L'épée et le lys

Chapitre 8 : Cullen - les templiers rouges

2622 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/10/2025 22:48

Cullen se dirigea aussitôt vers les hauteurs pour découvrir de ses propres yeux la troupe qui descendait les flancs des Dorsales de Givre. Des centaines de soldats, torches allumées, se dirigeaient vers Darse. Une marée. Leurs pas résonnaient dans la roche, sourds et réguliers, comme un tambour de guerre. Cullen resta un moment stupéfait par ce spectacle cherchant une raison valable à cette menace. La brèche était à peine refermée…

Son regard fut attiré par les portes du village. Elles tremblaient, agitées de l’extérieur, comme si quelqu’un, ou quelque chose, tentait de les forcer. Sans attendre, il s’en approcha. Les membres du conseil le rejoignirent, suivis de près par les compagnons du Messager. Certains, comme Blackwall ou Iron Bull, semblaient avoir bu plus que de raison, mais leurs regards étaient vifs, leurs gestes précis. Cullen se félicita de n’avoir cédé qu’à un seul verre de vin. Il ne buvait que dans de rares occasions et se serait montré incapable de la même maîtrise que ces deux hommes.

— Cullen ? demanda Cassandra attendant des informations.

— Une armée gigantesque est en approche. Le gros des troupes est sur les flancs de la montagne.

— Sous quelle bannière ? s’enquit Joséphine.

— Aucune

— Aucune ? s’étonna-t-elle.

Un coup sec retentit sur la porte. Joséphine sursauta et recula d’un pas. Léliana se plaça devant elle, le regard acéré. Cassandra posa une main sur le pommeau de son épée, prête à la saisir si nécessaire. Cullen eut le même réflexe. La tension était palpable. Elle rampait sous la peau, s’insinuait dans les muscles, dressait les poils sur la nuque. Le cœur du commandant battait plus vite, plus fort. Et pourtant, il était prêt. Il l’avait toujours été. Même s’il détestait ces moments de tension, il avait déjà eu son lot d’épreuves.

La Tour du Cercle…

L’explosion de la Chantrie de Kirkwall…

Meredith…

Il avait eu suffisamment d’expérience pour savoir que ce qui arrivait serait épouvantable.

Et Cullen le sentait dans chaque fibre de son corps. Le ciel lui-même semblait se contracter, comme s’il retenait son souffle. Il avait vu des mages perdre le contrôle, des templiers sombrer dans la folie, des innocents broyés entre les deux. Mais jamais il n’avait dû défendre un village pacifique face à une armée. Ce qui allait suivre laisserait de nouvelles marques, de nouvelles cicatrices dans le corps comme dans l’âme.

Un nouveau coup retentit, puis une lumière jaillit sous la porte. Le Messager s’avança lentement, la main tendue avec prudence. Il hésita un instant. Cullen se crispa. Devait-il l’empêcher d’ouvrir cette porte ?

— Je ne peux pas entrer si vous n’ouvrez pas ! retentit une voix masculine derrière le bois massif.

Le Messager n’hésita plus et ordonna silencieusement à un soldat d’ouvrir. Dans l’entrée, un homme massif en armure de plaque s’avançait vers eux. Cullen sortit son épée et avança d’un pas. Mais soudain, l’inconnu se crispa et son corps s’effondra sur le sol enneigé. Derrière lui apparut un jeune homme étrange. Il portait un chapeau à bord large, légèrement incliné, qui masquait en partie un visage maigre. Ses yeux, grands et clairs, semblaient les examiner sans jamais réellement se poser sur eux. Il tenait deux dagues aux lames fines comme une extension naturelle de ses bras. Malgré sa frêle apparence, Cullen distingua sous la tunique rapiécée une musculature sèche, forgée pour le combat mais aussi la furtivité. Il n’y avait rien de massif en lui, mais tout en cet être évoquait la vitesse, la précision… et le danger. Aucun doute possible pour le commandant : ce jeune homme était un assassin.

Alors que le Messager et Cullen s’avancèrent vers lui, il se présenta d’une voix agitée.

— Je m’appelle Cole, je viens vous alerter, vous aider. Une armée arrive, elle vient vous faire du mal. Vous êtes surement déjà au courant.

Cullen fronça les sourcils, puis leva les yeux vers l’armée qui descendait de plus en plus vite les flancs de la montagne. Oui, il était déjà au courant. Mais il ignorait tout de ces ennemis. Qui les attaquait ?

— Qu’est-ce que vous voulez ? interrogea Trevelyan impatient. Qu’est-ce qui se passe ?

— Les templiers viennent vous tuer, répondit le dénommé Cole dans un semi-murmure.

Cullen s’avança. Cette situation l’agaçait. Ce jeune homme étrange lui crispait les nerfs.

— Les templiers ? C’est comme ça que l’Ordre réagit à nos discussions avec les mages ? En nous attaquant aveuglément ?

— Les templiers rouges se sont tournés vers l’Ancien, répondit le jeune homme en s’approchant du Messager.

Cullen secoua la tête. Templiers rouges ? Bon sang, de quoi parlait-il ? Il jeta un regard aux troupes qui se rapprochaient et sa mâchoire se crispa quand il comprit. Des silhouettes aux corps déformés par des cristaux rouges avançaient d’une démarche étrange. Le commandant frémit. C’était du lyrium. Le lyrium rouge. Le même qu’ils avaient vu dans le Saint Temple Cinéraire. Le même qu’à Kirkwall. Il en était sûr. Les templiers s’étaient tournés vers le lyrium maudit, celui-là même qui avait causé la folie de Meredith, la chevalière-capitaine de Kirkwall. Comment était-ce possible ? Quelle folie les avait poussés à agir de la sorte ? Cullen ne comprenait pas.

— Vous le connaissez, lui il vous connait. Vous lui avez pris ses mages, poursuivit Cole sans prêter attention aux tourments de l’ancien templier.

Cole se tourna vers la montagne et pointa du doigt une silhouette qui se dressait et les observait. Cullen écarquilla les yeux. Il reconnaissait cet homme. Il l’avait aperçu dans la Ville basse de Kirkwall. Samson. Un templier déchu, accro au lyrium, réduit à mendier quelques pièces pour survivre jour après jour. Que faisait-il ici ? Et surtout comment était-il arrivé en tête d’une telle armée ? Au côté de Samson, une silhouette haute et décharnée apparut à son tour dans une brume noire. L’homme qui ressemblait davantage à une abomination avait le corps recouvert de cristaux et son armure semblait fondue en lui. L’Ancien, en déduisit Cullen.

— Il est furieux que vous lui ayez pris ses mages, annonça Cole avec dans la voix quelques tremblements.

— Cullen, il nous faut un plan, n’importe quoi, dit Trevelyan qui ne quittait pas des yeux l’armée en approche.

— Darse n’est pas une forteresse. Si nous voulons tenir tête à ce monstre, nous devons contrôler l’affrontement.

Le commandant, le poing serré autour du pommeau de son épée, désigna les trébuchets du menton au Messager d’Andrasté.

— Allez écraser cette armée. Donnez tout ce que vous avez.

Il se redressa, refusant de se laisser accabler par la situation. Il devait agir sans attendre. Protéger Darse et ses habitants. Il se détourna de Trevelyan et observa ceux qui s’étaient rassemblés derrière lui. Des villageois, des soldats, des mages… des jeunes recrues totalement novices, dont certains n’avaient jamais vu le moindre combat. Mais ils étaient tous là, malgré la peur qui se lisait sur leurs visages et ils attendaient ses ordres. Cullen fit quelques pas, hésita sur les mots à prononcer. Il était leur commandant : il devait les galvaniser, leur insuffler du courage, les pousser à tenir bon. Mais quels ordres donner ? Il fallait aider le Messager, se charger des templiers, protéger les habitants… Les mages d’abord, décida-t-il.

— Mages, l’Ordre des templiers n’est plus. Vous, vous avez la permission d’engager le combat.

Il perçut le sourire de certains d’entre eux, ravis de pouvoir en découdre avec ceux qui furent jadis leurs geôliers. Les rancunes persistaient.

Puis Cullen désigna quelques agents pour accompagner le Messager et l’aider à charger les armes de siège. Il jeta un dernier regard à Trevelyan qui distribuait des ordres à ses compagnons, gardant Iron Bull, Solas et Sera à ses côtés, envoyant les autres protéger la population. Cullen approuva sa façon d’agir, bien qu’il aurait sans doute choisi des alliés qui n’avaient pas, dans les veines, la totalité d’un fût de bière. Toutefois, il décida qu’il pouvait faire confiance aux choix du Messager.

Ensuite, il se dirigea vers les portes de Darse, suivi par le jeune Cole qui marmonnait que le lyrium tuait, que trop de vies étaient en jeu. Il disait qu’il ressentait les peurs des gens qui se réfugiaient entre les murs de leurs bâtisses.

— Elle, elle attend vos ordres.

Cullen soupira. Il n’aimait pas être suivi, encore moins par un assassin. Même si celui-ci semblait animé d’une volonté sincère, quelque chose en lui le dérangeait profondément. Puis, il leva les yeux et découvrit Théa toujours près du feu de camp là où elle s’était tenue avant que l’alarme ne retentisse. Le feu s’était éteint, elle semblait frigorifiée. La neige tombait sur ses cheveux blonds et ses yeux brillants le fixait.

— Elle sent les plantes. Elle a peur, insista Cole. Mais elle a confiance en vous. Elle ne sait pas pourquoi. Vous devez dire quelque chose.

Cullen se tourna vers lui, à la fois intrigué et agacé par les paroles qu’il déversait sans fin, mais Cole se contentait de fixer l’herboriste. Puis, sans un mot de plus, il s’éloigna à vive allure, comme s’il cherchait à disparaître, en direction de la Chantrie.

Cullen posa à nouveau les yeux sur Théa. Oui, elle attendait. Ses joues, si rouges plus tôt, étaient devenues pâles, et ses yeux, qu’il avait trouvés si lumineux devant le feu, étaient écarquillés. Il pouvait sentir son inquiétude, et cela lui serra le cœur. Certaines personnes ne devraient jamais se retrouver face au danger. Non pas parce qu’elles étaient faibles mais tout simplement parce qu’elles ne méritent pas cela. Il repensa à Dennet, qui lui avait demandé si sa cousine serait en sécurité ici. Cullen se souvenait d’avoir promis d’y veiller. Il ne pouvait pas laisser l’herboriste là, noyée dans la peur et à proximité des portes de Darse. Mais il ne pouvait pas non plus la garder à ses côtés.

Il s’avança vers elle.

— Ne restez pas là. Rejoignez Adan, dit-il d’une voix calme qu’il voulait rassurante. Faites ce que vous savez faire, Théa, nous allons avoir besoin de vos services car il y aura des blessés. Prenez tout ce que vous pouvez pour effectuer des soins et allez à la Chantrie le plus rapidement possible.

Elle hocha la tête et, sans attendre, fila en direction de l’infirmerie. Cullen la regarda partir et, avec un pincement au cœur, soupira. C’était tout ce qu’il pouvait faire pour le moment. Il le regrettait, mais trop de vies étaient en jeu pour qu’il puisse se concentrer sur une seule d’entre elles. Il se tourna à nouveau vers les portes closes de Darse et tendit l’oreille. Les bruits de l’affrontement du Messager contre ses ennemis lui parvenaient. Cullen aurait aimé être à ses côtés. Se battre vaillamment. Mais il avait des ordres à distribuer.

— Vous, cria-t-il a des agents qui patientaient, fascinées par les silhouettes qui descendait encore cette fichue montagne. Faites rentrer les habitants dans le bâtiment de la Chantrie. Portez les récalcitrants s’il le faut, mais je veux que les rues de Darse soient vidées dans les dix minutes qui suivent !

Les hommes, encore paniqués quelques instants plus tôt, hochèrent la tête et obéirent sans discuter. Cullen le savait : dans ce genre de situation, l’inaction était un poison. La peur s’insinuait plus vite dans l’esprit d’un soldat immobile. Il fallait occuper les corps, donner des gestes à accomplir, des ordres à suivre. C’était ainsi qu’on muselait la panique.

Cullen courut vers la Chantrie pour y déverser une série d’ordres. Par chance, Cremissius était présent avec la charge du taureau et ils prirent le relais afin de s’assurer que tout soit en place. Cullen regarda l’agitation autour d’eux. Joséphine courait dans tous les sens, prenant des notes et s’assurant que tout puisse être en place pour que les villageois trouvent refuge en ce lieu saint. Elle grimaça quand, dans la précipitation, elle se brûla l’index à la flamme de la chandelle qu’elle tenait toujours allumée. Joséphine n’était pas une femme d’action. Elle, elle maîtrisait les mots avant tout. Léliana la rejoignit et l’invita à se calmer en l’obligeant à regagner son bureau avant de s’approcher de Cullen.

— Comment ça se passe ? Pour le Messager, demanda-t-elle en se frottant nerveusement les mains.

Avant que Cullen ne puisse répondre, le trébuchet tira et des cris de joie s’élevèrent par-delà les remparts.

— Il semble gérer la situation, répondit le commandant avec un sourire de satisfaction.

— Le second trébuchet n’a pas encore tiré, s’inquiéta Léliana.

Cullen se tourna vers ce dernier mais ne put apercevoir la silhouette de l’engin de siège. Il grogna et repartit vers les portes de Darse tandis que des tas de questions fusaient dans sa tête. Le trébuchet était-il défectueux ? Avait-il placé les mauvais soldats à ce poste ? L’ennemi l’avait-il détruit ?

Mais lorsqu’il atteignit enfin les portes du village, le bruit sourd et familier du trébuchet retentit. Les pierres furent projetées contre la montagne, et des rires nerveux s’élevèrent, comme un souffle de soulagement. Cullen ouvrit les portes, espérant déjà voir le Messager revenir et l’armée des Templiers rouges balayée. Mais cet espoir s’effondra aussi vite qu’il était né. L’armée était toujours là. Elle avançait. Certes, elle avait subi quelques dégâts, mais c’était loin d’être suffisant. Il fallait recharger les armes de siège, encore et encore. Et cela prendrait du temps.

Frustré de rester en retrait, Cullen se décida à participer à la manœuvre. Il n’avait jamais aimé l’attente. Mais à peine avait-il fait un pas qu’une ombre gigantesque passa au-dessus de lui, rapide et menaçante. Cullen se figea. Avait-il rêvé ? Ce n’était pas possible…

Quand soudain, un son aigu, strident, déchira l’air et lui confirma ses craintes. Au loin, il vit le second trébuchet exploser dans une gerbe de bois et de flammes et l’ombre gigantesque s’envola au-dessus des ruines qu’elle venait de créer.

Un dragon ?

— Que le Créateur nous vienne en aide, marmonna-t-il.


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