Inquisition

Chapitre 13 : Persévérances

11968 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/09/2025 18:15

Lorsque l’Inquisitrice et ses compagnons arrivèrent à Fort Céleste, ils furent accueillis comme il se devait : les palefreniers réceptionnèrent les chevaux et la jeune elfe Dila, qu’on avait informée du retour de la Messagère, attendait de pied ferme la jeune femme. La petite elfe avait pris une certaine assurance et semblait avoir hérité de responsabilités qu’elle assumait avec grand plaisir. Deux femmes l’accompagnaient et suivaient ses ordres. Quand Lédara s’approcha de la jeune Dila, celle-ci lui demanda de la suivre dans ses nouveaux quartiers. L’elfe arborait un si joli sourire que l’Inquisitrice la suivit sans discuter.

Elles allaient toutes trois à vive allure à travers la cour et Lédara dut presser le pas pour rester dans leur sillage ; elle eut à peine le temps d’apercevoir un groupe d’enfants qui jouait dans la cour qu’elles arrivaient déjà dans le hall principal, puis devant l’une des portes que la jeune femme n’avait pas explorées la première fois parce qu’elles étaient bloquées ou condamnées. Elles traversèrent un long couloir puis montèrent plusieurs volées d’escaliers jusqu’à arriver dans une vaste pièce, aussi grande que la salle de Commandement. Elle était située au sommet d’une tour, très lumineuse de par les nombreux vitraux sur trois de ses faces. Il y avait deux balcons, l’un donnant sur les montagnes enneigées, l’autre surplombant tout Fort Céleste.

La pièce avait été aménagée en tant que chambre à coucher et bureau de l’Inquisitrice : dans un coin se trouvait plusieurs bibliothèques avec déjà quelques livres et devant ces bibliothèques avait été placé un magnifique bureau en bois massif déjà couvert de paperasse. Une chaise à dossier rembourrée se tenait prête derrière le magnifique meuble. Contre le seul mur où il n’y avait pas de fenêtre se trouvait un grand lit de style marchéen, austère et simple, en bois de chêne, décoré d’une rosace aux armoiries de l’Inquisition. Les draps étaient épais et immaculés, les couvertures brodées. Au-dessus du lit avait été peinte une magnifique fresque représentant Fort Céleste lui-même dans une couronne d’épines. Contre la balustrade de l’escalier qui donnait accès à la pièce se trouvait un divan de brocart ivoire surmonté de coussins dans les mêmes tons, avec un petit guéridon sur lequel avait été posé une bouteille de vin et deux gobelets d’argent. D’immenses tapis avaient été disposés sur le sol de pierre dans les tons rouge et turquoise. Le plafond était ouvert sur les combles de la tour, laissant les poutres et la toiture apparentes.

-    Ils n’ont pas lésiné sur les dépenses, murmura Lédara, confuse.

-    Voici vos quartiers, Inquisitrice, dit fièrement Dila, j’ai été nommée responsable du service de Votre Grâce.

-    Cela ne pouvait être personne d’autre, répondit Lédara en lui souriant.

-    Oh ! plusieurs couturières ont demandé à travailler pour vous, et ont confectionné toute une garde-robe que voici sous les recommandations de dame Montilyet et sœur Léliana.

Dila se dirigea vers une armoire qu’elle ouvrit en grand, dévoilant des manteaux de fourrure, des pantalons et corsets de rechange et des tuniques et manteaux à col serré, mais aussi une robe d’un style qui ne correspondait ni à Férelden, ni à Orlaïs, ni même aux Marches Libres, mais à une sorte de mélange des trois.

-    Il faudrait que vous l’essayiez, dit Dila en regardant l’Inquisitrice.

Celle-ci revenait de voyage, sa tenue était poussiéreuse et des taches de boue parsemaient ses bottes et son pantalon, jusqu’au bas de son manteau de cuir. Ses cheveux étaient pleins de poussière et pas coiffés depuis quelques jours, retenus en tresse et chignon.

-    Mais d’abord, le bain, déchanta la pauvre Dila.

Lédara éclata de rire en voyant la mine dépitée de l’elfe. Celle-ci ouvrit une petite porte à côté de l’armoire que l’Inquisitrice n’avait pas remarquée où se trouvait un large baquet en cuivre et des étagères surchargées de serviettes. La jeune Marchéenne commença alors à se déshabiller, mais elle ne savait pas où poser ses affaires si sales en comparaison avec la pièce entière. Les deux femmes qui accompagnaient Dila se chargèrent alors de lui prendre ses vêtements, puis elles sortirent avec afin de les nettoyer. La jeune elfe apporta à Lédara une large serviette pour qu’elle n’attrape pas froid pendant qu’elle allait chercher de l’eau chaude. En l’attendant, la Messagère se tourna vers un immense foyer de cheminée qui se trouvait en face du lit, entre l’entrée du balcon et de larges vitraux. A peine quelques minutes plus tard, Dila était de retour avec ses deux subalternes et des seaux d’eau pleins les mains. Lédara put alors se plonger entièrement dans l’eau chaude et Dila congédia ses deux aides pour s’occuper elle-même de l’Inquisitrice. Elle était si fière de son poste !

La Marchéenne s’abandonna complètement aux mains de l’elfe experte. Quand Dila en eut fini avec ses soins, Lédara se sentait revigorée et étrangement bien, malgré le luxe dans lequel elle venait d’atterrir. En temps normal, elle fuyait tout ce qui pouvait avoir trait à la noblesse, et au fond d’elle-même, elle se demandait si tout cela était nécessaire. Dila arriva avec différents habits, ravie de pouvoir enfin lui faire essayer les nouvelles tenues. Lédara commença par revêtir une tunique de lin finement tissé et un fin corset en tissu ; puis la jeune elfe lui présenta la robe confectionnée pour elle. Celle-ci était composée d’une sous-robe de lin beige simple aux manches étroites et d’un manteau aux manches longues et évasées et au col montant, se fermant sur le devant à l’aide de petites boucles d’argent et d’une large ceinture de soie turquoise ; le manteau venait recouvrir la robe de trois longs pans de tissu bleu ciel brodé d’entrelacs, les extrémités bordées de fourrure beige clair. Elle lui allait comme un gant, et Dila gloussa de contentement.

Quand Lédara put enfin se voir dans une glace que lui apporta l’elfe, elle se regarda sans se reconnaître : elle n’était plus du tout habituée à être aussi féminine et un malaise la gagna. Pendant huit ans, elle n’avait porté que des tenues de voyage pratiques et sans contraintes, oubliant l’apparence pour ne privilégier que l’utilité. Elle avait facilement fait une croix sur tous les luxes qu’elle avait connus dans sa vie de noble dame des Marches Libres, et, à cet instant, elle ne sut que faire ou quoi dire. Son ancienne vie lui remonta vivement à l’esprit : sa mère qu’elle avait laissée à Ostwick, son frère qu’elle aimait tant, son père qui avait tenté de tout diriger de sa vie… Sa gorge se serra, elle s’assit prestement sur le rebord du lit.

-    Quelque chose ne va pas, dame Inquisitrice ? demanda Dila, catastrophée.

-    Non, ça va, murmura Lédara, la tête m’a tourné un moment, c’est tout.

-    Je vais vous faire apporter un repas chaud, dit alors la jeune elfe en sortant de la pièce.

Lédara inspira profondément ; elle aurait dû s’attendre à ce genre de chose. C’était deux de ses conseillers eux-mêmes qui en avaient fait la demande, ce devait être important pour l’image de l’Inquisition.

Elle se releva et sortit sur le balcon qui surplombait la forteresse ; de là, elle voyait tout, les deux grandes cours inférieure et supérieure, les remparts qui avaient été brillamment restaurés, les différentes tours de garde. Elle remarqua alors qu’elle se trouvait dans la plus haute tour de Fort Céleste, et que ses quartiers se situaient juste en dessus de la salle de Commandement. Le bâtiment d’à côté devait donc abriter le grand hall et la rotonde.

Quand elle entendit Dila revenir, elle rentra dans la pièce en refermant les battants de la porte-fenêtre et alla enfiler les bottines qui complétaient sa tenue avant d’honorer le repas qui lui avait été apporté. Elle avala quelques bouchées, installée à son nouveau bureau, puis très vite, elle s’attarda sur les différents parchemins laissés à son intention pendant que Dila coiffait ses cheveux en une longue tresse lâche. L’Inquisitrice réunit trois parchemins qui concernaient l’aménagement de Fort Céleste, les trois conseillers n’arrivant pas à se décider sur certains aspects purement matériels ; elle devait donc se rendre aux réquisitions afin de valider les différentes commandes de matériel selon ce qu’elle décidait de faire de certains lieux non encore exploités de la forteresse.

L’Inquisitrice partit aussitôt afin de valider ces commandes. Lorsqu’elle arriva dans le grand hall, tous les débris avaient été déblayés et de longues tables longeaient les murs dans la longueur du hall. Au fond de la pièce, devant les grands vitraux, un trône sobre avait été installé. Elle se détourna vivement de cette vue-là et sortit le plus rapidement possible, redoutant la fonction de ce siège austère. Elle se retrouva alors en haut des escaliers permettant l’accès à la cour supérieure. Là, Vivienne, qui remontait les marches d’un air contrarié, l’interpela :

-    Bien, Trésor ! Vous avez enfin l’apparence qui va avec votre rang !

-    Est-ce vraiment nécessaire ? demanda soudainement Lédara, je veux dire, nous sommes là pour combattre et non pour paraître…

L’enchanteresse la regarda sous toutes les coutures, son air contrarié momentanément évanoui par la vue de l’Inquisitrice en de si jolis atours.

-    Il faut soigner les apparences, répondit Vivienne, vous avez parfaitement géré cette crise et sauvé autant de vies que possible. L’Ancien vous a porté un coup dur, à vous et à l’Inquisition, il faut bien le reconnaître. Vous devez le reconnaître.

-    Pour chaque personne que j’ai sauvée, soupira Lédara, deux sont mortes. J’ai échoué.

-    Vous n’avez pas échoué, Trésor, répliqua l’enchanteresse, ces hommes et ces femmes se battent à vos côtés, ils ont donné leur vie pour une grande cause et se sont battus jusqu’au bout. C’est si vous abandonnez que vous aurez échoué. Vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Vivienne souriait avec la plus grande élégance, mais sans pour autant arriver à cacher la contrariété dont elle souffrait.

-    Mais dites-moi, qu’est-ce qui vous contrarie autant ? demanda alors l’Inquisitrice.

-    C’est ce Cole, répondit-elle exaspérée, il fait peur à tout le monde et prétend qu’il veut aider.

-    Où est-il ?

-    Là, fit Vivienne en désignant la cour supérieure et le petit muret qui donnait sur la cour intérieure. 

L’enchanteresse prit congé de l’Inquisitrice et entra dans le grand hall. Lédara fixa le jeune homme du regard et descendit le rejoindre. Cole était assis sur le rebord du muret, les pieds se balançant dans le vide au-dessus de la cour inférieure. Il semblait triste et esseulé.

-    Roderick était désolé quand il est mort, murmura Cole.

Lédara resta silencieuse. Le large chapeau du jeune homme cachait le haut de son visage, mais ne l’empêchait apparemment pas de s’apercevoir de la présence de la jeune femme.

-    Il était blessé, continua-t-il, rouge en dedans à cause du templier, et rouge en dehors aussi. Il avait besoin d’aide pour marcher. Boiteux, frêle, il s’appuyait sur les plus jeunes comme Pépé quand la route était gelée. Il a dit que j’étais un « jeune homme très bien ». Il a dit qu’il était désolé de ce qu’il vous avait fait.

-    Vous n’avez pas essayé de… d’abréger ses souffrances, j’espère ? demanda Lédara, hésitante, se souvenant de leur discussion près des blessés de Darse.

-    Non, répondit Cole, il était déjà mourant, et il était prêt. Il n’a pas trop souffert. Il a vu la lumière. Il l’a accueillie les bras ouverts. Andrasté l’a accompagné. Il était heureux. Et désolé.

-    Il vous a dit pourquoi il était désolé ?

Cole ne répondit pas tout de suite, comme s’il se laissait imprégner d’impressions qu’il avait gardées en lui.

-    Du sang partout, des monstres, des malades, des morts. On meurt tous. La Messagère s’y oppose, et les têtes tournent. Désespéré et simple. Pur. Des voix dans la Chantrie. Tant d’années que je n’avais pas chanté la chanson et que je ne l’avais pas vraiment ressentie. Mais ça, c’est réel. Tant de temps que je ne l’avais pas sentie faillir, flotter… la foi. Et je l’ai affrontée. Pardon, Créateur. J’espère avoir fait assez.

Lédara baissa la tête au souvenir du Chancelier Roderick. Il leur avait tous sauvé la vie en leur permettant de fuir Darse, et elle n’avait même pas su qu’il avait succombé à ses blessures. Elle se sentit d’abord mal à cette idée, puis Cole posa sa main sur la sienne, contre le petit muret, et ce mal s’envola soudainement. Ce jeune homme était spécial.

-    Je veux aider, dit-il simplement avant de disparaître comme il en avait le secret.

L’Inquisitrice balaya du regard la cour, et tous ceux qui avaient remarqué sa présence s’arrêtèrent dans leur tâche et la saluèrent fièrement. Elle inspira profondément, puis elle allait reprendre sa route quand soudain elle se rendit compte qu’elle ne savait pas où se trouvait le bureau des réquisitions ; elle attrapa au vol un soldat qui lui indiqua que les réquisitions se trouvaient juste à côté de l’armurerie. Lédara n’était pas plus avancée, elle ne savait pas où cela se trouvait non plus. On lui indiqua alors plusieurs chemins au fur et à mesure qu’elle avançait, montant et descendant des escaliers, ouvrant des portes qui ne débouchaient pas sur ce qu’elle cherchait, jusqu’à arriver sur les remparts où elle se dirigea vers un énième bâtiment. Elle ouvrit brusquement la porte et se retrouva face au Commandant.

Cullen était penché sur un large bureau couvert de cartes et de rapports ; autour de lui, deux bibliothèques remplies de livres qui débordaient sur le sol. La salle était peu éclairée par la lumière du jour qui provenait de trois meurtrières donnant sur l’entrée de Fort Céleste, des torches avaient donc été installées aux quatre murs. Un tapis de jute rouge couvrait le sol de pierre devant le bureau.

Le Commandant releva la tête en entendant la porte s’ouvrir ; il la fixa quelques secondes des yeux, ne s’attendant pas à la voir. Ou en tout cas, à la voir ainsi, aussi féminine et resplendissante dans sa nouvelle tenue : sa taille fine était mise en valeur par la coupe de son manteau, ses cheveux couleur de l’aube contrastaient avec le bleu ciel de son vêtement, leur volume à peine discipliné par une large tresse qu’elle avait ramenée sur son épaule gauche. Il se ressaisit rapidement, cachant son trouble :

-    Inquisitrice, dit-il de sa voix rauque, je… Vouliez-vous me voir ?

-    Non, répondit-elle un peu trop abruptement à son goût. Je veux dire, oui, mais pas tout de suite, enfin…

Lédara eut un rire nerveux, trouvant ridicule d’être aussi maladroite. Cullen ne put lui non plus se retenir de sourire à cette situation. Cela l’avait même mis en confiance et il put la regarder sans divulguer le trouble dans lequel elle le mettait.

-    A vrai dire, se corrigea Lédara, je cherchais les réquisitions, et « l’Inquisitrice » s’est perdue dans son propre fort…

-    Je vois, dit Cullen amusé, Fort Céleste a beaucoup changé depuis votre départ, c’est normal que vous soyez un peu perdue. Cependant, il fallait que je vous voie pour discuter de quelque chose.

-    Et ensuite vous m’emmènerez aux réquisitions ? demanda la jeune femme, enjouée.

-    Bien sûr, Inquisitrice.

-    Alors je vous écoute, dit Lédara en s’approchant du bureau du Commandant.

-    J’ai trouvé d’où viennent les templiers rouges, dit-il sérieusement. Du refuge de Thérinfal.

-    C’est là que s’étaient regroupés les templiers sous les ordres du Seigneur Chercheur Lucius, non ? se rappela alors l’Inquisitrice.

-    Exact, dit-il, la mine sombre. Ils ont administré du lyrium rouge aux chevaliers jusqu’à ce qu’ils se changent en monstres. Samson a alors pris la tête des opérations, selon le message que vous avez trouvé à Boscret.

-    Celui où les ordres venaient de ce « général Samson », dit Lédara, mais qui est-il ? Vous avez l’air de le connaître.

Cullen se détourna de son bureau et fit quelques pas dans la pièce, préoccupé.

-    Il était templier à Kirkwall, répondit-il enfin, jusqu’à ce qu’il soit exclu de l’Ordre. Je savais qu’il se droguait, mais cela… Le lyrium rouge n’a rien à voir avec le lyrium distribué par la Chantrie. Son pouvoir s’accompagne d’une terrible folie.

-    La nuée de templiers rouges à Darse l’a bien montré, murmura Lédara.

Le Commandant hocha la tête, croisant le regard douloureux de la jeune femme.

-    Les templiers rouges ont toujours besoin de lyrium, expliqua Cullen, si nous trouvons leur source, nous pourrons les affaiblir, et leur chef avec eux.

-    Vous en voulez plus à Corypheus ou à Samson ? demanda la jeune femme, ressentant la colère que lui provoquait le souvenir de ce Samson.

-    Je ne sais pas, c’est juste que je le croyais plus intelligent que cela. Des caravanes de lyrium rouge passent en contrebande sur les routes commerciales, notamment dans la région de la Dalatie. Elles pourraient nous mener à la mine d’où il est extrait. Si vous les abordez, faites attention. Tout ce qui touche à Samson sera bien gardé.

-    Bien, conclut Lédara, déposez un rapport à la salle de Commandement et je m’en occuperai dans les plus brefs délais.

-    Je vous remercie, Inquisitrice, répondit-il soulagé, je vais vous conduire aux réquisitions.

Cullen contourna son bureau et allait ouvrir la porte quand Lédara le retint par le bras :

-    Attendez, il y a quelque chose dont j’aimerais vous parler.

Le Commandant s’arrêta net et la regarda, surpris. Il lâcha la poignée de la porte et se tourna vers elle, concerné. Lédara se détourna et fit quelques pas au centre de la pièce, puis s’arrêta :

-    J’ai un service à vous demander, dit-elle en se retournant à nouveau vers lui.

-    Dites-moi et je le ferai, dit Cullen, s’inquiétant de la mine sombre et triste de la jeune femme.

-    Mon frère cadet était chez les templiers, commença-t-elle la voix légèrement tremblante. Quand il y eut la rébellion des mages, lui est d’autres templiers voulaient soutenir le Conclave de la Divine Justinia. Nous avions donc convenu que nous nous rejoindrions à Darse pour veiller l’un sur l’autre.

Lédara fit une pause, puis murmura :

-    Je voulais surtout veiller sur lui… Nous ne nous sommes pas vus avant l’explosion du Conclave, je ne sais donc pas s’il était déjà présent ou non. Mais depuis, je n’ai plus aucune nouvelle de lui, et mes messages me reviennent toujours. Je ne sais pas s’il a survécu, s’il a obéi aux ordres du Seigneur Chercheur, s’il…

Cullen n’osa s’approcher d’elle. Il n’aurait jamais cru qu’elle était si concernée par le sort des templiers, et cela le toucha plus profondément qu’il ne l’aurait cru.

-    Pourriez-vous faire quelques recherches ? lui demanda timidement la jeune femme qui cachait son émotion, Dénan Trevelyan, il était lieutenant et officiait au Cercle d’Osterburg, dans les Marches Libres.

-    Bien sûr, répondit Cullen, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir.

-    Merci, Commandant.

Lédara avait repris de sa prestance, enfouissant son émotion au fond de son cœur. Elle s’aperçut que d’en avoir parlé lui avait fait un certain bien, et qu’elle avait confiance en l’homme qui dirigeait les troupes de l’Inquisition. Elle s’approcha à nouveau de la porte, prête à suivre le Commandant jusqu’aux réquisitions.

-    Aidez-moi à retrouver mon chemin, dit-elle avec un petit sourire, malgré la tristesse qui troublait ses beaux yeux clairs.

Cullen détourna vivement son regard du sien et ouvrit la marche. A chaque fois qu’il se raisonnait et éloignait la jeune femme de ses pensées, elle réussissait à le prendre au dépourvu et ses désirs remontaient en lui, plus forts, plus intenses. Mais il luttait toujours, convaincu du bien-fondé de cette privation qu’il s’imposait.

Après avoir déposé les commandes de fournitures au bureau des réquisitions, l’Inquisitrice sortit dans la cour supérieure et entendit des bruits de bagarre dans le bâtiment d’à côté consacré à l’armurerie. Elle entra, intriguée, et aperçut deux personnes à l’étage ; elle monta rapidement les escaliers et vit Varric qui s’était fait prendre au piège par Cassandra. Celle-ci tentait de l’attraper, mais le nain fuyait et gardait toujours une table de distance, jusqu’à ce qu’elle renverse la table et le saisisse par le col :

-    Donc vous saviez où était Hawke ! hurla Cassandra hors d’elle.

-    Bien sûr que je le savais ! s’écria Varric sur le même ton.

-    Espèce de petit faux cul ! grogna de rage la Chercheuse en essayant de lui donner un coup de poing que le nain évita de justesse.

Cassandra avait lâché Varric qui s’était alors éloigné le plus loin possible d’elle :

-    Vous m’avez enlevé ! s’exclama-t-il avec colère, vous m’avez interrogé ! Qu’est-ce que vous espériez ?

-    Hé ! s’écria Lédara, ça suffit !

-    Vous prenez son parti ? fulmina Cassandra à l’adresse de son amie.

-    J’ai dit : « ça suffit » ! répéta fermement l’Inquisitrice.

Les deux rivaux arrêtèrent de se poursuivre, mais tous deux bouillonnaient intérieurement.

-    On avait besoin de quelqu’un pour mener l’Inquisition, expliqua Cassandra à l’Inquisitrice, Léliana et moi, on a cherché Hawke, qui était introuvable. On s’est dit que c’était lié, mais non. C’était vous, cracha-t-elle au visage du nain, vous nous l’avez caché.

-    L’Inquisition a un chef ! s’écria Varric en désignant Lédara d’un geste de la main.

-    Hawke aurait été au Conclave ! s’emporta à nouveau Cassandra, si quelqu’un avait pu sauver Sa Sainteté…

-    Cassandra, l’interrompit calmement Lédara, vous ne pouvez pas changer le passé.

-    Alors quoi ! s’emporta Cassandra, je dois accepter que tout ce qui est arrivé fut la volonté du Créateur ? Qu’il… qu’il…

La Chercheuse grogna de dégoût, puis se tourna vers le nain :

-    Varric est un menteur, Inquisitrice, un serpent. Même après le Conclave, quand on avait le plus besoin de Hawke, il n’a rien dit.

-    Il est avec nous, maintenant, intervint Varric, on est du même côté !

-    On sait tous de quel côté vous êtes, Varric ! et ce ne sera jamais celui de l’Inquisition.

-    Cela ne sert à rien de l’attaquer maintenant, Cassandra, lança l’Inquisitrice.

-    Ha ! exactement ! fit Varric victorieux.

-    Et vous, fit Lédara en s’adressant au nain, vous avez intérêt à ne rien nous cacher d’autre.

-    Je comprends, grommela Varric en se ravisant.

-    Il ne faut pas que je pense à ce qu’il aurait pu se passer, dit Cassandra qui se calmait enfin, l’enjeu est trop grand.

Varric se dirigea vers les escaliers qu’avait empruntés Lédara, puis, avant de redescendre, il lança, médusé :

-    Vous savez ce que je crois ? Si Hawke avait été dans le temple, il serait mort, lui aussi. Vous lui en avez fait assez baver.

Varric quitta la pièce, et on l’entendit sortir de l’armurerie. Une fois seules, Cassandra s’assit sur un tabouret et se prit la tête entre les mains.

-    Je l’ai cru… Il s’est fichu de moi, et j’ai tout avalé. Si seulement je lui avais expliqué les enjeux… Si je lui avais fait comprendre… Mais je n’ai rien fait de tout cela. Je ne lui ai pas dit pourquoi on avait besoin de Hawke. Quelle imbécile…

Lédara vint s’asseoir en face de son amie et la regarda droit dans les yeux :

-    Et si vous ne l’aviez pas cru, vous auriez retrouvé Hawke ?

-    A vrai dire, réfléchit la Chercheuse, Hawke aurait peut-être refusé de devenir Inquisiteur. Il soutenait la rébellion des mages, après tout. Il ne m’aurait pas fait confiance. Mais au fond, il ne s’agit pas de Hawke, ni même de Varric. J’aurais dû faire plus attention. J’aurais dû être plus intelligente. Je ne mérite pas d’être ici…

-    Vous êtes trop dure avec vous-même, Cassandra, dit doucement Lédara.

-    Pas assez, je dirais.

-    Vous ne pouvez pas sincèrement croire cela.

La guerrière poussa un long soupir :

-    Je veux que vous sachiez que je n’ai aucun regret, dit-elle enfin, si on avait trouvé Hawke, le Créateur n’aurait peut-être pas eu besoin de vous envoyer. Mais vous êtes là. Je ne sais pas ce qui nous attend mais vous avez déjà dépassé tous mes espoirs.

Lédara se releva et tendit la main à son amie, qui la saisit. Cassandra avait l’air déboussolée, confuse, mais la colère qu’elle ressentait s’était quelque peu estompée. Quand l’Inquisitrice fut assurée que Cassandra s’était apaisée et qu’elle pouvait la laisser reprendre ses tâches, elle s’en alla trouver Varric pour voir comment il accusait le coup après ce règlement de compte. Elle le trouva près du grand hall, dans une petite salle attenante à la rotonde où il avait installé son bureau de marchand. Lédara frappa discrètement à la porte ouverte et entra, s’approchant du nain qui était accoudé à son secrétaire :

-    Elle s’est calmée, dit gentiment Lédara, je crois que vous pouvez lâcher votre arbalète. 

-    Comment ça, « calmée » ? grogna Varric, ironique, elle est en train de taper sur qui ou sur quoi, en ce moment ?

Le nain soupira et se releva pour faire face à l’Inquisitrice.

-    Je ne cherchais pas à vous cacher des choses, dit-il désolé, j’ai dit à l’Inquisition tout ce qui me paraissait important à ce moment-là.

-    Je sais Varric, vous n’auriez pas gardé cela pour vous, sinon.

-    J’espère toujours… que tout ça n’est pas réel, soupira le nain, que c’est l’Immatériel qui nous joue un tour, que ça ne va pas durer. Je sais que j’ai des progrès à faire, je suis désolé.

Lédara posa sa main sur son épaule, compatissante. Le nain la remercia du regard, toutefois la Marchéenne pouvait ressentir son désarroi et sa peine au fond de ses yeux. Elle quitta son bureau, ébranlée elle aussi.

Dans les jours qui suivirent, l’Inquisitrice prit connaissance de tous les rapports accumulés pendant son absence ; elle restait souvent cloîtrée dans son bureau ou dans la salle de Commandement, ne mangeant et dormant que très peu. Elle avait perdu le sommeil depuis longtemps déjà, mais sa nouvelle fonction ne l’avait pas aidée à le retrouver. Les rares fois où elle dormait d’un seul trait, elle se réveillait en sueur et prise d’angoisses, mais ne se rappelait jamais de ses rêves. Elle préférait dormir quelques heures par-ci par-là dans la journée car elle avait l’impression de se reposer davantage ainsi que de faire une nuit complète seule dans sa vaste chambre.

Un matin, en descendant dans le grand hall, Lédara s’arrêta devant le trône qu’elle avait remarqué à son arrivée. Il était à la fois sobre et imposant, le dossier incrusté de sept lames d’épée qui esquissaient une auréole de fer. Il semblait cependant confortable, rembourré et recouvert de soie rouge finement tissée. L’Ambassadrice, qui s’était approchée de la jeune femme, la sortit de ses pensées :

-    Imprrressionnant, non ? dit Joséphine en observant elle aussi le trône. Parrrfait pour un chef. C’est la marrrque de votrrre influence, et de son farrrdeau. C’est là que l’Inquisition rendrrra son jugement. Là où vous rendrrrez votrrre jugement.

-    Et qui vais-je juger, au juste ? demanda Lédara en se tournant vers l’Ambassadrice.

-    Ceux qui ont mal agi, répondit naturellement Joséphine, vous les connaîtrrrez, au moins de nom. Tout cela bien sûr à supposer qu’ils aient surrrvécu à votrrre prrremière rencontrrre. Nous pouvons discuter de leur cas auparrravant si cela vous rrrassure.

-    Comme si je n’avais pas assez de vies entre les mains, murmura la Marchéenne.

-    Vous incarrrnez la loi, Inquisitrrrice, dans un monde où beaucoup fuient leurs rrresponsabilités. Mais nul besoin de fairrre couler le sang. La souverrraineté de l’Inquisition existe grrâce aux alliances qui prrrouvent son bien-fondé. Vous jouissez d’autant de pouvoir que de devoirs. La justice ne manque pas d’outils. S’ils sont bien utilisés, l’exécution n’est pas la pirrre des sentences.

-    Bien, soupira Lédara, dites-moi qui je dois juger.

Joséphine emmena l’Inquisitrice dans son bureau, lui dit deux mots sur les deux jugements qu’elle devait porter, puis lui demanda si elle était prête en cet instant pour qu’elle annonce l’ouverture de la cour de jugement. Lédara acquiesça silencieusement et suivit l’Ambassadrice jusque dans le grand hall. L’Antivane donna quelques ordres à voix basse à un éclaireur qui partit immédiatement ; en quelques instants, la salle se remplit, la rumeur du jugement se répandant comme une traînée de poudre. Joséphine invita l’Inquisitrice à s’asseoir sur le trône puis se tint elle-même sur le côté, présidant à l’assemblée.

Le cœur de Lédara battait à tout rompre : elle voyait le grand hall sous un autre jour, celui de son fardeau qui prenait forme sous ses yeux. La foule se pressait de plus en plus, et un groupe d’enfants avaient réussi à se glisser à l’étage sur les balustrades de pierre. Deux soldats en tenue officielle de l’Inquisition se présentèrent devant l’Inquisitrice, ils la saluèrent, puis se postèrent à ses côtés, légèrement en retrait du trône. Elle aperçut dans la foule qui se pressait de plus en plus Léliana qui s’appuya contre un mur à l’écart, puis Cullen qui venait lui aussi assister à cette première séance. D’autres soldats étaient arrivés dans le hall et maintenaient le passage central libre ; enfin, elle vit le premier prisonnier se présenter à elle, gardé par deux soldats. Les murmures cessèrent et tous les regards se tournèrent sur l’individu. C’était un homme de grande taille et qui avait une carrure forte. Sa tenue rappela à Lédara le peuple des Alvars qu’elle avait rencontré dans les Terres sauvages de Korcari quand elle recherchait les soldats disparus. Il portait les mêmes peaux de bêtes teintes en bleu et blanc, sa tête était couverte d’une tête de bélier en guise de capuchon, avec de majestueuses cornes, et son visage était peint des mêmes couleurs que ses vêtements. L’homme était enchaîné et fortement maintenu par les deux gardes de l’Inquisition.

-    Voilà une affairrre bien farfelue, dit Joséphine en s’avançant vers l’Inquisitrice. Avant votrrre retour de Boscret, nous avons trrrouvé cet homme en trrrain d’attaquer… le fort… avec un bouc.

L’Ambassadrice s’adressait à la fois à l’Inquisitrice et à la foule, modulant ses intonations sans surjouer son rôle. Elle maîtrisait parfaitement les codes de ce genre de rassemblement, et comme celui-ci était le premier de Lédara, il fallait que tout soit respecté à la lettre afin d’asseoir l’autorité de la jeune Inquisitrice.

-    Chef Movran le Second, continua Joséphine, il est outrrré que vous ayez tué son fils et qu’une partie de sa trrribu vous ait rejointe… bien qu’ils aient attaqué les prrremiers. A plusieurs reprrrises. Que voulez-vous faire de lui ? En quel lieu bien aéré faut-il l’envoyer ?

En effet, le chef Movran n’était pas de ceux qui prenaient un bain régulièrement. L’Inquisitrice observa l’homme enchaîné devant elle :

-    Vous avez attaqué la forteresse avec un bouc ? demanda-t-elle, presque amusée.

Movran se mit à rire à gorge déployée.

-    Un tribunal ? lança-t-il dans son hilarité, pourquoi faire ? Vous avez tué mon crétin de fils et j’ai riposté selon nos coutumes, en aspergeant vos murs de sang de bouc.

Lédara se mordit les joues pour ne pas rire et regarda Joséphine.

-    Arrrêtez de me regarder, souffla celle-ci.

-    C’est de bonne guerre, reprit le chef Alvar, il voulait trucider des Tévintides, mais il est tombé sur votre Inquisition. Faut l’excuser, sa mère était rouquine.

Lédara le regarda d’un œil mauvais. En quoi cela pouvait être une raison ? Elle garda son calme, écoutant ce qu’il avait à dire.

-    Faites votre boulot, Inquisitrice. Mon clan survivra. Et mes autres petiots sont encore bien en vie !

Le chef rit encore de plus belle. C’était tout réfléchi pour Lédara qui lui répondit :

-    C’est parti d’un malentendu, chef Movran, mais ce genre d’incident ne doit pas se reproduire. Je vous bannis, vous et votre clan. Vous irez à Tévinter, avec autant d’armes que vous voudrez.

-    Mon crétin de gamin nous a rendu service, en fin de compte ! rit le chef Alvar.

Les deux gardes emmenèrent Movran en dehors de la salle afin de mettre en œuvre le jugement prononcé. Cette première séance s’était très bien passée, et le cas avait mis en confiance l’Inquisitrice. Cependant, lorsqu’elle vit deux autres soldats arriver avec un nouveau prisonnier, elle se raidit soudain, ce jugement-là s’annonçant plus épineux. Joséphine mit à jour ses parchemins et prit à nouveau la parole pour présenter l’individu à l’Inquisitrice et à l’assemblée :

-    Vous vous souvenez de Géréon Alexius, de Tévinter. Férelden nous l’a livrrré en reconnaissance de votrrre aide. Les charges rrretenues : apostasie, tentative d’asservissement, tentative d’assassinat… envers vous, excusez du peu. Tévinter l’a désavoué et lui a rrretiré son titrrre. Vous jugerez cet ancien magister à votrrre convenance.

Lédara observa Alexius : depuis qu’elle l’avait vu à Golefalois, il semblait diminué, ses traits étaient tirés et un mélange de colère et de tristesse se lisait dans son regard. Il avait été enchaîné, et les deux soldats qui l’accompagnaient étaient deux anciens templiers qui avaient rejoint l’Inquisition à ses débuts.

-    Je me souviens de ce qui aurait pu advenir de Thédas, dit calmement Lédara, si sa trahison avait abouti.

-    Je n’ai pas pu sauver mon fils, répondit Alexius, vous croyez vraiment que je m’inquiète pour mon sort ?

-    N’avez-vous rien d’autrrre à dire pour votrrre défense ? lui demanda l’Ambassadrice.

-    Vous n’avez rien gagné, cracha de colère Alexius, les gens que vous avez sauvés, les éloges, les acclamations… La tempête qui approche emportera tout.

Lédara le regarda, impassible, mais elle savait qu’il n’était pas dans le faux. Elle remarqua que Cullen s’était approché plus près du trône, sa main droite crispée sur la garde de son épée.

-    Rendez votre jugement, Inquisitrice, finit par dire Alexius par provocation.

Toute la foule avait les yeux rivés sur l’Inquisitrice, attendant son verdict. Celle-ci resta silencieuse, impassible : elle réfléchissait. L’exécuter serait pour l’ancien magister une délivrance. L’emprisonner, une longue attente. Quel autre choix avait-elle ? Au loin, près de la grande porte d’entrée du hall, elle aperçut Dorian qui assistait au procès de son mentor. Il avait la mine douloureuse, mais attendait que son ancien maître soit jugé pour ses actes. L’Inquisition avait les mages sous son commandement, Alexius pourrait mettre à profit son expérience de chercheur au service de l’enchanteresse Fiona, sous haute surveillance, bien entendu. Et il avait peut-être des choses utiles à leur apprendre sur les Venatori et Corypheus. Lédara posa à nouveau les yeux sur l’ancien magister :

-    Votre magie était absolument impossible en théorie, Alexius, dit-elle sobrement. Nous avons besoin de gens comme vous. Vous êtes condamné à servir l’Inquisition, sous surveillance, en tant que chercheur dans le domaine de la magie.

-    Pas de peine de mort ? soupira Alexius, très bien.

Les deux anciens templiers ramenèrent le prisonnier dans sa cellule ; la foule salua l’Inquisitrice et se dispersa. La séance était clôturée. Lédara se leva du trône avec grâce, puis descendit les trois marches du piédestal où elle se trouvait. Joséphine lui murmura sa joie, cette première séance s’était parfaitement bien déroulée et avait donné la meilleure impression aux invités présents. Lédara l’écouta d’une oreille, acquiesça, mais son esprit était ailleurs : elle avait vu Dorian retourner vers la bibliothèque de Fort Céleste au moment de son jugement, et elle souhaitait le voir sans plus tarder afin de savoir comment il prenait la nouvelle. Elle passa rapidement la porte et monta les escaliers de la rotonde, le trouvant le nez dans un bouquin. Quand il la vit s’approcher de lui, le mage ferma le livre d’un coup sec :

-    Alors comme cela, Alexius va faire des recherches magiques pour vous ? dit-il d’un ton faussement badin. La recherche est ce qui l’a toujours rendu heureux. J’irai peut-être même lui parler. Un conseil : s’il suggère d’altérer le temps pour résoudre tous vos problèmes, évitez, d’accord ?

Lédara sentit qu’au fond de lui, Dorian était content de son jugement. Elle fut en quelque sorte rassurée et évita d’approfondir ce sujet pour le moment.

-    Je me rends compte que je ne sais presque rien sur vous, dit-elle alors pour détourner la conversation.

-    A part que je suis un mage tévintide, vous voulez dire ? lança Dorian amusé et ravi de cette question.

-    A part cela, oui, sourit Lédara.

-    Et à part mon charme et mon sens du style évidents ? continua-t-il, enjoué.

-    Je suis bien consciente de vos grandes qualités, croyez-moi, plaisanta la jeune femme, entrant dans le jeu du jeune homme.

-    Bien sûr, renchérit-il, vous êtes une femme intelligente et perspicace, je ne vous l’enlève pas.

Dorian lui sourit de son sourire le plus charmeur tout en rangeant le livre qu’il tenait à la main, puis continua d’un ton théâtral :

-    Bon… Où en étais-je ? Ah, oui ! A moi. Je suis le descendant de la maison Pavus, produit de générations d’élevage réfléchi, et dépositaire de ses rêves et espoirs. Naturellement, tout cela me répugne : les mensonges, les manigances, les illusions de suprématie. C’est tout Tévinter, cela. Inutile de vous dire que ma famille n’a pas été ravie de mes choix.

Lédara le regarda un peu stupéfaite, plein de questions lui survenant à l’esprit en même temps.

-    Qu’est-ce que vous entendez par « générations d’élevage réfléchi » ? demanda-t-elle en premier lieu.

-    Les grandes familles de Tévinter ne font pas d’enfants, répondit Dorian, content de pouvoir instruire l’Inquisitrice sur son peuple selon ses opinions. Ils purifient leurs lignées, éliminent les indésirables, et développent les autres. Ma mère a été choisie pour mon père parce qu’une magie puissante coule dans ses veines. Ils se haïssaient, mais peu importe. Ils voulaient un fils qui puisse devenir archonte et faire de la maison Pavus l’envie de l’Empire. Et ils m’ont eu moi… Cela leur apprendra à être trop gourmands.

-    Qu’est-ce que votre famille vous reproche ? demanda Lédara, intriguée mais ayant sa petite idée en tête.

-    D’avoir rejeté leur plan idyllique, répondit-il fièrement, si je les avais écoutés, je serais déjà marié à la pauvre héritière d’une famille influente. On vivrait dans le luxe, le désespoir et le mépris mutuel, à attendre que je prenne la relève de mon père au Magisterium. J’ai décliné l’offre, et j’ai fui. C’est plus facile d’être loin de tout cela… moins embarrassant.

Lédara le regarda surprise ; il lui semblait qu’il venait de résumer en quelques phrases sa propre vie. Elle ne pensait pas qu’ils se ressemblaient autant.

-    J’ai l’impression que vous n’appréciez pas particulièrement votre terre natale, lui dit-elle.

-    Au contraire, répondit-il l’air sérieux, j’y tiens plus que vous ne pouvez l’imaginer. Elle a un tel potentiel. Mais hélas, on le gâche. On refuse de reconnaître à quel point on s’est trompés… C’est plus facile de faire semblant. Faire semblant que les Qunari peuvent être vaincus, qu’on est au-dessus des autres, même au sein de notre peuple. Tout le monde n’est pas comme cela. Mais malheureusement, on est une minorité.

-    C’est juste que, se justifia Lédara en voyant la passion avec laquelle il parlait de son pays, tout ce que vous dites sur l’Empire, c’est vraiment négatif.

-    Oui, je sais. Mais pour tous ses vices, mon peuple a autant de vertus. Notre histoire et notre culture sont extrêmement riches. C’est à Tévinter que Thédas est né, après tout. On chérit notre passé et on le préserve. Certaines rues n’arborent même aucune construction datant de l’ère moderne. Et malgré les apparences, on est passionnés. Pour tout. On n’a aucune retenue, ni au combat, ni en amour. Si je pensais vraiment que mon pays était sans espoir, il ne me manquerait pas autant.

-    Pourquoi rester dans l’Inquisition, alors ? demanda Lédara qui cherchait à comprendre ce jeune homme, pourquoi ne pas retourner à Tévinter ?

-    Je ne serais pas vraiment le bienvenu, ricana-t-il, bon, ce n’est pas si grave, j’ai l’habitude d’être un paria. C’est ce qui fait mon charme. Mais je suis plus utile ici. Si les Venatori arrivent à leurs fins, Tévinter reviendra mille ans en arrière. Certains magisters ne seraient pas d’accord… Mais c’est pour cela qu’on les tue.

Un messager vint les interrompre : il donna un petit papier à l’Inquisitrice qui le lut rapidement, puis renvoya l’éclaireur avec un signe de tête positif. Joséphine demandait à la voir au plus vite. Elle s’excusa auprès de Dorian qui l’invita à continuer cette conversation avec grand plaisir une autre fois, puis elle se dirigea rapidement vers le bureau de l’Ambassadrice. Léliana était également sur place.

-    Encore mes félicitations pour votrrre prrrestation de tout à l’heure, Inquisitrice, dit Joséphine en voyant entrer Lédara. Vous avez une autorrrité et une prrrestance naturelles qui nous seront trrrès utiles.

-    Je suis ravie que vous soyez satisfaite de moi, répondit Lédara en la taquinant.

-    Loin de moi l’idée de vous utiliser, Inquisitrice ! balbutia Joséphine, confuse.

Lédara éclata de rire, tout comme Léliana. L’Antivane avait souvent tendance à tout prendre au premier degré, et cela en était parfois très drôle.

-    Dites-moi pourquoi vous vouliez me voir, dit l’Inquisitrice en souriant.

-    Oui, j’ai rrreçu d’excellentes nouvelles à prrropos de notrrre affaire avec l’Impératrice Célène : j’ai rrréussi à vous obtenir une invitation pour le bal des négociations. Par contrrre, c’est le Grand Duc Gaspard lui-même qui vous invite.

-    Il a une idée derrière la tête, marmonna la Maître-espionne.

-    Quoi qu’il en soit, nous avons notrrre accès, continua Joséphine. Il rrreste maintenant à se prrréparer au mieux dans le temps qui nous est imparrrti.

-    Combien de temps avons-nous ? demanda Lédara.

-    Les négociations débuterrront dans deux mois, lui répondit Joséphine. D’ici là, il nous faut prrréparer les trrroupes qui vous accompagneront, confectionner les habits d’apparat, vérifier votrrre aptitude à la danse…

-    Pardon ? l’interrompit Lédara, abasourdie.

-    Eh bien, expliqua Joséphine, vous êtes invitée par la cour impérrriale au Palais d’hiver d’Halamshiral, c’est une vitrrrine incontestable.

-    De plus, ajouta Léliana, le climat sera extrêmement tendu, et tout Orlaïs aura les yeux rivés sur vous. On ne peut pas se permettre le moindre faux pas. Au sens propre comme au sens figuré.

La figure de Lédara se décomposa. Elle savait qu’il y avait beaucoup de choses en jeu, comme démasquer un assassin royal, mais pas qu’elle serait jugée sur son apparence et ses manières. Sa vie de noble la rattrapait bien plus qu’elle ne l’avait pensé.

L’Inquisitrice fit signe à ses deux conseillères de la suivre dans la salle de Commandement pour qu’elle puisse poursuivre cette conversation tout en inspectant les derniers rapports. L’un d’entre eux attira particulièrement son attention :

 

Nous avons été contactés par un certain Fairbanks qui prétend avoir des informations très utiles pour l’Inquisition. Il nous propose un marché : les renseignements en échange de notre aide pour éliminer un dangereux groupe de rebelles qui se fait appeler les Hommes Libres de Dalatie. Ces rebelles ont été vus dans toute la Dalatie, où ils ont créé des problèmes importants aux troupes orlésiennes. Nous aurions tout intérêt à les chasser.

Voyons d’abord ce que Fairbanks peut nous dire. Il se cache quelque part dans les Tombes Emeraudes, une forêt dalatienne légendaire. Mes espions affirment qu’il connaît bien la région et son territoire. Si nous décidons de lui faire confiance, il pourrait devenir un collaborateur de choix.

Léliana

 

Lédara repéra rapidement sur les deux immenses cartes la région de la Dalatie, puis les Tombes Eméraudes ; c’était dans le même secteur que les trafiquants de lyrium repérés par le Commandant.

-    Léliana, dit-elle sans s’apercevoir qu’elle coupait les deux conseillères dans une dispute qu’elle n’avait pas écoutée, dépêchez un groupe d’éclaireurs aux Tombes Emeraudes, j’aimerais partir au plus vite.

-    Bien, Inquisitrice, lança Léliana en quittant aussitôt la salle de Commandement.

-    Inquisitrice, fit Joséphine contrariée, vous ne pouvez parrrtir trop longtemps, vous devez vous prrréparer pour les négociations au Palais de l’Impératrrrice.

-    Ne vous en faites pas, je serai de retour rapidement, la rassura la jeune Marchéenne.

Intérieurement, l’Inquisitrice bouillonnait d’impatience ; elle avait besoin de repartir sur le terrain, surtout avec ce qu’elle venait d’apprendre. Les mondanités n’étaient pas son fort, même si elle les maîtrisait déjà bien. Lédara continua à feuilleter les rapports, et tomba sur un feuillet faisant état d’engeances qui sortiraient sur la Côte Orageuse ; la source n’était pas connue. Cela lui rappela la discussion qu’elle avait eue avec Ser Stroud et l’Appel que tous les Gardes des Ombres entendaient ; ils préparaient alors leur descente dans les Tréfonds pour combattre les engeances et mourir dignement. La jeune femme n’en avait pas discuté avec Blackwall, et cela la démangeait de savoir si lui aussi entendait cet Appel. Il fallait dire qu’il était resté particulièrement discret sur la question, et qu’il était très solitaire.

Lédara sortit de la Salle de Commandement et alla trouver le Garde. Celui-ci s’était installé vers les écuries, aidant les palefreniers à s’occuper des chevaux.

-    Fort Céleste, dit Blackwall qui observait les hautes tours de la forteresse, on va pouvoir voir venir Corypheus à des kilomètres.

-    D’un autre côté, fit Lédara d’un ton taquin, cela veut dire qu’il peut nous voir à des kilomètres.

-    Laissez-le venir, lança passionnément le Garde, je vous jure que j’abattrai ce tordu, même si je dois y rester.

-    Je vous remercie pour votre soutien, répondit-elle touchée.

-    C’est mon rôle, non ? De tuer des engeances. Et malgré tout, l’espoir est là. Les gens affluent vers votre bannière, ils croient en vous.

Blackwall se détourna et fit quelques pas dans l’étable, demandant soudainement :

-    Soyez sincère : vous êtes vraiment ce qu’on dit ? L’Elue d’Andrasté ?

-    Je n’ai que peu de souvenirs de tout cela, répondit-elle hésitante, et s’ils avaient tort ?

-    Quelle importance ? Vous ne voyez pas ce que vous représentez pour eux ? Vous êtes leur seul espoir. Notre seul espoir. Ils ont besoin de voir en vous la Messagère d’Andrasté, c’est ce qui les fait avancer. La vérité n’a pas d’importance. Ah, soupira-t-il, je devrais me taire. Votre temps est précieux, et je vous en ai fait perdre assez comme ça…

Blackwall se détourna de l’Inquisitrice pour reprendre ses tâches quand Lédara l’interpella :

-    Attendez, j’aimerais discuter avec vous.

Le Garde la regarda, surpris, puis l’invita à monter à l’étage de la grange. Là, il avait installé son petit campement où il vivait paisiblement quand il n’était pas en mission. Il sortit une botte de foin et installa une couverture par-dessus, invitant l’Inquisitrice à s’asseoir. Il s’assit lui-même à côté d’elle, sur une autre botte.

-    Je peux vous proposer un verre ? lui dit Blackwall en lui tendant un gobelet de bois et sortant une bouteille de vin de son sac.

-    Volontiers, répondit-elle en saisissant le gobelet que le Garde remplit.

-    Alors, dit Blackwall en buvant une grande gorgée, que voulez-vous savoir ?

-    Hawke, l’ami de Varric, a dit qu’il y avait des soupçons de corruption dans les rangs de la Garde des Ombres. Vous en savez quelque chose ?

-    De la corruption ? Quel genre de corruption ?

-    Corypheus, dit-elle, allant droit au but. On dit qu’il a une certaine emprise sur les Gardes.

-    Ça pourrait expliquer pourquoi tant d’entre eux ont disparu, réfléchit Blackwall.

Lédara observa le Garde : il n’avait pas l’air de présenter des symptômes de corruption, ou d’adopter une attitude étrange.

-    Comment vous sentez-vous ? demanda-t-elle concernée, vous n’entendez pas de voix, ni rien ?

-    Si je commence à entendre des choses, ricana-t-il, je vous promets que vous serez la première à le savoir.

-    Parlez-moi de la Garde des Ombres, vous devez en savoir beaucoup.

-    Ah, les Gardes… Je crains qu’on ne soit pas aussi fascinants qu’on en a l’air.

-    L’Enclin est terminé depuis plus de dix ans, que font les Gardes quand ils n’ont pas de monde à sauver ? demanda Lédara, curieuse.

-    Il y a toujours les engeances, répondit-il, on en a tué beaucoup à Férelden, mais ça ne veut pas dire qu’elles ont disparu. Et le monde n’en est pas au point de pouvoir se passer de quelques justiciers. Parfois, il faut trouver soi-même le sens qu’on veut donner au serment de protection. Il n’y a pas que les archidémons et les Enclins.

-    Vous étiez où pendant l’Enclin ? demanda-t-elle encore.

-    J’étais à Férelden, seul comme d’habitude. J’ai tué mon lot d’engeances de mon côté.

-    Comment les Gardes viennent à bout des archidémons ?

-    En gros, ils les transpercent d’une épée jusqu’à ce qu’ils arrêtent de bouger, répondit-il simplement.

-    Si c’était aussi simple, répliqua Lédara, n’importe qui pourrait le faire, pas juste les Gardes.

-    Et pourtant, c’est la réalité, insista Blackwall, ce n’est pas parce qu’un archidémon est magique qu’il ne craint pas les épées. Il faut juste… que ce soit l’épée d’un Garde des Ombres. Et puis, ce n’est pas le coup de grâce, le problème. C’est rendre le dragon vulnérable au point de pouvoir le tuer. Il n’y a pas vraiment de mode d’emploi, malheureusement.

Lédara le regarda, perplexe.

-    Vous n’avez eu aucun contact avec les autres Gardes pendant longtemps, pourquoi ? demanda-t-elle.

-    Ça a toujours été comme ça, dit Blackwall en haussant les épaules. Le recrutement, c’est l’affaire d’un homme. Et puis, je suis un solitaire. C’est mieux pour tout le monde.

La nuit était tombée, et Lédara prit congé du Garde. Elle était restée sur sa faim après sa discussion avec lui, mais se dit qu’il y avait toujours eu une part de mystère autour de la Garde des Ombres. Elle marchait d’un pas rapide dans la cour lorsqu’Iron Bull l’interpela vivement :

-    Hé ! Chef ! Venez boire un verre avec moi à la taverne, elle vient d’ouvrir !

Lédara hésita un court instant, puis le suivit avec entrain. Quand ils entrèrent dans le bâtiment, la jeune femme découvrit un immense espace sur deux étages dédié à la détente, avec une ambiance chaleureuse. Bull commanda des boissons et emmena l’Inquisitrice à l’étage dans un coin tranquille, loin du brouhaha de la soirée. Une fois servis, le Qunari trinqua joyeusement :

-    Vous faites du bon boulot, chef, dit-il, j’aime la tournure que prend cette Inquisition.

-    C’est gentil, répondit-elle modestement.

-    Que faisiez-vous avec Blackwall, tout à l’heure ? lança Bull de but en blanc.

Lédara le regarda surprise.

-    Cela ne vous regarde pas forcément, répliqua-t-elle un peu sèchement.

-    Arf, vous froissez pas comme ça, se reprit le Qunari, c’est que… j’ai une étrange impression sur ce gars. Il est pas clair.

Lédara se détendit légèrement et observa le visage pensif d’Iron Bull.

-    C’est votre expérience de Ben-Hassrath qui vous fait dire cela ? demanda-t-elle.

-    Sûrement, grogna Bull.

La jeune femme fut flattée de l’attitude surprotectrice de son compagnon. Une serveuse revint encore avec deux grandes tasses fumantes, elles contenaient du lait. Iron Bull sortit soudain de sa large ceinture un petit sachet de poudre brune, puis des petites friandises.

-    Vous allez goûter au cacao, dit-il enjoué, vous verrez, vous ne pourrez plus vous en passer.

Il versa un peu de poudre dans les deux tasses de lait chaud, et brassa à l’aide d’une petite cuillère. Il prit ensuite une petite friandise au miel qu’il disposa dans la cuillère et la trempa dans le lait devenu brun clair, et tendit le tout à l’Inquisitrice. Celle-ci attrapa la cuillère et goûta le mélange : ce fut un délice de douceur et d’amertume à la fois. Iron Bull l’observa en affichant un grand sourire.

-    Encore un ? demanda-t-il enjoué.

Lédara hocha la tête, la bouche encore pleine. Le Qunari lui en prépara un autre ; il était très attendrissant à cet instant-là, le grand colosse s’appliquant minutieusement sur une petite friandise. Une fois prête, il s’en prépara également quelques-unes, et les deux compagnons mangèrent délicatement et savoureusement les petites guimauves orlésiennes que Varric avait fait importer, tout comme la poudre de cacao.

-    A Darse, nous avions un peu parlé de votre peuple, se souvint Lédara, puis-je vous poser d’autres questions ?

-    Allez-y.

-    Cela fait quoi, de grandir avec le Qun ?

-    Les tamassrans nous élèvent dans des unités avec d’autres enfants du même âge, raconta-t-il, un peu comme des professeurs, ou des sœurs de la Chantrie. Ils nous aident aussi à découvrir le travail qui nous convient le mieux. Pour moi, c’était une formation militaire. Quand ils ont vu que je savais taper et mentir, ils ont commencé à me former pour les Ben-Hassrath

-    Vous n’avez pas connu vos parents ? demanda-t-elle surprise.

-    Non, répondit-il naturellement, je sais, pour vous autres, ça paraît pas croyable. Les tamassrans font office de parents. Ils nous apprennent à lire, nous mettent au lit. Ils font tous ces trucs de parents. Je me souviens de celle qui m’aidait à construire des trucs avec des blocs. Elle riait quand je renversais tout.

-    En quoi la vie quotidienne est-elle différente pour les Qunari ?

-    Bah, j’imagine que ça dépend du boulot, répondit Bull. Parfois, c’est pareil que chez vous. Un boulanger de Val Royeaux se lève, s’habille et se met au travail. La boulangère de Par Vollen, elle fait la même chose. Ils se moquent de l’empire ou du Qun. Ils se préoccupent plutôt de battre leurs blancs en neige et de leur pâte qui lève.

-    Ce n’est pas tout à fait pareil, j’ai entendu dire que les Qunari ne connaissaient pas la liberté individuelle.

-    A votre avis, à quel point ce boulanger de Val Royeaux est-il libre ? lui fit remarquer le Qunari, la vie n’est pas qu’une question de liberté. La boulangère de Par Vollen, elle se demande si elle aura assez d’œufs pour ses gâteaux. Est-ce qu’elle les recevra à temps ? Est-ce que le garçon de cuisine viendra chercher le pain bien frais, ou est-ce qu’il lui reprochera que son pain est rassis car il est arrivé trop tard ? C’est pareil à Val Royeaux, les gens sont des gens.

Lédara aimait à l’écouter, il avait une vision à laquelle elle ne pouvait avoir accès en d’autres temps, et elle aimait à découvrir le fonctionnement des autres cultures.

-    Il paraît que les Qunari ne se marient pas entre eux ? l’interrogea Lédara, curieuse.

-    Ouais, c’est vrai. Les Qunari aiment leurs amis comme n’importe qui, mais on a juste pas de rapports sexuels avec.

-    Les Qunari n’ont pas… ne font pas… ?

Iron Bull éclata de rire devant la perplexité de la jeune femme.

-    Bien sûr qu’on a des rapports sexuels. Il y a des tamassrans pour nous soulager quand on en a besoin.

-    C’est vrai ? demanda Lédara stupéfaite et intriguée.

Le Qunari remarqua qu’il avait toute l’attention de la jeune femme et voulut titiller encore un peu plus sa curiosité.

-    Ouais, dit-il désinvolte, c’est pas aussi important qu’ici. C’est comme… Je sais pas, c’est comme aller voir un guérisseur. Parfois, c’est long, ça peut vous prendre toute une journée. Après, on marche bizarrement… Et parfois, on entre et pouf ! On ressort au bout de cinq minutes. « Merci, au revoir, à la semaine prochaine ! »

-    Donc vous n’avez jamais… fait l’amour ? Vous n’avez jamais été lié corps et âme à quelqu’un ? lui demanda-t-elle en se penchant naturellement vers lui, accoudée sur la table son menton reposant élégamment dans sa main.

-    Je sais pas, répondit-il une petite lueur dans le regard. Une fois, ils ont utilisé ce truc, ça s’appelle le saartoh nehrappan. C’est un bâton attaché à un harnais et recouvert de cuir… Mais ça n’était pas vraiment mon âme. Et il y avait plus de deux personnes.

-    C’est… différent, murmura Lédara.

-    Ouais, dit fièrement Bull, par contre, c’est plus drôle ici. Moins de rituels, plus de créativité pendant l’action. En plus, ici, il y a des rousses, soupira-t-il en regardant intensément la jeune femme, ça me rend dingue.

Il ne s’était pas approché d’elle, il ne l’avait pas touchée, mais un frisson la parcourut tout le long de son dos. Son regard pénétrant suffisait à la désappointer totalement. Le Qunari se rapprocha de la jeune femme et lui caressa lentement la joue d’un doigt, mais elle arrêta son geste de sa main et l’éloigna.

-    C’est tentant, mais… commença Lédara un peu gênée.

-      Il y a quelqu’un d’autre ? lui demanda Bull un peu déçu.

La Marchéenne poussa un petit soupir.

-    Si seulement… murmura-t-elle pour elle-même.

-      Bah, si vous changez d’avis… Vous savez où me trouver, dit Bull avec un clin d’œil.


Lédara lui sourit et se leva de table pour retourner dans ses quartiers où Dila l’attendait. Ses pensées tournoyaient dans son esprit. Elle voyait le Qunari la charmer depuis son entrée dans l’Inquisition et il était parfois difficile d’y être insensible, toutefois une autre personne occupait ses pensées sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte. A présent qu’elle y réfléchissait, cela devenait pourtant une évidence : l’ancien templier Cullen ne la laissait de loin pas indifférente. Cependant, il semblait tout faire pour la fuir, ce qui lui laissait finalement penser qu’il n’était pas intéressé, ou qu’il avait peut-être déjà une compagne quelque part… Ne réussissant pas à s’endormir, elle se leva à nouveau et fit le tour de sa chambre pour s’arrêter devant les bibliothèques. Elle parcourut des doigts les reliures puis se plongea dans de la lecture, le premier livre qui lui tomba sous la main, pour se vider l’esprit.

Quelques jours plus tard, l’Inquisitrice reçut un message de l’Eclaireuse en chef Harding qui avait installé un avant-poste dans les Tombes Emeraudes ; elle était entrée en contact avec le fameux Fairbanks, mais celui-ci n’avait lâché que très peu d’informations, et ne voulait les communiquer qu’à la Messagère d’Andrasté en personne. Lédara demanda alors à Cassandra, Solas, Iron Bull et Séra de l’accompagner afin de discuter avec Fairbanks et de retrouver les trafiquants de lyrium rouge. Les cinq compagnons partirent au lever du jour. 

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