Inquisition
Rapport des Marches Solitaires :
Nous avons fait de notre mieux pour éviter les combats, qui s’avèrent aussi sanglants que nous le craignions. Les apostats ont perdu la tête, ils attaquent tout ce qui bouge, et il semble que les templiers aient cessé d’obéir aux ordres. Nous avons localisé Mère Giselle et mettons tout en œuvre pour la protéger, mais elle refuse d’abandonner les réfugiés à leur sort. Il nous sera difficile de les conduire en lieu sûr sans l’aide des troupes pour repousser les apostats et les templiers.
Le Commandant Cullen m’a demandé de solliciter l’aide de Maître Dennet, un ancien palefrenier de Golefalois qui vit dans la région. Nous avons tenté de le contacter afin de nous procurer de meilleurs chevaux pour l’Inquisition, mais les combats nous barrent la route.
Eclaireuse en chef Harding
Ils étaient à nouveau réunis, la Chercheuse Cassandra, Lédara Trevelyan, Varric Téthras et Solas, accompagnés d’une demi-douzaine de soldats. Ils avaient pratiquement atteint le campement principal de l’Inquisition dans les Marches Solitaires. Plus bas dans les plaines, l’hiver n’était pas encore installé, tous les arbres arboraient encore leur feuillage mordoré de l’automne, et les béliers paissaient paisiblement… ou presque. Partout dans la région des apostats et des templiers s’affrontaient dans des combats sans issue autre que la mort, dans la forêt, au bord des rivières et des ruisseaux, dans les villages même. Personne n’était à l’abri de croiser un groupe de templiers ou de mages rebelles. Le pire, c’était qu’ils s’attaquaient aux innocents, pillant leurs ressources et saccageant leur foyer.
C’était le troisième jour de marche des compagnons, ils avaient laissé derrière eux les quelques chevaux qu’avait pu se procurer l’Inquisition, les réservant exclusivement aux éclaireurs de la Maître-espionne. Le groupe devait arriver au campement avancé des Marches Solitaires en début d’après-midi où l’Eclaireuse en chef Harding les accueillerait et leur exposerait la situation. Cassandra marchait à l’avant, menant le groupe, suivie de près par les soldats ; Varric tenait ses distances avec la Chercheuse : même s’il aimait à la charrier, il savait qu’elle pouvait ne faire qu’une bouchée de lui. Lédara suivait le groupe : marcher ainsi en silence ne l’aidait pas à faire le vide dans son esprit. Elle ne cessait de retourner dans tous les sens la situation dans laquelle elle se trouvait… Voyant l’inquiétude se dessiner sur son visage, Solas s’approcha d’elle.
- L’Elue d’Andrasté, envoyée pour assurer notre salut à tous, résuma-t-il en souriant.
- Il ne me manque plus qu’un beau destrier, lui répondit-elle sur le ton de la plaisanterie.
- En effet, un griffon serait parfait ! renchérit l’elfe, dommage qu’ils soient éteints. Plus sérieusement, la forme est aussi importante que le fond. J’ai parcouru l’Immatériel, de ruines antiques en champs de bataille, explorant et revoyant des guerres célèbres ou oubliées de ce monde. Chaque grande guerre a ses héros, je me demande simplement quel genre vous serez.
- Comment cela, « de ruines antiques en champs de bataille » ? demanda Lédara, intriguée.
- Chaque édifice est empreint d’histoire, chaque champ de bataille de ses morts, expliqua calmement Solas. Les esprits se regroupent en ces endroits, affaiblissant le Voile qui nous sépare de l’autre monde. Quand je rêve en ces lieux, je voyage dans les profondeurs de l’Immatériel. Je peux retrouver des souvenirs que nul autre être vivant n’a jamais vus.
- Vous dormez dans les ruines ? s’exclama Lédara, n’est-ce pas dangereux ?
- J’installe des protections. Et puis, si vous laissez de quoi manger aux araignées géantes, en général, elles vous laissent tranquille, ajouta-t-il en esquissant un sourire.
- C’est incroyable, pensa tout haut Lédara, vous devez rencontrer beaucoup d’esprits… et de démons.
- En effet, mais je n’échangerais pour rien au monde l’excitation que je ressens à la découverte de souvenirs enfouis dans l’Immatériel.
Solas médita un peu tout en marchant aux côtés de la jeune femme, puis continua :
- Tout compte fait, je vais rester.
- Car vous pensiez partir ? s’étonna la jeune femme.
Solas lança un regard en direction de la Chercheuse.
- Je suis un apostat au beau milieu d’une rébellion de mages. Cassandra est bien obligeante, mais vous comprenez ma prudence.
- Elle est raisonnable, lui répondit Lédara en jetant elle aussi un œil sur la Chercheuse, elle vous fait confiance et ne laisserait personne vous enfermer dans un Cercle.
- Merci, cela me touche, dit Solas étonné de la réaction de la jeune femme. Espérons que les mages ou les templiers aient suffisamment de pouvoir pour refermer la Brèche, conclut-il.
L’elfe pressa le pas et rejoignit l’avant du groupe. Lédara le trouvait bien mystérieux, mais c’était noble de sa part, au vu de la situation, d’offrir ainsi son aide sans rien attendre en retour.
Le groupe passa une nouvelle colline et aperçut enfin en contrebas le campement de l’Inquisition. Tous pressèrent le pas, contents d’arriver à destination. Sur place, il y avait déjà une douzaine de soldats au repos, attendant les ordres de déploiement. Les tentes étaient nombreuses, et il y avait tout le nécessaire pour se réapprovisionner en armes, flèches et potions en tout genre. Dans une petite alcôve était installé le centre de commandement, avec plusieurs tables jonchées de papiers et rouleaux de parchemin : l’une était dédiée aux réquisitions, les autres aux rapports des éclaireurs et soldats qui allaient et venaient dans la région. Devant ces tables, examinant la paperasse accumulée, se trouvait une jeune femme naine ; en entendant le groupe arriver, celle-ci se retourna, dévoilant un visage parsemé de taches de rousseur autour d’un petit nez aquilin. Ses yeux en amande étaient rieurs et d’un vert teinté de brun. Ses joues rondes ajoutaient à cette impression joviale qu’elle donnait au premier abord.
- La Messagère d’Andrasté ! dit-elle d’une voix suave, j’ai eu vent de vos aventures, comme tout le monde. On a appris ce que vous avez fait à la Brèche. C’est un honneur de vous rencontrer, ma dame. Eclaireuse Harding, de l’Inquisition, à votre service. Je… nous tous ici ferons tout notre possible pour vous aider.
La naine esquissa une brève révérence un peu maladroite, tout sourire.
- Harding, hein ? lança Varric amusé, vous êtes déjà allée à la Hauteville de Kirkwall ?
- Non, jamais, pourquoi ? répondit-elle intriguée.
- Pour un mauvais jeu de mots… Laissez tomber.
Cassandra poussa un grognement, excédée par les remarques inutiles du nain.
- Je commence à m’inquiéter de ce que l’on dit à mon propos, dit Lédara d’un ton badin, changeant de sujet.
- Oh, ne vous en faites pas pour cela, on dit seulement que vous êtes notre seul espoir dans tout Thédas, lui répondit Harding sur le même ton, appréciant l’humour de la jeune femme.
- Formidable, dit la Messagère, enjouée quoique un peu apeurée par sa réponse.
Harding adressa encore un large sourire à Lédara, puis se tourna vers les tables débordantes de parchemins.
- La situation est préoccupante ici, reprit-elle plus sérieusement, on est venu pour demander à l’ancien maître palefrenier de Golefalois de nous fournir des chevaux. J’ai grandi ici et tout le monde dit que les bêtes de Dennet sont les plus robustes et les plus rapides de ce côté-ci des Dorsales de Givre. Mais avec l’intensification du conflit entre mages et templiers, on n’a pas réussi à le contacter, on ne sait même pas s’il est encore vivant. D’un autre côté, Mère Giselle aide les réfugiés et les blessés au Croisement. D’après les derniers rapports, la guerre a également atteint cette région. Le caporal Vale et nos hommes font ce qu’ils peuvent pour protéger les gens, mais ils ne tiendront pas très longtemps. Vous feriez mieux d’y aller, il n’y a pas de temps à perdre…
Elle prit une des cartes sur la table devant elle et marqua les emplacements du Croisement et de la demeure de Dennet. Elle entoura également certains endroits stratégiques où des campements plus petits pourraient être installés, mais pour cela il fallait d’abord sécuriser les environs. Pour l’instant, toutes les forces étaient requises au Croisement, auprès des réfugiés. Enfin, à l’aide de croix, elle indiqua sur la carte les failles recensées jusque-là. De longues journées attendaient les quatre compagnons. Lédara put apercevoir d’autres cartes qui représentaient des régions plus vastes, dont une qui représentait le royaume de Férelden où ils se trouvaient actuellement. Une autre représentait le royaume d’Orlaïs, les deux pays étant séparés par les Dorsales de Givre, la plus grande chaîne de montagnes de la région.
Les membres de la petite équipe se reposèrent une petite heure avant de reprendre la route pour le Croisement où ils devaient rencontrer la Révérende Mère Giselle et où des soldats les rejoindraient un peu plus tard. Ils descendirent la colline, s’enfonçant au creux de la vallée. Au bout d’un certain temps, ils commencèrent à percevoir des bruits de combat. Ils se mirent à courir afin de rejoindre au plus vite la place. Le Croisement était assailli par un groupe de templiers d’une part et un groupe de mages de l’autre ; les villageois étaient pris malgré eux entre les deux feux, preuve du débordement flagrant de cette guerre insensée.
Rapidement le petit groupe se mit en position, Cassandra se dirigea vers les templiers étant la plus à même de les combattre, accompagnée de Lédara, tandis que Solas et Varric s’occupaient des mages. Heureusement, quelques soldats de l’Inquisition étaient déjà sur place, mais la venue des quatre compagnons n’était pas de trop. La Messagère se posta en hauteur sur un chariot, cherchant le point faible de ses adversaires. Malheureusement, face à des templiers aguerris, elle eut du mal à prendre l’ascendant sur eux, leur armure ne présentant pas beaucoup d’ouvertures. En revanche, cela ne l’empêchait pas de décocher ses flèches pour faire diversion pendant que Cassandra les attaquait à coups d’épée et de bouclier.
Soudain, un templier chargea contre la jeune archère, la déstabilisant et détruisant le chariot sur lequel elle était montée. Elle n’eut que le temps d’esquiver et sauta en arrière ; le templier chargea à nouveau et Lédara l’évita de justesse. Il brandit son épée et frappa lourdement contre elle. La jeune femme plongea en avant et courut derrière le templier tout en rangeant son arc dans son dos pour dégainer sa dague. Le templier se retourna prestement et se prépara à nouveau à charger. Lédara tenta alors de le blesser sur le côté quand il chargerait, mais c’était sans compter la défense parfaite que son adversaire déployait : non seulement elle ne réussit pas à le toucher, mais il la renversa du revers de son bouclier, l’assommant à moitié. Elle rattrapa sa dague et para son épée de justesse, pressentant les coups plutôt que ne les voyant, car sa vue avait été troublée sous le coup de bouclier qu’elle avait reçu. Tout à coup, elle vit le templier se renverser sur le côté, chargé par Cassandra ; celle-ci l’aida à se relever, et toutes deux achevèrent leur adversaire.
Solas et Varric, grandement aidés par les soldats de l’Inquisition, purent eux aussi venir à bout de leurs ennemis. Le calme revint enfin dans le village. Les enfants s’étaient réfugiés dans les habitations et un à un ils sortirent leur nez dehors, encore apeurés par les affrontements. Certaines femmes pleurèrent de joie quand elles retrouvèrent leur fils ou leur fille vivants, les ayant perdus de vue dans le chaos des combats. La tension s’apaisa peu à peu, mais les habitants et les réfugiés restaient sur le qui-vive.
Une femme d’un certain âge, vêtue des couleurs blanc et rouge de la Chantrie qui faisaient ressortir la couleur noire de sa peau, sortit d’une chaumière qui avait été transformée en maison de soin ; ce devait être la Révérende Mère Giselle que venait voir l’Inquisition ; la femme ne perdit pas de temps et se mit au chevet d’un soldat blessé qu’on avait allongé sur une civière disponible.
- Des mages vont soigner vos blessures, ne bougez pas, dit-elle d’une voix douce et apaisante au soldat dont le visage était couvert de sang.
- Ne… ne les laissez pas me toucher, Mère, leur magie… balbutia le soldat terrorisé par la violence des combats et des mages en particulier.
- Maniée avec bienveillance, leur magie n’est pas plus dangereuse que votre épée, le rassura la Révérende Mère.
- Mais…
- Chut, mon garçon. Laissez-les apaiser vos souffrances.
Le mage guérisseur qui accompagnait la Révérende Mère s’approcha alors du soldat et, apposant sa main sur la blessure, fit jaillir une lueur bleutée de sa paume et arrêta les saignements. Le soldat se détendit lentement, la douleur disparaissant sous l’effet de la magie.
La Chercheuse montra d’un mouvement de tête la prêtresse qu’ils étaient venus visiter et Lédara se dirigea alors vers elle, non sans appréhension.
- Mère Giselle ? demanda-t-elle, hésitante.
- C’est moi, répondit la prêtresse en se relevant. Et vous, vous devez être celle qu’on appelle la « Messagère d’Andrasté ».
- Je n’ai pas choisi ce surnom, répondit Lédara d’un ton abrupte.
- Hélas, répondit Mère Giselle en riant, nous décidons rarement de notre propre sort.
- Donc vous approuvez ? l’interrogea la jeune femme, perplexe.
- Je n’ai pas la prétention de connaître la volonté du Créateur. Mais je ne vous ai pas demandé de venir pour débattre de cela.
- Alors, pourquoi suis-je là ? demanda la Messagère.
- Je sais que la Chantrie a condamné l’Inquisition, répondit la Révérende Mère d’un ton grave, et je sais qui est derrière cette décision. Je ne vais pas vous mentir : certaines prêtresses sont très fières d’elles. Elles espèrent ainsi augmenter leurs chances de devenir la nouvelle Divine. D’autres sont simplement terrifiées. Nous avons perdu tant de braves innocents…
- Vous ne soutenez pas le reste de la Chantrie ? lança Varric, étonné.
- Sans Divine, nous devons toutes nous en remettre à notre propre conscience, lui répondit Mère Giselle avec sagesse. Et voilà ce que dit la mienne : allez voir les prêtresses, montrez-leur que vous n’avez rien d’un démon. Elles n’ont entendu que d’affreuses histoires vous concernant, donnez-leur autre chose à croire.
Lédara fixa la Révérende Mère avec perplexité : qu’avait-on bien pu raconter sur elle ? Déjà qu’elle n’appréciait pas qu’on lui accorde des grâces qu’elle n’avait peut-être jamais reçues, maintenant il se pourrait qu’on dise d’elle qu’elle était un démon. La jeune femme se tourna brièvement vers Cassandra qui avait l’air de méditer sérieusement les paroles de Mère Giselle.
- Selon vous, dit la Chercheuse, nous devrions chercher l’approbation de la Chantrie, et ce en utilisant « la Messagère » ?
- Rallier les prêtresses, ce n’est pas une si mauvaise idée, ajouta Solas.
- Vous voulez que je les charme ? s’exclama Lédara avec scepticisme tandis qu’elle voyait ses compagnons approuver l’idée.
- Je ne vous le dirais pas si je ne vous en croyais pas capable, lui répondit Mère Giselle. Vous n’avez pas besoin de toutes les convaincre, juste d’en faire douter quelques-unes. Leur seul pouvoir, c’est leur unité. Si vous leur enlevez cela, vous aurez tout le temps qu’il vous faut.
- Dérouter la Chantrie et nous gagnerons du temps, résuma Cassandra, c’est judicieux.
- A vous entendre, cela a l’air si simple, bredouilla Lédara qui ne voyait pas comment elle-même pourrait faire cela. Je n’ai aucun don, je n’ai aucune idée de si j’ai été envoyée par le Créateur comme tout le monde le prétend ou non…
- Honnêtement, la coupa Mère Giselle, j’ignore si vous avez été envoyée pour nous aider… mais je l’espère. L’espoir, c’est tout ce dont nous avons besoin en ce moment. Les gens entendront votre appel, car ils n’écoutent personne d’autre. A vous de faire de l’Inquisition une force libératrice, ou destructrice.
La Révérende Mère fit quelques pas, silencieuse, vers un autre blessé, puis ajouta :
- Vous me paraissez sincère. Je vais me rendre à Darse et donner à sœur Léliana les noms des prêtresses qui seraient disposées à vous rencontrer. C’est peu de choses, mais je ferai mon possible.
Cassandra remercia d’un signe de tête la Révérende Mère et s’avança vers la Messagère, lui suggérant de garder cela en mémoire pour en rediscuter auprès de l’Ambassadrice, du Commandant et de la Maître-espionne. Maintenant qu’ils avaient pu sécuriser le Croisement où se trouvait Mère Giselle, cette dernière pourrait quitter les lieux l’esprit plus tranquille, surtout avec l’arrivée d’un nouveau contingent de soldats.
La Chercheuse se dirigea vers le Caporal Vale qui menait les troupes dans la région afin de discuter de la situation ; Lédara l’accompagna.
La situation était précaire : les réfugiés arrivaient en masse de Golefalois et des autres villages aux environs car ils ne savaient pas où aller, leur nombre provoquant ainsi une pénurie de nourriture de plus en plus critique. De plus, la chasse devenait trop dangereuse avec les affrontements des mages et des templiers ce qui ne permettait pas un ravitaillement régulier. L’arrivée de l’hiver n’améliorait en rien la situation car les réfugiés qui logeaient dans les tentes souffraient de plus en plus du froid. Une jeune recrue nommée Whittle avait bien proposé de récupérer des fournitures laissées par les mages ou templiers renégats, voire des bandits de grand chemin, mais ils n’avaient pas assez d’hommes pour à la fois sécuriser la région et récupérer ce dont ils avaient besoin. D’ailleurs, une jeune éclaireuse, Ritts de son surnom, avait été portée disparue, fait qui ne rassurait pas les autres soldats. Une rumeur circulait également à propos d’une secte qui se serait établie dans un ancien château au Sud-Est, près du col de Fieunain ; c’était un réfugié elfe qui criait partout que son fils avait perdu la tête et qu’il les avait rejoints. Et pour parfaire le tableau, des failles avaient été aperçues à différents endroits, ajoutant des démons aux dangers déjà existants.
Après discussion, il fut décidé que le groupe que menait la Chercheuse s’occuperait des failles en premier lieu puisque la Messagère pouvait remédier à ce problème, puis de trouver les campements principaux des mages et des templiers afin de sécuriser les routes commerciales. Leur première destination fut alors une faille détectée non loin du Croisement, près du lac Luthias. Ce fut là que leur mission commença réellement : une fois la faille fermée et les démons chassés, Cassandra siffla étrangement et un corbeau vint se poser sur son bras. Elle attacha à l’une de ses pattes un court message qu’elle avait griffonné à la hâte et murmura quelque chose à l’oiseau qui repartit tout aussitôt.
Lédara lui jeta un regard interrogateur, auquel la Chercheuse répondit :
- Un message envoyé à Harding pour établir une position ici.
En effet, l’étendue d’eau se trouvait sur un promontoire surplombant une bonne partie de la vallée, dont le Croisement qui était bien visible. De là également, l’on pouvait surveiller les affrontements qui avaient lieu autour de l’ancien Fort Connor, transformé en champ de bataille par les templiers. A peine la garnison arrivée, la petite équipe reprit sa route en direction d’une autre faille, plus au sud.
A nouveau, Lédara referma d’un geste de sa main la déchirure dans le Voile. Elle commençait à prendre une certaine habitude, même si ce simple geste la fatiguait au fur et à mesure qu’elle le réitérait. Elle n’en montrait pourtant rien, prenant sur elle pour paraître au mieux de sa forme ; l’archère développait petit à petit sa concentration, contrôlant les vibrations magiques de la marque. Celle-ci ne réagissait plus aléatoirement et obéissait à la volonté de sa porteuse pour affaiblir les démons ou refermer les failles. Cependant, Lédara sentait que si elle relâchait un tant soit peu sa concentration, la marque pouvait s’emballer et causer de nombreux dégâts tout autour d’elle.
Les quatre compagnons de voyage reprirent leur route en direction d’une nouvelle faille ; ils s’éloignaient de plus en plus du fond de la vallée. Sur la colline au-dessus d’eux se trouvait un bastion abandonné. Ils décidèrent d’aller y jeter un œil afin de voir s’ils ne pouvaient pas l’utiliser comme campement ou comme point de regroupement pour l’Inquisition. Ils grimpèrent au sommet de la colline et, arrivés devant le bâtiment, ils se rendirent compte qu’il était en trop mauvais état pour en faire quoi que ce soit. Ils y entrèrent tout de même, espérant trouver des fournitures abandonnées qu’ils pourraient donner aux réfugiés.
L’endroit semblait désert depuis longtemps. Un ancien feu de camp se trouvait dans un des recoins les plus à l’abri du vent, à côté d’une tour qui était encore debout. Son entrée était cependant bouchée par des effondrements successifs, la rendant inaccessible. Lédara s’approcha malgré tout pour voir ce qu’elle pouvait contenir, réussissant à dégager une ou deux pierres pour observer l’intérieur.
- Il y a quelque chose de l’autre côté, dit-elle aux autres, cela pourrait être utile aux réfugiés du Croisement.
- On ne peut pas y entrer, laissez tomber, répondit Varric.
- Non, je suis sûre qu’on peut récupérer quelque chose, s’obstina l’archère.
Elle fit le tour de la structure et trouva un pan de mur plus détérioré que les autres. Elle grimpa de quelques mètres et découvrit un passage par le haut de la tour en ruines. Cassandra lui suggéra la prudence en y allant. Lédara atteignit le sommet et y trouva une échelle en assez bon état pour descendre à l’intérieur, là où elle avait aperçu les fournitures. Elle glissa le long de l’échelle et confirma à la Chercheuse sa trouvaille. Elle ramassait des couvertures et un petit coffre quand elle entendit un bruit suspect derrière elle. Elle fit comme si de rien était et saisit furtivement sa dague, quand soudain quelque chose lui sauta dessus, la plaquant contre terre.
- C’est un piège ! eut-elle juste le temps de crier.
Trois bandits s’étaient cachés dans les ruines de la tour et l’empêchaient de bouger ; de l’autre côté, elle entendit Cassandra dégainer son épée et combattre avec Solas et Varric à ses côtés. Ses ravisseurs avaient réussi à la désarmer et la maintenaient au sol, jaugeant leur nouvelle prise.
- Plutôt mignonne, non ? dit l’un d’un ton bourru.
- Personne ne la touche tant qu’on n’est pas sûr de notre prise, répondit celui qui semblait être leur chef. Faut que les autres nous débarrassent des trois boulets dehors, puis on récupère tout ce qui a de la valeur.
- On peut la garder celle-là, chef ? trépigna le troisième.
- D’accord, mais on partage, maugréa le chef.
On entendait la violence du combat à l’extérieur de la tour ; les bandits devaient être huit en comptant les trois hommes qui se trouvaient près d’elle. Lédara enleva discrètement son gant, voulant tenter le tout pour le tout. Une fois sa main gauche libre, elle se concentra sur sa marque, la faisant étinceler afin de repousser les trois rustres. Comme elle le souhaitait, des étincelles jaillirent de sa main, faisant se lever d’un bond les bandits.
- C’est quoi ça ! s’écria le chef des bandits.
D’un geste vif, elle récupéra sa dague et blessa l’homme le plus proche au bras, puis maintint en joug les trois malfrats en les menaçant de sa lame.
- C’est une mage, chef ! On n’a pas prévu le coup ! s’exclama un peu tard le premier.
- Vous en êtes où ? cria Lédara à ses compagnons.
Elle entendit un dernier coup d’épée trancher la chair.
- C’était des bandits, mais bien organisés apparemment, lui répondit Cassandra.
Les trois hommes se regardèrent : « C’était » ? Cela voulait dire que tous leurs hommes étaient morts, ils commencèrent alors à paniquer. Soudain, Solas apparut au sommet de la tour et figea l’un des bandits dans la glace. A ce moment, Lédara blessa le chef et le mit hors d’état de nuire, puis désarma le troisième resté hébété.
- Blessée ? lui lança Solas.
- Non, tout va bien, répondit Lédara.
L’elfe l’aida à ligoter les trois malfrats puis ils remontèrent tous deux l’échelle. Cassandra s’occupa de rédiger un message à l’attention de l’éclaireuse Harding pour signaler la présence des brigands maîtrisés sans jeter un regard à la pauvre Lédara qui avait honte d’être tombée dans ce piège. Elle s’excusa alors auprès de ses compagnons.
- Ne vous en faites pas, dit Varric, vous vouliez bien faire et on ne peut pas vous reprocher ça. Et puis… vous avez atteint votre objectif au final : on va pouvoir indiquer cet emplacement à la recrue Whittle pour les réfugiés.
Le nain lui fit un clin d’œil avec un grand sourire. L’incident était clos, et ils repartirent en direction du sud-est.
Des templiers et des mages s’affrontaient dans la forêt, et à chaque groupuscule rencontré, les quatre compagnons les combattaient et les chassaient afin de rendre la région un peu plus sûre.
Après une longue marche au travers des collines encore verdoyantes des Marches Solitaires, Solas leur montra du doigt un château fort à quelques pas de là. Ce devait être le point de ralliement de la secte dont parlait l’elfe au Croisement, là où s’était réfugié son fils. D’un commun accord, ils se dirigèrent vers l’entrée du château. Une vieille femme les accueillit et en voyant Lédara approcher, elle la reconnut comme la femme qu’on appelait la « Messagère d’Andrasté » à cause de la marque qui illuminait le creux de sa main toujours dégantée.
- C’est vous alors, dit la vieille femme, celle dont tout le monde parle. C’est vrai alors ? le Créateur ne m’a rien dit, à moi.
- Honnêtement, je n’en sais rien moi-même, répondit Lédara.
- Je m’en doutais, s’exclama la vieille femme. Ces histoires qui racontent que vous contrôlez les failles, ce ne sont que des délires d’hérétiques.
- Non, par contre, je sais refermer les failles, objecta la Messagère.
- Alors, prouvez-le ! Montrez-moi que les failles vous obéissent, qu’elles obéissent au Créateur. Faites-moi voir votre puissance.
Les quatre membres de l’Inquisition se regardèrent du coin de l’œil.
- Votre culte… quelles sont ses croyances, au juste ? demanda Varric à la vieille femme.
- En s’effondrant, la Chantrie a révélé ses imperfections. Le Cantique de la Lumière n’était qu’un mensonge. C’était arrogant de croire que des mortels pouvaient embrasser la volonté du Créateur. Désormais, on attend en silence. Le Créateur a ouvert le ciel, Il rappellera bientôt ses Elus dans la Cité d’Or par-delà le Voile. Mais entrez donc, vous êtes les bienvenus.
Lédara jeta un œil à Cassandra qui lui fit un signe de la tête pour avancer puisqu’on leur ouvrait les portes. Une fois hors de portée de la vieille gardienne, Solas se permit une remarque :
- Cela ne m’étonne pas que des gens vénèrent la Brèche… ne serait-ce que dans l’espoir de l’apaiser.
De nombreux pèlerins avaient trouvé refuge dans ce bastion, et tous priaient dans une même direction. Au fond de l’allée principale, une petite cour à l’abri des regards semblait faire l’objet de leurs prières : en s’approchant, les quatre compagnons virent une faille en son milieu, calme et sans démons. Solas passa devant pour observer le phénomène : la déchirure était très petite, ce qui expliquait peut-être qu’aucun démon n’en sortait. Il tourna autour, profitant de cette étrange situation pour analyser la faille. Cela ressemblait à un tissu que l’on aurait déchiré par mégarde, mais le tissu semblait être notre monde. Elle lévitait dans l’espace de la pièce, à presque deux mètres du sol, et une aura verte en sortait, ponctuée de petits éclats blancs. Si l’on s’approchait pour regarder au travers de la faille, l’on distinguait l’autre côté : l’Immatériel. Ce monde semblait être en perpétuel mouvement, réagissant aux sensations et émotions des personnes qui se trouvaient à proximité. Solas leva son bras et tenta de toucher la faille ; ses doigts ne purent cependant traverser l’interstice, une barrière invisible l’empêchant de passer physiquement de l’autre côté. Ces failles semblaient être de véritables ponts entre notre monde et le monde des rêves, mais tous ne pouvaient pas les traverser.
- Fascinant, murmura Solas.
L’elfe resta immobile à contempler la petite déchirure. Lédara s’approcha également pour observer elle aussi le phénomène. Elle regarda ensuite la marque qui crépitait doucement dans la paume de sa main ce qui lui causait une douleur tiraillante dans ses doigts et son bras.
- Notre but principal est de fermer la Brèche, continua Solas tout en réfléchissant, mais j’espère que nous découvrirons également ce qui a servi à la créer. Un artefact d’une telle puissance représente un grand danger. La destruction du Conclave en est la preuve.
- Vous ne pensez pas que cette explosion a détruit ce qui l’a déclenchée ? demanda la Messagère, intriguée.
- Vous avez bien survécu, non ? L’artefact qui a formé la Brèche ne ressemble à rien de connu dans notre ère. Je croirai sa destruction quand j’en verrai les fragments épars de mes propres yeux.
- Avec une telle puissance, il ne pourra pas rester caché bien longtemps, remarqua Lédara.
- Les hommes de Léliana ont passé la zone au peigne fin dans le rayon de l’explosion, précisa l’elfe, mais ils n’ont rien trouvé. Quelle que soit la nature de cet artefact, il n’est plus là.
Lédara observa Solas qui était fasciné par cette petite déchirure ; il semblait en savoir long sur la magie provenant du monde des rêves.
- Que savez-vous de l’Immatériel ? lui demanda-t-elle, observant elle aussi la faille.
- Mes voyages m’ont beaucoup enrichi. Je n’ai rien de très concret, mais je peux vous dire ce que j’ai appris.
L’elfe paraissait enclin à dévoiler son savoir, et semblait même éprouver un certain plaisir qu’une autre personne veuille le partager avec lui.
- Qu’est-ce que la Brèche exactement ? dit-elle alors intéressée.
- Il s’agit d’une déchirure dans le Voile entre ce monde et l’Immatériel, par laquelle les esprits peuvent physiquement pénétrer dans ce monde, mais je ne vous apprends rien. De petites déchirures comme celle-ci (il désigna la faille devant eux) surviennent quand la magie affaiblit le Voile ou quand les esprits s’agglutinent dans une zone qui a vu de nombreuses morts. Mais votre marque vous permet d’exercer un certain contrôle sur la Brèche. Ce qui signifie qu’elle a été créée volontairement.
- Le Voile serait donc une sorte de tissu qui peut se déchirer si on le tend trop ? imagina Lédara.
- Les mages du Cercle disent que c’est une barrière entre notre monde et l’Immatériel, indiqua Solas, c’est la version que vous devez connaître en tout cas. Mais d’après certaines connaissances elfiques auxquelles j’ai eu accès, cette théorie est très réductrice. Sans cela… Imaginez que les esprits puissent circuler librement, et que l’Immatériel ne soit pas un lieu, mais plutôt un phénomène naturel comme le vent.
- Dur à imaginer…
- Essayez, insista Solas. Imaginez que les esprits fassent partie intégrante de notre monde, comme… un fleuve tumultueux. Certes, un fleuve peut noyer un enfant imprudent, mais il peut aussi transporter les biens des marchands ou moudre la farine du meunier. C’est ce que pourrait être ce monde si le Voile n’existait pas. Pour le meilleur… et pour le pire.
La jeune femme fronça les sourcils, mais comprit l’image que voulait lui transmettre l’elfe.
- Les démons qui traversent les failles, pourquoi sont-ils si prompt à la violence ? lui demanda-t-elle alors, séduite par le point de vue de Solas.
- La Chantrie affirme que les démons haïssent le monde terrestre, et qu’ils cherchent à entraîner les vivants dans le chaos et la destruction. Mais ces simplifications ne sont qu’une interprétation erronée de leurs motivations et font du tort à tous. Les esprits souhaitent rejoindre les vivants. Un démon est le résultat de ce souhait qui a mal tourné.
- Alors, est-ce qu’on pourrait coexister ? réfléchit Lédara. Vivre ensemble, peut-être pas en paix, mais en tout cas sans ce genre de confrontation ?
- Pas dans le monde actuel, soupira Solas, le Voile érige une barrière qui rend toute compréhension mutuelle improbable. Mais c’est une bonne question, et je me réjouis que vous l’ayez posée.
Lédara regarda à nouveau la faille.
- Je peux la refermer, ou voulez-vous la regarder encore ? demanda-t-elle courtoisement.
- Non, allez-y, refermez-la. Nous ne savons pas si elle peut s’agrandir d’un coup et laisser des démons passer.
La Messagère prit une grande inspiration et brandit sa main contre la déchirure, qui se referma. L’opération lui prenait toujours un peu de force vitale, mais elle faisait en sorte de se ménager et déployait plus de concentration pour compenser.
Au moment où la faille disparut, tous les pèlerins, qui avaient continué à prier, poussèrent un cri : ils étaient tous impressionnés par ce qu’ils venaient de voir. Celle qu’on appelait la « Messagère d’Andrasté » contrôlait bel et bien les failles. La gardienne des portes accourut vers les quatre compagnons et s’excusa de ne pas les avoir crus. Elle s’agenouilla devant la Messagère, et tous suivirent son exemple. Lédara en fut très gênée et l’aida à se relever.
- Messagère, dit la gardienne, nous ferons tout ce que vous nous direz de faire. Vos paroles seront des ordres pour nous tous, et que le Créateur se rappelle de notre contribution.
Lédara se tourna vers Cassandra, la dévisageant pour essayer de savoir ce qu’elle devait faire, mais celle-ci lui fit un signe de tête indiquant qu’elle pouvait y répondre seule. La jeune archère réfléchit quelques secondes et décida de profiter de cette main-d’œuvre pour aider les réfugiés. Elle leur demanda donc qu’ils fassent leur possible pour les villageois, ce qu’ils approuvèrent. Les pèlerins insistèrent ensuite pour que la petite équipe reste et se restaure dans la cantine qu’ils avaient installée dans l’ancienne forteresse ; Varric était bien sûr partant, son ventre ne cessant de gargouiller depuis bien une heure de temps.
Ils en profitèrent pour réfléchir à leur prochaine action dans la région. Il fallait d’abord qu’ils fassent le point sur ce qu’ils avaient fait et qu’ils envoient un rapport à l’éclaireuse Harding, qui le retransmettrait à Darse. Cassandra se mit alors à la tâche, puis confia à nouveau le message à un corbeau.
******
Le corbeau planait en direction du village de Darse depuis plusieurs heures dans un temps clair et sans nuages, le soleil descendait à l’horizon. Sa trajectoire était connue, il savait ce qu’il avait à faire. Une fois la Chantrie en vue, l’oiseau entama sa descente jusqu’à arriver au-dessus d’un large pavillon. Il battit largement des ailes afin de ralentir sa course et vint se poser sur le bras ganté de la Maître-espionne. Il tendit sa patte alourdie d’un petit tube de cuir que sa maîtresse détacha avant d’envoyer l’oiseau se reposer dans les volières.
Léliana sortit le fin rouleau de parchemin et le parcourut rapidement des yeux avant de le replier à nouveau et de se diriger vers les portes de la Chantrie.
- Tenez-moi la porte, entendit-elle derrière elle.
Le Commandant Cullen la rejoignit d’un pas rapide et tous deux entrèrent dans l’église.
- Quelles sont les nouvelles ? demanda-t-il à la Maître-espionne, voyant qu’elle tenait entre les mains un morceau de parchemin.
- Je vous laisserai les lire, répondit-elle en lui tendant le bout de parchemin. Ce qui me préoccupe pour l’instant, c’est que nous n’avons toujours aucune nouvelle des Gardes des Ombres…
- Je pense plutôt que c’est une bonne nouvelle de ne pas en entendre parler, au contraire, répliqua Cullen un peu exaspéré. S’ils s’étaient manifestés, cela signifierait que nous avons un nouvel Enclin sur le dos. Je crois que nous avons déjà assez à faire comme cela avec la Brèche.
Léliana fut peu convaincue par le discours du Commandant. Elle avait participé à la chute de l’Enclin, il y avait de cela dix ans, et connaissait bien la Garde. Elle ne lâcherait pas l’affaire si facilement :
- Vous avez vécu l’Enclin comme moi, Cullen.
- Inutile de me le rappeler, répondit-il d’un ton cassant, son visage s’étant refermé au souvenir qu’évoquait Léliana.
- Vous savez alors que nous ne devons pas prendre à la légère tout ce qui pourrait concerner la Garde des Ombres, insista la Maître-espionne. Et si…
- Nous n’en savons encore rien, Léliana ! tonna le Commandant. Si cela devait s’avérer, nous ferons ce qu’il faudra, mais pour l’instant, nous avons des problèmes plus urgents à régler !
Léliana se garda cette fois-ci de répliquer. Après un lourd silence, elle décida de changer de sujet :
- J’ai établi un rapport sur notre chère « Messagère d’Andrasté », dit-elle en sortant un une épaisse enveloppe de son manteau de mailles. Elle a l’air innocente… Toutefois, son parcours est plutôt atypique pour une noble.
Elle tendit le parchemin au Commandant qui le refusa.
- Gardez-le, déclara-t-il d’un ton abrupt.
- Vous ne souhaitez pas vous faire votre idée sur elle ? lui demanda Léliana.
- Elle nous a rejoints de son plein gré, cela me suffit, répondit simplement Cullen.
- Hmmpf, fit la Maître-espionne, peu convaincue par le désintérêt dont faisait preuve le Commandant. Prenez-le malgré tout, si vous changez d’avis…
Léliana lui fourra le parchemin dans les mains et il ne put cette fois-ci le refuser. Il le rangea distraitement dans une poche de son manteau puis ils arrivèrent tous deux devant le bureau de l’Ambassadrice, à côté de la petite salle de commandement. Cullen avait alors déplié le rapport reçu des Marches Solitaires pour le lire rapidement :
Rapport des Marches Solitaires
Le Croisement a été sécurisé avec succès ; Mère Giselle va rejoindre l’Inquisition à Darse dans quelques jours pour donner les noms des prêtresses susceptibles de nous écouter. A en rediscuter.
La Messagère fait bonne impression dans les régions que nous avons jusqu’à maintenant traversées : de nombreuses personnes souhaitent rejoindre notre cause dans la mesure de leurs moyens. Elle sait se montrer convaincante avec un naturel désemparant, sans même chercher à l’être. Elle fait également son possible pour améliorer la situation des réfugiés : elle trouve nourriture et fournitures là où elle peut, à la plus grande joie du Caporal Vale. Par contre, cela ralentit quelque peu notre course.
Nous n’avons pas encore pu rejoindre Maître Dennet ; des failles ont été signalées et nous en profitons pour les refermer afin de sécuriser un peu plus la région. La guerre que se mènent les mages et les templiers suffit. Notre prochaine action est d’ailleurs de trouver les campements principaux des mages et des templiers afin de mettre un terme aux conflits dans les Marches.
Chercheuse Cassandra Pentaghast
Cullen replia le rapport tandis que Joséphine les accueillait dans son bureau.
- Les actions de dame Trevelyan nous vaudra de nouvelles recrues, dit le Commandant en rendant le rapport à la Maître-espionne.
- Un bon point pour les forces de l’Inquisition, renchérit Léliana. En ce qui concerne les prêtresses, j’ai déjà ma petite idée sur celles qui seraient disposées à nous écouter, même si je n’en vois pas l’intérêt…
- Nous devrrrons orrrganiser un séjour à Val Royeaux, intervint Joséphine. Je ne suis pas sûrrre que cela sera du goût de tous en Orlaïs.
- S’il le faut, nous prendrons les dispositions nécessaires, répondit Léliana en balayant l’objection de l’Ambassadrice d’un revers de la main. Mais j’insiste : nous n’avons toujours aucune nouvelle des Gardes…
- Ils ont toujours été discrrret en dehors des pérrriodes d’Enclin, Léliana, répondit Joséphine avec un léger soupir.
- Dans tous les cas, j’ai besoin de plus de moyens pour assurer un réseau d’information fiable et étendu, rétorqua la Maître-espionne avec amertume. Et peut-être alors je pourrai connaître le fin mot de cette histoire…
- Les Gardes ne sont pas notre préoccupation principale ! s’énerva à nouveau le Commandant. Il nous faut regonfler nos rangs afin de pouvoir mettre fin à la guerre entre les mages et les templiers.
- Arrrêtez de vous chamailler, tous les deux ! intervint Joséphine avec sévérité. N’oubliez pas que vos soldats et vos éclairrreurs exigent de l’entrrretien. Nos caisses sont vides ! Nos finances sont au plus mal, il nous faut absolument trrrouver un moyen de…
- Avec un bon réseau, je pourrai vous apporter les souverains requis, insista Léliana.
- Tout comme avec des hommes, nous pourrions obtenir récompenses pour services rendus, et montrer l’Inquisition sous un bon jour, répliqua Cullen. Allons conscrire les templiers à notre cause…
- Nous n’avons déjà pas les moyens d’accueillirrr tous ceux qui arrrivent en ce moment à Darse ! s’écria Joséphine.
- On tourne en rond, lança Cullen en soupirant d’exaspération.
Les trois dirigeants se turent devant l’évidence.
- On n’a pas le choix, reprit le Commandant, on accueille tout le monde. Le financement, on le trouvera tôt ou tard.
- Avant toute chose, il faut que l’Inquisition se gagne un nom, admit Léliana. On y arrivera, Josie…
L’Antivane poussa un long soupir tandis que ses deux collègues quittaient son bureau pour retourner à leurs devoirs. Léliana renvoya un corbeau dans les Marches Solitaires avec la suite des instructions, alors que Cullen s’en retournait aux terrains d’entraînement où un groupe de jeunes recrues terminait leur leçon du jour. Il leur donna un mot d’encouragement avant qu’ils n’aillent se reposer, puis se dirigea vers la taverne, la nuit tombant lentement sur le petit village.
Le Commandant rendit le salut aux soldats et villageois qui étaient déjà attablés et choisit une place isolée où il pourrait consommer sa bière sans être dérangé. La tavernière lui apporta une chope pleine de bière brune comme à son habitude et repartit aussitôt, le laissant dans sa solitude recherchée. Il en prit une grande gorgée puis reposa sa chope qu’il fixa des yeux, ses pensées tournoyant inexorablement dans son esprit. Soudain, il sortit le rapport que lui avait confié Léliana sur Lédara Trevelyan. Celui-ci était soigneusement rangé dans une enveloppe cachetée de cire. Il tourna plusieurs fois l’enveloppe entre ses doigts, puis finit par la décacheter lentement et en sortit les feuillets repliés.
Le premier correspondait au registre des visites du Saint temple cinéraire le jour de son explosion ; celui-ci recensait les invités présents au Conclave et au bas de la feuille, dans les derniers noms, on pouvait apercevoir le nom de Trevelyan à côté duquel se trouvaient les initiales de la jeune femme, d’une écriture fine et élégante.
Cullen hésita à regarder les autres feuillets, puis remit tout à coup l’ensemble du rapport dans l’enveloppe. Il ne servait à rien de remuer le passé. L’Inquisition lui donnait une dernière chance, il ne voulait pas se détourner de son but. Il approcha l’enveloppe de la flamme de la chandelle qui était posée sur la table. Le parchemin se mit à brûler lentement, puis se consuma entièrement, ne laissant qu’un petit tas de cendres.
*****
Ce fut aux premières lueurs du jour le lendemain que les quatre compagnons partirent à la recherche du campement des mages dans les Marches Solitaires. En suivant la route du Roi en direction de Golefalois, ils étaient sûrs de traverser le Bois des Sorcières, selon les informations qu’on leur donna au campement de l’Inquisition qu’ils avaient rejoint la veille. En effet, ils n’eurent aucun mal à suivre la piste des mages car plus ils s’enfonçaient dans le bois, plus ils trouvaient des traces de magie : des blocs de glace emprisonnant des templiers et des innocents, de l’herbe roussie et des points d’eau électrisés. Ils arrivèrent enfin devant l’entrée d’une grotte protégée par une barrière magique. Solas s’avança prudemment, testa la magie qui était en œuvre, puis frappa puissamment le sol de son bâton, faisant sortir une brume de glace contre la barrière qui se dissipa instantanément.
- Nous devrions peut-être parlementer avec eux, dit calmement Solas aux autres.
- Nous pouvons toujours essayer, répondit Cassandra, sceptique.
La Chercheuse s’avança dans l’entrée de la grotte, sa main posée sur la garde de son épée. Elle fit signe aux autres de rester dehors pour l’instant.
- Mages, dit-elle d’une voix ferme, nous sommes de l’Inquisition et venons mettre fin au conflit qui vous oppose aux templiers.
Personne ne répondit, mais un murmure se fit entendre à l’arrière de la grotte. Puis, une voix s’éleva comme porte-parole :
- Vous allez nous enfermer à nouveau dans des Cercles ou nous tuer.
- Si vous ne nous attaquez pas, nous n’attaquerons pas non plus, répondit la Chercheuse. Sortez discuter, nous pourrons sûrement trouver une résolution pacifique à la situation…
Cassandra approchait lentement du centre de la grotte tout en observant autour d’elle.
- Cessez d’avancer ! lança le mage porte-parole, vous êtes une Chercheuse, vous êtes du côté de la Chantrie, jamais vous ne nous écouterez !
- Détrompez-vous, répondit calmement Cassandra, l’Inquisition ne fait pas partie de la Chantrie, elle a même été condamnée par cette dernière. Vous n’avez rien à perdre à sortir calmement et à discuter avec nous. Tout ce que nous souhaitons pour l’instant, c’est que les affrontements avec les templiers cessent.
- Nous n’avons pas pris parti dans cette guerre, intervint Lédara, des innocents périssent dans les deux camps, et il y a trop de victimes collatérales dans cette affaire.
- Qui êtes-vous ? interrogea le mage.
- Je suis Lédara Trevelyan, celle qui referme les failles.
L’on entendit à nouveau des murmures, puis le mage qui parlait au nom de ses camarades sortit de sa cachette, suivi de quelques autres. Ils étaient curieux de voir la Messagère d’Andrasté qui se tenait devant eux.
- Qu’avez-vous à nous proposer ? demanda le premier.
- L’Inquisition peut vous offrir une protection, dit Cassandra, si vous décidez de la rejoindre.
- A quel prix ? celui de notre liberté ? lança un deuxième mage.
- Vous ne serez pas enfermé, mais des templiers nous ont également rejoints, sachez-le. Ils ne seront pas là pour vous surveiller comme au Cercle. Ils soutiennent notre cause. Voulez-vous la soutenir avec eux ?
Les mages se réunirent pour discuter entre eux. Ils avaient l’air désemparés, à bout de nerf et ne savaient plus quoi faire. Certains n’avaient pas choisi de se révolter contre les Cercles, mais avaient été obligés de suivre le mouvement pour ne pas périr.
- Nous avons trop longtemps souffert, répondit enfin le premier mage, que ce soit dans les Cercles, où maintenant en pleine nature. Ce qui arrive au ciel nous menace tous, et les mages plus que les autres. Les démons nous guettent à la moindre faiblesse pour prendre possession de nos corps… Nous acceptons votre offre.
Cassandra se détendit et tendit sa main vers le mage. Celui-ci la serra fermement, en signe d’approbation et de reconnaissance. Le mage se tourna alors vers Lédara et dit :
- Vous êtes bien celle qu’on appelle la Messagère d’Andrasté ?
Lédara acquiesça d’un signe de tête.
- Nous voulons vous aider à refermer la Brèche, si cela est possible.
Sur ce, Cassandra leur enjoignit de rejoindre le campement principal de l’Inquisition où ils seraient parfaitement bien accueillis. Elle écrivit un mot rapide adressé à l’Eclaireuse Harding qu’elle signa afin d’attester les dires des mages. Puis la petite équipe reprit la route en direction du Fort Connor. En effet, ils présumaient que le point de ralliement des templiers renégats devait se trouver là, au vu de l’affluence de ceux-ci dans les parages. Ce n’était pas très éloigné de leur position, et après une demi-heure de marche ils avaient atteint leur but. Ils se faufilèrent au travers des ruines du Fort, tuant deux archers qui en gardaient l’entrée, puis ils s’introduisirent dans les soubassements de la forteresse. Là, une petite troupe se reposait autour d’un feu de camp ; Varric, Solas et Lédara attendaient le signal de Cassandra pour passer à l’attaque, cette dernière voulant d’abord tenter de raisonner les templiers.
La Chercheuse s’approcha du petit groupe, les bras légèrement levés pour prouver sa bonne foi. Les templiers, en la voyant approcher, dégainèrent leurs armes et ne prirent pas la peine de l’écouter. Cassandra donna son signal : Lédara banda la corde de son arc, visa l’archer le plus proche et s’avisa de donner le plus de puissance possible à son tir. Elle décocha, sa flèche atteignant sa cible au flanc et le traversa littéralement pour aller se ficher dans la poitrine du deuxième archer. Varric et Solas prirent alors position ensemble, se couvrant mutuellement et attaquant leurs cibles, tandis que Cassandra chargeait le templier au bouclier. Lédara décocha une nouvelle flèche pour faire tomber l’un des deux combattants à l’épée car Solas et Varric craignaient le combat au corps à corps. Puis elle se concentra sur le templier : Cassandra faisait en sorte de le mettre dos à l’archère, ainsi elle pourrait viser ses points faibles sans difficultés. Lédara tira une première flèche dans sa jambe, ce qui permit à la Chercheuse de l’immobiliser plus facilement. La Messagère reprit une flèche et visa cette fois-ci l’épaule qui tenait le bouclier, quand soudain elle entendit Varric crier après elle. Elle regarda de son côté et eut juste le temps de se baisser pour éviter un coup d’épée : le second combattant s’était approché d’elle sans qu’elle ne s’en rende compte. Elle déposa son arc et dégaina sa dague pour riposter à chacune de ses attaques. Submergé par les coups vifs de l’archère, le combattant finit poignardé dans le ventre et s’étala de tout son long au sol.
Aussi vite qu’elle avait dégainé sa dague, Lédara la remit dans son fourreau à sa ceinture et reprit son arc. Cassandra était en mauvaise posture, le templier ayant réussi à se relever et la fatiguait à force de coups et de bourrades de son bouclier. La Messagère décocha sa flèche qui vint se planter dans son épaule gauche, le faisant tressaillir de douleur. A ce moment, Cassandra jeta à bas le bouclier du templier et lui trancha la tête d’un seul coup d’épée. Le Fort était repris.
La petite équipe regarda aux alentours les vivres qu’ils pouvaient donner aux réfugiés ; Cassandra s’approcha d’une petite caisse qu’elle ouvrit et y découvrit des fioles d’une substance rougeâtre. Elle prit un flacon et le montra à Solas. Celui-ci observa le contenu, ouvrit la fiole et renifla le liquide. C’était selon lui du lyrium rouge. Il reposa l’objet le plus vite possible dans la caisse et referma le couvercle. Il fallait absolument détruire son contenu, le lyrium rouge étant une substance extrêmement dangereuse.
- Que font-ils avec ça ? lança Varric, effrayé.
- On dirait qu’ils ont remplacé leur lyrium habituel par ce lyrium-là, dit Cassandra. Cela expliquerait leur agressivité exacerbée…
Varric s’était approché d’une table, fouillant dans les papiers qui se trouvaient dessus, et en sortit un morceau froissé. Il retourna vers les autres et commença sa lecture à voix haute :
- « Tenons-nous prêts à combattre non seulement les mages, mais tous leurs sympathisants. Les mages ne peuvent-ils pas manipuler l’esprit des imprudents grâce à la magie du sang ? la plupart des gens ne sont-ils pas de simples moutons, prêts à suivre quiconque leur parlera avec autorité ? nous devons protéger les gens des mages. C’est notre droit et notre devoir. Mais ceux qui leur fournissent leur lyrium ? ceux qui leur offrent confort et nourriture ? ceux qui manquent à leur mission de nous aider dans notre digne cause ? ceux-là ne valent pas mieux que les mages : ils fricotent avec les démons et ne peuvent engendrer que des abominations ; ils doivent être exterminés. Nous mènerons notre guerre depuis notre camp près de la Route du Ponant, et n’aurons de cesse que le monde retrouve sa vertu. »
- Ils ont perdu la tête, dit Solas avec dégoût.
- Ce lyrium rouge y est sûrement pour quelque chose, grogna Varric.
- Leur campement est ailleurs, releva Cassandra. La Route du Ponant est non loin d’ici, elle traverse une rivière je crois.
- Allons leur régler leur compte alors, grogna Varric qui jeta le bout de papier avec hargne.
Tous les quatre repartirent pour rejoindre la Route du Ponant. Arrivés au bord de la rivière, ils virent que le pont avait été détruit, certainement lors d’affrontements. Le campement des templiers renégats ne devait plus être loin, et en sortant de la route pour longer la rivière, ils découvrirent des barricades construites à la hâte. La petite équipe se mit sur le qui-vive et s’approcha discrètement. Passé les remparts, ils purent compter quatre archers, deux templiers à bouclier droit et quatre combattants à l’épée, dont l’un devait être leur chef. Le plan était simple : éliminer le plus rapidement possible les combattants à l’épée, les archers étant plus fragiles au corps à corps. Les deux templiers devraient être abordés avec prudence, car c’étaient les plus coriaces.
Lédara s’entendit avec Varric pour porter une attaque simultanée : elle encocha sa flèche et visa judicieusement afin de réitérer son tir transperçant. Varric se prépara à réagir à son signal, car elle devait attendre qu’au moins deux ennemis s’alignent parfaitement dans sa mire. L’occasion se présenta enfin, Solas et Cassandra étaient prêts à agir ; Lédara expira un petit « Hey » avant de décocher sa flèche. Varric et elle furent parfaitement synchrones : trois adversaires tombèrent raides. Cassandra chargea alors sur les deux détenteurs de boucliers, alors que Solas figeait le plus d’ennemis possible dans la glace. L’effet de surprise fit prendre l’avantage au groupe d’aventuriers : les templiers renégats ne se rallièrent que trop tard en un groupe soudé et ordonné. Les archers firent siffler l’air autour de Varric et Lédara, qui restèrent imperturbables. Le groupe avançait, gagnant du terrain et occupant les points stratégiques, pour encercler ce qu’il restait des templiers. Seul un archer, les deux templiers au bouclier et le chef subsistaient. Solas et Varric se concentrèrent sur le chef et l’archer, Cassandra et Lédara s’épaulant face aux deux templiers. L’archère tira le plus de flèches possible contre les templiers quand elle en avait l’occasion, mais l’un deux se détourna de la Chercheuse et commença à charger. La Messagère recula vivement et se retrouva coincée contre des rochers : elle dégaina sa dague et évita la charge de son ennemi en tentant de le blesser, sans succès. Il brandit son bouclier en se retournant, l’archère plongea sur le côté pour éviter à nouveau le coup, mais l’épée de son adversaire s’abattit sur elle. Elle para de sa dague, déviant l’épée, mais ne put cette fois-ci éviter le coup de bouclier qu’elle reçut dans les côtes. Elle roula à terre et se releva rapidement, malgré son souffle coupé. Elle n’arrêtait pas de changer de position, tournant autour du templier, s’approchant et s’éloignant sans cesse pour rendre ses mouvements aléatoires. Son seul point fort contre ce guerrier était sa rapidité et son agilité, la force de celui-ci étant dix fois supérieure à la sienne. Soudain elle attaqua vivement de sa dague, mais le templier dévia son coup et riposta aussitôt avec son bouclier, l’assommant presque. Elle se releva à nouveau le plus vite possible, car sa survie en dépendait. Lédara n’arrivait pas à trouver de failles exploitables dans la défense du guerrier : elle avait beau utiliser toute son agilité et sa vitesse, elle ne parvenait pas à le déstabiliser suffisamment pour le blesser mortellement. Elle tenta une nouvelle approche : elle courut droit face à lui ; comme attendu, il brandit son bouclier pour se protéger, et quand elle arriva sur lui, elle sauta en prenant appui sur le bouclier et atterrit derrière lui, plantant sa dague dans son épaule droite. Son armure avait dévié sa lame, mais elle avait réussi à le toucher. Le templier riposta aussitôt, comme s’il n’avait rien senti de son attaque ; il l’assomma avec le pommeau de son épée, la renversant au sol. Il leva son bras pour achever la Messagère quand il se figea soudain, enveloppé de glace. Un voile noir couvrit alors les yeux de la jeune femme.
La Chercheuse versa un peu d’eau sur le visage de Lédara, la faisant revenir à elle.
- Qu’est-ce que…
- Tout va bien, dit Varric, on les a massacrés.
Le nain affichait un grand sourire.
- Vous vous êtes bien battue, dit Cassandra en l’aidant à se relever. J’ai rarement vu quelqu’un réussir à blesser un templier de cette trempe avec une simple dague comme vous l’avez fait.
- Mais je n’ai pas réussi… bredouilla la Messagère, la bouche pâteuse. Il allait me tuer…
- Il n’empêche que vous l’avez fait, insista la Chercheuse en esquissant un sourire.
Lédara sourit malgré elle.
- Vous pouvez reprendre la route ? lui demanda Solas.
- Oui, ça va.
Ils visitèrent le campement à présent vide, et Varric fit une trouvaille intéressante : des barils de poix prêts à être enflammés. Il suggéra à Lédara de l’utiliser pour ses flèches. Elle en remplit donc plusieurs fioles qu’elle glissa à sa ceinture, et le nain fit de même.
Ils rejoignirent enfin la Route du Ponant. Avec le conflit entre les mages et les templiers en moins, tous les habitants de la région pouvaient se sentir plus en sécurité. Et c’était l’occasion pour les quatre compagnons d’aller jusqu’à la ferme de Maître Dennet. Le soleil se couchait déjà, et il fallait qu’ils trouvent un abri pour la nuit. Ils longèrent quelques temps la Route du Ponant, puis la quittèrent en vue d’un sentier en direction de bâtiments au creux d’une petite vallée. Quand ils atteignirent la petite cuvette habitée par des fermes, la nuit était tombée et le ciel étincelait à la lueur des étoiles. Seules quelques lueurs claires de la Brèche se laissaient voir au nord-ouest, au-delà des montagnes. On entendait au loin une meute de loups partis en chasse, leurs hurlements portés par le vent. Lédara ressentait une gêne dans sa main depuis qu’ils étaient à proximité des fermes, douleur qu’elle présumait venir de la fatigue.
Ils s’approchèrent de la demeure principale, mais s’arrêtèrent soudain ; derrière la maison, à quelques pas de là, se trouvait une faille. Cela expliquait qu’ils n’avaient croisé personne jusqu’à maintenant. Il restait à espérer que les habitants se cachaient simplement dans les habitations. La petite équipe courut près de la faille, mais ne vit pas de démons. Lédara s’apprêtait à la refermer, quand une Terreur surgit aux pieds de Varric et Cassandra. Les deux compagnons tombèrent au sol décontenancés, mais la Chercheuse reprit rapidement ses esprits et se releva, épée et bouclier en main. La Terreur s’attaqua à la guerrière à coup de griffes qui rebondirent sur son bouclier ; Varric, lui, s’éloigna de quelques pas, le temps de charger son arbalète, puis fit feu sur le monstre. Lédara prit l’option de l’affaiblir par la faille, comme elle l’avait fait la première fois avec le démon de Darse. Elle se concentra, leva sa main en direction de la déchirure et créa le lien magique ; elle retira violemment sa main, produisant une petite explosion qui se répercuta sur le monstre qui en fut assommé quelques instants. Cassandra en profita pour le renverser à terre et lui planter son épée dans le crâne. Le démon s’évapora dans un hurlement strident et retourna à la faille, que Lédara referma aussitôt.
Le silence régna à nouveau, et la marque de la Messagère se calma également, les crépitements diminuant peu à peu. Elle ressentait donc bel et bien la présence des failles dans les alentours. Les quatre compagnons firent demi-tour et se dirigèrent vers la maison principale, d’où sortaient des hommes avec des torches et des fourches. C’étaient les paysans qui s’étaient réfugiés là et qui avaient assisté à la scène, ébahis et soulagés. Un homme un peu plus âgé et tenant une torche vint à leur rencontre :
- Alors c’est vrai… vous avez… refermé cette chose ! dit l’homme en se tournant vers Lédara.
- Nous sommes de l’Inquisition, lui dit Cassandra, nous recherchons le maître palefrenier Dennet, il habite dans la région je crois.
- Je suis Dennet, dit l’homme en se tournant vers la Chercheuse. Mais, venez, vous semblez être épuisés, et il fait plus chaud à l’intérieur.
Le maître palefrenier invita tout le monde à retourner dans sa maison, offrant aux quatre combattants le gîte et le couvert. On les installa à une grande table où des plats étaient déjà disposés et entamés ; les hommes de Dennet devaient être en plein repas quand la petite troupe avait débarqué. Le maître des lieux les invita à s’asseoir avec eux et à se servir autant qu’ils en avaient envie. Il demanda également à sa femme d’amener des bassines d’eau propre afin qu’ils puissent se laver des poussières et du sang qui s’étaient accumulés sur eux durant la journée. Il faut dire qu’ils ne paraissaient pas en très bon état : Varric avait le nez cassé, le sang séché sur son visage assombrissant ses traits ; Cassandra avait plusieurs coupures aux bras et au visage, mais rien qui ne laisserait des cicatrices, de même que Lédara dont la blessure la plus voyante était peut-être son ecchymose au front due au coup de pommeau reçu quelques heures plus tôt. Solas était le seul à s’en être réchappé sans blessures, seules quelques éclaboussures de sang tachaient ses vêtements, mais cela restait discret.
Par respect pour leurs hôtes, ils acceptèrent avec plaisir de se débarbouiller avant de manger. La femme de Dennet invita donc les deux femmes à l’étage pour préserver leur intimité. Prévenante, elle avait également amené des bandages pour les blessures un peu plus profondes que possédait Cassandra, qui se soigna par elle-même. Lédara, ne possédant pas de miroir, ne refusa pas l’aide de son hôte qui épongea ses éraflures au visage. Mais quand celle-ci retira ses gants et que la paysanne vit la marque, elle ne put réprimer un mouvement de recul, effrayée par cette magie inconnue.
- N’ayez crainte, lança calmement Cassandra, c’est ce qui permet à l’Inquisition de refermer les failles.
- Pardonnez-moi, c’est quelque peu impressionnant, bredouilla la fermière.
- Ne vous excusez pas, je comprends, répondit Lédara en lui souriant doucement, ce qui détendit quelque peu la vieille femme.
Mais au fond d’elle-même, elle savait que cette réaction allait se reproduire, et plus d’une fois. Elle était devenue une bête étrange et curieuse à cause de cette marque, et, même chez les plus courageux, elle voyait la peur dans leurs yeux. Elle ne pouvait pas le leur reprocher, car elle-même se voyait différente, comme si sa vie avait été scindée en deux moments distincts par l’explosion du Conclave.
Une fois leur toilette finie, elles redescendirent rejoindre le groupe d’hommes attablés, et commencèrent à se rassasier. Au bout de quelques instants, le maître palefrenier interrogea la Chercheuse à propos de leur visite.
- L’Inquisition aurait bien besoin de vos chevaux, Maître Dennet, dit simplement Cassandra.
- Je vois, répondit lentement Dennet, mais, voyez-vous, je refuse d’envoyer mes meilleurs chevaux sur les routes dans la situation actuelle : entre les démons, les bandits et les affrontements entre mages et templiers, comprenez-moi, je ne veux pas perdre bêtement le fruit de mon travail.
- Je comprends, dit Cassandra. C’est également pour cela que nous sommes là, avec la Messagère d’Andrasté. Nous apaisons les affrontements et refermons les failles afin de sécuriser la région. Les mages et les templiers ne devraient d’ailleurs plus poser problème ici.
- Mais il y a de plus en plus de bandits avec l’apparition de ce chaos environnant. Que pouvez-vous faire ? Vous ne pouvez pas tous les tuer ou les chasser.
- En effet, reconnut la Chercheuse.
- Nous pourrions peut-être établir des tours de guet dans les alentours ? proposa l’un des hommes de Dennet. Nous en avons discuté avec les gars, et on est d’accord pour se relayer à la surveillance des environs. Ainsi, on pourrait prévenir plus rapidement les gens des attaques des bandits.
- Et cela en dissuaderait certains, ajouta Lédara, plutôt d’accord avec cette solution.
Elle se tourna vers Cassandra :
- Nous pourrions demander à l’Inquisition d’envoyer un groupe d’hommes pour construire ces tours et aider les habitants, leur simple présence pouvant peut-être diminuer le nombre d’attaques, réfléchit la jeune femme en essayant de convaincre la Chercheuse.
- Je ne suis pas sûre que le Commandant accepte d’envoyer encore des hommes aux Croisement, lui répondit-elle.
- On peut toujours essayer, insista la Messagère.
Cassandra se tourna à nouveau vers Dennet :
- Approuvez-vous l’idée de vos hommes ? lui demanda-t-elle en premier lieu.
- Cela me paraît raisonnable, oui.
- Bien. Nous allons essayer de vous aider, mais cela ne dépendra pas que de nous, je vous préviens tout de suite.
Les deux protagonistes hochèrent la tête en signe d’approbation. Le palefrenier proposa à la petite équipe de dormir dans ses écuries pour la nuit, et leur fit comprendre qu’ils pouvaient rester autant de temps qu’ils le souhaitaient. Une fois repus, ils prirent donc congé de l’assemblée en les remerciant chaudement de leur accueil. Un paysan les accompagna jusqu’aux écuries où ils s’installèrent à l’étage parmi les bottes de foin réservées pour l’hiver. On leur donna des couvertures, qu’ils disposèrent confortablement en plus des fournitures de leur paquetage.
Varric s’était affalé sur sa couche et ronflait bruyamment : le nain pouvait dormir absolument n’importe où comme s’il était dans son propre lit. Cassandra et Solas s’étaient eux aussi allongés et semblaient dormir paisiblement. La nuit était déjà bien avancée, et Lédara n’arrivait pas à trouver le sommeil, chose qui lui arrivait de plus en plus souvent depuis le Conclave ; elle se releva et sortit discrètement de l’écurie pour ne pas réveiller les autres et marcha un peu dans le pré des buffles. Ceux-ci avaient été rentrés dans les étables d’où l’on entendait quelques hennissements et coups de sabot, rompant ponctuellement le silence profond de la nuit. Elle grimpa sur une barrière de bois et s’y assit, observant la course des étoiles et se vidant la tête de toutes ses pensées qui tournoyaient sans fin dans son esprit.
« Vous devriez vous reposer. »
Dans sa méditation, Lédara n’avait pas entendu Solas arriver.
- Vous avez raison, mais j’aime à profiter du calme de la nuit, répondit-elle simplement.
- C’est donc une habitude, dit-il pensif.
Après quelques minutes de silence, Solas reprit :
- Montrez-moi votre marque.
- Tout va bien, ne vous inquiétez pas, dit rapidement Lédara.
- Je préfère m’en assurer, et je ne suis pas là pour vous juger, ajouta-t-il, percevant la gêne de la jeune femme.
Lédara le regarda, il s’était appuyé contre la barrière à côté d’elle et regardait aussi les étoiles. Elle lui tendit lentement sa main, qu’il saisit délicatement, la paume vers le ciel. Les cicatrices au creux de sa main paraissaient moins à vif qu’au début ; elles dessinaient des entrelacs étranges d’où sortait cette lueur verdoyante, parsemée d’étincelles aux éclats blancs. Solas passa ses doigts fins sur ses cicatrices ce qui lui provoqua une sensation étrange, la chatouillant presque. Il relâcha sa main et dit d’un ton rassurant :
- Vous cicatrisez bien, et la magie qui en émane est calme. Mais cela doit vous coûter beaucoup de concentration, ajouta-t-il en la regardant dans les yeux.
- Je m’y habitue, dit-elle en détournant son regard.
- Sachez que vous pouvez à tout moment me parler, dit-il, je n’aurais peut-être pas de solution, mais je vous aiderai à vous sentir plus à l’aise avec cette nouvelle magie.
Sur ce, Solas s’éloigna. Elle regarda à nouveau le ciel ; pourquoi ne se confiait-elle pas ? Oui, cela lui coûtait beaucoup d’énergie, contrôler la marque était pour elle une lutte de tous les instants et elle savait que si elle se laissait aller ne serait-ce qu’une petite seconde, elle pouvait causer de grands dégâts autour d’elle et à elle-même. Alors pourquoi ne pas lui en parler ? De plus, Solas était une personne qui avait l’air de vouloir sincèrement l’aider… Au fond, elle se sentait coupable. Tout ce qui arrivait autour d’elle, l’explosion, les failles, les démons, avaient un lien avec elle, et de ne pas se souvenir de ce qu’il s’était passé lui laissait le doute sur sa part de responsabilité dans cette affaire. Même si ce n’était pas intentionnel, il y avait une infime possibilité qu’elle soit bel et bien coupable.
Elle sauta de la barrière puis retourna à l’écurie où dormaient maintenant à poing fermé ses trois compagnons de voyage. Elle alla s’allonger dans sa couche et trouva péniblement le sommeil qui fut agité de sombres rêves.
La petite équipe se leva aux aurores, suivant le rythme des paysans qui allaient à leurs tâches quotidiennes. Après un bref petit-déjeuner, Varric et Solas proposèrent leur aide aux fermiers puisqu’il avait été décidé qu’ils resteraient quelques temps dans les environs. Ils furent alors sollicités par la femme de Dennet pour travailler au jardin, au soin des plantes potagères et médicinales. Cassandra resta un peu à table, devant faire le rapport et la demande d’hommes à Darse. Lédara se levait pour aller proposer son aide à Dennet, quand la Chercheuse l’interpella.
- Attendez un instant, seriez-vous d’accord d’écrire le rapport pour Darse ? je me suis blessée à la main droite, et cela me gêne pour écrire.
- Bien sûr ! j’écris en votre nom ?
- Non, faites à votre nom, s’ils ne reconnaissent pas mon écriture, cela risque de ne pas être pris en compte.
Lédara prit le parchemin et la plume que lui tendait Cassandra, et se mit au travail.
Rapport des Marches Solitaires
Nous avons pu atteindre la ferme de Maître Dennet, mais il refuse d’envoyer des chevaux à l’Inquisition tant que les routes ne seront pas sécurisées. Nous avons déjà éliminé les bastions des mages et des templiers, rendant la Route du Roi plus sûre, mais cela n’est pas suffisant ; des bandits parcourent les routes, proliférant depuis l’explosion au Conclave et l’apparition des failles. Les hommes de Dennet se proposent de monter des tours de guet afin de dissuader les bandits de s’attaquer aux passants et d’améliorer leur défense. Cassandra et moi-même approuvons cette solution, mais cela nous prendrait trop de temps de les construire seuls. Je demande donc à notre Commandant de nous envoyer une poignée d’hommes pour accélérer la construction de ces tours et aider ces fermiers à s’organiser.
J’ai également refermé d’autres failles, toutes celles que nous rencontrons et qui nous sont signalées. L’Inquisition commence à être la bienvenue dans la région.
Au rapport,
Lédara Trevelyan
Une fois sa lettre terminée, elle la fit lire à la Chercheuse qui approuva. Celle-ci plia la lettre et la roula, puis sortit ; elle siffla étrangement et en quelques minutes un corbeau la rejoignit. Elle glissa le petit rouleau dans le récipient en cuir de la même taille attaché à la patte de l’oiseau, puis il s’envola en direction de Darse.
En attendant une réponse, la petite équipe occupa ses journées en aidant le palefrenier aux tâches de la ferme. Solas était plus enclin à travailler au potager avec la maîtresse des lieux, discutant volontiers nature avec elle, alors que Cassandra était appelée à de plus lourds travaux de par sa force physique : réparer des barrières, consolider le toit des étables, commencer la construction des tours. Lédara, elle, aimait s’atteler au soin des bêtes : les sortir dans le pré puis les rentrer pour la nuit, traire les bufflonnes, etc. Mais ce qu’elle préférait, c’était s’occuper quotidiennement des chevaux. La rumeur était vraie, les bêtes du Maître Dennet étaient magnifiques et il s’en occupait comme de ses enfants. Il sympathisa d’ailleurs avec la jeune femme à qui il montra quelques astuces pour bien les bichonner et s’en faire de fidèles montures.
Lédara avait toujours aimé les animaux ; plus jeune, alors qu’elle était une fille de noble extraction, on la retrouvait toujours dans les écuries ou bien cachée dans les fermes auprès des poules ou des lapins, sa robe de soie toute tachée de boue, ce qui rendait furieuse sa gouvernante qui la réprimandait sévèrement à chaque escapade qu’elle se permettait de faire.
Quant à Varric, il réussissait toujours à s’extirper des tâches qui lui étaient confiées, et se faisait pardonner en racontant ses histoires le soir après un bon repas. Il avait un don de conteur hors pair, sachant parfaitement ménager le suspense dans ses récits, et tous l’écoutaient, rêvant des incroyables aventures qui leur étaient contées.
Ce fut à l’aube du troisième jour passé dans la ferme de Dennet qu’un corbeau arriva, porteur de la réponse du Commandant. Cassandra détacha le message de sa patte et renvoya le volatile qui alla se percher dans le grand chêne qui trônait derrière la demeure principale. Les quatre compagnons attendirent, trépignant d’impatience de connaître le contenu de la lettre. Elle rangea le petit rouleau dans une poche de sa ceinture et se tourna vers eux, le sourire aux lèvres : le Commandant avait envoyé une petite garnison qui était en route pour les fermes, et elle allait non seulement aider les hommes de Dennet, mais aussi installer un campement de l’Inquisition à proximité, avec l’accord du maître des lieux.
Le palefrenier fut grandement soulagé en entendant la nouvelle et il promit de fournir autant de chevaux que nécessaire à l’Inquisition. Le soir même, il organisa une petite fête en l’honneur de leur alliance avec Darse : sa femme prépara un petit festin avec l’aide de ses domestiques, et tous s’installèrent dehors dans un pré autour d’un grand feu de joie, des rondins faisant office de sièges et les plats se passant de mains en mains. Lédara était assise auprès du palefrenier, et elle riait de bon cœur avec sa fille, Séanna. La soirée était bien avancée, et au cours d’une discussion, elle interpella Dennet :
- Vous nous donnez vos chevaux, mais… et vous ?
- J’ai une ferme à faire tourner, et je ne suis plus tout jeune, répondit-il avec un léger pincement au cœur.
- Eh bien, c’est que je pensais à la suite des événements : nous aurons vos chevaux à Darse, mais personne pour s’en occuper correctement, continua Lédara.
- Vous serez là, vous. Je vous ai vu faire avec eux, et vous vous débrouillez bien.
Cassandra, qui avait écouté la conversation, intervint à son tour :
- Dame Trevelyan sera souvent envoyée à travers le pays pour refermer les failles, et un bon palefrenier dans nos rangs ne serait pas de trop.
Dennet jeta un coup d’œil vers sa femme et sa fille, qui lui firent un signe de tête, le poussant à accepter l’offre. Il se leva et embrassa sa famille, heureux de pouvoir faire partie de l’Inquisition. Cela faisait bien trop longtemps qu’il vivait tranquillement dans sa ferme et la vie trépidante des écuries lui manquait.
C’est ainsi qu’à l’arrivée des soldats, le palefrenier fit son paquetage et partit avec la petite équipe, escortant ses chevaux jusqu’à Darse.