Inquisition
Chapitre 17 : Quand tombent les masques
13171 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 17/10/2025 16:34
L’Inquisitrice fit un pas sur le côté et se retourna face à son agresseur. Celui-ci ne s’attendait pas à la manœuvre de sa victime et manqua de perdre l’équilibre en abattant sa lame. Lédara le saisit au poignet pour le désarmer, mais son adversaire se reprit plus vite qu’elle ne l’aurait cru et lui donna un coup de coude dans les côtes. La jeune femme encaissa le choc et frappa violemment l’arrière du genou de son agresseur qui tomba à terre. Elle glissa sa lame sous sa gorge et allait l’interroger quand un autre assaillant la prit par surprise. L’Inquisitrice dut lâcher sa prise et évita de justesse la dague du nouveau venu. Elle entendit des bruits de pas précipités et aperçut avec soulagement Cassandra, Iron Bull et Dorian qui semblaient poursuivre ses assaillants. Le deuxième attaquant fut immédiatement embroché net par la Chercheuse alors que le premier fut maîtrisé par le Qunari pour interrogatoire.
- Inquisitrice, que faites-vous là ? demanda Cassandra stupéfaite.
- Petit souci d’infiltration, répondit brièvement Lédara, c’est une longue histoire. Je suppose donc que nous sommes dans le quartier des serviteurs ?
- En effet, et voici des agents Venatori, dit Dorian en désignant leur prisonnier et le cadavre de son acolyte.
Cassandra essuya minutieusement son épée avant de la remettre à son côté.
- Qu’avez-vous découvert ? demanda l’Inquisitrice.
- Un émissaire du Conseil des Messagers tué dans les jardins, rapporta la Chercheuse, l’arme utilisée porte les armoiries du Duc de Chalons. Ils ont également tué passablement d’elfes et de domestiques.
Lédara s’approcha du prisonnier pour l’interroger ; Iron Bull serra son étreinte pour l’empêcher de faire tout mouvement, quand soudain une lame aussi fine qu’une aiguille voltigea dans les airs et vint se planter dans la gorge de l’assassin. L’Inquisitrice se retourna vivement et vit l’auteur de cette exécution : c’était une elfe portant un masque d’apparat simple en bronze, modestement vêtue. Elle s’approcha lentement du groupe de l’Inquisition sans montrer le moindre signe d’hostilité.
- Inquisitrice Trevelyan, dit l’elfe, vous aimez vous encanailler, je vois. Vous ne dansez pas ? Mais que vont dire les nobles ?
L’elfe se tenait maintenant en face de la jeune Marchéenne, dans la lumière des rayons de lune qui filtraient par les hautes fenêtres et l’Inquisitrice reconnut l’ambassadrice Briala.
- Je suis sûre qu’ils attendent tous avec impatience d’esquisser quelques pas avec moi, répondit prudemment Lédara.
- Je ne serais pas surprise, à vrai dire, renchérit Briala. Vous avez fait un carnage, cela va prendre des semaines pour nettoyer le marbre de tout ce sang. Et pas une goutte sur votre robe, vous êtes douée.
Lédara ne répondit pas tout de suite et ses trois autres compagnons attendirent ses ordres.
- Qu’est-ce qui vous amène ? lança soudain l’Inquisitrice.
- Je suis venue sauver ou venger mes frères disparus, répondit naturellement l’elfe, mais vous m’avez devancée. Donc, l’Emissaire du Conseil des Messagers dans le jardin… ce n’est pas vous, n’est-ce pas ?
- Il était mort quand nous sommes arrivés, intervint Cassandra.
- C’est ce que je pensais, reprit Briala, vous êtes peut-être arrivée avec le Grand Duc, mais vous n’avez pas l’air de faire ses basses besognes. Je savais qu’il faisait entrer des berruiers en douce, mais tuer un émissaire du Conseil ? Introduire des assassins tévintides dans le palais ? Ce sont des actes désespérés. Gaspard doit prévoir un coup pour ce soir.
Les hommes de Briala n’avaient donc pas encore remarqué la présence de l’Inquisition.
- Vous êtes sûre qu’il est derrière tout cela ? lui demanda Lédara, il était bien détendu pour un traître en puissance.
- Ne soyez pas dupe de son charme, l’avertit Briala, il est orlésien, c’est un masque.
- J’avais une question sur vous, Briala.
- Je suis une elfe, Inquisitrice, dit-elle sur la défensive, cela devrait tout vous dire sur moi. Je suis douée dans ce que je fais, c’est tout ce qui compte. J’aiderai mon peuple quel qu’en soit le prix.
- Comment une elfe se fait-elle inviter au bal de l’Impératrice en tant qu’ambassadrice ? l’interrogea malgré tout l’Inquisitrice.
- Célène et moi, on… on se connaît bien. Il fut un temps où je mettais mes espions à sa disposition. Elle connaît mes qualifications. Et puis, on s’est disputées. Maintenant, on essaie de déterminer si je dois retourner à ses côtés dans la guerre ou non.
- Comment cela, vous vous êtes disputées ? insista Lédara.
- Elle m’a trahie, avoua douloureusement Briala, elle m’a dénoncée sous de fausses accusations pour sauver sa réputation politique. Cela n’avait rien de personnel. C’est le Jeu. Voilà comment les Orlésiens justifient tout cela. Il ne fallait surtout pas que la cour apprenne qu’elle avait… une… amie elfe.
- Je suis surprise que vous l’admettiez, étant donné les circonstances, lui lança l’Inquisitrice stupéfaite d’obtenir aussi facilement ce qu’elle cherchait, à savoir un point sensible pour marchander.
- C’est accablant, je sais, dit l’elfe avec sincérité, peu de gens éprouvent autant de rancune contre Célène que moi. Mais si elle mourait après m’avoir invitée ici, la cour m’accuserait aussitôt. Et tous les bas-cloîtres d’Orlaïs, de tout Thédas d’ailleurs, ne tarderaient pas à être purgés. Cela ne peut pas arriver.
- Si elle n’arrive pas à vous récupérer, qu’est-ce que vous comptez faire ? demanda Lédara.
- Je ne suis plus une enfant, j’ai appris à ne pas mettre tous mes œufs dans le même panier. Ce soir, je vais avoir accès au Grand Duc. Il n’est pas aussi progressiste et influençable que sa cousine. Mais, avec un peu de temps, et de chantage… il nous rejoindra peut-être.
Briala ouvrit une des fenêtres avec calme.
- Mais c’était avant de vous rencontrer, continua-t-elle, je vous ai mal jugée, Inquisitrice. Vous pourriez bien être une alliée de poids. Que feriez-vous avec une armée d’elfes espions à votre service ? Pensez-y.
- Et qu’est-ce que vous attendez de moi en échange de cette armée d’espions ? l’interrogea Lédara, à nouveau suspicieuse.
- Un moment de considération. Je sais dans quelle direction souffle le vent. Je suis prête à parier que vous ferez partie des négociations de paix d’ici demain. Et si vous penchiez légèrement du côté des elfes ? Cela pourrait nous servir à toutes les deux. Ce n’est qu’une idée…
A ce moment, Briala monta rapidement sur le rebord de la fenêtre et sauta dans le vide, disparaissant dans les jardins au-dessous.
- C’est reparti pour la politique et les doubles jeux, lança Cassandra avec dégoût, tout le monde est corrompu, ici ?
- Il faut retourner au bal immédiatement, lança Lédara à ses compagnons.
Cassandra leur fit signe de la suivre et ils purent réintégrer l’aile des invités les uns après les autres pour ne pas éveiller plus les soupçons sur l’Inquisition. Lédara demanda à la Chercheuse de la rejoindre auprès de Léliana et Cullen afin de partager les dernières informations que toutes les deux avaient pu récolter lors de leur expédition dans les zones interdites du palais.
- Qu’est-ce qui s’est passé dans les quartiers des serviteurs, au juste ? murmura Cullen quand l’Inquisitrice fut auprès de lui et de Léliana. On m’a parlé d’une bagarre. Vous allez bien ?
- C’est un peu confus, dit alors Lédara, mais Cassandra a croisé la route d’agents Venatori.
Léliana regarda l’Inquisitrice, intriguée de savoir pourquoi cette dernière avait été aussi longue dans l’aile des invités. Lédara tenta alors de s’expliquer rapidement :
- Votre diversion n’a été que de courte durée, je n’ai pas pu repasser par le vestibule. J’ai donc dû trouver une autre issue, et j’ai croisé la route de Cassandra.
La Maître-espionne hocha alors de la tête, satisfaite de cette explication. Joséphine les rejoignit pour suivre ce qui s’était passé. Lédara raconta tout ce qu’elle avait pu remarquer et donna le parchemin qu’elle avait récupéré sur l’un des corps retrouvés dans la remise. Jusque-là, toutes les preuves pointaient vers la soi-disant ambassadrice Briala, jusqu’à leur rencontre dans les quartiers des serviteurs et l’émissaire retrouvé mort dans les jardins par Cassandra. Le Grand Duc semblait être mouillé jusqu’au cou dans un complot visant à éliminer l’Impératrice.
- Cela reste étrange, conclut Léliana, mais nous n’avons pas assez de preuves pour dénoncer qui que ce soit pour l’instant. Ce qu’il faut surtout maintenant, c’est que vous vous montriez, Inquisitrice. Vous avez été absente trop longtemps, des doutes commencent à planer.
- Que me suggérez-vous ? demanda Lédara, consciente des conséquences de sa mésaventure.
- Allez discuter avec les partis des négociations, montrez-vous avec Célène et Gaspard, cela devrait suffire à estomper les rumeurs.
Lédara acquiesça d’un signe de tête. Léliana repartit aussitôt en direction du vestibule pour contacter ses espions, alors que Joséphine retournait auprès de nobles antivans qu’elle connaissait. La jeune Marchéenne se retrouva seule avec le Commandant et elle ne put s’empêcher de l’attaquer verbalement, les demoiselles gravitant autour de lui lui étant restées au travers de la gorge :
- Alors, vous ne dansez pas avec l’une de vos admiratrices ?
Cullen ne put réprimer un soupir d’exaspération.
- Je ne danse pas, répondit-il sèchement, ce n’est pas vraiment ce qu’on apprend chez les templiers.
La froideur de la jeune femme lui était douloureuse, mais c’était de bonne guerre malgré tout. Il s’était réellement inquiété de son absence et aurait remué tout le palais s’il avait pu le faire ; il avait d’ailleurs averti le peu de soldats qu’il possédait déjà au sein du palais. Mais ceci, la jeune Marchéenne ne le savait pas et elle partit sans lui accorder plus d’attention que cela. Lédara ne pouvait rester longtemps en sa présence, de peur de perdre son sang-froid en plein milieu du bal. La seule façon qu’elle avait trouvée de ne pas flancher était de rester froide envers le Commandant.
L’Inquisitrice suivit le conseil de Léliana et se dirigea vers Célène, mais se retrouva bloquée par les trois sœurs siamoises qu’elle avait croisées plus tôt dans la soirée.
- Inquisitrice, que nous vaut cet honneur ? dit la première sur un ton mielleux.
- Nous nous réjouissons toujours de discuter avec vous, bien sûr, ajouta la seconde.
- Sa Majesté impériale est malheureusement occupée en ce moment, précisa la troisième.
Décidément, les trois femmes étaient résolument inséparables.
- Vous allez peut-être pouvoir me renseigner, alors, dit Lédara, nous n’avons pas été présentées, je crois.
- Bien sûr, où avions-nous la tête ? s’exclama la troisième.
- Chère Inquisitrice, je vous présente dame Couteau, dit la deuxième en désignant celle qui venait de pousser cette exclamation.
- Et dame Colombe, dit la première en désignant la deuxième.
- Et bien sûr, dame Fleur, finit la deuxième en présentant la première. Nous sommes les dames d’honneur de l’Impératrice.
- Si je dois faire alliance avec sa Majesté l’Impératrice, il me faut la connaître un peu mieux, leur dit Lédara avec tact.
- Sa Majesté occupe le trône depuis l’âge de seize ans, commença dame Fleur.
- Elle est respectée et adorée non seulement à Orlaïs, mais à travers tout Thédas, ajouta dame Colombe.
- Elle ne raffole pas du foie, et préfère le thé noir, finit dame Couteau d’un ton badin.
- Pourquoi mener des négociations de paix pendant un bal ? demanda Lédara.
- Les nobles doivent faire les choses bien différemment à Ostwick, soupira dame Fleur.
- La tradition orlésienne veut que les événements solennels soient célébrés en grande pompe, reprit dame Colombe.
- Et que les occasions joyeuses disposent d’un temps de réflexion et de contemplation, continua dame Couteau.
- Il ne faut jamais oublier que la vie est à la fois douce et amère, précisa dame Colombe.
- Le bal nous permet de célébrer la vie et l’espoir pour l’avenir tout en faisant le deuil de la guerre, conclut dame Fleur.
- Que pensez-vous des autres parties engagées dans les pourparlers ? les interrogea Lédara.
- Gaspard est un général décoré, adoré de l’armée impériale et vénéré par les berruiers, dit Dame Fleur.
- Il est plus à sa place sur le champ de bataille que sur le trône, continua dame Colombe, et se ferait une joie de transformer le palais en camp de guerre.
- Il est aussi diaboliquement charmant, soupira dame Couteau.
- Dame Briala est pétrie de bonnes intentions pour améliorer le quotidien des elfes, reprit dame Colombe.
- Hélas, ses projets sont utopistes et ne réussiraient qu’à inciter aux crimes de haine sur les bas-cloîtres, continua dame Couteau.
- C’est une idéaliste, mais son impatience pourrait s’avérer désastreuse, finit dame Fleur.
- Que cherche à accomplir l’Impératrice avec ces négociations ?
- La paix est son seul objectif, Inquisitrice, lui répondit dame Fleur.
- Gaspard et Briala sont guidés par des ambitions personnelles, qui menacent la sécurité de l’ensemble des Orlésiens, continua dame Colombe.
- La guerre doit prendre fin ce soir si nous voulons pouvoir gérer la crise globale, précisa dame Couteau.
- Si la soirée se termine en faveur de l’Impératrice, qu’est-ce que l’Inquisition y gagne ? finit par demander l’Inquisitrice.
- L’amitié de Sa Majesté Impériale s’accompagne de toute la puissance de l’Empire orlésien, répondit dame Fleur.
- C’est aussi une diplomate et chef d’Etat respectée, continua dame Colombe, elle peut former pour vous des alliances avec le Riveïn, l’Antiva, les Anderfels…
- Et puis, elle sait faire la fête, précisa dame Couteau guillerette.
Lédara les remercia de la conversation et prit congé des trois inséparables pour se diriger vers le Grand Duc Gaspard. Celui-ci s’était retiré sur un petit balcon se situant sur le côté de la salle de bal. Avant d’y rejoindre le Duc, l’Inquisitrice balaya du regard les invités et remarqua que Cullen ne l’avait pas lâchée des yeux depuis leur courte conversation. La jalousie de la jeune femme ne l’avait pas quittée et puisqu’il l’observait ainsi, elle décida de se venger à sa manière. Lédara sortit alors sur le balcon, la démarche élégante.
- Chère amie, prenez un verre ! lança Gaspard enjôleur, que puis-je faire pour vous ? Je vois que vous charmez activement la cour.
Le Grand Duc effectua une élégante révérence et invita la jeune femme à venir à ses côtés. L’Inquisitrice s’approcha de la petite table où plusieurs bouteilles gisaient déjà vide et le Duc versa du vin dans deux verres de cristal au pied d’argent, puis lui tendit un des verres. Celui-ci était légèrement joyeux, mais ne paraissait aucunement ivre malgré l’alcool qu’il avait pu ingérer. Il était tout aussi charmeur qu’à leur rencontre et Lédara en profita pour entrer dans son jeu, sans pour autant perdre de vue sa mission et les conseils de Joséphine : « Ne jamais dévoiler son jeu ».
- Vous ne m’avez pas invitée par bonté de cœur, Grand Duc, dit-elle en trinquant avec lui.
- Comme vous avez pu le voir, je ne suis pas bon politicien. Mais si les nobles pensent que j’ai le soutien de l’Inquisition, cela peut m’aider dans les négociations. Et j’aime voir l’expression scandalisée sur leurs visages lorsqu’ils nous voient ensemble.
Gaspard avait passé son bras autour de sa taille et l’avait attirée devant la balustrade en face de la porte-fenêtre pour que tout le monde puisse les voir. Lédara en profita pour vérifier que son Commandant les observait aussi, ce qui ne manqua pas.
- Que va-t-il se passer pendant ces négociations ? demanda l’Inquisitrice au Grand Duc.
- Nous nous attaquerons les uns les autres avec des mots acerbes jusqu’à ce que, par ennui, nous parvenions à un accord, répondit-il de sa voix grave, Célène va nous endormir avec ses paroles, l’elfe nous lancera des regards noirs en semant la suspicion, quant à moi, je vais boire beaucoup d’alcool. C’est ainsi qu’au moment où ils arrêteront de servir à boire, la guerre sera finie. C’est cela, la politique, soupira-t-il.
- Quelles catastrophes nous attendent s’ils arrêtent de servir à boire trop tôt ? lança Lédara en lui souriant avec charme.
- Si nous avons de la chance, une nouvelle guerre éclatera, dit-il en éclatant de rire.
Gaspard resserra un peu plus son étreinte sur la jeune femme, rapprochant ainsi son visage du sien et Lédara le laissa faire alors qu’elle surveillait que Cullen la voit bien depuis là où il se trouvait.
- Je ne supporte pas le Jeu, mon amie, continua-t-il. Je préfère voir mes ennemis en armes, devant moi. J’aime savoir clairement qui a gagné et qui a perdu. Donnez-moi un champ de bataille, Inquisitrice, je vous montrerai qui gagne. Lorsque je serai empereur, tout cela changera. Terminées, ces bêtises de courtisans. Cela ne plaira peut-être pas aux nobles, mais lorsqu’on en aura décapité quelques-uns, ils rentreront dans le rang.
- Qu’espérez-vous obtenir pendant les négociations ? chercha à comprendre Lédara.
- Je veux récupérer ce qui m’appartient de droit. Célène m’a volé la couronne par ses manœuvres politiciennes, mais je suis l’empereur légitime d’Orlaïs. Cela fait trop longtemps que l’Empire est embourbé dans les intrigues. Il nous faut une ligne de conduite claire.
- Quelle ligne de conduite avez-vous en tête ?
- L’Empire est sur le déclin, expliqua Gaspard sérieusement, nous ne pouvons laisser le Névarra et Férelden rogner sur nos frontières. Je ferai en sorte qu’Orlaïs retrouve la gloire en tant que nation la plus puissante de Thédas.
- Vous avez l’intention de revenir à l’expansionnisme, résuma l’Inquisitrice.
- J’aime régler les problèmes de la manière la plus simple, chère amie, dit-il en leur resservant un verre de vin.
Il la tenait toujours par la taille avec fermeté. Lédara jeta à nouveau un œil sur la salle de bal et aperçut Cullen qui s’était approché de l’entrée du balcon, les surveillant, sa main crispée sur la garde de son épée. Lédara détourna ses yeux de lui et sourit doucement au Grand Duc, tout en continuant sa conversation.
- Comment considérez-vous vos opposants ? demanda-t-elle.
- Briala se fait appeler « ambassadrice », mais c’est tout bonnement une espionne. Elle a des intentions secrètes, les elfes n’ont rien à faire en politique. Sa présence ici est suspecte. Célène a un certain talent pour le Jeu. Elle sait parvenir à ses fins avec quelques mots et un sourire. Mais le Jeu est une farce. Je prouverai que quelques centaines de berruiers valent mieux que la diplomatie.
- J’aimerais en savoir plus sur vous, dit-elle alors en posant sa main sur le bras qui tenait sa taille.
- Tout Orlaïs connaît mon histoire, dit-il le sourire aux lèvres, mais vous, vous êtes bien trop raisonnable pour être orlésienne. Ce qu’il faut savoir, c’est que je suis l’héritier légitime du trône d’Orlaïs. Mais ma cousine Célène est une politicienne, alors que moi, je suis un homme d’action. Elle a séduit le Conseil des Messagers. Il lui a donné la couronne. Et même si cela lui va à ravir, j’ai la ferme intention de la reprendre.
- Pourquoi le trône vous revient-il de droit ? s’intéressa Lédara, sachant qu’il n’était pas le fils direct de l’ancien empereur.
- La Toux de Cent Jours balaya Val Royeaux en 8:77. Elle tua des milliers d’enfants, nobles comme roturiers. Seuls trois petits-enfants de l’empereur Judicaël Premier survécurent : ma sœur Florianne, Célène et moi-même. Or, je suis l’aîné, la couronne me revient de droit.
- Si vous êtes l’héritier de droit, comment Célène est-elle devenue impératrice ?
- Je suis l’aîné, mais je ne suis pas un Valmont, précisa Gaspard, ma mère était la sœur du défunt empereur. Célène est une Valmont. Son honorable père était le frère de ma mère. Mais c’est la plus jeune. Lorsqu’il y a un doute dans la ligne de succession, on fait appel au Conseil des Messagers. Célène m’a devancé en formant des alliances pour obtenir le soutien du Conseil. Ils m’ont écarté en sa faveur.
- Que réclamez-vous ? La couronne ou sa tête ? demanda l’Inquisitrice, ne plaisantant qu’à demi.
- Si Célène perd la tête, ce ne sera pas de mon fait, répondit-il sagement, je veux récupérer mon Empire. Je ne souhaite aucun mal à ma cousine, mais si elle devait mourir, je ne la pleurerais pas.
L’Inquisitrice repoussa gentiment le bras du Grand Duc pour se dégager de son étreinte et prit congé en le remerciant pour leur intéressante conversation. Gaspard lui baisa délicatement la main, l’invitant à venir vers lui quand elle le souhaitait. Elle quitta le balcon pour revenir dans la salle de bal ; Cullen la fixait toujours du regard et quand elle revint à l’intérieur, il s’approcha d’elle, n’y tenant plus. Lédara, le voyant s’avancer près d’elle, le devança et lui demanda d’un air ingénu :
- Des conseils à me donner ?
- Les soirées mondaines orlésiennes ne sont pas exactement mon domaine d’expertise, dit-il bouillonnant de l’intérieur, faites simplement attention à qui vous faites confiance.
- Vous n’avez rien remarqué d’anormal ? demanda innocemment Lédara.
- Pas pour l’instant, répondit le Commandant toujours échauffé, mais je doute qu’il y ait qui que ce soit ici qui n’ait pas d’intentions cachées.
Sa pique visait Gaspard, bien sûr. Cullen ne savait pas ce qu’ils s’étaient dit mais redoutait le manège du Duc.
- Et si c’était ce que je cherchais à découvrir ? lui lança l’Inquisitrice, énigmatique.
Cullen avait de plus en plus de peine à maîtriser son agacement.
- Ce n’est pas vous qu’il veut, c’est votre pouvoir, dit-il plus bas.
- C’est tout ce que je suis, une source de pouvoir ? rétorqua Lédara à voix basse en lui jetant un regard noir.
La jeune femme se contrôlait elle aussi de moins en moins, ne pouvant s’empêcher de provoquer insolemment le Commandant. Celui-ci la saisit soudain par le bras de manière à ce que personne ne le voie et l’attira au plus proche de lui. Elle ne s’attendait pas à cela et tenta de se dégager discrètement, mais l’étreinte du templier était ferme et résolue.
- Lâchez-moi, dit-elle entre ses dents.
- Il n’est pas un seul instant où je ne cesse de regretter ce que je vous ai dit, lui murmura alors Cullen.
Lédara tourna vivement la tête vers lui, plongeant ses yeux clairs dans son regard mordoré. Son cœur s’emballa, tout se mit à tourner dans son esprit. Le Commandant la relâcha enfin, la jeune femme se détourna et s’éloigna rapidement de lui pour tenter de retrouver une contenance convenable.
Dorian avait observé toute la scène de loin, et quand il vit l’Inquisitrice s’éloigner du Commandant, il le rejoignit pour faire le point :
- Vous êtes tombé en plein dans son piège, dit le mage.
Cullen lui jeta un regard interrogatif mais ne répondit rien, essayant de calmer ses ardeurs.
- Elle a essayé de vous rendre jaloux et vous avez foncé droit dans le mur, précisa alors Dorian, voyant que l’ancien templier ne comprenait pas. Elle a d’ailleurs merveilleusement bien choisi son arme, le Grand Duc lui faisant des avances depuis qu’ils se sont rencontrés en début de soirée. Elle a simplement eu à laisser faire Gaspard, puis l’a arrêté quand elle était certaine de vous avoir touché.
Le Commandant soupira d’exaspération de s’être laissé aller à cette jalousie irraisonnée.
- En revanche, reprit Dorian intrigué, que lui avez-vous dit pour qu’elle parte ainsi désorientée ?
- Je lui ai dit regretter mes paroles à Fort Céleste, dit Cullen à nouveau calme.
- Qu’a-t-elle répondu ?
- Rien.
- Audacieux, murmura Dorian en réfléchissant, était-ce prémédité ? Je ne pense pas, vu votre état. Certes elle vous a piégé, mais je pense que vous avez réussi à retourner la situation. N’oubliez pas le conseil que je vous ai donné l’autre jour, lui rappela le mage tévintide avant de repartir en vadrouille.
Un conseil fort difficile à mettre en œuvre au vu de la situation actuelle, se dit le Commandant en retournant voir Léliana et Joséphine.
L’Inquisitrice marcha de plus en plus lentement, rendant quelques saluts de nobles sur son passage, afin d’apaiser son cœur qui battait la chamade. Son visage restait doux et souriant, ne laissant apparaître aucune trace de ses émotions. Elle se dirigea soudain vers la balustrade donnant sur la piste de danse et contempla les couples qui exécutaient leurs pas voluptueusement, au rythme des luths et tambourins de l’orchestre.
- Inquisitrice Trevelyan ? l’interpella une voix de femme d’âge mûr. Nous nous sommes à peine croisées tout à l’heure. Je suis la Grande Duchesse Florianne de Chalons. Bienvenue à ma fête.
La Grande Duchesse la salua d’une petite révérence que l’Inquisitrice lui rendit.
- Puis-je vous aider en quoi que ce soit, ma dame ? dit alors la Marchéenne.
- En effet, oui, répondit élégamment la Duchesse, je crois que nous nous préoccupons toutes les deux des actions d’une… certaine personne. Promenons-nous, voulez-vous ?
Lédara suivit la Grande Duchesse qui lui présenta son bras et toutes deux déambulèrent lentement autour de la piste de danse.
- Vous êtes bien loin des Marches Libres, commença Florianne, pourquoi vous intéressez-vous à notre petite guerre ?
- Croyez-moi, lui assura l’Inquisitrice avec flatterie, les effets de cette guerre s’étendent au-delà des frontières de l’Empire orlésien.
- C’est possible, convint la Grande Duchesse avec délectation, cela ne m’étonnerait pas que l’Empire soit au centre de l’attention universelle. Organiser les négociations de ce soir a demandé beaucoup d’efforts. Pourtant, quelqu’un va commettre la pire des trahisons. La sécurité de l’Empire est en jeu. Aucun de nous ne veut sa chute.
L’intervention de la Duchesse sembla sonner faux aux oreilles de l’Inquisitrice. Elle opta pour la plus grande prudence dans ses réponses :
- En êtes-vous sûre, dame Florianne ?
- J’espère que nous sommes d’accord, insista la Duchesse.
- En ces temps troublés, fit Lédara, difficile de distinguer ses amis de ses ennemis, n’est-ce pas, ma dame ?
- Vous êtes ici sur l’invitation de mon frère, Gaspard, et vous avez exploré tout le palais, dit-elle plus bas, vous suscitez la curiosité de beaucoup, Inquisitrice. Et les inquiétudes d’autres.
- Suis-je l’objet de votre curiosité ou de votre inquiétude, ma dame ? demanda Lédara, énigmatique.
- Un peu des deux, à vrai dire. Cette soirée est très importante, Inquisitrice. Je me demande quel rôle vous y jouerez. Savez-vous distinguer l’ami de l’ennemi ? Savez-vous qui est digne de confiance ?
- Excellente question, riposta l’Inquisitrice, j’aimerais vous la retourner, ma dame.
A ceci, la Grande Duchesse ne répondit rien. Elles continuèrent à déambuler lentement, observant les danseuses et danseurs.
- Au Palais d’hiver, reprit Florianne, tout le monde est seul. Vous n’aurez certainement pas manqué de remarquer que des intrigues dangereuses se jouent ce soir.
- Les « intrigues dangereuses » sont le sport national d’Orlaïs, non ? répliqua Lédara souriante.
La Grande Duchesse sembla perdre patience :
- Vous devez faire vite, dit-elle tout bas, la trahison est proche. Arrêtez Gaspard avant qu’il ne frappe. Dans le jardin de l’Aile royale, vous pourrez trouver le capitaine des mercenaires de mon frère. Il connaît tous ses secrets. Je suis sûre que vous saurez le faire parler.
- Nous verrons bien ce que la nuit nous réserve, non ? trancha poliment Lédara.
Sur ce, l’Inquisitrice et la Grande Duchesse se séparèrent, partant chacune de leur côté, la première se dirigeant vers ses trois conseillers qui s’étaient réunis. Joséphine fut la première à prendre la parole à l’arrivée de Lédara :
- J’espèrrre que vous avez de bonnes nouvelles, les pourparrrlers de paix semblent s’enliser.
- Florianne a essayé de me convaincre que c’est Gaspard, le traître, mais je ne sais pas si je dois y croire.
Lédara leur raconta succinctement ce que lui avait confié la Grande Duchesse.
- C’est étonnant que Florianne se détache de son frère aussi soudainement, réfléchit Léliana, ils ont toujours été inséparables. Cependant… cela voudrait dire qu’elle aimerait tirer son épingle du jeu.
- Alors, l’attaque contre l’Impératrice aura bien lieu ce soir, murmura sombrement le Commandant.
- Inutile de prrrévenir Célène, fit Joséphine, elle a besoin que ces négociations aboutissent ; en fuyant, elle admettrrrait sa défaite.
- On devrait peut-être la laisser mourir, lança Léliana, tout à fait sérieuse.
- Et laisser les Venatori atteindre leur objectif ? s’écria tout bas Lédara, ne sommes-nous pas venus justement pour contrecarrer leurs plans ?
- Ecoutez-moi bien, Inquisitrice, fit Léliana, Corypheus veut semer le chaos, même si Célène survit, rien ne garantit qu’on y échappe. Pour pouvoir déjouer ses plans, l’Empire orlésien doit rester fort. Il faut que quelqu’un sorte vainqueur de cette soirée.
- Et pas nécessairement Célène, réfléchit le Commandant, elle a raison.
- Vous vous rrrendez compte de ce que vous suggérrrez, Léliana ? lança Joséphine effarée.
- Parfois, le meilleur chemin n’est pas le plus facile, répliqua la Maître-espionne.
- Vous me demandez de choisir ce qui est le mieux pour Orlaïs, dit Lédara abasourdie.
- Cela dépasse les frontières orlésiennes, précisa Cullen, celui ou celle qui occupera le trône impérial affectera tout Thédas.
- Si vous voulez arrêter Corypheus, fit Léliana à l’adresse de l’Inquisitrice, vous devez prendre une décision. Vous devez soutenir quelqu’un, ou risquer de tout perdre.
- Alors nous devrrrions soutenir Célène, lança Joséphine, c’est elle, l’impératrrrice légitime, aprrrès tout. Pourquoi s’y opposer ?
- Parce que c’est elle qui est responsable de l’état actuel de l’Empire, objecta le Commandant, je pencherais pour Gaspard, à supposer que la Duchesse se trompe sur son compte.
- Je recommanderais plutôt Briala, intervint la Maître-espionne, elle pourrait rétablir la paix, non seulement à Orlaïs, mais aussi parmi les elfes.
- Vous prônez la stabilité et vous recommanderiez qu’une elfe prenne la tête d’un empire plutôt conservateur ? lança Lédara interloquée, cela ne risque-t-il pas d’envenimer les choses ?
- Avec le soutien de l’Inquisition, Briala pourrait réformer le statut des elfes et apporter une stabilité nouvelle, insista la Maître-espionne.
L’Inquisitrice poussa un profond soupir et les regarda tour à tour ; ses trois conseillers semblaient attendre sa réponse.
- Et il fallait que vous ne vous accordiez pas sur la question, bien sûr, maugréa Lédara.
- L’inaction est pire que de prendre une telle décision, Inquisitrice, lui fit remarquer Léliana.
- Je prendrai une décision, rétorqua Lédara, mais laissez-moi un temps de réflexion, voulez-vous ?
- Il ne nous rrreste plus beaucoup de temps, dit Joséphine.
- Je vais aller voir ce qu’il en est dans l’Aile royale, décida Lédara, repoussant l’instant fatidique où elle devrait se prononcer.
- Vous allez à nouveau vous éclipser du bal ? s’alarma l’Ambassadrice.
- C’est peut-être un piège, ajouta Cullen.
- Eh bien, soupira Lédara, selon la Grande Duchesse, mon escapade n’est pas passée inaperçue, alors autant aller jusqu’au bout. Faites venir Iron Bull, Blackwall, Cassandra et Dorian à l’entrée de l’Aile royale, et faites-moi parvenir mes armes.
Les trois conseillers ne discutèrent pas plus longtemps ses ordres, voyant qu’ils ne pourraient la convaincre de rester. Lédara se dirigea vers le vestibule et en à peine quelques minutes, la petite équipe était réunie au fond du hall devant les deux volées d’escaliers. Léliana s’était déjà occupée des deux gardes orlésiens laissant la voie libre à l’Inquisitrice. Les cinq compagnons montèrent la volée de gauche et passèrent sans encombre les portes de l’Aile. Dans le premier couloir qu’emprunta la petite équipe attendaient deux soldats de l’Inquisition avec l’armure, l’arc et le carquois de l’Inquisitrice.
Lédara retira son long manteau noir qu’elle confia aux soldats, dénudant ses épaules et ses bras et revêtit la semi-armure qu’elle avait fait confectionner pour l’occasion et qui protégeait son épaule droite et tout son bras droit. Elle sangla le carquois dans son dos et saisit son arc de sa main droite. Elle possédait toujours ses deux dagues contre sa cuisse et espérait en terminer au plus vite avec toute cette affaire.
- Comment se présente l’Aile royale ? demanda Lédara aux deux soldats.
- Etonnamment vide, Inquisitrice, répondit l’un.
- On a eu toutes les peines du monde à pénétrer dans le palais, ajouta l’autre, et une fois à l’intérieur, personne.
- Regroupez-vous autour de la salle de bal et suivez les ordres du Commandant, dit l’Inquisitrice avant de faire signe à ses compagnons qu’elle était prête.
Les soldats avaient pris soin d’apporter le bâton de mage de Dorian et les armes et boucliers des trois guerriers, la visite de cette aile présumant plus de danger que les quartiers des serviteurs.
En effet, quand le petit groupe se mit en chemin dans les allées, le palais semblait désespérément vide. Les cinq compagnons arrivèrent dans un atrium où ils entendirent les premiers bruits suspects provenant d’une des pièces attenantes. Lédara se dirigea résolument de ce côté-là. C’était des cris étouffés qu’on entendait de l’autre côté ; la jeune Inquisitrice fit signe à Blackwall d’ouvrir la porte qui était verrouillée. D’un coup de pied dans la serrure, le Garde défonça la porte et Lédara aperçut une jeune elfe aux prises avec un assassin tévintide. Ce dernier ne s’attendait pas à l’interruption brutale de l’Inquisition ; Lédara courut dans sa direction et le frappa violemment du pied dans la poitrine, l’expulsant au travers de la fenêtre qui se trouvait juste derrière lui. On entendit un sombre craquement, puis plus rien.
- J’aurais très bien pu le faire, lança Cassandra, ironique, mais la prochaine fois, laissez-le en vie, qu’on l’interroge.
- Vous m’en voyez navrée, mais j’avais besoin de me défouler, fit Lédara qui se sentait déjà mieux.
- Merci, murmura l’elfe qui était tombée à terre.
- Tout va bien, vous êtes en sécurité, maintenant, lui dit Blackwall en l’aidant à se relever.
- En sécurité, dit l’elfe légèrement tremblante, je ne sais plus trop ce que cela veut dire. Il ne devait y avoir personne ici, Briala a dit… Je n’aurais pas dû lui faire confiance.
- C’est Briala qui vous a dit de venir dans cette aile du palais ? lui demanda Lédara.
- Pas personnellement, répondit la domestique, l’ « ambassadrice » ne voudrait pas être vue en train de parler aux serviteurs. On reçoit des messages codés à des endroits donnés. Mais l’ordre venait d’elle. Elle a observé le Grand Duc toute la soirée. C’est pour ça qu’elle voulait que quelqu’un fouille la chambre de sa sœur.
- Personne d’autre ne connaît le code et le lieu de dépôt et n’aurait pu envoyer ces ordres ? demanda Iron Bull.
- Je ne sais pas, balbutia l’elfe, n’importe qui aurait pu, mais… non, personne d’autre ne m’aurait envoyée ici. C’était forcément Briala.
- Donc là, c’est la chambre de la Grande Duchesse Florianne ? lança Lédara en balayant la pièce du regard.
- Plus maintenant, rectifia l’elfe, c’était sa chambre privée à Halamshiral depuis toute petite. Mais cette partie du palais a été endommagée, et la famille royale a déménagé dans l’aile des invités.
- Qu’est-ce que vous cherchiez dans l’ancienne chambre de Florianne ? lui demanda alors l’Inquisitrice.
- Le message ne le disait pas, dit la jeune domestique en hochant la tête, j’aurais dû me douter que c’était un piège.
- Si vous avez des raisons de vous méfier de Briala, je veux les entendre, déclara Lédara.
- Je la connaissais, avant, quand elle était à la botte de Célène. Maintenant, elle joue les révolutionnaires. Mais il n’y a pas si longtemps, elle couchait avec l’Impératrice qui a purgé notre bas-cloître.
- Elle vous a sûrement envoyée à la mort, dit sombrement Cassandra.
- Si… si l’Inquisition peut me protéger, dit l’elfe paniquée, je vous dirai tout ce que je sais sur notre « ambassadrice ».
- Allez à la salle de bal, trouvez le Commandant Rutherford, la rassura l’Inquisitrice, il vous protégera.
- Merci, le Créateur vous protège, Inquisitrice.
L’elfe courut en direction du vestibule et de la salle de bal pour rejoindre le Commandant de l’Inquisition. Lédara jeta encore un œil dans la chambre, mais puisqu’elle n’était plus utilisée par Florianne, elle savait qu’elle n’y trouverait rien d’intéressant. Elle fit signe aux autres de sortir dans l’atrium pour fouiller les autres pièces. Ils étaient vraiment arrivés à point nommé pour sauver cette elfe, elle allait ainsi pouvoir servir de levier pour faire chanter Briala au cas où elle poserait problème dans les négociations ou voudrait relancer la guerre civile. Les cinq compagnons reprirent leur exploration de l’aile qui était effectivement en travaux en certains endroits. On aurait dit que le palais avait essuyé un siège militaire au vu des dégâts que l’on pouvait observer ici et là.
La petite équipe poursuivit sa route jusqu’au premier étage jusqu’à ce qu’ils entendent les gémissements d’un homme. Lédara s’arrêta devant la porte d’où provenait les étranges bruits : c’était comme si une personne essayait de se libérer d’entraves. Elle ouvrit la porte et atterrit dans une vaste chambre à coucher ; à gauche, un doux feu brûlait dans l’âtre, chauffant agréablement la pièce et au fond contre le mur, bordé de deux fenêtres aux rideaux épais fermés, se trouvait un magnifique lit à baldaquin outrageusement décoré de fioritures. Les gémissements semblaient provenir de ce lit et le petit groupe s’approcha prudemment. Quand les compagnons arrivèrent au niveau de la couche, Cassandra se détourna vivement, les joues en feu, alors que Lédara détourna simplement le regard vers les rideaux de la fenêtre à côté d’elle. Blackwall, Iron Bull et Dorian, eux, pouffèrent de rire. Sur les draps de velours rouge était étendu un soldat entièrement nu et attaché aux quatre montants du lit.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda l’Inquisitrice qui ne put réprimer un sourire amusé.
- Ce n’est pas ce que vous pensez ! lança le soldat extrêmement gêné, enfin, j’aurais préféré que ce soit ce que vous pensez, mais… l’Impératrice m’a fait croire que je serais… récompensé si je trahissais le Grand Duc. Ce n’est pas ça que j’avais en tête…
- Je vois très bien à quoi vous vous attendiez, dit plus sérieusement Lédara en évitant de regarder le soldat.
- Célène m’a poussé à tout lui révéler, pleurnicha le soldat tout honteux, les mouvements de troupes de Gaspard et l’attaque surprise. Elle sait tout ! Absolument tout ! Elle avait prévu d’arrêter le Grand Duc dès qu’il aurait lancé son attaque et l’aurait alors accusé de haute trahison.
- C’est malin, fit Bull en contemplant le spectacle.
- C’est répugnant, s’insurgea Cassandra, et je ne sais pas ce qui me dégoute le plus : le plan de Célène ou lui pour être tombé dans le panneau.
- Ah, ces Orlésiens, gloussa Dorian.
- Si vous témoignez des manigances de Célène, dit alors l’Inquisitrice au pauvre soldat, je vous protégerai de Gaspard.
- Ce que vous voudrez ! Libérez-moi !
Lédara fit un signe à Blackwall et Iron Bull pour qu’ils le détachent, ce qu’ils firent promptement, sans pour autant arrêter de glousser. Le Garde des Ombre était tellement hilare que des larmes lui en coulaient sur les joues.
- Incroyable, dit Blackwall en s’essuyant les yeux, Inquisitrice, je veux vous accompagner plus souvent dans vos missions, c’est juste épique !
Pour toute réponse, Lédara poussa un profond soupir, soutenu par la Chercheuse.
La petite équipe ressortit de la chambre, accompagnée par le soldat qui s’était prestement rhabillé et que l’Inquisitrice voulait garder sous la main pour ne pas qu’il fuie bêtement. Ils continuèrent à rechercher le capitaine des mercenaires de Gaspard que la Duchesse Florianne avait dénoncé et qui devait se trouver dans l’Aile royale. Cependant, quelque chose tracassait l’Inquisitrice ; depuis qu’ils étaient entrés dans l’aile, elle ressentait des tiraillements dans sa main qui portait la marque. Elle commençait à bien connaître cette douleur et savait qu’ils s’approchaient d’une faille plutôt petite. Les cinq compagnons parcoururent les allées et redescendirent au rez-de-chaussée jusqu’à arriver devant une haute porte. Lédara fit signe aux autres de s’arrêter car elle sentait sa marque vibrer plus fort à cet endroit. Tous se préparèrent à ce qu’ils pouvaient trouver de l’autre côté.
Au signal de l’Inquisitrice, Blackwall ouvrit la porte et tous s’infiltrèrent dans une petite cour intérieure à ciel ouvert. Au centre de celle-ci, une faille sur le point de s’ouvrir, mais pas de démons. En revanche, une quinzaine de soldats et archers les attendaient et les cinq compagnons comprirent qu’ils étaient tombés dans un piège :
- Inquisitrice ! s’exclama la Duchesse Florianne, triomphante. Quel plaisir ! Je n’étais pas sûre que vous viendriez.
Lédara, dont la marque vibrait de plus en plus, cacha au plus vite sa main derrière son dos dans les plis de sa robe.
- Vous êtes difficile à cerner, continua Florianne, je ne pensais pas que vous mordriez à l’hameçon.
- Il fallait bien que quelqu’un agisse, répondit Lédara.
- C’est gentil de votre part d’avoir accepté de tomber dans mon piège, dit la Duchesse toute souriante, j’en avais assez que vous vous mêliez de mes affaires.
Pendant que Florianne parlait, Lédara jeta un coup d’œil à la faille, réfléchissant à toute allure.
- Corypheus a insisté pour que l’Impératrice meure ce soir et je ne voudrais pas le décevoir, continuait la Duchesse.
- Pourquoi tuer l’Impératrice ? lança Lédara pour gagner du temps, quel est le but de Corypheus ?
- La mort de Célène est la première étape pour créer un monde meilleur, expliqua Florianne avec délectation, Corypheus entrera dans la Cité Noire et revendiquera le statut divin qui l’attend. Nous détruirons votre Créateur futile et nous inaugurerons un monde uni, guidé par un dieu attentif.
- Vous appartenez à la royauté orlésienne, continua Lédara, pourquoi aider Corypheus à attaquer votre Empire ?
- Il faut voir plus grand, Inquisitrice, répondit Florianne, pourquoi se contenter d’un empire alors que Corypheus va rebâtir le monde entier ? je reconnais que je vais me délecter de la tête que fera Gaspard lorsqu’il se rendra compte que je l’ai battu. Il a toujours été mauvais perdant.
Lédara jeta à nouveau un regard furtif à la faille, tentant de signifier à ses autres compagnons que celle-ci allait leur servir de diversion. Pendant qu’elle gagnait du temps, la Messagère se concentrait sur sa marque pour pouvoir être prête au moment opportun.
- Et qu’est-ce que vous allez y gagner ? lui lança Lédara.
- Le monde, bien sûr ! dit Florianne en gloussant. Je libérerai tout le Sud de Thédas et Corypheus me sauvera. Lorsqu’il aura accédé à la divinité, je régnerai sur tout Thédas en son nom.
Cassandra, qui avait suivi les légers mouvements de l’Inquisitrice, comprit ce qu’elle avait en tête et fit passer discrètement le message aux autres.
- Vous ne vous en tirerez pas comme cela, Florianne, la menaça l’Inquisitrice.
- Mais c’est déjà le cas, gloussa la Duchesse, même dans leurs pires cauchemars, personne ne m’imagine trucider Célène de mes propres mains. Il me suffit de vous éloigner assez longtemps de la salle de bal pour frapper. C’est dommage que vous deviez manquer le reste du bal, Inquisitrice. On en parlera pendant des années. Tuez-la et apportez-moi la main qui porte la marque, ordonna-t-elle à ses hommes, ce sera un beau cadeau pour le maître.
Florianne s’éloigna de la balustrade du balcon où elle se trouvait et disparut dans l’embrasure d’une porte. A ce moment, un archer décocha sa flèche sur l’Inquisitrice qui l’évita de justesse tout en dirigeant la marque sur la faille. En un instant, une petite explosion éblouit leurs adversaires, donnant l’avantage au groupe de la Messagère. Lédara avait essayé de mesurer l’énergie qu’elle déploierait pour ouvrir la faille afin d’éviter la venue de démons, ce qu’elle ne réussit qu’à demi : alors que Blackwall, Iron Bull et Cassandra chargeaient les agents Venatori, deux démons déboulèrent de la faille. L’un s’attaqua avec chance aux soldats ennemis, l’autre en revanche poussa un cri strident et disparut dans le sol. C’était une Terreur.
- Terreur ! cria l’Inquisitrice pour avertir ses compagnons, habitude qu’ils avaient prise quand ils devaient affronter des démons.
Dorian encercla plusieurs soldats d’un cercle de feu et mina le sol afin de piéger la Terreur quand elle ressortirait. Tous les compagnons de Lédara s’étaient déployés et combattaient stratégiquement sur les deux fronts, soldats et démons. La Messagère décochait ses flèches, ciblant surtout les archers postés en hauteur. Le nombre des assaillants diminuait, mais c’était sans compter les soubresauts de la faille qui cracha de nouveaux esprits et démons de l’Immatériel. Ces derniers, déboussolés, attaquaient à vue. Lédara s’abrita rapidement, faisant signe au Qunari de la couvrir pendant qu’elle refermerait la faille. Elle se concentra à nouveau et dirigea sa main sur la petite déchirure qui prenait de plus en plus d’ampleur. Elle était sur le point de la refermer quand un soldat que Bull n’avait pas vu chargea l’Inquisitrice, rompant trop tôt le lien magique. Lédara tomba à terre et para de son arc le coup d’épée du soldat tévintide. Iron Bull, qui venait d’en finir avec ses trois assaillants, se retourna vivement et fonça sur le malheureux soldat qui manqua de peu d’être embroché par les deux cornes du Qunari. La menace écartée, Bull aida l’Inquisitrice à se relever et elle put finir son travail. Elle noua à nouveau le lien magique entre la marque et la faille, la refermant d’un coup sec.
La petite équipe de l’Inquisition s’était plutôt bien sortie de ce mauvais pas. Dans un coin de la cour, ils virent un soldat attaché à un pilier. Blackwall rengaina son épée et alla le détacher.
- Par la Sainte culotte d’Andrasté ! jura le soldat, c’était quoi, ça ? Des démons ? On en a fini avec ces maudits démons, non ?
Le soldat semblait à la fois terrorisé et à bout de nerf.
- Vous n’êtes pas censé être un soldat ? le rabroua l’Inquisitrice en s’approchant de lui, un peu de sang-froid !
- Je ne suis pas assez payé pour ça ! dit le soldat un peu tremblant. Je savais que Gaspard était un enfoiré, mais je ne pensais pas qu’il me jetterait aux suppôts du mal pour une pauvre loi.
- C’est le Duc Gaspard qui vous a conduit ici ? demanda l’Inquisitrice.
- Enfin, sa sœur, mais ça devait venir de lui, non ? Toutes les bêtises qu’elle raconte n’ont pas de sens. Je suis sûr que Gaspard est derrière tout ça.
Apparemment, ce mercenaire ne semblait pas très futé.
- Dites-moi tout ce que vous savez, lui ordonna Lédara.
- Le Duc voulait attaquer le palais ce soir, mais il n’avait pas assez de berruiers de haut rang. Alors il nous a engagés, moi et mes hommes. Il nous a offert le triple de notre solde habituelle pour qu’on vienne à Orlaïs. Sales gobeurs de frometon !
- Vous voulez un nouveau travail, mieux payé ? l’Inquisition aurait besoin d’une bonne compagnie de mercenaires, proposa l’Inquisitrice, si combattre des démons ne vous rebute pas.
- Vous embauchez ? dit le mercenaire en haussant un sourcil, je suis partant. Tout plutôt que ces conneries. Vous voulez que je parle à l’Impératrice, que je chante une chanson paillarde à la Chantrie ? Comptez sur moi.
- Parfait ! dit Lédara à la dérision. Bon, il est passé où, l’autre soldat ?
- Recroquevillé dans un coin, Chef, lança Bull.
- Ramassez-le et vite ! lança Lédara, il nous faut rejoindre la salle de bal. On a assez perdu de temps comme cela !
La petite équipe repartit aussitôt pour la salle de bal, priant pour ne pas arriver trop tard. L’Inquisitrice ne prit pas le temps de se changer et entra dans le vestibule vêtue de sa semi-armure, arborant son arc à la main droite. Ses compagnons la suivaient de près, eux aussi armés de leurs épées et boucliers. Lédara courut en direction de la grande porte, les invités qui l’aperçurent fuirent sur son passage, stupéfaits et ne sachant quoi dire, ne s’attendant pas à un tel spectacle. Les cinq compagnons entrèrent dans la grande salle illuminée ; l’orchestre avait cessé de jouer et tout le monde avait le regard rivé sur le fond de la salle où devait apparaître l’Impératrice Célène.
Quand Cullen aperçut enfin l’Inquisitrice, il accourut à sa rencontre :
- Loué soit le Créateur, vous revoilà ! lança-t-il inquiet, le discours de l’Impératrice va bientôt commencer. Que voulez-vous faire ? et qu’est-ce que…
Le Commandant allait lui demander pourquoi la Messagère paraissait dans cette tenue l’arme au poing quand elle l’interrompit :
- C’est la Duchesse ! haleta Lédara, il faut l’arrêter, où est-elle ?
L’Inquisitrice balaya du regard la grande salle à la recherche de Florianne quand elle vit horrifiée que celle-ci ne se tenait qu’à quelques pas de l’Impératrice. Cullen se tourna dans la direction que regardait Lédara, ne comprenant pas ce qui se passait. Célène fit taire la foule d’un geste de la main, et les derniers murmures s’estompèrent, les invités n’ayant pas remarqué l’entrée de l’Inquisitrice.
- Mes très chers amis, commença Célène, nous avons tous perdu quelqu’un, un enfant, un être cher envoyé dans les flammes. Nous sommes cernés par les ténèbres, mais la lumière, elle, luit encore !
- Ou en sont vos soldats ? demanda précipitamment Lédara au Commandant.
- Plusieurs ont infiltré la salle de bal et… répondit-il tout bas.
- Y en a-t-il proches de Florianne ? le coupa Lédara en se tournant vers lui.
- Non, les abords de l’Impératrice étaient trop bien gardés, murmura Cullen.
- Nous sommes cette lumière ! continuait Célène, une étoile qui guide notre peuple. Nous le protégerons et nous l’aiderons à traverser cette période trouble. La guerre qui nous sépare prend fin ce soir.
Célène invita alors la Grande Duchesse Florianne à venir à ses côtés, arrachant un murmure de stupeur à la Marchéenne.
- Tout le monde à terre ! cria fortement l’Inquisitrice en s’avançant vers la balustrade et encochant une flèche à son arc.
Mais c’était trop tard, à peine avait-elle pu alerter la foule que Florianne avait sorti une dague de sous son corset et l’avait plantée dans le dos de Célène. Lédara essaya de cibler la Grande Duchesse, mais elle se cachait derrière le corps de l’Impératrice qui perdait la vie. Elle débanda la corde de son arc et se mit à courir à travers l’allée. Tous les invités furent pris d’un mouvement de panique, personne ne comprit ce qu’il venait de se passer. Cullen suivit l’Inquisitrice, ordonnant à ses soldats de maintenir l’ordre et de ne laisser sortir personne.
- Florianne, qu’est-ce qui te prend ? lança Gaspard, n’y comprenant rien.
- Arrête, lui asséna sa sœur, tout s’est passé comme prévu. Je l’ai fait pour toi, mon frère !
- Quoi ? s’exclama Gaspard horrifié, as-tu perdu l’esprit ?
Florianne regarda autour d’elle, cherchant une issue pour s’échapper, mais les soldats de l’Inquisition arrivèrent à sa hauteur et Lédara lui fit face.
- Non, dit Lédara, ce n’est pas pour vous, Gaspard, mais pour Corypheus !
- Quel genre d’invitée êtes-vous pour oser interrompre votre hôtesse ? lui lança Florianne aux anges.
Les agents infiltrés Venatori se mirent à ralentir les soldats de l’Inquisition, débutant une bataille sanglante à même la piste de danse. Le Commandant ordonna à ses soldats d’arrêter la Duchesse, mais celle-ci se défendit habilement et mit hors-jeu les soldats les plus proches.
- Pour Corypheus, tuez-les ! cria Florianne à ses agents avant de s’enfuir par le large balcon qui se trouvait derrière elle.
Lédara la poursuivit, mais la traitresse avait sauté par-dessus la balustrade et était partie en direction de l’entrée principale par le rez-de-chaussée. L’Inquisitrice rebroussa chemin et courut dans le vestibule pour rejoindre les jardins de l’entrée, suivie par Cullen. Ses compagnons aidaient les soldats de l’Inquisition à maîtriser les agents Venatori et la foule apeurée. Le Commandant avait dégainé son épée, assailli par les hommes de Florianne, mais continua à suivre l’Inquisitrice coûte que coûte.
Arrivée dans la cour extérieure, Lédara s’arrêta au niveau de la balustrade qui dominait la grande fontaine et entendit un claquement de grille derrière elle. Le grand portail avait été fermé et verrouillé par deux soldats tévintides, la séparant du reste du palais et de Cullen. Elle accourut près des grilles ; le Commandant se trouvait juste de l’autre côté, il avait passé les hautes portes et terrassait les deux soldats ennemis qui l’avaient assailli. Mais quand l’Inquisitrice saisit les barreaux de ses mains, une lourde décharge foudroyante se déclencha lui arrachant un cri de douleur. Le portail avait été ensorcelé d’une barrière magique empêchant quiconque de franchir la grille ou de s’en approcher.
- Non ! cria Cullen avec stupeur. Lédara, est-ce que ça va ?
- Ne touchez pas les grilles, le prévint-elle, tenant encore ses mains contre elle, ébranlée par le choc.
Soudain, une flèche vint se briser contre le portail, obligeant l’Inquisitrice à s’éloigner des grilles et à se mettre à l’abri derrière la balustrade de pierre. Elle reprit son arc dans sa main gauche et compta le nombre de flèches qui lui restaient : trois.
- Trouvez une solution pour ouvrir le portail, lança Lédara à Cullen, je vais tenter de m’occuper de Florianne.
Les autres compagnons de Lédara arrivèrent en trombe devant le portail et le Commandant les arrêta net.
- Dorian, lança-t-il échauffé, il y a une barrière magique, il faut la faire disparaître, et vite !
Dorian analysa rapidement la magie qui était en œuvre, alors que Solas tenta un sort de dissipation de magie. Mais rien ne fit.
- Il faut trouver le mage qui a érigé cette barrière, lança Dorian, c’est le seul moyen de passer.
Cullen ordonna à ses troupes de se disperser aux quatre coins du palais pour débusquer le responsable de cette barrière ; Bull et Blackwall partirent eux aussi de leur côté à la recherche du mage tévintide. Léliana était restée à l’intérieur du palais pour calmer les nobles avec Cassandra et Joséphine, interdisant à quiconque de sortir pour leur sécurité. Pendant ce temps, Lédara fit un rapide repérage des lieux où elle allait devoir combattre seule. Elle vérifia qu’elle avait toujours ses dagues, mais n’en trouva qu’une sous sa jupe, la deuxième ayant certainement dû glisser dans sa course. Elle observa à nouveau par-dessus son épaule afin de repérer où pouvait se trouver Florianne, mais une flèche vint lui effleurer la joue, l’obligeant à nouveau à se cacher.
La Duchesse s’avérait être une redoutable tireuse, et ne devait pas avoir ce seul talent. Elle se souvint que Léliana lui avait parlé des fameux « bardes » orlésiens, ces assassins passés maîtres dans l’espionnage, le maniement des armes de poing et les coups bas. Lédara encocha une flèche et se prépara à tirer, ayant à peu près évalué la position de la Duchesse. D’un coup elle s’agenouilla, banda la corde de son arc et décocha sa flèche, ratant de peu sa cible. Elle se couvrit à nouveau derrière la balustrade de pierre pour éviter un nouveau trait. Plus que deux flèches. Elle jeta un regard du côté du portail : faire tomber la barrière prendrait trop de temps, il lui fallait régler le compte de Florianne au plus vite ; cependant, elle se sentait largement désavantagée avec deux flèches et une seule lame courte. Cullen lui lança un regard inquiet, mais lui indiqua la position de la Grande Duchesse pour l’aider de son mieux. Lédara décocha sa flèche dans la direction indiquée, éraflant la cuisse de son adversaire.
Le Commandant bouillonnait intérieurement de ne pouvoir rien faire pour l’Inquisitrice. Il ne lui restait plus qu’une flèche, bientôt elle devrait se battre au corps-à-corps. Son impuissance face à la situation le mettait hors de lui ; il aboyait des ordres, se tenait régulièrement informé des moindres mouvements Venatori dans le palais, mais cela n’empêchait pas que la jeune Marchéenne était seule face à leur ennemi.
Lédara encocha sa dernière flèche et descendit les escaliers qui encadraient la fontaine tout en longeant la balustrade pour rester à l’abri. Elle ne savait pas de combien de flèches disposait son assaillante, mais certainement plus qu’elle n’en avait. Une fois sa cible repérée, elle tira au dernier moment lorsqu’elle perçut une faille dans la défense de Florianne, mais celle-ci esquiva adroitement. Lédara, ne disposant plus de flèches, désangla rapidement son carquois afin de gagner en liberté de mouvement et garda son arc au poing. De son côté, Florianne avait gaspillé ses flèches, tirant aléatoirement là où elle pensait trouver sa cible. L’Inquisitrice ne gardait plus de point fixe, tout le temps en mouvement, se déplaçant à des allures différentes tout en maintenant une distance entre elle et la Duchesse. Elle devait faire en sorte que son adversaire soit à armes égales, il lui fallait donc épuiser ses flèches. Quand elle s’abrita à nouveau près de la fontaine, elle aperçut enfin Florianne abandonner son arc et dégainer deux fines lames. Lédara devait maintenant redoubler de prudence car les bardes avaient pour habitude d’empoisonner leurs armes. La Duchesse fit plusieurs tentatives de rapprochement afin d’engager le combat, mais l’Inquisitrice s’y soustrayait, voulant fatiguer son adversaire, jusqu’à ce qu’elle se retrouve coincée et obligée de monter au front.
Lédara avait récupéré sa dague et gardait toujours son arc dans sa main droite. Les deux femmes se faisaient alors face devant la fontaine, épiant le moindre mouvement l’une de l’autre, quand soudain Florianne se rua sur l’Inquisitrice. Elle lui asséna une série de coups plus puissants les uns que les autres, et Lédara esquivait, parait de sa dague et de son arc, jusqu’à la repousser d’un mouvement violent. La Duchesse récupéra rapidement son équilibre et attaqua à nouveau, de plus en plus vite, de plus en plus fort, jusqu’à briser l’arc de la Marchéenne qui l’abandonna alors. Lédara était en très mauvaise posture, n’ayant pour seule défense que sa petite lame courbe. Une lutte acharnée commença entre les deux femmes, chacune attaquant, esquivant, parant les coups de l’autre dans une danse effrénée, leurs jupes voltigeant autour d’elles. Leur agilité était sans égale et si l’enjeu n’avait pas été aussi grand, ce duel aurait été apprécié pour sa seule beauté visuelle. Mais Florianne, fourbe par nature, fit un coup bas à l’Inquisitrice, la déstabilisant. Lédara ne put esquiver l’attaque et sentit la lame lui déchirer la peau de son bras gauche. Une douleur lancinante s’en suivit et elle s’écarta alors au plus vite de la Duchesse pour reprendre son souffle. Un faux pas et voilà qu’elle sentait le poison s’insinuer en elle, affaiblissant son bras, puis sa main et enfin son épaule. Tout son côté gauche s’engourdissait.
- Alors, Inquisitrice, vous goûtez à mon poison ? lança Florianne victorieuse. Vous allez voir, celui-ci est de ma fabrication : il engourdit d’abord le membre touché, puis il paralyse petit à petit tout le corps tout en créant une atroce douleur. Vos sens vont également faiblir, votre vue va se brouiller et un bourdonnement se fera entendre. Vous aurez l’impression que votre sang se glace dans vos veines, votre respiration s’altérera. Et je pourrai vous donner le coup de grâce sans même que vous ne bougiez.
Florianne s’était rapprochée de Lédara qui était tombée à terre. Sa respiration se faisait de plus en plus difficile et la douleur entravait ses mouvements. La Duchesse en profita pour l’affaiblir et l’humilier devant les spectateurs impuissants. Elle la bouscula du pied, la renversant sur le côté, puis martela ses côtes à coups de pied. Ensuite, elle la saisit à la gorge, la souleva de terre et la projeta contre le muret de la fontaine. Lédara encaissa les coups sans broncher, ses mouvements étant de plus en plus réduits. Florianne la saisit à nouveau à la gorge et brandit l’Inquisitrice, faible et sans défense, sous les yeux horrifiés des membres de l’Inquisition.
- Regardez tous ! s’écria Florianne qui jubilait, votre Inquisitrice sur le point de mourir, n’est-elle pas pathétique ?
La Duchesse la laissa retomber lourdement à terre. Florianne s’agenouilla aux côtés de l’Inquisitrice, triomphante. Elle la prit par les épaules et la releva légèrement pour lui murmurer :
- Voici ta fin, sale garce ! Corypheus me récompensera…
Lédara entrouvrit les yeux, la regarda lever sa dague pour donner le coup de grâce et répondit :
- Pas si tu meures avant !
A ce moment, par un effort surhumain, la jeune femme déstabilisa la Duchesse, la projetant un peu plus loin. Elle tenta de se relever en s’aidant au rebord de la fontaine, mais Florianne, furieuse, se rua sur elle. Lédara esquiva le coup et frappa de toutes ses forces dans son flanc. La Duchesse tituba sous le choc ; cette dernière serra sa lame dans son poing et l’abattit dans le ventre de l’Inquisitrice. Au même moment, Lédara saisit la Duchesse par la nuque et la plaqua contre elle. Les deux femmes restèrent allongées l’une sur l’autre, une flaque de sang grandissant sous leurs deux corps, et personne ne sut qui sortait vainqueur du duel, ou même s’il y avait un vainqueur.
Le cœur de Cullen avait cessé de battre, il regardait la scène, figé de terreur. Cela ne pouvait pas se terminer ainsi, pas après tout ce que la Messagère avait fait… Elle ne pouvait partir sans qu’il ne le lui ait dit au moins une fois… Qu’il l’aimait.