bonne raison. Reste à voir où il nous mènera.
A ce moment, un éclaireur s’approcha des deux femmes. Il tendit une tablette de cire à la Chercheuse Pentaghast qui la lut rapidement avant de la rendre avec un signe de tête positif au messager qui repartit aussitôt.
- Léliana a reçu des nouvelles des Marches Solitaires. Préparez-vous à partir dans une heure.