L'épée et le lys

Chapitre 3 : Théa - Elle travaille pour l'inquisition

2270 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/10/2025 16:29

Tandis qu’elle préparait deux tasses de thé, Théa sentait le regard de l’archère, qui lui avait sauvé la vie, la scruter de haut en bas. Elle sentait ses yeux suivre chacun de ses mouvements, les analyser et les juger. Bien qu’elle lui fût reconnaissante d’avoir éliminé le templier renégat qui la poursuivait, Théa aurait préféré rester seule pour digérer cette mauvaise expérience. Elle versa l’eau chaude dans les tasses, et quelques gouttes tombèrent sur le plan de travail de sa cuisine. Plongée dans ses pensées, elle les essuya distraitement avec un chiffon. Qu’allait-elle faire du corps de l’homme ? Devait-elle l’enterrer ? Allait-il attirer les charognards ? Est-ce que d’autres templiers risquaient de venir ici pour retrouver leur ami disparu ? Était-elle désormais en danger ?

« Alors ? » retentit la voix de Sera dans son dos.

Elle sursauta et bouscula une des tasses, qui chuta et dont le contenu se renversa sur le sol. Munie du chiffon dont elle ne s’était pas séparée, elle se pencha et frotta énergiquement le liquide chaud. Elle avait totalement oublié la présence de cette étrange elfe.

« Pardon, dit-elle sans lever les yeux, j’étais dans mes pensées.

—  J’ai vu. Et donc, t’as du miel ? Je déteste le thé sans miel. Enfin, c’est pas pire que cette boisson noire que Dame Josephine m’a fait goûter l’autre jour. Heerk ! Un truc immonde !

—  Du café ?

—  Ouais, c’est ça, dukafé.

—  Il y a longtemps que je n’en ai pas bu.

Théa se remémora les après-midis où elle dévorait des pâtisseries avec son frère et sa sœur autour d’une tasse de café. La boisson était amère et elle n’avait jamais réellement aimé en boire, mais là, étrangement, ça lui manquait. Elle se redressa avec la tasse vide en main et fit face à Sera. L’elfe avait froncé les sourcils. Cette facilité à passer de la bonne humeur à la mauvaise humeur fascinait l’herboriste.

Après avoir tué le templier, Sera s’était présentée comme un agent de l’Inquisition, mandatée par le commandant Cullen pour lui faire une offre d’embauche. Encore sous le choc de sa mésaventure, Théa avait invité la jeune femme à prendre un thé. L’elfe était entrée dans la maison en premier, un peu comme si elle était chez elle. Théa la soupçonnait d’être déjà entrée quand elle était absente. Simplement par le fait qu’elle avait verrouillé la porte en partant et que celle-ci n’avait même pas résisté quand Sera avait tourné la poignée. L’herboriste en avait déduit qu’elle était une voleuse, mais étant donné que l’Inquisition semblait lui faire confiance, elle décida de faire pareil. L’elfe avait examiné sa maison méticuleusement. Théa n’avait rien à cacher, mais n’avait rien de valeur non plus à afficher. La voleuse ne pouvait donc rien lui dérober, à moins qu’elle ne soit intéressée par une vieille couverture, un livre de plantes, quelques fioles et des herbes sèches.

« On m’a dit que tu étais la cousine de maître Dennet…» avança Sera en prenant la tasse où infusaient quelques herbes. 

Elle porta le breuvage à son nez et grimaça. Elle fouilla dans les pots présents sur le meuble et trouva le miel. Elle se servit deux énormes cuillères et mélangea énergiquement. Ensuite, elle but une gorgée et sourit, satisfaite, avant de plonger son regard intense et intimidant dans celui de Théa.

« Alors ?

—  Ou...iii. Oui, bafouilla-t-elle, maître Dennet est mon cousin.

—  Vous êtes très différents.

—  Parce qu'il est mon cousin par alliance, répondit Théa en détournant le regard et en s’asseyant à table pour mettre un peu de distance avec l’elfe. 

Cet interrogatoire la mettait mal à l’aise. Elle avait répété cette scène des centaines de fois avec Dennet pour que les gens croient en leur histoire. Jamais Théa ne s’était sentie aussi mauvaise en mentant qu'en cet instant. Sera l’imita et s’installa en face d’elle tout en buvant bruyamment sa boisson. Théa, droite comme un i, crispa les mains autour de sa tasse et voulut l’imiter pour se donner une contenance. Elle constata alors que la tasse était vide et qu’elle ne l’avait pas remplie d’eau chaude. Elle se releva d’un coup et renversa sa chaise. Sera leva un sourcil et un sourire étira ses lèvres. Négligemment, elle jeta ses jambes sur la table et bascula sa chaise sur deux pieds. De plus en plus mal à l’aise, Théa ramassa sson siège avant de poser une main sur sa poitrine pour retrouver un semblant de maîtrise de la situation. Elle était chez elle, après tout ! Pourquoi cette elfe la mettait-elle donc si mal à l’aise ? Certes, elle lui avait sauvé la vie, mais ce n’était pas une raison pour perdre ses moyens de la sorte.

Reprenant courage, elle se dirigea d’un pas décidé vers sa cuisine, versa de l’eau dans sa tasse, ajouta du miel et quelques feuilles d’elfidés.

« Donc, t’es une de ces demoiselles en dentelle, bien trop gâtées par la noblesse ? » interrogea Sera en déposant brusquement sa tasse sur la table.

Théa se retourna vivement. Le regard que lui jeta l’elfe était froid, presque dégoûté. Elle chercha une excuse, lui dire qu’elle n’avait pas compris la question, qu’il y avait erreur, mentionner Dennet absolument. Mais quelque chose dans les yeux de son interlocutrice lui coupa l’envie de mentir davantage. Elle gagna donc sa place et s’installa en silence.

« Tu te tiens trop droite pour être du petit peuple. Tu parles comme une lady. Merde, j’ai sauvé le cul d’une bourgeoise ! »

La haine de Sera pour les nobles était évidente. Théa finit par se demander si elle n’était pas plus en danger avec elle qu’avec le templier une heure plus tôt. Elle jeta un coup d’œil à la porte. Pouvait-elle fuir ? Non, l’archère était bien trop vive. Alors, elle fit la seule chose qu’elle se sentait encore capable de faire. Elle plongea son regard dans celui de l’elfe et elle avoua :

« Oui. Ma famille est riche.

—  Je le savais ! »

Le visage de Sera s’illumina un instant. Sans doute la satisfaction d’avoir eu raison. Théa but une gorgée de thé sans quitter sa sauveuse des yeux.

« Mais il y a un truc qui cloche, t’agis pas comme l’un d’eux. Tu te tiens comme une pète-cul, tu parles comme une pète-cul… mais t’as les mains d’une fille qui gratte la boue. T’es tombée ou t’as creusé exprès ?

—  Et si je réponds que je l’ai fait exprès ?

—  Alors, c’est bien. Alors, respect. Un peu comme Joséphine qui utilise ses abrutis pour étendre l’influence de l’Inquisition en remplissant en même temps les coffres d’or.

—  Moi, je n’ai pas d’or.

—  Je sais, j’ai fouillé.

Elle afficha un sourire moqueur en ponctuant sa phrase d’un petit rire quand Théa montra sa désapprobation.

« T’inquiète pas, demoiselle propette, je n’ai rien piqué.

—  Propette ?

— Ouais, ça te va bien. Toute bien peignée, toute digne, mais pas trop casse-pieds. C’est marrant. Non ?

— Je ne crois…

— Je ne te demande pas ton avis.

Elle se redressa et arpenta la pièce pendant un moment. Théa l’observa davantage. Sa tenue était usée mais lui allait comme un gant. Ses cheveux, coupés sûrement avec la lame d’un couteau, lui donnaient un style qu’elle qualifierait de « dynamique », et malgré son culot évident, maintenant qu’elle savait à qui elle avait affaire, Sera paraissait plus facile à vivre. Et Théa la trouva presque sympathique.

« Bon, alors moi, je suis là pour un truc à la base. J’ai une mission, tout ça tout ça. Les conseillers de l’Inquisition m’ont demandé de venir te chercher. Ton « cousin » qui sent le cheval est d’accord.

— Pourquoi moi ?

— C’est pas pour tes jolis yeux, qui sont assez banals en fait. C’est pour tes talents avec les plantes, les trucs que tu fais pour soigner. On a besoin d’aide. Ouais, je sais, dire qu’on a beaucoup de blessés, c’est pas très valorisant pour notre beau foutoir, mais c’est pas vraiment de notre faute. Au contraire, on fait tout pour que ça s’arrête…

— Je ne comprends pas… intervint Théa.

— Nous, blessés. Toi, potions. Tu viens, tu soignes. C’est simple !

Théa se redressa vivement, fit plusieurs pas dans la pièce, à la fois agacée par le ton moqueur de Sera et angoissée par la proposition.

« T’es pas obligée, tu sais. Tu peux rester ici et prendre soin de ton petit cul égoïste de petite précieuse.»

Théa fit volteface et serra les poings. Comment pouvait-elle lui dire une telle chose ? Elle qui passait son temps à préparer des potions, à les vendre à prix réduits pour soigner les maux des plus miséreux, et s’offrir de temps à autre un repas décent. Égoïste ? Franchement, c’était n’importe quoi ! Elle avait envie de lui crier de sortir de chez elle, lui balancer ses fioles à la figure, l’injurier. Mais la politesse, ancrée comme un réflexe, l’en empêcha. Elle soupira, amère : elle se comportait encore comme une noble bien élevée.

Sera s’assit sur la table avec un sourire.

« Ou tu me prouves que t’as réellement changé de vie en devenant une cousine de Dennet qui guérit des éclopés avec des elfidés. »

Un frisson parcourut la nuque de Théa. Le doute s’insinua. Avait-elle vraiment fui sa famille et tout ce qu’elle représentait… juste pour penser à elle ? L’Inquisition avait besoin d’aide. Son cousin, lui, n’avait pas hésité à partir pour Darse, laissant derrière lui ceux qu’il chérissait, parce que son devoir était ailleurs, en ces temps sombres. Et elle ? Que faisait-elle ici, à préparer des potions dans l’ombre, loin du tumulte ? Que devait-elle faire ?

« L’Inquisition reçoit des nobles de tout Thédas, articula-t-elle difficilement. Si jamais l’un d’entre eux me reconnaît…

— Si tu viens, t’es un agent de l’Inquisition. Même si ton passé vient frapper à la porte, jamais les conseillers n’autoriseront qu’on t’arrache à ton poste si t’en as pas envie.

— Vraiment ?

— Ouais. Et puis, je suis presque certaine que quand tout sera fini, Léliana saura te faire disparaître. Dans le bon sens du terme, hein. Elle va pas te trucider ou un truc du genre… quoi que, avec elle, on n’est jamais sûr. Mais tu pourras vivre planquée dans ton bois, à parler aux champignons, si ça te plaît. »

Cette dernière remarque fit sourire Théa tandis qu’elle gagnait la porte de la maison et jeta un regard à la plaine qu’elle risquait de ne plus voir si elle acceptait. Elle aimait cette demeure, même si elle était minuscule. Elle s’était bâti un foyer, un cocon. Partir lui semblait si dur. Elle avait déjà abandonné une maison, pouvait-elle recommencer ? Elle ne s’en sentait pas capable. Ça avait pris du temps pour qu’elle chérisse cet endroit. Elle en connaissait chaque recoin, chaque ours, chaque pierre, chaque arbre. C’était chez elle désormais.

Darse… Elle n’y avait jamais mis les pieds et elle n’y était pas plus intéressée que cela. Alors pourquoi accepter ? Parce qu’elle n’était pas une égoïste et que son cœur lui dictait qu’elle devait aider. Le pouvait-elle ? Était-elle assez douée pour cela ? Oui, les gens qui achetaient ses préparations sur le marché la remerciaient chaque fois. Mais pour une Inquisition, est-ce que ce serait assez ?

Sa tête lui disait de rester. Ne pas partir. Ce n’était pas ce qu’elle avait prévu. Elle voulait vivre là le restant de ses jours.

Puis, son regard se posa sur le corps du templier qu’un corbeau picorait déjà.

Le bois d’Hafter n’était plus sûr. Les Marches Solitaires n’étaient plus un foyer sécurisant.

"J’ai besoin d’une réponse." insista Sera dans son dos.

Théa se retourna et découvrit, étonnée, que l’elfe était soucieuse.

« Je viens, finit-elle par dire.

— Génial ! Prépare ton sac, demoiselle propette ! L’Inquisition a établi un campement un peu plus loin, une monture nous attend. »


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