Inquisition

Chapitre 9 : Le repos du guerrier

13830 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 22/08/2025 13:41

Ce matin-là, Lédara cherchait l’Ambassadrice Montilyet afin d’obtenir plus d’information sur le déroulement des préparations pour la fermeture de la Brèche. Cela faisait quelques jours maintenant que les mages affluaient à Darse et que Cullen et Léliana étaient occupés à les loger au mieux, et la Marchéenne ne voulait pas les déranger ; ils avaient suffisamment à faire. La jeune femme se dirigea donc vers le petit bureau de Joséphine lorsqu’elle croisa le chemin de Mère Giselle qui la salua chaleureusement :

-    Comment se passe votre quête pour refermer la Brèche ? demanda gentiment la Révérende Mère.

-    Eh bien, répondit Lédara sur un ton badin, vous savez comment cela se passe avec ce genre de chose. En tout cas, j’espère que quelqu’un le sait.

-    Vous riez pour apporter un peu de lumière dans les ténèbres, dit joyeusement Mère Giselle, cela fait plaisir à voir. Trop de gens pensent que le rire et le Cantique de la Lumière sont antithétiques. Ils s’imaginent qu’Andrasté a été une guerrière lugubre toute sa vie. Ils oublient qu’elle a aimé et qu’elle a été aimée en retour. J’espère qu’elle trouva le temps de rire pendant ses épreuves, ainsi que vous le faites.

-    Vous parlez comme si j’étais l’égale d’Andrasté, lança Lédara soudain gênée, vous savez à quel point c’est perturbant ?

-    Je peux seulement l’imaginer, répondit Mère Giselle, mais nous devons tous servir le rôle que le Créateur nous attribue. L’épée ne demande pas à être forgée. Et franchement, si une telle comparaison vous fait hésiter, je ne vois pas cela d’un mauvais œil. En tout cas, je prie pour que cette Inquisition se montre moins violente que la précédente.

L’allusion à la première Inquisition attisa la curiosité de la jeune femme.

-    Cette fameuse première Inquisition… dit alors Lédara avec curiosité, profitant que la Révérende Mère abordait le sujet.

-    Elle a été formée après le premier Enclin, expliqua Mère Giselle, heureuse de l’intérêt que portait la Messagère à cet aspect de l’Histoire, bien avant la Chantrie telle que nous la connaissons. Les Inquisiteurs étaient des chasseurs, des fanatiques qui poursuivaient et tuaient les cultistes et les mages dangereux. Quand Andrasté est arrivée au pouvoir, l’Inquisition s’est mise à son service. Au lieu de chasser ceux qui faisaient le mal, les Inquisiteurs ont répandu le Cantique de la Lumière par la force.

-    Ce n’est pas étonnant que tout le monde soit aussi nerveux en notre présence, remarqua Lédara, qui a choisi ce nom ?

-    La Divine Justinia elle-même, répondit Mère Giselle, j’ai cru comprendre que ce n’était pas une décision populaire. Quoi qu’il en soit, une fois que le Cantique de la Lumière fut bien répandu, les fanatiques devinrent moins indispensables. Les Inquisiteurs devinrent les Chercheurs de la Vérité, et finalement les templiers. 

-    Ce chapitre de l’Histoire me semble bien sombre pour être repris par la Divine, dit Lédara en fronçant les sourcils.

-    Savez-vous ce qui m’impressionne le plus dans la première Inquisition ? lui confia alors la Révérende Mère, ils ont mené d’horribles combats, ils ont ôté des vies et donné les leurs pour leur cause… Et, le moment venu, ils ont su ranger leurs épées. Ce nom était peut-être le message de la Divine Justinia : quand on a besoin de l’Inquisition, elle frappe sans pitié. Mais quand son travail est terminé, elle rengaine son épée.

Lédara aimait bien discuter avec Mère Giselle, elle avait un point de vue qui différait complètement de celui de la Chantrie et semblait avoir une connaissance pointue des textes et de leur contexte historique, ce qui apportait une dimension plus pragmatique à ses discours.

La Messagère se jura de prendre le temps de discuter plus avant avec la Révérende Mère quand le moment serait plus propice. Lorsqu’elle aperçut Joséphine qui sortait de son bureau, accompagnée par une femme naine, elle s’excusa auprès de Mère Giselle pour se diriger vers l’Ambassadrice.

-    L’Inquisition apprécie grrrandement votrrre aide, dame Korpin, dit Joséphine à la femme naine qui se tenait devant elle.

-    Et mes mineurs apprécient notre collaboration, répondit dame Korpin, vous aurez votre lyrium en fin de semaine. Je dois vous avertir, Ambassadrice, la Chantrie a grincé des dents quand elle a découvert notre petit accord.

-    Aux yeux des Grrrandes Prêtrrresses, lui répondit dame Montilyet, l’Inquisition doit êtrrre un concept pour le moins audacieux. Autant qu’indispensable. C’est ce que nous essaierrrons de leur faire comprrrendre.

-    Je dois prendre congé, au revoir, fit la femme naine en saluant l’Ambassadrice et en s’éloignant d’un pas discret.

Lédara s’approcha alors de Joséphine :

-    Qui était-ce, Ambassadrice ?

-    Une marrrchande, lui répondit celle-ci. J’ai pensé qu’il serait bon d’établir des liens avec les nains pour assurrrer l’apprrrovisionnement en lyrrrium de nos mages. D’aprrrès dame Korpin, cette décision a quelque peu agacé la Chantrrrie.

-    Comment cela ? l’interrogea la Messagère.

-    L’exploitation du lyrrrium nous rrrend plus menaçants que prrrévu. Nous devenons un adverrrsaire de taille, dit l’Ambassadrice, presque fière d’elle. Malheurrreusement, les Grrrandes Prêtrrresses ont prrréféré rrrenforcer le pouvoir de la Chantrrrie au lieu de rrrassurer les foules.

-    Les Cercles des mages s’effritent depuis de nombreuses années, fit remarquer Lédara réaliste, la Chantrie était déjà en difficulté avant le meurtre de la Divine.

-    Pourrrtant, elle a toujours eu sa place dans le cœur du peuple, soupira l’Ambassadrice Montilyet, son déclin ne nous rendrrra aucunement serrrvice.

Joséphine invita la Messagère à continuer leur discussion dans son bureau.

-    La Chantrrrie est l’une des rarrres choses qui unissent Orlaïs, le Névarra, Férelden, Antiva et même le Riveïn autourrr d’une cause commune, expliqua l’Ambassadrice.

-    A-t-elle vraiment encouragé cette paix ? lui répondit Lédara, peu convaincue.

-    Le Cantique d’Andrrrasté se chante dans tous les rrroyaumes, répliqua sagement l’Ambassadrice, il a inspirrré de nombrrreuses coutumes. Et c’est cela qui compte. Toute négociation démarrre sur une cause commune.

-    Vous en êtes sûre ? l’interrogea encore Lédara, les querelles de famille sont parfois les plus violentes.

-    J’ai moi-même grrrandi avec quatrrre frèrrres et sœurs, je ne peux pas dirrre le contrrraire, admit-elle. Néanmoins, j’ai pu constater que deux communautés ne peuvent pas négocier si elles ne s’adrrressent pas la parrrole. Nous devons apprrrendre à rrréfléchir au-delà de nos proprrres intérêts pour garrrantir la paix à Thédas.

-    Auriez-vous l’intention de changer le cours de l’Histoire, Ambassadrice Montilyet ? lança Lédara en la taquinant.

-    Je pense que l’Inquisition est déjà en trrrain de baliser la rrroute, répondit Joséphine exaltée. A ce prrropos, j’aurrrais une question, si vous avez le temps. Les dernièrrres Grrrandes Prêtrrresses ont envoyé une missive sur les rrrécents événements surrrvenus au Saint temple cinérrraire. Elles veulent savoir si l’Inquisition rrreconnaît officiellement qu’Andrrrasté vous a sauvé de la Brrrèche. Si c’était à vous de répondrrre, que dirrriez-vous ?

-    Mon avis aura un impact sur votre réponse à la Chantrie ? demanda Lédara un peu gênée.

-    Si Léliana, Cassandrrra, Cullen et moi-même pouvions déjà êtrrre en accord sur notrrre position officielle, je pourrrais vous répondrrre. Nous devons prrrendre une décision, et vite. Les Révérendes Mèrrres ne savent pas quoi faire à votrrre sujet.

Lédara prit un instant pour réfléchir ; elle avait toujours nuancé les rumeurs à ce sujet, et elle-même doutait fortement que ce soit Andrasté qui l’ait sauvé. Mais comme elle ne se souvenait de rien, elle ne pouvait ni affirmer ni infirmer ces rumeurs.

-    Comme elles, répondit Lédara avec sincérité, je serai bien incapable de dire si c’est un miracle d’Andrasté qui m’a sauvé la vie.

-    Mais avec le brrruit qui court selon lequel vous êtes la Messagère d’Andrrrasté, votrrre modestie risque de ne pas convaincrrre les Grrrandes Prêtrrresses. Merci de m’avoir donné votrrre avis.

L’Ambassadrice retourna s’asseoir à son bureau et allait se remettre au travail quand tout à coup, elle se releva :

-    Au fait, vouliez-vous me parrrler de quelque chose en parrrticulier ?

-    Oui, en effet, lui répondit Lédara en souriant, je voulais savoir quand nous serions prêt à refermer la Brèche.

-    A la fin de la semaine quand nous recevrrrons la carrrgaison de lyrium, si tout se passe bien.

-    Je vous remercie, dit la Messagère en la saluant, avant de sortir du bureau de l’Ambassadrice.

Mère Giselle était repartie auprès des guérisseurs, comme de coutume. Lédara ne voulut pas la déranger dans ses tâches et décida d’aller rendre visite à l’enchanteresse Vivienne. Celle-ci potassait un bouquin de magie spirituelle qu’elle avait réussi à récupérer de la tour de Férelden. Quand elle aperçut la Messagère au pas de sa porte, elle ferma délicatement l’ouvrage et vint à sa rencontre, l’invitant cordialement à boire le thé avec elle. La Dame de Fer fit venir son laquais qu’elle chargea de la besogne, puis s’assit avec Lédara à son petit secrétaire.

-    Je vois que les mages rebelles vont enfin être soumis à une autorité compétente, dit Vivienne avec élégance, voilà un excellent début, ma Chère. Nous allons devoir discuter de comment administrer ce nouvel atout. Cullen n’a pas assez de templiers pour faire face en cas d’incident. Il va falloir entraîner la piétaille.

-    La dernière chose dont nous avons besoin, c’est d’abominations se baladant en liberté, dit Lédara.

-    Je savais que vous comprendriez la situation, répondit Vivienne, j’en toucherai deux mots à Cullen. Nous dépendons de ses hommes. Les mages n’ont jamais subi de plus grande menace que la Brèche. Tant qu’elle existera, nul ne sera en sécurité.

L’elfe arriva avec le thé qu’il servit rapidement aux deux femmes. Lédara le remercia, ce qui surprit le laquais qui n’avait pas l’habitude d’être considéré par les nobles. Il salua la Messagère d’une petite révérence et s’enfuit à petits pas rapides de la pièce.

-    Vous dites que les mages représentent un danger, vous y compris ? demanda Lédara en se tournant vers Vivienne, intriguée.

-    Bien sûr, ma Chère. Chaque mage qui adhère à notre cause prend un risque calculé, qu’il en soit conscient ou non. La magie, comme le feu, est dangereuse. Fermez les yeux un instant et vous risquez de vous brûler.

-    Je doute que les mages de l’Empire soient d’accord avec vous, plaisanta la Messagère.

-    Rare est l’ivrogne qui vous donne raison quand vous lui dites d’arrêter de boire, renchérit l’enchanteresse. Il faut savoir choisir ses modèles. Savez-vous à quel âge un mage se révèle ? Une petite fille fait un cauchemar, dans son sommeil, et brûle sa maison. Un adolescent se met en colère et la foudre réduit sa mère en cendres. Rappelez-vous votre enfance… que ce serait-il passé si vos pensées les plus sombres avaient pris forme par votre seule volonté ?

Lédara ne répondit pas. L’enchanteresse but une gorgée de thé, se délectant de l’effet qu’elle avait produit sur la Messagère. Elle ajouta enfin :

-    Dites-moi… Puisqu’il est clair que cela dépendra de vous, quel avenir voyez-vous pour les mages ?

-    Je ne pense pas que cela dépende de moi, loin de là, s’exclama Lédara un peu surprise, mais si vous souhaitez connaître mon opinion, les mages ne peuvent être tenus à l’écart de la Chantrie. Qui mieux qu’un mage connaît les dangers de la magie ? Vous le dites vous-même.

-    En voilà une idée. Ah… Votre imagination débordante… C’est à envisager, Trésor.

Les deux femmes continuèrent à discuter quelques instants jusqu’à ce que la Marchéenne prenne congé et laisse la mage retourner à sa lecture. Lédara fit quelques pas dans la grande nef en direction des hautes portes de bois, l’esprit ailleurs. Depuis l’incident avec Iron Bull, Lédara cherchait à remercier Cullen pour son intervention salutaire, mais ce dernier semblait toujours occupé à quelque chose, et la jeune femme ne réussissait jamais à se retrouver seule avec lui. A croire qu’il la fuyait. Elle se rendit aux terrains d’entraînement, n’espérant plus l’y trouver disposé à parler avec elle. Le Commandant était effectivement là qui organisait les équipes pour l’assaut sur la Brèche et informait les retardataires. Quand il aperçut la Messagère, il clôtura rapidement la séance et donna quartiers libres aux soldats avant de partir en direction du pavillon de la Maître-espionne. Lédara eut à peine le temps de le saluer qu’il était déjà loin. La jeune femme reprit son chemin, se dirigeant alors vers la Chercheuse qui parlait avec un mage :

-    Et qu’est-ce qu’on est censés faire, nous ? entendit-elle le mage dire avec colère.

-    Ce que vous savez faire de mieux : vous plaindre, railla Cassandra.

-    On a déjà parlé au Commandant Cullen, continua le mage fulminant, personne ne veut nous écouter. On a été séparés, au mépris de nos collèges, et entassés dans de minuscules quartiers qui…

-    Vous n’êtes pas au Cercle, l’interrompit brusquement la Chercheuse, vous avez été conscrits par l’Inquisition, comme tous les soldats.

-    Comment on est censés…

-    Dé-brou-illez-vous.

Le mage partit, rouge de colère. Lédara s’approcha de la Chercheuse, la laissant décompresser un peu de cette entrevue.

-    Cela ne finira donc jamais… soupira Cassandra.

-    Ne m’en parlez pas, lui dit Lédara en souriant.

-    Je me demande juste qui leur a dit que c’était à moi qu’il fallait venir se plaindre.

-    C’est si terrible ?

-    Les mages ont trop l’habitude de fuir ou d’être emprisonnés, expliqua la Chercheuse. Ce n’est pas facile pour eux. Vous êtes responsable, après tout, lui lança-t-elle alors, c’est vous qui les avez conscrits.

-    J’ai dû réagir vite, et j’ai fait ce que j’ai pu, rétorqua Lédara sur la défensive.

Le visage de Cassandra se détendit aussitôt, ses traits durs et fatigués disparaissant soudainement.

-    Non, non, se reprit-elle aussitôt, je ne vous reproche rien. Au contraire, vous avez pris une décision quand il le fallait, et vous avez bien fait. J’aimerais avoir accompli autant que vous.

-    On ne serait pas là si vous n’aviez pas tenu tête à la Chantrie, lui retourna la Messagère.

-    Vous êtes trop aimable.

-    Vous sous-estimez votre rôle dans tout cela.

-    Et si on refermait la Brèche, après on pourra faire mon éloge, plaisanta Cassandra.

-    Je suis d’accord, répondit Lédara en riant. On s’entraîne ? lui demanda-t-elle gaiement.

Les deux femmes prirent alors leurs armes à l’armurerie et se combattirent dans un duel amical. Elles s’appréciaient mutuellement et aimaient à passer du temps ensemble, se délassant soit au combat, soit en buvant un verre à la taverne. Aucune d’entre elles n’aurait imaginé s’entendre aussi bien lorsqu’elles s’étaient rencontrées : l’une geôlière à la recherche d’un coupable, l’autre prisonnière démunie et sans mémoire.

Lédara avait profité du temps qui leur était accordé pour se rapprocher de ses compagnons de route, devenus de véritables amis pour certains. Le soir, elle aimait à jouer à la 35hhGrâce Perfide contre Varric ; cependant, il y eut un soir où le nain avait l’air plus sérieux que d’habitude et où il perdit au jeu trop facilement. Lédara lui avait alors demandé ce qui le tracassait.

-    La rébellion des mages qui rejoint l’Inquisition, dit-il, j’avoue que je ne m’y attendais pas à celle-là.

Il regarda les cartes qu’il possédait, perdu dans ses pensées :

-    Il y a une chose que vous avez vue dans le futur qui m’inquiète. Enfin, tout m’inquiète. Mais le lyrium rouge à Férelden, qui infecte les gens et pousse sur le corps, ça c’est pire que tout. Et maintenant qu’on se met à en découvrir d’autres, ma théorie de la « coïncidence au temple » ne tient plus debout.

-    Combien de temps faut-il au lyrium rouge pour se développer ? lui demanda Lédara, cela se répand vite ?

-    Il a fallu des années pour infecter les habitants de Kirkwall, mais celui-là, ils ne l’ingéraient pas. Cet « Ancien » a réussi à rendre la pire chose qui existait au monde encore pire. C’est un sacré exploit.

-    On ne peut pas laisser une once de ce lyrium dans la nature, dit la Messagère en piochant une carte.

-    Je suis d’accord, acquiesça le nain. J’ai une équipe qui essaie de retrouver l’origine de cette substance, ce devrait être une priorité. Mais passons à un sujet plus réjouissant. Vous avez remporté une belle victoire pour l’Inquisition ! Comment vous comptez fêter ça ?

-    Je compte me poser un peu, dit-elle enjouée, faire quelques petites siestes, peut-être. Et vous ?

-    Quoi que je fasse, ce sera le plus loin possible de Cassandra. En attendant, on devrait avoir le calme pour un moment, profitez-en.

Varric avait hésité à parler du lyrium rouge après ce que Lédara leur avait confié, ne voulant pas revenir une fois encore sur le sujet. Mais il se rendit compte que la Messagère avait réussi à tourner la page et que la vie reprenait son cours.

Les deux amis jouaient également souvent avec Séra, toujours fourrée à la taverne avec le nain. Cependant, ils ne s’entendaient pas aussi bien que l’on aurait pu le croire. Varric s’amusait des méfaits de Séra pour rendre l’ambiance plus gaie et enfantine dans le village, le sérieux et la morosité qu’installait la Brèche assommant l’elfe au plus haut point. Toutefois, le nain préférait discuter avec Solas ou Joséphine, sa culture et son expérience de marchand intéressant beaucoup cette dernière. Séra restait une elfe des bas-cloîtres, sans éducation et au caractère bien trempé. Contre toute attente, elle s’était liée d’amitié avec le Garde Blackwall qui adorait écouter les cancans des serviteurs et nobles de passage que Séra épiait avec le plus grand soin. Il arrivait alors, et ce de plus en plus souvent, que tous les compagnons se réunissent à la taverne, solidifiant ainsi les différents liens qui les unissaient les uns aux autres.

Un soir, un éclaireur vint avertir Lédara qu’on souhaitait la voir dans la salle du conseil. Elle rejoignit alors rapidement Cassandra et les trois conseillers qui se tenaient autour de la table centrale.

-    Les carrrgaisons de lyrrrium sont arrrivées plus vite que prrrévu, annonça Joséphine quand elle vit la Messagère entrer.

-    Nos meilleurs mages sont prêts, dame Trevelyan, lança Cullen, l’air sombre. Veillez à être prête pour l’assaut sur la Brèche demain dans la matinée.

-    Très bien, répondit Lédara.

Elle sortit de la salle, réalisant à peine ce qui se passerait le lendemain matin. Au mieux, la Brèche serait refermée, au pire leur tentative échouerait ou bien elle y laisserait la vie. La jeune femme descendit dans sa petite chambre l’esprit tourmenté.

Cullen resta jusque tard ce soir-là à planifier l’intervention de l’Inquisition sur la Brèche le lendemain. Tout devait être prêt et rien laissé au hasard, pour cela il envisageait toutes les situations possibles et imaginables, allant des plus simples aux plus catastrophiques.

Son dernier rapport terminé, il sortit de la Chantrie pour le porter à la Maître-espionne qui était encore sous son pavillon.

-    Mes derniers ordres pour demain, ainsi que la constitution des équipes, dit-il à Léliana en lui tendant une petite liasse de parchemin.

-    Parfait, répondit-elle tandis qu’elle consignait ses ordres pour ses propres éclaireurs. Tout est prêt maintenant.

-    En espérant que cela fonctionne, ajouta Cullen en soupirant.

-    Même si cela devait échouer, le rassura Léliana, tout a été prévu pour que cela dégénère le moins possible, Commandant.

-    Je le sais.

-    Pourriez-vous remettre ceci à Cassandra ? lui demanda la Maître-espionne tout en lui tendant un billet. Elle doit être à la taverne si je ne me trompe.

-    Bien sûr.

Cullen prit le parchemin replié et le glissa dans son manteau avant de se diriger vers l’ancienne auberge. Là, il y trouva effectivement la Chercheuse qui buvait un verre de vin seule à une table. L’établissement abritait encore quelques soldats, mais tous restaient bien silencieux, conscients de l’incertitude quant aux événements du lendemain. Les hommes saluèrent leur Commandant sur son passage, salut qu’il rendait brièvement, jusqu’à arriver à hauteur de Cassandra.

-    Puis-je m’asseoir ? lui demanda-t-il poliment.

-    Allez-y, répondit-elle avec un geste accueillant de la main.

-    J’ai ceci pour vous de la part de Léliana, dit-il une fois s’être assis et sortant la lettre de son manteau.

-    Ah bien, merci Cullen.

Cassandra déplia le billet, le lut rapidement puis le rangea dans une poche de son veston.

-    Comment vous portez-vous ? lui demanda-t-elle soudain avec un air très sérieux.

-    Je suis plutôt inquiet pour demain, avoua-t-il. Je suis toujours persuadé que nous aurions dû continuer à contacter les templiers, ne serait-ce que pour en gonfler nos rangs. Vous savez pertinemment ce qu’il peut se produire si cela dégénère avec les mages…

-    Je comprends vos inquiétudes, répondit lentement Cassandra, mais je pensais plutôt à…

-    Oh, cela ? Je n’en ai pas repris depuis notre dernière discussion, rassurez-vous.

-    Mais alors, dit la Chercheuse un peu gênée, si vous ne prenez plus de lyrium depuis que vous avez quitté Kirkwall et l’Ordre des templiers, comment cela se fait-il que vous avez pu annihiler la magie de la marque il y a un peu plus d’une semaine ?

-    Je ne sais pas, murmura-t-il, je ne comprends pas moi-même.

Cassandra l’observa un moment, comme si elle sondait le for intérieur du Commandant.

-    En effet, dit-elle après son examen, vous n’avez pas de lyrium dans le sang. Peut-être avez-vous… développé un don comme le feraient les Chercheurs ?

-    Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? lui demanda-t-il.

-    En vous sevrant du lyrium, vous devriez perdre cette faculté d’annihilation, expliqua Cassandra. Donc si vous la possédez toujours sans consommer de lyrium… c’est la seule explication qui me paraisse valable.

Cullen garda le silence tout en regardant par la fenêtre qui se trouvait à côté d’eux. La neige s’était mise à floconner, tourbillonnant dans de petites rafales de vent glacé.

-    Même si ce n’est pas le cas, reprit la Chercheuse, je vous aiderai à développer ce nouveau don.

Le Commandant hocha la tête en signe de remerciement, puis prit rapidement congé de la guerrière pour se diriger à nouveau vers la Chantrie. Il allait se rendre dans les combles lorsqu’il se ravisa et descendit dans les sous-sols. La pensée d’aller voir la Marchéenne avant l’assaut sur la Brèche l’avait taraudé toute la soirée et il s’y décida enfin, sur un coup de tête. Il arriva dans le long couloir obscur qui était uniquement éclairé par quelques lueurs provenant de la pièce du fond. Intrigué, Cullen s’approcha discrètement de la grande salle qui avait servi de geôle à la jeune femme après l’explosion du Conclave, une fois avoir jeté un œil dans le petit bureau qui s’avérait vide.

Lédara s’y trouvait effectivement, allumant plusieurs cierges autour d’une petite statuette d’Andrasté. Elle se tenait à genoux et n’était vêtue que d’une simple chemise de lin ample qui tombait élégamment de ses épaules, ses cheveux dénoués rassemblés sur son épaule droite, dévoilant ainsi sa nuque blanche où un petit grain de beauté se laissait apercevoir à la naissance de ses cheveux.

Une fois toutes les bougies allumées, la jeune femme prit une profonde inspiration.

-    Andrasté, bénie par le Créateur… commença-t-elle à prier.

Toutefois, elle s’arrêta et poussa un profond soupir. Cullen retint sa respiration de peur d’être démasqué.

-    Et puis zut, dit-elle soudain. Je n’ai jamais été douée pour prier et vous le savez bien.

La Marchéenne semblait s’adresser à la petite statuette.

-    J’ai beau avoir chanté le Cantique pendant des années, cela ne m’a pas aidée à savoir comment vous adresser une prière en bonne et due forme, continua-t-elle, presque sur un ton de reproche.

Elle poussa un nouveau soupir, ses mains posées sur ses genoux.

-    Vous devez certainement être au courant, mais on me considère comme votre Messagère… Je ne sais pas si c’est le cas, mais si oui, j’aurais voulu savoir quel était ce fameux message. Sauf si le message, c’est cette marque, auquel cas, vous auriez pu trouver quelque chose de moins douloureux quand même.

Lédara souleva sa main gauche et observa la marque lumineuse qui y était nichée. Elle garda le silence un instant, perdue dans ses pensées.

-    Si c’est bien votre œuvre et celle du Créateur, reprit-elle soudain, pourquoi moi ? Pourquoi tant de mort et de destruction pour délivrer un message ? Quel est Votre dessein ?

La jeune femme se mit à rire nerveusement.

-    Ces questions resteront sans réponse et je le sais, murmura-t-elle alors. Tout ce que je vous demande en cette nuit, c’est votre protection pour demain. Faites que notre entreprise réussisse, même si cela doit me coûter la vie…

Le cœur de Cullen se serra tout à coup. Il avait eu beau envisager toutes les situations avec pragmatisme, ce ne fut qu’à ces paroles qu’il réalisa le danger qu’elle encourait et surtout à quel point il s’était malgré tout attaché à elle. Il se rendit églament compte qu’elle était prête à se sacrifier afin d’arranger la situation, chose qu’il n’aurait jamais cru possible venant d’une noble. Il recula le plus discrètement possible, rebroussant chemin et retournant dans les combles, tiraillé entre son désir d’aborder la Marchéenne et celui de rompre tout contact avec ce qui le déstabilisait.  

Le lendemain matin, Lédara s’était levée aux aurores, n’ayant pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Elle avait revêtu ses vêtements de voyage ; en effet, qui savait si des démons pouvaient à nouveau surgir de la Brèche ? Elle monta les escaliers l’esprit perdu dans ses pensées et sortit de la Chantrie ; à l’extérieur, plusieurs équipes de soldats étaient déjà en route pour le Saint temple cinéraire, d’autres accompagneraient la Messagère au sommet. Elle passa à l’armurerie récupérer son arc et un carquois de flèches, ainsi que ses deux dagues. Elle espérait fortement ne pas en avoir besoin là-haut, mais on ne savait jamais. Elle resta ensuite devant les grandes portes du village, attendant le reste de l’équipe.

Le Commandant Cullen avait exigé que tous ceux qui ne seraient pas indispensables restent à Darse. Seuls Cassandra, Solas, Léliana et lui-même accompagneraient la Messagère jusqu’au temple. Fins prêts, ils partirent aussitôt en direction du Saint temple à pied, le chemin étant trop escarpé pour les chevaux. Le groupe resta silencieux durant toute l’ascension, chacun essayant de ne pas imaginer ce qui pourrait arriver de pire si l’opération échouait.

Cullen observait régulièrement la Marchéenne du coin de l’œil ; il la trouvait si calme et déterminée en cette situation où tout n’était qu’incertitude et anxiété. Il se rappela de sa prière et son cœur se serra à nouveau. Lédara ne présentait aucune trace de peur ni d’angoisse, son visage restait impassible et serein. Il admira son courage.

Après une bonne heure de marche, ils atteignirent le sommet ; là, Cullen se sépara du groupe, prenant le commandement des troupes déjà sur place. Léliana, Solas et Cassandra accompagnèrent alors la Messagère dans le temple, là où ils avaient refermé la gigantesque faille il y avait de cela plus de trois mois.

Les lieux étaient restés déserts, les cristaux de lyrium rouge avaient continué de pousser lentement dans la roche fissurée par l’explosion. Pas un seul animal ne s’aventurait dans les ruines, on n’entendait pas un seul cri d’oiseau, le ciel était vide. Loin au-dessus d’eux se trouvait la Brèche, plus menaçante que jamais. Au centre du cratère, une balafre ceignait l’espace, vestige de l’immense déchirure reliée au ciel. C’était cette cicatrice qu’il fallait faire disparaître afin de refermer définitivement le trou dans le ciel. Du moins, c’était la théorie sur laquelle tout le monde était tombé d’accord. Lédara s’était avancée vers la faille refermée tout en l’observant ; sa marque lui avait causé une douleur de plus en plus vive à mesure qu’elle s’était approchée du temple, et maintenant qu’elle était en face de la Brèche, elle avait de la peine à contenir l’énergie magique de sa main.

Les mages sélectionnés par Solas et Vivienne s’étaient postés en hauteur, surplombant le cratère central. Solas se mit face à eux pour leur donner ses instructions. Cassandra et Léliana donnèrent leurs dernières recommandations aux soldats présents : ils avaient encerclé le temple en cas de menace démoniaque. Tous étaient prêts, ils n’attendaient plus que le signal de la Chercheuse pour commencer. Celle-ci s’approcha de la Messagère qui avait retiré son gant et observait la marque nichée dans sa paume. Lédara leva la tête, elles se regardèrent droit dans les yeux. La guerrière attendait le signal de la jeune femme. Lédara lui fit un bref signe de tête, l’air plus décidé que jamais.

La Chercheuse lança alors le signal, tous les soldats dégainèrent leurs armes et Solas cria aux mages de se concentrer sur la Messagère. Celle-ci avança plus près de la faille, puis elle brandit la marque contre la balafre ; le lien magique se créa, puissant, lui extirpant d’un coup la majeure partie de ses forces. Lédara ne se laissa pas déstabiliser et se concentra sur son objectif : fermer la Brèche. Progressivement, elle sentit une énergie nouvelle s’insinuer en elle qui provenait des mages derrière elle. Ce n’était pas le même phénomène qu’avec Solas dans le futur, cela ressemblait plus à un transfert temporaire de magie, et non de force vitale. Cette magie avait deux fonctions : la protéger en la maintenant en vie, et alimenter la marque gourmande en énergie. Accueillant cet apport de magie en elle, elle se concentra avec plus de force et sentit la faille disparaître. Au dernier moment, elle retira violemment sa main pour refermer définitivement la déchirure. Une violente onde de choc en résulta, suivie d’une lumière aveuglante balayant tout sur son passage : tous ceux qui se trouvaient à proximité de la faille furent plaqués au sol par la force du souffle.

Cassandra se releva rapidement pour inspecter les alentours : pas de démons. Elle accourut alors vers Lédara. Celle-ci était agenouillée, son bras gauche posé sur sa jambe, essoufflée. La Messagère releva la tête, rassurant la Chercheuse : elle allait bien. Quand elle se releva tout à fait, tous les soldats et mages sautèrent de joie. Ils avaient réalisé l’impossible. La Brèche était refermée.

A Darse, tous préparaient les festivités pour les jours à venir. En effet, quand les habitants et les réfugiés virent la Brèche disparaître, ils furent gagnés par une immense joie et un soulagement attendu depuis longtemps. Un sentiment de victoire se dégageait du village entier, et c’était dans cette euphorie qu’arrivèrent la Messagère, ses compagnons et les soldats de l’Inquisition. Lédara, affaiblie par ce qu’elle venait d’accomplir, demanda à voir Solas pour vérifier l’état de la marque. Depuis les événements de Golefalois, elle hésitait beaucoup moins à faire appel à lui, ayant mesuré l’importance qu’avait la magie de la marque sur elle. Ils se rejoignirent donc dans sa petite chambre en sous-sol pour plus de tranquillité.

Solas toqua légèrement à la porte entrouverte, puis entra sous l’invitation de Lédara. Ils s’assirent tous les deux sur la petite couche et elle lui présenta sa main dégantée. Elle n’avait pas encore eu le temps de se changer pour être plus à l’aise. Solas examina les cicatrices filandreuses, les parcourant du bout des doigts.

-    C’est étrange que vous ayez choisi ce lieu pour vous loger, dit-il tout en continuant d’observer la marque.

-    Parce que c’est juste à côté du lieu où j’ai été emprisonnée ? dit-elle en référence à sa captivité après l’explosion du Conclave.

-    Oui. Et j’y ai également passé du temps à étudier votre marque.

-    Combien de temps vous faut-il pour regarder ma main ? demanda-t-elle en plaisantant.

-    Plus que vous ne l’imaginez, fit Solas qui adopta le même ton plaisantin que sa patiente. Une marque produite par une explosion magique qui a dévasté toute une vallée, et créé un trou dans le ciel, comment vous dire…

Les deux compagnons rirent aux éclats. Solas reprit son examen, et passa à l’état général de la jeune femme. Elle était en bonne santé et ne présentait pas d’anomalie magique particulière due à la fermeture de la Brèche.

-    Comment vous sentez-vous ? demanda-t-il de sa voix grave.

-    Fatiguée, mais je vais bien.

-    La marque vous gêne-t-elle ?

-    Je la sens toujours : des tiraillements dans les doigts et le bras, mais j’ai moins à me concentrer pour contenir sa magie, répondit Lédara, plutôt contente de cette sensation.

-    Bien, conclut Solas, il me semble que la fermeture de la Brèche ait quelque peu apaisé votre marque. Les cicatrices sont moins vives qu’à votre retour de Golefalois, cela ne devrait plus vous donner la sensation de brûlure.

-    Ce n’est pas cette sensation qui me gêne le plus, dit-elle en souriant.

Solas allait se lever quand Lédara lui lança soudainement :

-    Dites-m’en un peu plus sur vous, Solas.

-    Pourquoi ?

-    Vous êtes un apostat, se justifia-t-elle lentement, et pourtant, vous avez risqué votre liberté pour aider l’Inquisition.

-    Dit comme cela, ma décision n’apparaît pas des plus sages, répondit-il, enjoué.

-    J’apprécie vos efforts, Solas. Je voulais simplement en savoir plus sur vous.

-    Je suis désolé, s’excusa-t-il, que voulez-vous savoir ?

-    Qu’est-ce qui vous a poussé à étudier l’Immatériel ? lui demanda alors Lédara.

-    J’ai grandi dans un village du nord. Il y avait peu de centres d’intérêt, surtout pour un jeune homme doué de magie. Mais pendant mon sommeil, des esprits de l’Immatériel me montraient des merveilles que je ne pouvais soupçonner. Je chérissais mes rêves, et l’état éveillé, hors de l’Immatériel, a commencé à m’être pénible.

-    Les esprits vous ont tenté ?

-    Pas plus qu’un fruit bien mûr ne tenterait votre appétit, dit-il en souriant. J’ai appris à me défendre contre les esprits plus agressifs et à interagir sans risque avec les autres. J’ai appris à contrôler mes rêves consciemment. J’avais tant à explorer.

-    J’imagine que vous n’avez pas passé votre vie à rêver.

-    Non, affirma-t-il avec mélancolie. Au final, je ne trouvais plus de nouveaux lieux dans l’Immatériel.

-    Pourquoi ? demanda-t-elle, surprise.

-    Pour deux raisons : d’abord, l’Immatériel reflète le monde physique qui l’entoure. A moins de voyager, je ne pouvais plus rien trouver de nouveau. Mais l’Immatériel reflète aussi notre imagination et est limité par elle. Pour découvrir des endroits intéressants, il faut être intéressant soi-même.

-    C’est pour cela que vous avez rejoint l’Inquisition ? s’étonna-t-elle.

-    Je l’ai rejoint parce que nous courions tous un terrible danger, corrigea Solas. Si nos ennemis détruisent le monde, je n’aurai plus d’endroit où me reposer pour rêver de l’Immatériel.

-    Je vous souhaite bonne chance dans votre quête alors, dit Lédara en contemplant les yeux gris acier de l’elfe.

-    Merci. A vrai dire, j’aime vivre de nouvelles expériences pour ensuite redécouvrir l’Immatériel.

-    Comment cela ?

-    Vous vous entraînez à viser une cible avec une flèche ou une dague, expliqua-t-il avec tact. La grâce de vos mouvements est un effet secondaire non négligeable. Vous avez choisi un chemin dont vous appréciez les étapes, car il mène à une destination que vous aimez. Tout comme moi.

Lédara appréciait beaucoup la manière de voir les choses de Solas ; il avait une vision tout à fait nouvelle du monde et de l’Immatériel, et avait une façon poétique de l’expliquer qui la faisait rêver.

-    Vous dites avoir voyagé dans de nombreuses contrées, lui dit-elle interrogative.

-    Ce monde, ou plutôt sa mémoire, est reflétée dans l’Immatériel. Rêvez au milieu de ruines antiques, et vous pourrez voir une cité oubliée de l’Histoire. Certains de mes souvenirs les plus chers proviennent de villes en ruines, dépouillées par des chasseurs de trésors.

Solas réfléchit un moment, se plongeant dans ses souvenirs.

-    Les meilleurs endroits sont les champs de bataille, ajouta l’elfe, il y a tant d’esprits qui se pressent contre le Voile qu’on peut le traverser d’une simple pensée.

Un court silence s’installa entre les deux compagnons. Lédara observait l’elfe, fascinée par ses récits.

-    Vous avez toujours voyagé seul ? lui demanda-t-elle soudain.

-    Pas du tout ! s’exclama-t-il, j’ai de nombreux amis fidèles. Des esprits de Sagesse, emplis de connaissances anciennes et heureux de partager leur savoir. Des esprits de Recherche m’ont aidé dans mes quêtes. Même les feux follets, curieux et joueurs, m’indiquaient les trésors que j’avais manqués.

-    Je ne connais pas d’esprits de ce type.

-    Ils viennent rarement dans ce monde, expliqua Solas, et quand c’est le cas, leur nature fait qu’ils ne survivent pas toujours aux gens qu’ils rencontrent. Sagesse et Recherche se transforment trop facilement en Orgueil et Désir.

-    Je suis impressionnée que vous soyez ami avec des esprits, fit la jeune femme.

-    Toute personne capable de rêver possède ce potentiel, mais peu s’y essaient. Mes amis m’ont consolé dans mes peines et ont partagé mes joies. Et parce qu’ils existent sans forme telle que nous l’entendons, la Chantrie déclare que les esprits ne sont pas vraiment des personnes. Qu’est-ce qui définit Cassandra : ses pommettes ou sa foi ? Et Varric ? Son torse velu ou sa finesse d’esprit ?

-    Je ne voyais pas les choses comme cela, mais je comprends votre point de vue.

-    Je… vous remercie, dit-il surpris, peu de gens sont prêts à accepter une telle idée.

Lédara lui sourit, contente d’en savoir un peu plus sur ce mystérieux elfe qui se révélait être un être passionnant.

-    Il y aura une grande fête demain soir, l’informa Solas, vous y serez, j’espère.

-    Bien sûr ! répondit-elle, joyeuse.

Il se leva enfin et prit congé de la Messagère, la laissant se reposer.

Le lendemain soir était prévue une fête rassemblant tout le village ; tout le monde y participait pour fêter l’exploit que l’Inquisition avait réussi à accomplir. Lédara se préparait dans sa petite chambre ; elle était reposée, ayant enfin pu passer une nuit tranquille sans trop d’agitation. Elle avait demandé à Dila de lui apporter quelques bassines d’eau bien chaude. La petite elfe avait également apporté une pile de vêtements pour la Messagère, ainsi qu’une petite bouteille d’huile parfumée. Lédara profita alors de ce moment de paix pour s’occuper de son corps, qu’elle avait quelque peu malmené ces derniers mois. Elle avait accumulé les éraflures et petites plaies aux bras et au cou, laissant de petites marques sur sa peau, et ses cheveux étaient secs et ternes ; sa musculature avait grandi, massifiant ses épaules et ses bras, ce qui n’était pas très féminin, mais sa taille s’était affinée.

Une fois lavée, elle revêtit les habits amenés par Dila, et finit par enfiler une veste mi- longue au col serré. L’habit était neuf, comme s’il venait d’être cousu à son intention. La doublure était plus épaisse et les fermoirs étaient sertis de petites pierres de serpent aux reflets bleu-vert, rehaussant la teinte bleutée du tissu. Le col et les extrémités étaient même décorés de petits motifs géométriques brodés de fils de soie grise, illuminant l’ensemble.

Lédara congédia la jeune elfe, l’incitant à aller profiter des débuts de la fête. Seule, elle peigna ses cheveux, puis entreprit de les tresser comme de coutume. Elle sépara sa chevelure en trois brins, puis se regarda dans le petit miroir posé contre le mur, sur le bureau. Elle s’arrêta devant son reflet. La tenue que lui avait préparée Dila l’avait rendue plus féminine que d’habitude, et cela faisait bien longtemps qu’elle ne s’était vue ainsi. Elle se demanda alors si elle ne devait pas laisser ses cheveux lâchés sur ses épaules. Elle les arrangea un peu, se trouvant jolie.

Les festivités devaient déjà avoir commencé, et de ce qu’elle avait entendu dire, il y aurait des chants, des danses et un repas digne de ce nom. Même Maître Dennet avait proposé des courses nocturnes de chevaux ! Elle espérait y voir Cassandra et tous ses compagnons. Et le Commandant Cullen. Ces derniers temps, il occupait son esprit plus que de coutume ; elle s’était rendue compte qu’elle ne connaissait pas grand-chose de cet homme, mis à part qu’il avait été templier. Il était plutôt séduisant, et avait gagné en maturité dans ses traits depuis l’épidémie de Kirkwall où elle l’avait rencontré la première fois. Lédara décida de saisir sa chance lors de cette fête pour l’approcher et enfin le remercier de ce qu’il avait fait pour elle. Peut-être pourraient-ils discuter un peu ensemble ? Elle se regarda encore dans la glace, décidée, puis sa figure se décomposa : elle ne pouvait pas se présenter ainsi, les cheveux lâchés. C’était indécent pour une noble marchéenne et ses automatismes prirent le dessus. Elle les rattacha rapidement comme à son habitude en une tresse serrée remontée en chignon.

Quand Lédara sortit de la Chantrie, la nuit était tombée et des feux de joie illuminaient le village en plusieurs endroits. Elle descendit en direction du lac, là où tous les villageois s’étaient rassemblés : un immense feu trônait en dessous des terrains d’entraînement autour duquel des longs troncs d’arbre apprêtés servaient de bancs. Plus haut, une longue table surchargée de victuailles avait été installée. On distinguait également des piquets surmontés de torches tout autour du lac balisant le parcours de la course de chevaux. L’ambiance était à la fête, et la jeune femme aperçut tous ses compagnons : Cassandra discutait calmement avec Léliana et Joséphine, alors qu’Iron Bull et Séra riaient haut et fort, levant leur chope de bière à on ne savait quelle plaisanterie. Blackwall écoutait une histoire de Varric comme plusieurs autres villageois. Vivienne semblait à ses aises parmi un attroupement de mages.

Lédara observait ainsi la foule, repérant toutes les têtes qui lui étaient connue, quand une main se posa sur son épaule. Elle sursauta puis se retourna : c’était Solas qui venait d’arriver.

-    Belle fête en perspective, n’est-ce pas ? dit-il enjoué.

-    Cela m’a tout l’air, répondit-elle gaiement.

Solas alla se servir à boire sur la grande table et rejoignit Varric avec qui il s’entendait particulièrement bien. Lédara balaya encore la foule du regard, mais n’aperçut pas le Commandant. Elle s’approcha alors de Cassandra, Léliana et Joséphine qui savaient peut-être où il était.

-    Messagère ! lança gaiement Joséphine.

-    S’il vous plaît, vous connaissez ma position sur ce titre, dit gentiment Lédara.

-    Oh, bien sûr, pardonnez-moi ! Dame Trrrevelyan.

L’Ambassadrice fit une petite révérence factice. Elle semblait déjà un peu pompette, ses joues avaient rosi et elle n’arrivait pas à effacer le grand sourire qui illuminait son visage.

-    Il faut dire que cette fête est un peu en votre honneur, ajouta Léliana.

-    En l’honneur de l’Inquisition, rectifia Lédara, sans vous tous, nous n’aurions rien pu faire.

-    A l’Inquisition ! s’exclama Cassandra en levant son verre.

Les quatre femmes reprirent à l’unisson, mais la jeune Marchéenne ne s’était pas encore servie à boire. Elle prétexta alors aller chercher un verre et demanda à la sauvette :

-    Le Commandant n’est pas avec vous ? les trois conseillers sont pourtant inséparables en temps normal…

Toutes rirent à la plaisanterie de la Messagère.

-    Je ne l’ai pas vu, répondit Joséphine en gloussant.

-    Il était encore sous mon pavillon quand je suis partie, intervint la Maître-espionne, peut-être y est-il encore ?

Lédara quitta le groupe de femmes et se dirigea discrètement vers le haut du village, déserté par ses habitants qui étaient tous à la fête. Sous le pavillon de Léliana, elle trouva effectivement le Commandant qui lisait des rapports d’éclaireurs.

-    Que faites-vous ? demanda Lédara un peu surprise.

Cullen leva brusquement la tête en l’entendant ; il la fixa des yeux un instant, puis se replongea dans les rapports posés sur la table :

-    Des rapports que j’attendais, répondit-il en désignant de sa main les parchemins étalés sur la table.

-    Mais… Tout le village s’est rassemblé pour fêter la fermeture de la Brèche. Rejoignez-nous, vous pouvez bien laisser votre travail pour un soir…

Lédara lui tendit la main pour l’inciter à la suivre, mais Cullen refusa :

-    Je vous remercie de votre attention, mais ces rapports sont importants. Peut-être que je rejoindrai la fête plus tard.

Cullen évita le regard de la jeune femme. Elle n’insista pas, et, avant de partir, lui dit doucement :

-    Comme vous le voudrez, Commandant… au fait, merci, pour l’autre jour…

Sans plus d’explications, Lédara repartit en direction de la fête, une pointe de déception dans son cœur.

Au bord du lac, les festivités avançaient bien et la course de chevaux venait de commencer. La Messagère prit place aux côtés de Varric et d’Iron Bull, une chope remplie à ras-bord de bière rousse. La course opposait quatre concurrents à la fois et Séra faisait partie de la première manche. Mais comme à son habitude, elle ne se concentra pas sur le parcours mais sur la meilleure manière de désarçonner ses adversaires, ce qui la disqualifia dans de grands éclats de rire.

Après la course de chevaux, l’on pouvait s’affronter au tir à l’arc, concours dont Léliana était l’arbitre. Beaucoup de recrues s’y portèrent volontaires, mais quand Varric se leva pour concourir avec sa Bianca, Léliana lui interdit de participer, prétextant la non-conformité de son arme. Le nain fit une révérence exagérée à la Maître-espionne et se rassit sous une salve d’applaudissements. Lédara se leva alors, relevant le défi. Les cibles se trouvaient sur le lac gelé de telle sorte qu’on pouvait en faire des cibles mouvantes en les faisant glisser sur la glace. La Messagère se prit au jeu et effectua la première manche brillamment ; mais en voyant les mines déconfites des jeunes recrues, elle fit exprès de perdre de justesse les deuxième et troisième manches, gonflant alors la fierté de ses adversaires d’un soir.

La soirée était bien avancée, et, une fois les jeux terminés, tous s’étaient réunis autour du feu. Varric racontait une de ses histoires abracadabrantes qui plaisaient tant, ménageant le suspense et l’action de son récit. A la fin, tous l’applaudirent, le visage rouge de joie et d’alcool.

-    Messagère, chantez-nous quelque chose, dit alors une voix qui fit sortir Lédara de ses pensées.

C’était Léliana dont les joues avaient rosi et qui arborait un magnifique sourire, si rare sur son visage fin et taché de rousseurs.

-    Vous voulez que je chante ? répéta Lédara, surprise.

-    N’était-ce pas votre métier à la Chantrie ? lança la Maître-espionne.

-    Vous chantiez ?

Un murmure parcourut la foule, répétant ces paroles. C’était vrai qu’elle n’avait parlé à personne de son passé ; seuls les membres hauts placés de l’Inquisition, à savoir Léliana, Cassandra, Joséphine et bien entendu Cullen étaient au courant, si ces derniers avaient lu les rapports de la Maître-espionne sur elle. En effet, son père l’avait envoyée à la Chantrie de Val Royeaux et les sœurs, découvrant son talent pour le chant, l’intégrèrent au chœur de la Grande Cathédrale qui était réputé au travers de nombreux royaumes de Thédas. C’est ainsi qu’elle avait pu voyager en suivant le chœur chantriste dans les différentes villes où il se produisait.

-    Cela fait bien longtemps que je n’ai chanté, vous savez… dit la Marchéenne un peu gênée.

-    Eh bien, c’est l’occasion, non ? reprit Léliana.

Tous la regardaient avec envie. Lédara réfléchit quelques instants, puis décida de se laisser porter par l’inspiration du moment. Le barde commença à interpréter une petite mélodie sur sa vielle afin de l’encourager. La jeune Marchéenne commença alors à chanter, doucement, la voix légèrement hésitante. Puis, au fur et à mesure, sa voix prit de l’ampleur et de la profondeur, retrouvant ses accents d’autrefois. Tous l’écoutaient, émerveillés. A la fin de la chanson, sa voix avait empli toute l’orée du bois, résonnant presque dans tous les environs du village.

Tous l’applaudirent et redemandèrent une autre chanson. Elle chanta une deuxième, puis une troisième chanson, la dernière plus entraînante, et le Qunari se mit à l’accompagner de percussions. Cela donna envie à tous de danser. Les femmes se levèrent et dansèrent autour du feu au rythme des percussions et du battement des mains de chacun. Lédara put alors reposer sa voix qu’elle n’avait plus entraînée depuis bien huit ans. Elle balaya du regard la foule des visages apaisés et souriants et vit Cullen adossé à un arbre à l’écart qui la regardait. Elle l’observa également et tous deux restèrent un court instant ainsi, jusqu’à ce qu’elle lui sourie. Il détourna alors les yeux pour se perdre dans les flammes dansantes. La pensée de le rejoindre à cet instant traversa l’esprit de la jeune femme mais la fatigue l’emportait, et avec d’autres, elle rejoignit le village pour sombrer dans un sommeil paisible.

Le lendemain matin, tout le village était calme, encore endormi des festivités de la veille. Quand Lédara sortit en direction de l’armurerie, elle vit quelques hommes qui dessoûlaient vers les écuries, la tête noyée dans les auges des chevaux. Les femmes et les elfes avaient repris leurs tâches quotidiennes : certaines étendaient leur linge fraîchement lavé sur les cordes tendues, d’autres préparaient les mets pour le midi. Les enfants jouaient au bord du lac, sous la surveillance de quelques soldats. La vie reprenait doucement son cours à Darse.

La Messagère voulait discuter de son arc avec Harritt le forgeron, il s’était usé bien trop vite et la jeune archère avait besoin d’une nouvelle arme. Elle passa alors sa matinée à tester des arcs nouvellement fabriqués, des nouveautés auxquelles le forgeron s’essayait et il avait trouvé son cobaye idéal.

Lédara passa le reste de la journée à flâner, c’était une journée parfaite pour cela : le soleil illuminait le ciel, comme s’il reprenait ses droits dans les cieux, et pas un nuage ne venait ternir le bleu azuréen dans lequel l’astre baignait. Par contre, le fond de l’air était devenu très froid ; la saison de l’hiver battait son plein, les journées et les nuits étaient devenues glaciales à cette altitude.

Le soir venu, tout était paisible dans le village, ce qui contrastait avec le soir précédent où les montagnes avaient été illuminées par la fête et la joie des habitants. Lédara se tenait devant la Chantrie, observant le village du dessus. Elle s’était habillée chaudement avec ses vêtements de voyage à cause du froid mordant de ce début de soirée et avait posé son arc à ses pieds. La jeune femme regardait les habitants, tous sereins, des soldats allaient gaiement à la taverne, d’autres jouaient avec des enfants, ou embrassaient leur femme. Pourtant, Lédara n’avait pas été complètement gagnée par cette sérénité qu’elle enviait un peu. Il restait la rumeur de cet « Ancien » qui semblait être à l’origine de l’explosion du Conclave. Qui pouvait-il être ? Et sa marque persistait malgré la disparition de la Brèche. Intérieurement, elle avait espéré qu’elle disparaisse en même temps, la libérant d’un poids qu’elle n’avait pas choisi de porter. Elle regarda le creux de sa main ou brillait la marque, puis l’emplacement de la Brèche dans le ciel nocturne.

-    Solas confirme que les cieux sont balafrés, mais calmes, dit soudain Cassandra qui s’était approchée d’elle. La Brèche est fermée. On nous signale quelques failles résiduelles, et beaucoup de questions restent sans réponse, mais c’est une victoire.

La Chercheuse avait deviné les pensées de la Messagère et tentait de la rassurer.

-    Les récits de votre héroïsme se répandent déjà, continua-t-elle.

-    Je n’étais qu’une personne parmi tant d’autres, répliqua Lédara, c’est la chance qui m’a mise au milieu de tout cela.

-    Drôle de chance, alors, soupira la Chercheuse, je ne suis pas sûre qu’on doive la remercier. Mais vous avez raison, on doit cette victoire à notre alliance. Elles étaient rares, jusque-là. Maintenant que la Brèche est refermée, cette alliance aura besoin de nouveaux objectifs.

Lédara soupira et observa alors les montagnes qui leur faisaient face. Puis elle fronça les sourcils : quelque chose d’inhabituel apparaissait au loin, une multitude de points lumineux descendaient les flancs des montagnes.

-    Cassandra, dit-elle préoccupée, est-ce ce que je pense, là-bas ?

Lédara désigna les petits points jaunes qui grandissaient en nombre.

-    Allez voir Cullen, je sonne la cloche ! s’exclama Cassandra en observant le phénomène.

La Marchéenne courut à la recherche du Commandant, qu’elle trouva non loin de là. Elle lui fit observer les points lumineux, et immédiatement, Cullen se dirigea vers le gros des troupes en vociférant :

-    Forces en approche ! Aux armes !

La cloche du village sonna au même moment, alertant l’ensemble des soldats et habitants. Une vague de panique gagna rapidement Darse, ceux qui n’étaient pas enrôlés ne sachant quoi faire ; un lieutenant tenta de rétablir l’ordre et ordonna que l’on monte des barricades. Tout le village se mit en branle. Lédara suivit le Commandant devant les portes de l’enceinte. Léliana et Joséphine s’y étaient également réunies. Cassandra les rejoignit à son tour :

-    Cullen ? demanda-t-elle à la recherche d’explications.

-    Une armée gigantesque est en approche, répondit-il, le gros des troupes est en haut de la montagne.

-    Sous quelle bannièrrre ? demanda Joséphine.

-    Aucune, répondit le Commandant.

L’Ambassadrice le regarda en fronçant les sourcils, n’en croyant pas ses oreilles.

-    Aucune ? répéta-t-elle abasourdie.

Les lourdes portes avaient été fermées, et tout le monde s’était réfugié dans l’enceinte de Darse. Cependant, un combat se fit entendre de l’autre côté des portes. Puis, plus rien.

-    Je ne peux pas entrer si vous ne m’ouvrez pas ! lança une voix de jeune garçon.

Lédara se précipita pour ouvrir les portes et se retrouva face à un très jeune homme blond qui devait à peine avoir seize ans. Il était modestement vêtu et tenait dans ses poings deux longues dagues. Un large chapeau lui couvrait les yeux. Derrière lui, deux cadavres de soldats ennemis, l’un tévintide, l’autre templier.

-    Je m’appelle Cole, dit-il de sa voix d’enfant, je viens vous alerter, vous aider. Une armée arrive pour vous faire du mal. Vous êtes sûrement déjà au courant.

Il s’adressait à la Messagère comme s’il la connaissait depuis longtemps, et de manière légèrement décousue. La peur, sans doute. Mais cela restait étonnant au vu de son courage face aux deux guerriers qu’il avait terrassés.

-    Que voulez-vous ? qu’est-ce qui se passe ? lui lança Lédara.

-    Les templiers viennent vous tuer, répondit le dénommé Cole.

-    Les templiers ? intervint Cullen, c’est comme cela que réagit l’Ordre à nos discussions avec les mages ? En nous attaquant aveuglément ?

-    Les templiers rouges se sont tournés vers l’Ancien, tenta d’expliquer Cole, vous le connaissez ? Lui vous connaît, dit-il en se tournant vers la Messagère, vous lui avez pris ses mages.

Puis le jeune homme se tourna vers la montagne et pointa un petit promontoire du doigt :

-    Là-bas.

L’on pouvait distinguer la silhouette de deux hommes : l’un semblait être un templier, et l’autre ne ressemblait en rien à un être humain, mais plutôt à un monstre gigantesque, une sorte d’engeance décharnée : ce devait être celui qu’on nommait « l’Ancien ».

-    Je connais cet homme, le templier, murmura le Commandant, mais cet Ancien…

-    Il est furieux que vous lui ayez pris ses mages, continua Cole.

Lédara avait peine à garder son sang-froid devant un tel désastre qui se profilait, elle fit tout pour rester lucide et se tourna vers le Commandant :

-    Cullen, dit-elle sa voix tremblant légèrement, il nous faut un plan ! N’importe quoi !

-    Darse n’est pas une forteresse, répondit-il, si nous voulons tenir tête à ce monstre, nous devons contrôler l’affrontement. Allez protéger les trébuchets, je vous envoie du renfort et organiserai la défense.

Le Commandant se tourna en direction des portes où s’étaient amassés des soldats et des mages, prêts à combattre. Il dégaina son épée :

-    Mages ! L’Ordre des templiers n’est plus ! Vous… vous avez la permission d’engager le combat ! Inquisition, suivez la Messagère ! Branle-bas de combat !

Lédara fit signe aux soldats de la suivre et divisa les forces en deux groupes : un pour chaque trébuchet. Elle envoya le premier à l’ouest, et resta avec le deuxième pour défendre la position est. Les ennemis commencèrent à déferler sur eux : des templiers en majorité, et quelques soldats tévintides. Les templiers avaient une allure étrange, leur visage semblait malade, mais leur force et leur vigueur étaient décuplées. Les soldats de l’Inquisition abattirent les premiers arrivants, et Lédara s’approcha rapidement d’un cadavre : il avait les mêmes veinures rougeâtres que dans le futur d’Alexius. Les templiers avaient ingéré du lyrium rouge. Mais l’effet était différent puisque la substance semblait améliorer leurs capacités au combat.

Le groupe de soldat mené par la Messagère défendit le trébuchet pendant que celui-ci était armé et dirigé en des points stratégiques. Un premier jet fut lancé sur le lac gelé, noyant les adversaires à proximité et limitant leur arrivée. Un deuxième trait atterrit dans le flanc de colline de l’autre côté du lac, causant un éboulement. Il fallait à tout prix barrer la route à cette armée.

Lédara se posta en hauteur et vit que le deuxième trébuchet ne tirait plus. Elle ordonna à quelques soldats de la suivre jusqu’au trébuchet ouest. Ses compagnons d’arme l’avaient rejoint au cours de la bataille, suivant ses ordres et ceux de Cassandra. La position ouest avait été submergée, il fallait la reprendre le plus vite possible. Sur place, les compagnons virent que le trébuchet n’était pas endommagé et dirigé sur le flanc de montagne d’où provenait l’armée ennemie. Les templiers affluaient en nombre, et la Messagère rallia les troupes pour prendre d’assaut la position. Iron Bull courut à travers le champ de bataille, sa lourde hache s’abattant sur ses adversaires avec violence, alors que Cassandra et Blackwall avançaient à coups de bouclier et d’épée pour faire reculer l’ennemi. Séra et Varric s’étaient postés à l’abri, faisant pleuvoir leurs flèches, et Lédara choisit de s’enfiler dans la mêlée.

Le trébuchet fut rapidement repris, mais les templiers arrivaient en continu sur les soldats de l’Inquisition. La Messagère eut une idée : il fallait qu’elle arme l’engin afin de tirer au plus vite contre le flanc de la plus haute montagne pour créer une avalanche qui endiguerait l’armée ennemie. Elle fit signe à Cassandra de la protéger durant l’opération, et la guerrière saisit parfaitement le plan de la Messagère. La Chercheuse se posta alors près de Lédara, empêchant les templiers d’approcher. Les autres compagnons se positionnèrent de manière à sécuriser le trébuchet, et tuèrent tout ennemi approchant. Quand Lédara eut rectifié la visée, Iron Bull chargea l’engin qu’elle arma, puis déclencha le mécanisme. Le projectile partit d’un trait contre la montagne. On entendit alors un grondement sourd, le flanc de la montagne visée s’écroula sur l’envahisseur. Les compagnons de la Messagère tuèrent les derniers attaquants, et tous les soldats crièrent de joie à la vue de l’avalanche qui ensevelissait l’ennemi.

Toutefois, le répit fut de courte durée : un hurlement terrifiant déchira le ciel assombri et un dragon sortit des nuages, déployant ses immenses ailes décharnées.

-    On ne peut pas l’affronter ici, cria Cassandra, il faut que l’on fasse quelque chose !

-    Tout le monde aux portes ! ordonna Lédara aux soldats et à ses compagnons.

Les soldats ne se firent pas prier, et ses compagnons emboîtèrent le pas de la Messagère. Le dragon cracha une boule de feu de sa gorge, détruisant le trébuchet où Lédara s’était trouvée quelques secondes plutôt. Arrivés aux portes, Cullen pressaient les derniers soldats à passer l’enceinte pour pouvoir refermer les lourds battants.

-    Plus vite ! Plus vite ! leur cria-t-il.

Une fois qu’ils eurent tous passé les portes, Cullen les referma avec l’aide de la Marchéenne qui était la dernière à être entrée.

-    Tout le monde à la Chantrie ! ordonna le Commandant, c’est le seul bâtiment capable de résister à… à ce monstre !

Cullen se tourna vers la jeune femme :

-    Au point où nous en sommes, ajouta-t-il, tâchons juste de faire au mieux.

Les soldats se pressèrent en direction de la colline, alors que Lédara et ses compagnons décidèrent d’aider les habitants à se réfugier dans la Chantrie. Plusieurs habitations avaient été touchées par les flammes du dragon, mais semblaient vides. Le groupe de combattants se dirigea vers la taverne, mais en passant devant la muraille, ils virent une brèche où les templiers pouvaient passer. Ils combattirent les indésirables, tout en continuant d’avancer. Soudain, Lédara aperçut un jeune garçon qui tentait d’ouvrir la porte d’une masure en flammes. Elle accourut vers lui :

-    Va à la Chantrie ! lui cria-t-elle.

-    Non ! s’écria le jeune garçon désespéré, ma mère et coincée avec mon petit frère !

La Messagère se tourna vers la porte et essaya de l’ouvrir à son tour, en vain. 

-    Bull ! Blackwall ! Défoncez la porte ! cria-t-elle aux deux hommes.

Le Garde des Ombres qui était le plus proche de la maison brandit son bouclier et chargea la porte en feu. Lédara entra, suivie de près par Blackwall et trouva une jeune mère apeurée, recroquevillée sur son enfant qu’elle tenait dans ses bras. Les deux compagnons l’aidèrent à sortir. Le jeune garçon embrassa sa mère, les larmes lui coulant le long de ses joues.

-    Anton ! Mon fils ! s’écria la mère en pleurs.

-    Maman !

La Messagère ordonna au Garde d’accompagner la famille jusqu’à la Chantrie. Les autres compagnons continuèrent à avancer en direction de l’église, aidant les survivants à s’échapper. Le dragon survolait Darse, crachant son feu ardent tant qu’il pouvait pour incendier le village. Le monstre semblait obéir à une instance supérieure, certainement l’engeance qui se faisait appeler « Ancien ».

Lédara et ses compagnons avaient sauvés ceux qu’ils avaient pu, mais beaucoup d’habitants étaient morts dans la bataille et les incendies. Ils se dirigèrent vers la Chantrie où le Chancelier Roderick, gravement blessé, faisait entrer les derniers survivants :

-    Avancez ! Allez ! La Chantrie est votre refuge !

Quand Lédara et tous les autres entrèrent, le Chancelier s’effondra et le jeune Cole qui était venu les alerter vint le soutenir. Lédara et Cassandra fermèrent alors les portes derrière elles.

-    Il a essayé d’arrêter un templier, dit Cole en aidant le Chancelier à s’asseoir, la lame a pénétré profondément. Il va mourir.

-    Quel charmant garçon, réussit à articuler Roderick, qui conservait son ironie habituelle.

Lédara déchira un bout de tissu de sa ceinture et le plaqua contre la plaie du Chancelier pour limiter l’hémorragie, mais il avait déjà perdu beaucoup de sang. Non loin d’eux, le Commandant Cullen apparut : il vérifiait l’état de ce qu’il restait des troupes. Quand il vit la Marchéenne, il accourut vers elle :

-    Nous sommes en mauvaise posture, dit-il.

Lédara fit signe à Cole de maintenir le tissu en place en appuyant bien fort, puis rejoignit le Commandant.

-    Ce dragon nous a fait perdre le temps que vous nous aviez fait gagner, continua-t-il quand ils furent à hauteur l’un de l’autre.

-    J’ai vu un archidémon, intervint le jeune garçon blond, j’étais dans l’Immatériel, mais il ressemblait à ça.

Lédara observa Cole d’un œil interrogateur, mais ce n’était pas le moment de se poser des questions sur ce jeune homme qui voulait les aider. Cullen semblait du même avis.

-    Peu importe à quoi il ressemble, lança le Commandant, il a ouvert la voie à cette armée : elle va rayer Darse de la carte !

-    L’Ancien se moque du village, répondit Cole, Il ne veut que la Messagère !

-    Je me fiche de ce qu’il veut, lança Lédara d’un ton abrupt, comment je l’arrête ?

-    Ce ne sera pas facile, répondit le jeune garçon, il a un dragon.

-    Nous savons ce qu’il…

Cullen perdit patience. Il se tourna vers Lédara :

-    Aucune stratégie ne nous sauvera. La seule chose qui les a ralentis, c’est l’avalanche que vous avez provoquée. Et si nous tournions les trébuchets restants pour en provoquer une autre ?

-    Nous sommes dépassés, réfléchit Lédara, nous ne pourrons pas frapper l’ennemi sans ensevelir Darse.

-    Quitte à mourir, dit Cullen, autant décider comment. C’est un luxe que beaucoup n’ont pas.

A ce moment, le Chancelier Roderick jeta un œil sur le fond de la nef, là où se trouvait la salle du conseil. Il semblait réfléchir, ou se remémorer quelque chose. Cole regarda alors dans la même direction, comme s’il pouvait entendre les pensées du Chancelier.

-    Oui, ça, murmura Cole, le Chancelier Roderick peut nous aider, il veut le dire avant de mourir.

Roderick regarda alors l’étrange garçon qui semblait avoir lu dans ses pensées, puis parla de son idée à la Messagère et au Commandant :

-    Il y a un chemin, impossible de le connaître à moins d’avoir fait le pèlerinage estival, comme moi. Les gens peuvent s’échapper, Elle a dû me le montrer... Andrasté a dû me le montrer pour que je puisse… vous le dire.

-    Qu’est-ce que vous racontez, Roderick ? lança Lédara qui ne comprenait pas où il voulait en venir.

-    J’ai emprunté ce chemin sur un coup de tête, expliqua-t-il en respirant difficilement, je ne sais même pas pourquoi. Il était envahi par la végétation. Maintenant, avec tous ces morts dans le Conclave, il n’y a plus que moi qui le connaisse… Je ne sais pas, Messagère, si ce détail peut nous sauver, alors il ne s’agit peut-être pas d’un simple accident. Vous n’êtes peut-être pas un hasard.

Lédara regarda le Chancelier, les yeux brillants d’émotion, puis se tourna vers le Commandant :

-    Qu’est-ce que vous en pensez, Cullen ? lui demanda-t-elle, cela peut marcher ?

-    C’est possible, répondit-il, s’il nous montre le chemin. Mais… il nous faut une diversion.

Lédara détourna son regard du sien : pour que ce plan marche, il fallait en effet que quelqu’un fasse diversion et actionne le trébuchet. Et comme l’Ancien ne désirait qu’elle, c’était à elle de le faire. Cullen le savait, mais se résolut difficilement à cette idée. Il la regarda, à la fois impressionné par son courage et révolté par cette décision qu’elle prenait. Le Commandant se détourna de la jeune femme et s’adressa à l’ensemble des survivants :

-    Inquisition, suivez le Chancelier Roderick à travers la Chantrie ! Allez !

Cassandra et une partie de ses compagnons avaient assisté à la conversation et décidèrent de rester avec la Marchéenne jusqu’au bout. Cullen revint encore vers Lédara ; il semblait vouloir lui dire quelque chose d’important, mais il ne put s’y résigner et donna ses derniers conseils :

-    Allez au trébuchet Sud, c’est le mieux placé pour faire le plus de dégâts contre la montagne. Il faut que vous distrayez l’Ancien jusqu’à ce qu’on ait passé l’orée du bois, j’enverrai un signal.

Lédara hochait la tête, prenant tous les conseils qu’il lui donnait. Cullen plongea alors une dernière fois son regard dans le sien : les yeux de la jeune femme étaient hypnotisant par leur couleur si claire. Son chignon s’était défait laissant sa tresse tomber le long de son dos, et plusieurs mèches rougeoyantes encadraient son visage.

La Messagère se détourna du Commandant et se dirigea vers la porte de la Chantrie, accompagnée de Cassandra, Iron Bull, Séra et Dorian, les autres aidant les survivants et les blessés. Cullen la regarda passer la porte et pria en son for intérieur de pouvoir revoir ces grands yeux clairs.

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