Inquisition
Lédara devait partir le lendemain pour Golefalois à la rencontre des mages rebelles ; tout était prêt, Cassandra, Lédara, Solas et Varric devaient représenter l’Inquisition pour une éventuelle négociation avec la Grande Enchanteresse Fiona. Bull ne pouvait pas les accompagner car son origine Qunari ne ferait qu’effrayer encore plus les mages déjà désespérés, et Blackwall s’était engagé auprès de Cullen pour former les recrues. Séra s’était tout de suite désistée, les affaires de magie ne lui plaisant guère. Léliana avait proposé à dame Vivienne de participer au voyage, mais elle avait refusé pour cause politique, sa présence n’étant pas forcément souhaitable pour mettre les mages rebelles en confiance. Lédara voulut cependant en savoir plus sur la situation des mages avant de partir et décida de s’entretenir avec l’enchanteresse.
Vivienne s’était installée dans le quartier des invités de la Chantrie d’où elle pouvait facilement communiquer avec l’Ambassadrice Montilyet qui appréciait particulièrement sa compagnie. C’était une femme d’un grand savoir-vivre et au fait de toutes les intrigues de la cour d’Orlaïs, ce qui n’était pas pour déplaire à Joséphine.
La Messagère frappa à la porte de la Première Enchanteresse qui était entrouverte, avant d’entrer suite au grand sourire que lui fit cette dernière en l’apercevant. Elle ne portait plus son masque d’apparat orlésien, dévoilant un visage au front court et fuyant ainsi que des yeux en amande d’un noir de jais. La chambre que l’Inquisition lui avait accordée avait été entièrement décorée au goût de l’enchanteresse, plusieurs meubles ayant été emportés de sa demeure à Val Royeaux. Elle avait également amené une petite bibliothèque remplie d’ouvrages sur la magie et disposait d’un petit bureau en face de sa couche qui lui faisait office de table. Vivienne invita la jeune Marchéenne à s’asseoir sur l’une des deux chaises auprès du bureau, avant de s’y asseoir elle-même avec grâce et élégance.
- J’ai rencontré un mage elfique il y a quelques temps, lui dit l’enchanteresse d’un ton badin, je crois qu’il s’appelait Solas. J’admets avoir été surprise, je ne m’attendais pas à voir des mages dans l’Inquisition.
Vivienne fit un petit signe de la main à un domestique qui attendait toujours auprès de la porte de sa chambre. Celui-ci partit aussitôt.
- Dites-moi, pourquoi étiez-vous au Conclave divin ? demanda soudain l’enchanteresse, n’attendant pas de réponse de la Messagère à sa première remarque.
- La guerre ne profite à personne, lui répondit simplement Lédara, il faut y mettre fin et rétablir l’ordre.
- Si seulement les rebelles avaient un peu plus de clairvoyance, soupira Vivienne, la mort de Justinia a rompu l’équilibre des pouvoirs à Thédas. Si cet équilibre n’est pas rapidement rétabli, de nombreuses vies seront perdues. Des mages, des templiers et des gens du peuple se tournent aujourd’hui vers l’Inquisition pour connaître leur sort.
Vivienne appuya alors son regard sur la Messagère.
- Je tâcherai de ne décevoir personne, répondit Lédara sentant que la remarque la concernait elle en particulier et non l’Inquisition.
- Nous ne pouvons pas nous permettre d’échouer, Trésor, renchérit Vivienne. Pendant presque mille ans, le monde a cru qu’il était aux mains du Créateur. Maintenant, nombreux sont ceux qui vous croient l’instrument de Sa volonté. Quelle que soit la vérité, cette croyance vous confère un grand pouvoir.
- Personne ne devrait affirmer connaître la volonté du Créateur, répliqua Lédara d’un ton catégorique, ni moi, ni la Chantrie.
- Peut-être, dit Vivienne, peu convaincue. Mais si personne n’ouvre la voie, beaucoup seront abandonnés aux ténèbres.
Un elfe entra dans la chambre apportant un plateau sur lequel étaient disposés une théière et deux tasses. Il déposa les tasses en face des deux femmes et servit le thé avec délicatesse et rapidité. Ceci fait, il s’éclipsa aussi silencieusement qu’il était venu et retourna à son poste, devant la porte de la chambre de l’enchanteresse.
- Si le Cercle a été dissout, comment pouvez-vous encore en faire partie ? demanda Lédara à l’enchanteresse.
- Le Cercle est une idée, Trésor, et une idée ne peut être dissoute. Beaucoup de Premiers Enchanteurs votèrent la rébellion, oubliant que seule une décision unanime éviterait aux mages de s’affronter entre eux. Le vote de la Grande Enchanteresse Fiona entraîna une scission du Cercle. Les rebelles la suivirent elle, et les loyalistes se rangèrent à mes côtés.
- C’est pour cela que vous ne souhaitez pas nous accompagner demain, remarqua la Messagère.
- En effet, c’est l’une des raisons.
Vivienne prit une gorgée de thé ; le trouvant trop chaud, elle glaça la tasse du bout de ses doigts, puis reprit une gorgée, satisfaite.
- Selon vous, comment en sommes-nous arrivés à cette situation de révolte des Cercles ? lui demanda la Messagère.
- Un manque de vision globale qui affectait même les dirigeants du Cercle, expliqua l’enchanteresse. Les mages vivaient dans un monde de templiers et de mages. Ils n’imaginaient même pas ce qu’il y avait au-delà des murs de leurs tours. Kirkwall donna au monde une raison de se souvenir de sa crainte de la magie. Un mage pouvait tuer cent hommes d’un claquement de doigts. A travers Thédas, une peur de la magie, nouvelle et tangible, se développa. Nobles et roturiers firent appel à la Chantrie pour être protégés. Mais les mécontents dans leurs tours ne réagirent pas. Ils ne se souciaient que d’eux-mêmes et des nouvelles restrictions imposées par les templiers. Lorsqu’un mage tenta, à nouveau, d’assassiner la Divine Justinia, les mages protestèrent contre l’enquête qui avait alors été menée par la Chantrie. Les dirigeants des Cercles choisirent de voter pour leur indépendance, en invoquant les « intolérables conditions imposées par les templiers ». Ils ne réfléchirent même pas au fait que la magie était davantage crainte après ces attaques qu’à l’époque de Tévinter. Tant qu’ils avaient leur liberté, ils se souciaient peu des émeutes, des foules en colère ou des affrontements entre mages.
Lédara prit un court instant pour méditer les paroles de Vivienne. Elle saisit sa tasse de thé de sa main gauche afin d’en boire une gorgée, mais quand elle vit le regard plus qu’intrigué de l’enchanteresse sur la marque qu’elle portait, elle se ravisa.
- Connaissez-vous la Grande Enchanteresse Fiona ? demanda la Marchéenne pour éviter le sujet de la marque.
- Nous nous sommes déjà rencontrées, lui répondit Vivienne, avant son vote pour l’indépendance, inopportun et égoïste, je la trouvais parfaite à son poste. Mais son grand âge ne lui permettait plus de s’assurer du bien-être d’autant de personnes. Nous aurions mieux fait de la remplacer des années auparavant, pour qu’elle prenne sa retraite…
- Leur rébellion était-elle justifiée ?
- Juste après leurs attaques terroristes ? ironisa Vivienne, était-ce vraiment le meilleur moment pour la rupture ? Protester contre les abus des templiers, oui, mais il y a une façon de le faire. Là, on aurait dit que les mages soutenaient le meurtre en masse. En votant comme ils l’ont fait, mes collègues ont ni plus ni moins déclaré la guerre au commun des mortels de Thédas. Une guerre dans laquelle nous nous battons à un contre cent.
- Je pensais que les affrontements n’avaient lieu qu’entre mages et templiers. Pourquoi les mages combattent-ils d’autres mages ?
- Le vote pour l’indépendance n’était prôné que par une minorité, mais Fiona décida de maintenir la motion. Ceux qui s’opposaient à une déclaration de guerre inconsidérée contre le monde libre n’avaient pas beaucoup de choix. En se séparant de la Chantrie à ce moment-là, les rebelles se déclaraient de fait en faveur des massacres de masse. Ceux qui ne soutenaient pas le massacre d’innocents étaient forcés de prendre les armes contre les rebelles.
Lédara médita un instant les paroles de l’enchanteresse.
- A quoi ressemblait la vie dans le Cercle ? demanda-t-elle alors.
- Trésor, votre question résume la source de tous les problèmes avec les mages.
Toutefois, Vivienne réfléchit un instant.
- Je ne saurais vous répondre, reprit-elle, chaque Cercle était différent. Leurs templiers étaient différents, leur politique unique… Et chaque personne dans chaque tour voyait la vie au sein du Cercle de façon différente. Certains souffraient, certains étaient heureux. Certains étaient cruels, certains pleins de compassion et d’autres indifférents. Il en va de même pour n’importe qui, partout dans le monde, en toutes circonstances, que l’on soit mage ou pas.
- Alors parlez-moi de votre propre expérience dans le Cercle, proposa Lédara goûtant au thé posé devant elle.
- J’aimais vivre dans le Cercle de Montsimmard, Trésor. C’était un lieu dédié à la connaissance et au raffinement. Et les mages ont besoin de la compagnie d’autres mages. Personne ne comprend mieux les défis que nous devons relever, ni ne perçoit le monde comme nous.
- Vous deviez être sous la surveillance constante des templiers qui vous obligeaient à vivre dans la tour. Etait-ce difficile à supporter ?
- J’ai une suite dans le palais et une aile dans la demeure de ce cher duc Bastien, répondit Vivienne avec un sourire élégant. Personne ne m’a jamais forcée à vivre où que ce soit. La plupart des Cercles permettaient aux mages de vivre hors de la tour, de façon indépendante ou au service de la noblesse. Il suffisait d’obtenir l’autorisation auprès du Premier Enchanteur. Certains Cercles étaient plus restrictifs que d’autres. Kirkwall était le pire, mais c’était une exception. La plupart étaient plutôt permissifs. Peut-être trop permissifs, en y réfléchissant.
- Vous devez avoir une certaine opinion des templiers après avoir vécu aussi longtemps dans le Cercle, lui dit alors Lédara.
- Trésor, avoir une opinion sur les templiers, c’est exactement la même chose que d’avoir une opinion sur les mages, les Névarrans ou les Hommes, lui répondit Vivienne. J’en ai connu qui étaient absolument insupportables, d’autres tout à fait charmants. J’ai souffert d’insultes proférées par des templiers, mais pas plus que de celles lancées par des nobles ou des marchands de Val Royeaux. Personnellement, je pense que les templiers sont un outil utile pour nous protéger des choses autrement plus désagréables.
Lédara ne se sentit guère plus avancée dans sa compréhension du conflit entre les mages et les templiers. Cependant, sa discussion avec l’enchanteresse lui donna matière à réfléchir. La Messagère remercia la Première Enchanteresse du temps qu’elle lui avait accordé avant de se lever pour prendre congé. Vivienne la salua élégamment, l’invitant à revenir quand elle le souhaitait pour d’autres questions qu’elle se posait ou papoter comme deux nobles dames aiment à le faire. Lédara sortit de la chambre l’air méditatif et se mit à déambuler dans la nef de la Chantrie lorsqu’elle fut brusquement tirée de ses pensées :
- Bonjour, Messagère d’Andrasté, dit Mère Giselle d’une voix douce.
- Révérende Mère Giselle, s’exclama Lédara, pardonnez-moi de ne pas être venue vous voir depuis votre arrivée à Darse.
- Vous n’avez pas à vous excuser, sourit Mère Giselle, vous avez beaucoup à faire en tant que membre de l’Inquisition.
Lédara sourit à la Révérende Mère, puis se dit qu’elle voudrait bien avoir son point de vue sur les Cercles des mages.
- Je ne crois pas avoir eu l’occasion de discuter franchement avec une Révérende Mère depuis bien longtemps, dit-elle gentiment.
- Je suppose que vous voulez parler de questions plus complexes concernant l’organisation elle-même, rit doucement Mère Giselle. Je suis sûre que la Chantrie d’Ostwick vous a enseigné les bases.
- Quel est votre point de vue sur la magie ? lui demanda alors Lédara.
- Andrasté l’a bien résumé : « la magie doit servir l’homme et non l’asservir », cita la Révérende Mère. Cependant, ces mots doivent être replacés dans le contexte historique approprié. Andrasté a mené une rébellion contre l’Empire tévintide, dont les Magisters contrôlaient à l’époque la majeure partie du monde. Malgré cela, elle n’a jamais réclamé la mise à mort de tous les mages. Elle croyait en une coexistence pacifique.
- Je n’ai pas le souvenir que la Chantrie ait été aussi tolérante envers la magie que ce que vous décrivez, fit la Messagère en se remémorant ses nombreuses années passées parmi les sœurs chantristes à cause de son père.
- Non, admit la Révérende Mère, la Chantrie est un vaisseau imparfait, tiraillé dans toutes les directions par ceux qui voudraient le diriger. Pourtant, les templiers se sont rebellés précisément parce que la Divine Justinia n’était pas assez sévère. L’Inquisition trouvera peut-être un meilleur moyen ?
Les deux femmes firent quelques pas ensemble à travers la nef, jusqu’à ce que Mère Giselle s’arrête devant les grandes portes ouvertes.
- Présentement, je dois vous laisser, dit-elle de sa voix douce, des malades m’attendent dehors. Mais sachez que ma porte vous sera toujours ouverte si vous voulez discuter.
Mère Giselle prit congé de la Messagère, qui retourna dans sa petite chambre pour préparer son voyage à Golefalois.
Lorsque les quatre compagnons partirent de Darse le lendemain, le ciel était blanc jusque dans la vallée. Il fallait s’attendre à de la neige même aux points les plus bas. Lédara montait Orkaan, devenu sa fidèle monture depuis leur rencontre aux Marches Solitaires. Elle savait que cela allait lui faire du bien de redescendre dans les contrées qu’il connaissait, la petite équipe rejoignant d’abord le campement des Marches Solitaires. Les quatre équipiers bifurqueraient alors en direction de Golefalois qui se trouvait à une demi-journée à cheval.
Les membres de l’Inquisition arrivèrent rapidement devant l’enceinte du village de Golefalois, ce malgré l’épaisse couche de neige qui recouvrait maintenant le sol. Ils descendirent de cheval, les attachant à l’abri des regards et du vent, car ils avaient cru apercevoir des lueurs étranges devant la lourde porte de fer restée fermée. En s’approchant, ils découvrirent une faille que quelques soldats féreldiens combattaient. Les quatre compagnons se joignirent alors à la bataille, mais quelque chose clochait avec cette faille-là. Lédara s’approcha de la déchirure et sentit le temps ralentir autour d’elle, lui donnant alors l’avantage sur les démons qui l’attaquaient. Puis, esquivant une attaque, elle s’éloigna de la faille et sentit alors une brusque accélération et ne put éviter le coup de griffe de la Terreur qu’elle combattait. La blessure était superficielle, et Lédara riposta aussitôt, anéantissant son adversaire. Les autres avaient fait de même et plus aucun démon ne restait dans les parages. La Messagère s’avança vers la faille, retira son gant et la referma d’un geste vif. Le temps reprit alors son cours normal.
- C’était quoi cela ? lança Lédara en se tournant vers ses compagnons.
- On ne sait pas ce que font ces failles, dit Cassandra, on aurait dit que celle-ci pouvait modifier le temps autour d’elle.
- Nous devons découvrir ce qui a provoqué cela, lança la Messagère, un peu effrayée par ce nouveau phénomène.
- Par la grâce du Créateur ! s’écria un soldat étranger, c’est fini ? Ouvrez les portes ! lança-t-il en direction des remparts.
Le soldat courut à l’intérieur rejoindre son contingent. Un éclaireur de l’Inquisition attendait l’équipe de la Messagère de l’autre côté :
- On a fait passer le mot que l’Inquisition était en chemin, annonça-t-il aux membres de l’Inquisition, mais sachez que personne ne semblait nous attendre.
- Personne ? l’interrogea Lédara, pas même la Grande Enchanteresse Fiona ?
- Si c’était le cas, elle l’a gardé pour elle, lui répondit l’éclaireur. On a demandé à utiliser la taverne pour les négociations.
- Agents de l’Inquisition, dit un jeune mage elfe qui s’était approché du groupe, toutes mes excuses ! Le Magister Alexius est aux commandes, désormais, mais il se fait attendre. Il ne devrait plus tarder. En attendant, vous pouvez discuter avec l’ancienne Grande Enchanteresse.
Le jeune elfe leur fit signe de le suivre jusqu’à la taverne où se trouvait Fiona et d’autres mages de rang. Lédara lança un regard interrogatif à la Chercheuse qui le lui rendit : elle non plus ne semblait pas comprendre ce qui se passait là. L’Inquisition se mit tout de même en route, suivant le jeune mage.
- Le Voile est plus faible ici qu’à Darse, observa Solas alors qu’ils entraient dans le village. Il n’est pas seulement plus faible, il est altéré d’une manière que je n’avais jamais vue, ajouta-t-il perplexe.
Le village se trouvait sur les rives du lac Calenhad dont les eaux scintillaient sous le soleil pâle de l’hiver. Les docks étaient encore actifs, chargeant et déchargeant les marchandises en provenance d’Orzammar, la cité naine pour laquelle les nains « surfaciens » commerçaient avec efficacité. Au sommet d’une colline, avant de descendre en direction du lac, se tenait un ancien moulin à vent qui avait subi les dégâts du temps, et semblait avoir subsisté au cinquième Enclin. Le moulin n’avait pas été reconstruit, mais il était resté comme le vestige d’un passé révolu. Les membres de l’Inquisition descendirent dans le village qui semblait surpeuplé : hormis les habitants, plus d’une centaine de mages vivaient maintenant à Golefalois, et les réfugiés semblaient tous être doués de magie. Ils traversèrent la place du marché où siégeait une statue d’un griffon couché et regardant l’horizon de l’immense lac. Ce monument avait été érigé en l’honneur de la Garde des Ombres qui avait protégé le village des engeances il y avait de cela dix ans. Ils arrivèrent enfin devant la taverne où tous les mages de rang s’étaient réunis. Quand la petite équipe entra à l’intérieur, le silence se fit tout à coup. Tous observèrent la Messagère et ses compagnons, attendant de voir ce qui allait se dire :
- Bienvenus, Agents de l’Inquisition, dit Fiona de sa voix de vieille femme tout en s’avançant vers eux.
Elle ne portait plus sa large cape, mais Lédara reconnut sa longue robe de mage ourlée de fourrure. Cette fois-ci, elle put mieux distinguer les traits de l’enchanteresse : elle avait un petit visage aux grands yeux verts et les marques de l’âge sillonnaient son visage inquiet. Malgré son ton calme et posé, l’on voyait que la vieille elfe avait peur.
- Qu’est-ce qui vous amène à Golefalois ? continua-t-elle, toujours de la même intonation.
- Nous honorons l’invitation que vous nous avez lancée à Val Royeaux, répondit Lédara, étonnée de la question.
- Vous devez faire erreur, répondit l’enchanteresse perplexe, je n’ai pas mis les pieds à Val Royeaux depuis… avant le Conclave.
- Si ce n’était pas vous qui m’avez invitée, c’était qui ? demanda la Messagère, dubitative.
- Je… je ne sais pas, bégaya-t-elle, maintenant que vous le dites, c’est… c’est étrange… Je ne sais pas quelle est la personne ou la chose qui vous a fait venir ici, mais la situation a changé. Les mages libres ont déjà prêté allégeance à l’Empire Tévintide.
- Une alliance avec Tévinter ? s’exclama Cassandra, vous n’avez pas peur que tout Thédas se révolte ?
- Nom des Saintes miches ! jura Varric, je ne vois pas ce que vous auriez pu faire de pire. Rien.
- Je comprends que cela vous effraie, s’écria Solas à l’enchanteresse, mais vous méritez mieux que de devenir les esclaves de Tévinter !
- Etant maintenant sous les ordres d’un Magister, reprit Fiona désemparée, je ne suis plus habilitée à négocier avec vous.
- Le corps de la Divine est à peine froid que vous avez déjà rallié Tévinter ? dit Lédara.
- Tout Thédas nous tient pour responsables de sa mort, rétorqua Fiona, les attaques des templiers se sont intensifiées, et nous, les mages, n’avions pas d’alliés. Soit on se lançait dans un baroud d’honneur ici à Golefalois, soit on n’acceptait la seule aide qui nous était offerte. Il fallait que je les sauve, je n’avais pas le choix.
La porte de la taverne s’ouvrit à nouveau derrière l’Inquisition, laissant entrer un homme d’une cinquantaine d’années, vêtu de larges étoffes rouge orangé maintenues par une ceinture et d’une capuche aux mêmes couleurs. Il arborait une barbe taillée en collier, soulignant les traits durs de son visage. Il s’approcha des membres de l’Inquisition en affichant un sourire chaleureux, suivit d’un autre homme, plus jeune.
- Bienvenue ! s’exclama le cinquantenaire d’un ton mielleux à l’adresse de la Messagère, toutes mes excuses pour ce retard.
- Agents de l’Inquisition, dit Fiona, permettez-moi de vous présenter le Magister Géréon Alexius.
- Les mages du Sud sont sous mes ordres, ajouta celui-ci. Et vous, vous êtes la survivante de l’Immatériel, c’est cela ? Intéressant.
La Messagère et le magister se firent face, se défiant mutuellement du regard.
- J’aimerais en savoir plus sur cette alliance entre Tévinter et les mages rebelles, lui lança Lédara de but en blanc.
- Bien sûr, que voulez-vous savoir ? répondit aimablement le Magister, ses yeux restant froid comme de l’acier.
- La Grande Enchanteresse dit être « sous les ordres d’un Magister ».
- Nos camarades sudistes n’ont aucun statut juridique à Tévinter, expliqua courtoisement Alexius. N’étant pas nés citoyens de l’Empire, ils doivent s’acquitter de dix années de service avant de jouir de tous leurs droits. Mon rôle est de les protéger et de superviser leur travail pour l’Empire.
- Quel intérêt pour Tévinter de prendre les mages rebelles sous son aile ? l’interrogea la Messagère.
- Pour le moment, les mages du Sud nous coûtent cher, répliqua le magister. Mais une fois leur entraînement terminé, ils rejoindront notre légion.
- Vous aviez dit qu’ils ne seraient pas tous dans l’armée ! s’écria Fiona indignée par cette réponse. Il y a des enfants, ils ne peuvent pas…
- Et un jour, la coupa le magister, je suis sûr qu’ils seront tous des citoyens productifs de l’Empire, une fois leurs dettes payées.
- Et quand est-ce que vous avez négocié cet arrangement avec Fiona, au juste ? demanda Cassandra.
- Après la destruction du Conclave, répondit Alexius, un semblant de fausse pitié dans la voix, ces pauvres mages ont été victimes de la brutalité des templiers, qui se sont empressés de les attaquer. Ce ne peut être que l’œuvre du destin si je suis arrivé à temps.
- C’est bien tombé… ça, c’est sûr, marmonna Fiona avec cynisme.
- Je n’ai vu aucune trace du Iarl de Golefalois ou de ses hommes, fit remarquer Lédara avec prudence.
- Le Iarl a quitté le village, répondit simplement Alexius.
- Le Iarl Tiegan n’a pas abandonné ses terres pendant l’Enclin, lança Cassandra véhémente, même lorsqu’elles étaient assiégées.
- Il y avait des… tensions grandissantes, justifia le magister le sourire aux lèvres, je voulais éviter un incident.
- Vous êtes bien loin de Tévinter, Alexius, dit Lédara qui sentait que quelque chose de louche se passait.
- En effet, mais je crois savoir que vous n’êtes pas non plus de Férelden, nous sommes tous les deux étrangers, ici.
Le Magister esquissa un petit sourire. Il marquait un point. La joute visuelle qu’avaient commencé Alexius et la Messagère s’interrompit un instant et il désigna de sa main une table libre, l’invitant à s’asseoir. Lédara le suivit et s’assit en face de lui. Cassandra se posta non loin d’elle, intimidant tous ceux qui oseraient faire un geste à l’encontre de la Messagère.
- Félix, dit le magister au jeune homme qui le suivait, pourrais-tu aller chercher un scribe, s’il te plaît ? Oh, pardonnez mes manières, camarade, s’adressa-t-il à Lédara, mon fils, Félix.
Le jeune homme s’inclina devant la Messagère avant de partir chercher ce que son père désirait.
- Je ne suis pas surpris de votre venue, reprit Alexius, contenir la Brèche est une prouesse que peu oseraient tenter. Qui sait combien de mages seront nécessaires pour une telle entreprise ? C’est ambitieux, c’est sûr.
- C’est que, quand on se bat contre un trou dans le ciel, on est un peu obligé de voir les choses en grand… dit Lédara, ne plaisantant qu’à demi.
- Il devra y avoir…
Le Magister Alexius s’arrêta en voyant son fils qui revenait en titubant étrangement. Comme Félix se dirigeait vers Lédara, celle-ci se leva de son siège. Le jeune homme tomba alors à la renverse sur elle, lui saisissant les mains.
- Félix ! s’écria Alexius inquiet et se précipitant vers son fils.
- Toutes mes excuses, balbutia le jeune homme à la Messagère, pardonnez ma maladresse, noble dame.
- Est-ce que tu vas bien ? s’enquit son père, très soucieux.
- Tout va bien, père, le rassura Félix.
- Viens, je vais chercher tes remèdes, dit Alexius en prenant son fils par le bras et l’aidant à se relever. Veuillez m’excuser, camarade, dit-il en s’adressant à Lédara, nous reprendrons plus tard. Fiona, j’ai besoin de vos services au château.
- Je ne veux surtout pas déranger tout le monde, dit Félix d’une voix faible.
- Je recontacterai l’Inquisition, dit le magister, nous terminerons cette affaire un autre jour.
Alexius sortit avec son fils, suivis de la Grande Enchanteresse Fiona, laissant l’Inquisition seule dans la taverne avec les autres mages de rangs inférieurs. Lédara jeta un dernier regard au jeune homme, puis ouvrit sa main droite qu’elle tenait fermement serrée depuis la faiblesse de Félix. Celui-ci y avait glissé un petit papier froissé sur lequel était transcrit un court message :
- « Venez à la Chantrie, vous êtes en danger. » lut-elle à voix basse pour que seuls Cassandra et ses autres compagnons l’entendent.
- Ouh, fit Varric, que de mystères.
- Qui sait ce qui nous attendra dans cette Chantrie ? lança Lédara en regardant la porte où avaient disparus le magister, Fiona et Félix.
- Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir, conclut Varric.
Les quatre compagnons sortirent de la taverne ; mais avant de se diriger dans ce qui pouvait être un piège, ils décidèrent d’interroger les habitants de Golefalois et les mages qui s’y étaient installés. Les langues ne tardèrent pas à se délier, en bien comme en mal. Au sortir de la taverne, une jeune mage les apostropha :
- On n’a pas besoin de vous ici, dit-elle d’un ton acerbe, votre Inquisition n’est ni plus ni moins qu’une bande de templiers.
- Qui êtes-vous ? lança Cassandra à l’adresse de la jeune femme.
- Linnéa. Juste Linnéa. Ne me demandez pas de quelle tour du Cercle je viens, c’est du passé. On est tous des mages libres, maintenant.
- Vous préférez vous incliner devant Tévinter que de rejoindre l’Inquisition ? lui répondit Varric.
- Vous êtes tous pareils, les chantristes : vous pensez que Tévinter est l’incarnation du mal. Juste parce que des mages sont au pouvoir. Personne ne veut voir la réalité en face : leurs mages sont libres et le monde continue de tourner.
- Les magisters invoquent des démons et pratiquent des sacrifices humains ! lança Varric, atterré.
- La Chantrie invente tout et n’importe quoi pour nous faire peur, rétorqua la jeune Linnéa. La magie du sang est une arme comme une autre. Les gens n’aiment pas l’idée qu’on puisse contrôler leurs pensées, mais quand il faut lancer des boules de feu, ils sont bien contents de nous avoir. A Tévinter, les mages s’auto surveillent. Et cela marche.
- Mais enfin, pourquoi tout le monde pense qu’on fait partie de la Chantrie ? s’exclama Cassandra, on a quitté la Chantrie. Ils nous détestent.
- C’est cela, lança Linnéa, et moi, je suis l’Impératrice d’Orlaïs.
La jeune mage tourna les talons et s’en alla d’un pas ferme. Le groupe de l’Inquisition voulait en savoir plus. Si tous à Golefalois pensaient la même chose que cette mage, ils ne pourraient rien faire contre le magister.
Ils s’éloignèrent de la taverne et se retrouvèrent sur la place du marché où ils aperçurent un homme d’âge mur qui réunissait quelques affaires, comme s’il allait quitter le village. Lédara s’approcha de lui ; l’homme se redressa et se tourna vers eux, le regard vide. Il possédait une marque en forme de soleil sur le front : le signe des Apaisés. Ces gens étaient d’anciens mages à qui on avait coupé tout lien avec l’Immatériel, et donc avec toute magie. Ils devenaient alors des personnes sans émotions qui ne pouvaient plus exercer leurs dons, mais qui se spécifiaient dans l’accumulation du savoir et les enchantements d’objets. L’homme parla spontanément à Lédara :
- Le Magister Alexius n’apprécie pas les gens sans magie comme vous et moi, dit-il d’une voix monocorde, n’espérez pas rester longtemps. De nombreux villageois sont déjà partis pour échapper à son courroux.
- Qu’est-ce que le Magister a contre vous ? lui demanda Lédara.
- Il n’aime pas qu’on lui rappelle ce que les mages peuvent devenir, expliqua l’Apaisé. Il veut que tous les Apaisés quittent Golefalois, mais qui voudrait de nous ?
- Vous êtes l’un des Apaisés ?
- Oui, répondit-il simplement, la voix monocorde. Mes talents magiques n’ont pas suffi à me protéger de la tentation des démons. Plutôt que de risquer qu’ils s’emparent de moi, le Cercle a préféré rompre mon lien avec l’Immatériel. Ma magie a disparu, et avec elle mes rêves et mes désirs. Ceux qui se sont installés à Golefalois préfèrent nous ignorer.
- Les Tévintides sont là depuis combien de temps ? demanda Cassandra.
- Le Magister Alexius est arrivé à la tombée de la nuit, deux jours après notre départ du Saint temple cinéraire. Il a forcé certains non-mages à le servir, et a chassé tous les autres du château. Même le Iarl a été évincé.
L’Apaisé se tut et se tourna à nouveau vers les quelques affaires qu’il avait réunies, semblant avoir oublié qu’il parlait à d’autres gens ; les membres de l’Inquisition s’éloignaient lentement, quand l’homme les interpela :
- Un instant, vous êtes membres de l’Inquisition, n’est-ce pas ? Je suis alchimiste. Vous devez avoir besoin de potions. Puisque le magister ne veut pas de moi, je pourrais vous offrir mes services.
- L’Inquisition serait ravie de vous compter parmi ses membres, lui répondit Lédara après avoir échangé un regard avec la Chercheuse.
- Merci. C’est réconfortant de savoir que l’on peut toujours se rendre utile.
Cassandra fit un signe à l’éclaireur qui les avait précédé de s’occuper discrètement de l’Apaisé, et le groupe reprit sa route. Ils marchèrent un peu dans les rues, observant et écoutant ce qui se disait, jusqu’à ce qu’un mage les interpelle, une pointe d’amertume dans la voix :
- L’Inquisition, hein ? Si seulement vous étiez arrivés plus tôt. Ces Tévintides me donnent des boutons.
- Et, vous êtes ? demanda la Messagère.
- Je m’appelle Talwyn, du Cercle des mages d’Hossberg, répondit le mage d’origine elfique. J’y ai vécu presque toute ma vie, depuis que j’ai découvert ma magie, à l’âge de six ans. Trois repas par jours, un enseignement de qualité, un toit. Tant qu’on n’invoque pas de démons, ces tours ne sont pas si terribles.
- Si vous étiez heureux dans le Cercle, pourquoi êtes-vous là avec les rebelles ? demanda Lédara, étonnée.
- On est tous des rebelles, maintenant, répondit l’elfe, depuis le vote. La majorité voulait dissoudre les Cercles. Le reste d’entre nous a suivi ou a été écarté. Je me suis dit que je serais mieux avec mes camarades que tout seul.
Lédara se souvint alors des paroles de Vivienne à propos du vote lancé par la Grande Enchanteresse Fiona. De nombreux mages n’avaient pas choisi cette situation et la subissaient violemment.
- Vous n’êtes pas satisfait de cette nouvelle alliance ? l’interrogea Cassandra.
- Il y a quelque chose qui cloche chez eux, répondit-il en baissant la voix. Ils ne sont pas comme nous. Avec ou sans magie, je préfère faire partie des gens honnêtes que de m’allier à ces magisters.
- Comment la Grande Enchanteresse en est venue à s’allier à Tévinter ? lui demanda la Messagère.
- On était en train de se préparer à une attaque des templiers, et tout à coup, on s’est retrouvés alliés aux magisters, raconta le mage en fronçant les sourcils. Comme cela, sans prévenir. Cela nous a sauvés… en quelque sorte. Mais c’était se relever pour mieux tomber…
- Je vous remercie, dit Lédara en prenant congé du mage.
- Faites attention, leur lança-t-il, les Tévintides ne doivent pas être ravis que vous posiez toutes ces questions.
La petite équipe commença à se diriger vers la Chantrie, toujours à l’affut des discussions et mouvements des mages et des habitants de Golefalois qui pourraient leur donner des informations supplémentaires sur la situation. Ils croisèrent le jeune mage elfe qui les avaient conduits jusqu’à la taverne ; il s’avança vers eux :
- Vous êtes de l’Inquisition, dit-il je ne pensais pas que vous seriez encore là. Vous vouliez vraiment vous allier avec nous ?
- C’est si dur à croire que cela ? demanda Lédara.
- Tout le monde nous en veut, soupira le mage. Mais les templiers aussi ont quitté la Chantrie. Ce n’est pas pire, ça ? Ils avaient prêté serment, eux. Et pourtant, tout le monde l’appelle la « rébellion des mages ». C’est nous qu’ils détestent. Qu’est-ce qu’on pouvait faire ? Rester et devenir des esclaves ?
- Pour bâtir le monde que l’on désire, il faut parfois prendre des mesures regrettables, intervint Solas de sa voix profonde et calme.
- J’espère que vous pourrez faire quelque chose, continua l’elfe, une alliance avec Tévinter… cela ne peut pas être la solution.
- Vous êtes bien jeune pour prendre part à tout cela, lui dit Lédara.
- Je m’appelle Lysas. J’ai découvert ma magie à l’âge de neuf ans. Les templiers ont débarqué dans le bas-cloître et m’ont emmené au Cercle. Ils ne m’ont même pas laissé dire au revoir. Ce n’est pas juste. J’ai travaillé dur, j’ai passé ma Confrontation, je chante le Cantique… et je serai enfermé pour le restant de mes jours.
- Vous n’approuvez pas la décision de la Grande Enchanteresse ? lui demanda Cassandra.
- J’étais là quand on a voté pour la dissolution du Cercle, répliqua-t-il. Nos demandes avaient vraiment l’air de lui tenir à cœur. Elle était prête à se révolter, mais elle voulait que ce soit le souhait de tous les mages. J’ai du mal à croire qu’elle soit allée en douce nous vendre aux magisters.
- Le Magister Alexius… quand est-il arrivé ? demanda la Messagère.
- Un jour ou deux après… le Conclave. Venu nous sauver du courroux des templiers, qu’il disait. Mais je ne me sens pas sauvé du tout.
- Prenez soin de vous, dit Varric, il se passe des choses étranges.
- Je n’aurais jamais cru que la Grande Enchanteresse s’inclinerait devant un magister, marmonna l’elfe en retournant à ses affaires.
Le groupe s’éloigna, reprenant la route pour la Chantrie. Elle semblait abandonnée, mais ils trouvèrent la Révérende Mère de Golefalois priant un peu plus loin avec quelques habitants et des mages. Cassandra voulut lui parler avant d’entrer dans l’église. En s’approchant, la Mère leva la tête et reconnut la Messagère :
- On dit que vous avez été envoyée par Andrasté pour sauver le monde, dit la Mère d’une voix douloureuse. Si cela peut sauver des vies et rétablir la paix, je serai la première à y croire.
- Je fais de mon mieux, répondit prudemment Lédara.
- Je ne vois pas d’autres prêtres dans le village, lança Cassandra, où est passé tout le monde ?
- Le magister nous a « invités » à partir, « par souci de sécurité », mais j’ai refusé, raconta la Révérende Mère. S’il veut me mettre dehors, il peut venir s’en charger lui-même. D’ici là, je continuerai à m’occuper de mes ouailles.
- Vous travaillez pour la rébellion des mages ? demanda encore Cassandra.
- Les mages sont les enfants du Créateur, comme nous tous, lui répondit-elle sereinement. Et comme nous tous, ils sont parfois ébranlés dans leur foi.
- Pensez-vous que les mages doivent être libres ? continua la Chercheuse.
- A choisir entre le Cercle et la mort, la plupart des mages ont préféré renoncer à quelques petites libertés pour avoir la sécurité. Mais le vent a tourné, et il semble maintenant qu’aucune restriction n’en vaille la peine. Je crois qu’on devrait leur laisser une chance de montrer qu’ils méritent leur liberté.
- Qu’est-ce que vous pensez de la collaboration entre les mages et Tévinter ? demanda à son tour Lédara.
- L’Empire a brûlé Andrasté, reprit la Mère. Depuis, nous avons mené quatre Marches Exaltées contre eux. Et pourtant, à chacune d’entre elles, ils ont reconnu l’existence du Créateur. Maintenant, quand je parle de Lui, les magisters se gaussent. Il s’est passé quelque chose, et j’ai peur d’imaginer quoi.
- Nous allons vous laisser à vos devoirs, dit Lédara pour prendre congé de la Mère.
- Puisse le Créateur veiller sur vous, mon enfant.
Ils arrivèrent enfin en haut de la colline où se trouvait la Chantrie. Cassandra poussa la porte et laissa entrer les trois autres. La grande nef n’était que peu éclairée au premier abord, mais lorsqu’ils furent tous à l’intérieur, ils distinguèrent au fond de la salle une faille semblable à celle vue devant les remparts du village et qui crachait des démons. Un jeune homme à l’allure élancée semblait combattre à l’aide d’un bâton de mage les Ombres qui l’encerclaient depuis un moment. En entendant la porte de la Chantrie se refermer, il se retourna vivement et lança aux quatre nouveaux venus :
- Enfin, vous voilà ! Un petit coup de main pour fermer cela, ce ne serait pas de refus.
Cassandra et Varric avaient déjà dégainé leurs armes, Solas usa de ses sorts de barrière pour limiter le nombre de démons et Lédara encocha deux flèches à la fois. La petite équipe commençait à avoir l’habitude de ce genre d’affrontement, et les démons furent rapidement anéantis.
Cependant, trois Terreurs sortirent de la faille : elles disparurent immédiatement dans le sol, et personne ne savait où elles allaient réapparaître. Lédara sentit des vibrations sous ses pieds, elle avait l’impression que le temps s’accélérait autour d’elle sans qu’elle puisse faire quoi que ce soit ; elle sauta alors le plus loin qu’elle put de sa position, un des trois monstres surgissant de terre. La puissance et la vitesse avec lesquelles il réapparut lui fit perdre l’équilibre dans sa réception, mais ne l’empêcha pas de décocher une flèche à travers le crâne de la Terreur qui s’effondra en poussant un cri strident. Les deux autres avaient surgi près de Cassandra et de Solas, ce dernier l’ayant directement figé dans la glace. Varric tira en plein cœur du monstre gelé, le brisant en mille morceaux. Au même moment, Cassandra achevait la troisième Terreur d’un coup d’épée qui lui fendit le ventre. Les trois monstres s’évaporèrent et rejoignirent la déchirure. Lédara retira son gant et établit le lien magique avec la faille, qu’elle referma d’un coup net.
Le jeune homme avait observé la scène de ses yeux ébahis. Il était grand et mince, plutôt bien bâti pour un mage. Il avait la peau basanée et des cheveux courts ébouriffés d’un noir d’ébène. Il portait une petite moustache parfaitement taillée et montant en petites boucles sur les commissures de ses lèvres. Il était vêtu d’une large étoffe retenue par une ceinture et un semi corset, tout de soie beige, orné de boucles et d’attaches en argent finement ciselées. Un pantalon et de lourdes bottes ornées d’argent clôturaient cette tenue quelque peu extravagante.
- Fascinant, dit-il en regardant l’endroit où se trouvait la faille, puis en se tournant vers Lédara. Et comment cela marche, au juste ?
Il regarda la Messagère droit dans les yeux, cherchant une réponse, puis il se mit à rire.
- Vous ne savez pas, c’est cela ? Vous vous contentez d’agiter les doigts et boum ! La faille se ferme.
- Qui êtes-vous ? lui demanda la Marchéenne.
- Ah, les formalités d’usage, je les oublie toujours. Dorian de la maison Pavus, venu tout droit de Minrathie, comment allez-vous ?
Il fit une révérence élégante devant Lédara.
- Encore un Tévintide, lança Cassandra, méfiez-vous de celui-là.
- Vos amis sont bien suspicieux, s’écria-t-il joyeusement. Alexius était mon mentor, autrefois… Donc mon aide vous serait plus que précieuse, comme vous pouvez l’imaginer.
- Vous êtes un magister ? demanda Lédara, suspicieuse elle aussi.
- Je suis un mage, répondit Dorian, je viens de Tévinter, mais je ne suis pas un membre du Magisterium. La nuance est là. Je sais que les sudistes ne font pas la différence, mais si vous ne voulez pas passer pour des barbares, attention à ce que vous dites.
- Je pensais que Félix serait là, dit Lédara en jetant un œil autour d’elle.
- Il ne va sûrement pas tarder, lança le mage tévintide. Il devait vous transmettre le message et nous retrouver après s’être débarrassé de son père.
- Alexius s’est précipité pour aider Félix quand il a fait semblant de défaillir, il y a quelque chose qui ne va pas ? lui demanda Varric.
- Il traîne une maladie depuis des mois, dit brièvement Dorian, Félix est fils unique, et Alexius joue les mères poules, c’est tout.
- Donc, c’est vous qui avez envoyé le message ? résuma la Messagère.
- Oui, confirma-t-il. Il fallait bien que quelqu’un vous prévienne. Pour commencer, il y a Alexius qui vous a coupé l’herbe sous le pied en ralliant les mages rebelles. Comme par magie ? Exactement ! Pour atteindre Golefalois avant l’Inquisition, Alexius a altéré le temps.
- Il a altéré le temps pour arriver juste après la mort de la Divine ? s’étonna la Messagère.
- Vous comprenez vite, ironisa le mage tévintide.
- Si c’est vrai, intervint Solas, c’est effectivement fascinant… et très certainement dangereux.
- La faille que vous avez refermée, continua Dorian à l’adresse de Lédara, vous avez vu comme elle a déformé le temps autour d’elle, accéléré certaines choses, et ralenti d’autres ? Bientôt, il y en aura d’autres comme cela, de plus en plus loin de Golefalois. La magie qu’utilise Alexius est extrêmement instable, et elle est en train de bouleverser le monde.
- « La magie temporelle, bon sang, mais c’est bien sûr ! » railla Lédara avec ironie, et sinon, vous avez des preuves ?
- Je sais de quoi je parle, dit fermement Dorian, j’ai participé à l’élaboration de cette magie. Quand j’étais encore l’apprenti d’Alexius, ce n’était que de la théorie, il n’arrivait pas à l’appliquer. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi il fait cela… Déchirer le temps juste pour quelques centaines de laquais ?
- Il ne l’a pas fait pour cela, dit Félix qui venait d’arriver dans la Chantrie en catimini.
- Ce n’est pas trop tôt ! lui lança Dorian, il se doute de quelque chose ?
- Non, mais je n’aurais pas dû jouer le malade, lui répondit Félix. J’ai cru qu’il allait passer sa journée à mon chevet. Mon père a rejoint une secte de suprémacistes tévintides qui se fait appeler les « Venatori », dit-il à l’adresse de la Messagère. Et je peux vous dire une chose : tout ce qu’il a fait pour eux, il l’a fait pour vous atteindre.
- Pourquoi altérer le temps et rallier les mages rebelles, juste pour m’atteindre ? s’étonna Lédara, ne comprenant pas.
- Vous êtes l’objet de leur obsession, répondit Félix, mais je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que vous avez survécu au Saint temple cinéraire ?
- Vous avez le pouvoir de refermer ces failles, réfléchit Dorian, il y a peut-être un lien. Ou peut-être qu’ils vous voient comme une menace ?
- Si les Venatori sont responsables de ces failles, reprit Félix, ou de la Brèche, ils sont encore pires que je le pensais.
- Alexius est votre père, pourquoi comploter contre lui ? demanda Lédara, à nouveau suspicieuse.
- Pour la même raison que Dorian, soupira Félix, j’aime mon père et j’aime mon pays. Mais cela ? Cette secte ? Cette magie temporelle ? C’est de la folie. Pour son propre bien, il faut l’arrêter.
- Et si on pouvait éviter qu’il fasse un trou dans le temps, ajouta Dorian, ce serait bien aussi. Un trou dans le ciel, cela suffit.
- Des suggestions ? demanda Lédara à toute l’assemblée.
- Vous savez qu’il vous a prise pour cible, dit Dorian, s’attendre à tomber dans un piège, c’est la première étape pour tourner la situation à votre avantage. Je ne peux pas rester à Golefalois, Alexius ne sait pas que je suis là, et je veux que cela continue. Mais quand vous serez prête à agir, je veux vous accompagner. Je vous tiens au courant. Oh, et Félix ! ajouta-t-il en se dirigeant vers une porte dérobée de la Chantrie, tâchez de ne pas vous faire tuer.
- Il y a des sorts pires que la mort, Dorian, murmura le jeune homme.
Félix repartit également de son côté, ne voulant pas éveiller les soupçons de son père. L’Inquisition se retrouva seule dans la Chantrie.
- Croyez-vous vraiment que le fils d’Alexius et son apprenti l’ont trahi tous les deux ? lança Solas avec suspicion, l’un comme l’autre, cela sent le piège à plein nez.
- Leur propension à la trahison soulève la question suivante, dit Cassandra, vont-ils nous trahir, nous aussi ?
Cassandra suggéra ce que tous pensaient à ce moment-là : rentrer à Darse et établir un plan d’attaque avec les trois dirigeants de l’Inquisition.
Trois jours plus tard, à peine arrivés à Darse, Cassandra alla directement réunir Léliana, Joséphine et Cullen à la salle du conseil. Lédara les rejoindrait un peu plus tard, le temps de déposer ses affaires dans sa chambre. Ce qu’ils avaient découvert à Golefalois dépassait ce qu’ils avaient pu imaginer auparavant ; l’Empire tévintide était craint car les mages n’y avaient aucune limite et que toute la société était dirigée par eux, réduisant en esclavage les non-mages. Historiquement, ils étaient également tenus pour responsable de l’abandon du Créateur pour ses créatures, ayant voulu pénétrer physiquement dans la Cité d’Or de l’autre côté du Voile. De leur faute en découla les Enclins : les anciens dieux qui se réveillent et s’incarnent dans le corps d’un dragon pour envahir le monde terrestre avec leur armée d’engeances. Bref, l’Empire de Tévinter était responsable de beaucoup de maux, à savoir si cela était vrai, c’était une autre histoire. Tous ces faits s’étaient passés il y avait plus de mille ans.
Lédara remonta rapidement et entra dans la salle du conseil où les trois dirigeants étaient déjà en plein débat avec la Chercheuse.
- Nous n’avons pas assez d’hommes pour prendre le château ! s’exclama Cullen, soit nous trouvons un autre accès, soit nous allons chercher les templiers, c’est tout !
- Golefalois est aux mains d’un magister, on ne peut pas tolérer cela, dit fermement Cassandra.
- La lettrrre d’Alexius demandait exprrressément la Messagère d’Andrrrasté, lança Joséphine, c’est forcément un piège.
Le magister avait devancé l’arrivée des représentants de l’Inquisition qu’il avait rencontrés en envoyant une missive directement à Darse. Joséphine montra la lettre à la Messagère, étant la première concernée par le pli.
- Un magister tévintide s’empare de Golefalois, nous invite au château pour parler, et certains d’entre nous n’ont pas l’intention de réagir, dit Léliana d’un ton sarcastique, fusillant Joséphine du regard.
- Oh, cela suffit, rétorqua cette dernière.
- On n’a pas le temps de se chamailler, intervint Lédara qui voyait encore une fois la conversation entre les conseillers tourner en rond, il faut qu’on trouve un terrain d’entente.
- Le château de Golefalois est l’une des forteresses les plus défendables de Férelden, reprit le Commandant avec pragmatisme, elle a résisté à des milliers d’assauts. Si vous y allez, ajouta-t-il à l’adresse de la Messagère, vous mourrez, et nous perdrons notre seule chance de refermer ces failles. Il en est hors de question !
- Et si on ne fait pas l’effort de rencontrer Alexius, répliqua la Maître-espionne, on perd les mages et on laisse une puissance étrangère hostile sur le pas de notre porte !
- Même si nous pouvions attaquer le château, cela ne servirrrait à rrrien, répondit Joséphine, envoyer une arrrmée de l’Inquisition « orlésienne » à Férrrelden, ce serait la guerrre assurrrée. Nous n’avons pas le choix.
- Le magister… commença Cassandra.
- … a été plus malin, la coupa Cullen.
Le silence se fit soudain dans la petite salle.
- On ne peut pas baisser les bras, dit Lédara en les regardant tour à tour, il doit bien y avoir une solution…
- On ne peut pas s’avouer vaincus, frémit Cassandra.
Les cinq regardèrent les cartes disposées sur la table, réfléchissant à une issue possible à leur problème.
- Où est le Iarl ? demanda soudain Lédara, il voudra sûrement récupérer son château ?
- Il est allé demander de l’aide à Dénérim, répondit Joséphine, et je doute qu’il accepte notrrre prrrésence pendant le siège de son prrropre château.
- Attendez, intervint Léliana, le château cache un passage secret, une issue de secours pour le maître des lieux et sa famille. C’est trop étroit pour nos troupes, mais on pourrait y envoyer des agents.
- C’est trop risqué, lança Cullen, ils se feront repérer bien avant d’atteindre le Magister.
- Pas si on fait diversion, répliqua la Maître-espionne, c’est là que l’envoyée si chère à Alexius entre en jeu.
Léliana se tourna vers Lédara, les yeux brillant d’une lueur malicieuse.
- Focaliser leur attention sur dame Trevelyan, et pendant ce temps, nous nous occupons des tévintides, réfléchit tout haut le Commandant, c’est risqué, mais cela peut marcher.
A ce moment, la porte de la petite salle s’ouvrit brusquement, laissant entrer Dorian Pavus, le mage qui avait proposé son aide dans la Chantrie de Golefalois.
- Heureusement, vous aurez de l’aide, dit-il triomphalement.
L’éclaireur qui l’accompagnait lança un regard apeuré sur le Commandant et tenta de se justifier :
- Cet homme dit avoir des informations sur le magister et ses méthodes, Commandant.
Cullen jeta un regard suspicieux sur le jeune homme qui avait débarqué à l’improviste.
- Vos espions ne passeront jamais la magie d’Alexius sans mon aide, continua Dorian, donc si vous voulez vous attaquer à lui, je vous accompagne.
Cassandra hocha la tête, signifiant aux trois dirigeants qu’elle connaissait cet individu.
- Ce plan risque d’être extrêmement dangereux pour vous, dit Cullen en se tournant vers Lédara, nous ne pouvons pas vous forcer la main. Nous pouvons toujours tenter de recruter les templiers si vous ne voulez pas servir d’appât. A vous de voir, soupira-t-il.
L’inquiétude se lisait dans ses yeux, mais Lédara ne pouvait se résoudre à laisser un magister tévintide prendre le contrôle des mages. Elle soutint son regard et approuva le plan d’un signe de tête. Léliana sortit brusquement de la pièce, accompagnée de Cassandra et de Dorian, pour aller réunir l’équipe qui s’infiltrerait dans le château, alors que Joséphine alla préparer la réponse à la lettre d’Alexius dans son bureau. Une fois seuls, Lédara s’adressa au Commandant :
- Vous le savez que c’est une menace bien trop grande pour être mise de côté.
- Bien sûr, c’est juste… c’est une opération dangereuse, répondit-il, cachant son inquiétude.
- De toutes les manières, ajouta la Messagère, après avoir réglé cette histoire à Golefalois, il nous faudra l’aide des templiers. Nous ne pourrons pas nous en sortir facilement sans eux si nous recrutons des mages en masse.
- Ce sont de sages paroles, dit Cullen, un peu surpris.
Lédara esquissa un sourire et quitta la pièce pour rejoindre Cassandra et Léliana. L’équipe avait été constituée, et la rumeur de l’opération s’était propagée comme une traînée de poudre parmi les compagnons de la Messagère. Léliana peaufinait les derniers détails quand Iron Bull déboula dans la tente :
- Je dois accompagner Trevelyan, hors de question que je la laisse aller dans ce traquenard toute seule.
- Elle ne sera pas seule, dit la Maître-espionne, et impossible que vous l’accompagniez, vous n’arriverez jamais jusqu’au château en tant que Qunari.
- Alors je ferai partie de l’équipe d’infiltration.
- Vous n’êtes pas du genre « discret », rétorqua Léliana.
- Je sais être discret quand la situation l’exige, laissez-moi être de la partie.
Bull soutint le regard noir de la Maître-espionne, qui céda et accepta l’aide du Qunari.
- Bien. Pas de vague, vous suivez les ordres à la lettre.
- Vous ne serez pas déçue, dit-il satisfait ; il fit un clin d’œil à Lédara et demanda aux éclaireurs de le mettre au courant des moindres détails de l’opération.
Léliana expliqua alors son plan à la Messagère pour qu’elle intègre toutes les éventualités selon le déroulement de l’entretien qu’elle aurait avec le magister. Elle serait officiellement accompagnée par Cassandra en tant que représentante de l’Inquisition, Blackwall pour ses aptitudes au combat rapproché et Solas pour son expertise en magie de l’Immatériel et des failles. L’équipe d’infiltration serait composée d’Iron Bull qui s’était imposé ainsi que de Dorian et d’une dizaine d’éclaireurs aguerris au combat, le tout dirigé par Léliana elle-même qui connaissait l’entrée du passage secret. Le rôle de Lédara était simple : occuper le plus longtemps possible l’attention du Magister Alexius pour que Léliana et son équipe neutralisent les forces tévintides de l’intérieur.
L’Inquisition partit pour Golefalois dès le lendemain. Il fallait établir une position hors de vue des Tévintides pour superviser l’opération d’infiltration dans le château, puis envoyer l’équipe officielle devant le Magister Alexius. Quand tout fut prêt, la Messagère pénétra dans le château, s’attendant au meilleur comme au pire.
Lédara s’avança dans le hall du château, suivie de près par Cassandra, Iron Bull, Blackwall et Solas. Des gardes tévintides étaient postés à chaque recoin de la pièce. La Messagère s’adressa à l’un des gardes :
- Annoncez-nous.
Un laquais s’approcha alors du groupe de l’Inquisition.
- L’invitation du magister s’adressait à Maîtresse Trevelyan uniquement, dit-il d’un ton froid, les autres attendront ici.
- Si mes amis ne peuvent pas entrer, lui répondit Lédara, je n’entrerai pas non plus.
La Messagère soutint le regard du laquais qui céda. Il s’écarta légèrement et conduisit les membres de l’Inquisition devant Alexius qui avait pris place sur le trône du Iarl Tiegan ; son fils Félix se tenait à ses côtés, le visage impassible. Un peu plus loin, à moitié dans l’ombre, se trouvait l’ancienne Grande Enchanteresse Fiona. Les gardes tévintides se rassemblèrent silencieusement autour d’eux à mesure qu’ils avançaient, sans pour autant se montrer en pleine lumière.
- Mon seigneur, les agents de l’Inquisition sont arrivés, annonça le laquais.
Le Magister Alexius se leva de son siège et exécuta une brève révérence :
- Chère amie ! Quel plaisir de vous revoir ! Vos camarades aussi, bien sûr, ajouta-t-il d’un ton badin. Je suis sûr qu’ensemble, nous pourrons convenir d’un arrangement équitable pour tous.
- Et les mages ? lança Fiona en s’avançant vers Alexius, on n’aura pas notre mot à dire sur notre propre sort ?
- Fiona, lui répondit le magister sur un ton condescendant, vous ne m’auriez pas confié vos fidèles si vous ne me faisiez pas confiance.
- Si la Grande Enchanteresse veut faire partie des négociations, intervint Lédara, je la convie en tant qu’invitée de l’Inquisition.
Cassandra approuva d’un léger mouvement de tête, soutenant la Messagère.
- Merci, dit Fiona, reconnaissante de la considération que lui donnait l’Inquisition.
Alexius retourna s’asseoir dans le trône usurpé, mécontent de la tournure que prenaient les choses. Son visage se durcit, rendant ses intentions difficiles à deviner.
- L’Inquisition a besoin des mages pour refermer la Brèche, reprit le magister, et donc de moi. Mais que me proposez-vous en échange ?
- Rien du tout, répondit Lédara avec tout le sérieux dont elle était capable, je viens, je prends les mages et je repars.
- Et comment comptez-vous accomplir un tel exploit ? ricana Alexius.
- Elle sait tout, père, intervint son fils.
- Félix, qu’est-ce que tu as fait ? s’écria Alexius qui se redressa dans son siège.
- Nous avons pris soin de désarmer votre piège avant d’entrer, lança Lédara, j’espère que cela ne vous dérange pas.
- Si vous le dites, répondit Alexius qui perdait patience, mais je demande à voir. Vous entrez dans mon bastion avec cette marque volée, un don dont vous ne comprenez rien, et vous croyez tout contrôler ? Vous n’êtes qu’une erreur.
- Si je suis une erreur, que devait-il se passer ? répliqua la Messagère.
- Ce devait être l’avènement de l’Ancien, mais vous étiez indigne de sa présence, rétorqua Alexius, sa voix grondant entre les murs de la salle.
- Père, vous vous entendez parler ? l’interpela son fils, arrêtez !
- Le parfait stéréotype du méchant que tout le monde veut voir en nous, lança Dorian qui sortit de l’ombre.
- Dorian, grogna Alexius, vous auriez pu faire partie de tout cela, mais vous avez refusé. Les pouvoirs de l’Ancien dépassent tout ce que vous pouvez imaginer, il fera renaître l’Empire de ses cendres.
- L’Ancien, c’est lui que vous servez ? l’interrogea Lédara avide d’en savoir plus, l’assassin de la Divine ? C’est un mage ?
- Ce sera bientôt un dieu, répondit lentement Alexius, une lueur folle dans son regard. Il rétablira le règne des mages sur le monde, de l’Océan de Boéric à la Mer de Glace.
- Vous ne pouvez pas impliquer mon peuple là-dedans ! s’écria Fiona, révoltée.
- Alexius, dit Dorian, c’est exactement ce dont on parlait, ce qu’on voulait éviter à tout prix ! Pourquoi faites-vous cela ?
A l’arrière, les hommes de Léliana faisaient leur travail discrètement et sans bruits, neutralisant les gardes tévintides sans que personne ne s’en aperçoive.
- Arrêtez, père, supplia Félix, oubliez les Venatori. Laissez les mages du Sud s’occuper de la Brèche et rentrez avec moi.
- Non ! rétorqua le magister, c’est la seule solution, Félix. Il peut te sauver !
- Me sauver ? s’étonna Félix avec incompréhension.
- L’Ancien a une solution, il me l’a promis, tenta de s’expliquer Alexius. Si je corrige l’erreur du temple…
- Je vais mourir, lui murmura Félix, désemparé, il faut que vous l’acceptiez.
- Attrapez-les, Venatori ! lança Alexius aux gardes sans entendre son fils, l’Ancien a ordonné la mort de cette femme !
Ce fut à ce moment que le magister se rendit compte du piège dans lequel il avait été enfermé : tous ses gardes avaient été tués, il ne restait plus que lui face aux membres de l’Inquisition et de son fils.
- Vos hommes sont morts, Alexius, dit Lédara.
- Vous êtes… une erreur ! hurla-t-il, submergé par la colère et la peur, vous n’auriez jamais dû exister !
Il sortit de son manteau une amulette empreinte de magie qu’il activa de ses doigts et marmonna des paroles dans une langue inconnue. Le bijou se mit à léviter au centre de la pièce, des éclairs magiques grandissant tout autour.
- Non ! cria Dorian en créant une onde de choc de son bâton, perturbant l’incantation que s’était mis à marmonner le magister.
Un tourbillon se forma à l’endroit de l’amulette, devant Dorian et Lédara ; ils entendirent un sifflement aigu, et tout l’environnement autour de la Messagère se mit à se distordre confusément. Elle ressentit une vive oppression dans son corps, son cœur s’emballa, elle crut que tout son corps allait exploser sous la pression qu’elle subissait. Elle ferma les yeux, et soudain, tout s’éteignit, plus aucune lumière, plus aucun son ne lui parvenaient. Elle avait l’impression de flotter dans l’espace. Ce moment fut extrêmement bref, car elle retomba aussitôt, s’effondrant sans connaissance dans une eau glacée.