L'épée et le lys
Chapitre 12 : Cullen - Un nouveau départ
3647 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 02/11/2025 14:53
Il avait fallu quatre jours de marche pour que leur convoi épuisé atteigne Fort Céleste. Guidées par Solas et le Messager d’Andrasté, les troupes de l’Inquisition avaient gravi les pics du Dorsale de Givre, affronté le froid et la neige, surmonté la fatigue pour découvrir, entourée de montagnes, une forteresse abandonnée. En la voyant pour la première fois, le commandant Cullen avait reconnu dans ses murs solides et ses hautes tours le lieu idéal pour résister à l’ennemi. Du moins, s’ils parvenaient à renforcer leurs effectifs.
Durant une journée, l’Inquisition s’accorda un peu de repos. Des tentes furent montées dans la cour, et les soldats, les mages, ainsi que les compagnons du Messager passèrent leur temps à dormir ou à bavarder de tout et de rien. Pendant ce temps, les conseillers inspectaient chaque recoin de la forteresse afin de dresser la liste des travaux à entreprendre. Cullen trouvait le lieu majestueux, bien qu’il ne ressemblât encore qu’à une ruine. Mais quelques rénovations, coûteuses sans doute, suffiraient à le remettre sur pied rapidement.
Les jours suivants, Fort Céleste accueillit de plus en plus de réfugiés et de volontaires, au grand soulagement du commandant, qui voyait son armée croître doucement mais sûrement. Chacun trouvait sa place, les couloirs se remplissaient de voix, les escaliers de pas, et les murs de projets. Puis vint le jour des décisions.
Le Messager d’Andrasté, survivant de l’attaque de Darse, miraculé aux yeux du peuple, fut unanimement élevé au rang d’Inquisiteur. Cullen n’était donc plus son égal à proprement parler. Il était désormais sous ses ordres. Mais Trevelyan ne se comportait pas en tyran et ce nouveau titre ne semblait pas le changer. Il continuait d’écouter ses conseillers, veillait à ce qu’ils prennent du repos, et surtout, s’inquiétait du moral ambiant.
Sur ce point, il n’avait guère à s’inquiéter. L’idée de transformer cette grande forteresse en un nouveau foyer mettait du baume au cœur parmi tous les membres de l’Inquisition, que ce soit le simple intendant ou l’enchanteresse Fiona. Maître Dennet avait trouvé les écuries et, malgré les débris, était parvenu à y loger les montures qu’il avait retrouvé. Solas avait été le premier à s’approprier une salle où il passait du temps à étudier les esprits. Dorian traînait principalement dans la bibliothèque, où il se moquait, et parfois enviait certains ouvrages présents. Blackwall veillait sur les remparts, inquiet à l’idée que Coryphéus, l’Ancien, puisse frapper de nouveau. La rumeur de la survie de l’Inquisition s’était déjà répandue à travers Thédas, et l’adversaire devait en avoir eu vent. Cela ne troublait pas Cullen. L’Inquisition avait perdu des hommes à Darse, mais leurs opposants aussi. Une nouvelle attaque prendrait du temps.
Cole, que l’Inquisiteur avait invité à rester, observait souvent l’herboriste dans sa pratique. Et quand un patient succombait, il trouvait toujours les mots, bien qu’étranges, pour alléger ses épaules. Sera et la Charge du Taureau s’étaient donné pour mission de libérer l’accès à la taverne. Ils y établirent leur quartier avec une telle aisance qu’on aurait cru qu’ils y vivaient depuis toujours. Vivienne suivait Joséphine à la trace pour lui conférer de nombreux conseils esthétiques afin d’embellir Fort Céleste et Cassandra se disputait vivement avec Varric au sujet de l’arrivée de Hawke, le Héraut de Kirkwall, dans leur équipe.
Cullen sourit en pensant à ce beau monde. Chacun avait trouvé sa place. Certes, lui-même n’avait pas encore de bureau à proprement parler et se contentait de distribuer ses ordres dans la cour, à l’entrée de Fort Céleste, là où Théa prodiguait des soins à ceux qui en avaient besoin.
Léliana se joignit à lui. Il faisait frais dans la Dorsale de Givre mais par chance, un soleil lumineux les accompagnait depuis quelques jours.
— Les pertes ont été lourdes, dit-elle en tendant un rouleau à Cullen. Je suis désolée.
— Et moi donc.
Cullen prit le document mais refusa de lire les noms.
— Nous n’étions pas prêts à Darse, ajouta-t-il. Ici, ce sera différent.
— Je l’espère, répondit-elle dans un murmure.
Le silence s’installa entre eux, puis les yeux de Léliana se posèrent sur Théa, qui quittait l’infirmerie de fortune pour gravir les marches en passant près d’eux. Elle évitait soigneusement de les regarder. Cullen détourna les yeux également. Il ne cessait de l’observer à la dérobée, cherchant chaque fois un prétexte pour lui adresser la parole. Mais il n’en trouvait jamais aucun. Ou du moins, aucun qui lui paraisse naturel.
Joséphine descendait les marches alors que Théa les gravissait, sans doute pour retrouver Sera un peu plus loin.
— Notre herboriste semble épuisée, glissa Léliana.
— Cela ne durera pas. La chirurgienne que vous avez engagée, Cullen, est arrivée ce matin. La cousine de Dennet pourra bientôt retrouver les Marches Solitaires.
Cullen se figea.
Il avait effectivement trouvé une chirurgienne pour renforcer l’équipe médicale, mais jamais il n’avait pensé que cela signifierait devoir se passer de Théa. L’idée le hérissa. Maître Dennet serait ravi que sa protégée retrouve le calme de sa chaumière, mais Cullen détestait l’idée de ne plus veiller discrètement sur elle.
— Je ne pense pas que nous devrions nous passer de ses services, dit-il avec sérieux. Elle nous a été très utile par le passé.
— La chirurgienne a sa propre équipe, insista Joséphine. Théa ne sera plus nécessaire.
— Bien sûr que si, rétorqua-t-il plus vivement qu’il ne le voulait.
Puis, il se tourna vers Léliana :
— N’est-ce pas vous qui avez dit que même ce qui semble insignifiant peut se révéler précieux ?
Léliana eut un petit rire offusqué avant de répondre :
— Je parlais d’informations, commandant. Pas de jeunes femmes qu’on peine à assigner.
Puis, sans quitter Cullen des yeux, elle ajouta avec un sourire en coin :
— Mais dites-moi, quelle occupation pourrions-nous trouver à notre herboriste qui puisse susciter autant son intérêt que le vôtre, Cullen ?
Le commandant toussota aussitôt en détournant le regard, afin de dissimuler aux yeux de ses collègues le trouble qui l’envahissait. Par le Créateur, il n’osait pas imaginer ce à quoi la maîtresse espionne faisait allusion. Mais pire que tout, il appréciait peu qu’elle puisse comprendre aussi facilement, voire plus aisément que lui-même, l’effet que Théa avait sur lui.
Ses yeux se posèrent sur la silhouette de la jeune femme un peu plus haut, qui riait aux pitreries de Sera. Cette dernière mimait une scène de combat où elle jouait à la fois l’archère habile et la victime d’une flèche en pleine poitrine. Ces deux-là étaient devenues très proches dès leur rencontre. Cullen eut un sourire voilé. Il aurait dû se montrer aussi naturel que l’elfe en présence de Théa, mais il portait cette retenue propre aux hommes de devoir et ne réussissait jamais vraiment à s’en défaire. Il se passa une main dans la nuque et soupira. Il enviait Sera, qui s’était même un peu assagie grâce à son amie.
Quand soudain, il trouva la réponse à donner à Léliana.
— Vraiment ? Vous ne trouvez aucune utilité à notre herboriste ? Je vous pensais plus observatrice, Léliana.
— Comment ça ? questionna Joséphine, un peu perdue.
— Chut, ambassadrice, laisse-moi voir ce que le commandant cherche à me dire.
Léliana observa Sera rire avec son amie. Elle plissa légèrement les yeux, se frotta le menton du bout des doigts… Il ne lui fallut que quelques secondes pour comprendre.
— Par Andrasté… murmura-t-elle avant de se tourner vers Joséphine. Théa reste. C’est évident.
— Mais c’est absurde, s’agaça sa collègue. Je ne vois aucune raison à…
— Josie, croyez-moi, c’est une question de vie ou de mort, ou presque ! Ni vous ni moi n’avons envie de retrouver notre lit recouvert de scarabées ou, pire, de crottins de cheval.
Joséphine écarquilla les yeux avant de comprendre. Cullen baissa la tête pour cacher le sourire qui étirait ses lèvres. Si l’Inquisition osait séparer l’archère de son amie, elle s’en mordrait les doigts. Sera s’arrangerait pour que chacun le regrette, jour après jour, avec une imagination qui ne faiblirait jamais.
— Soit, capitula l’ambassadrice Montilyet. Je crois que l’accès au jardin est bientôt libéré, et une herboriste pourrait, je présume, y faire pousser des plantes médicinales… Cela devrait s’avérer utile.
Puis elle s’éloigna en marmonnant qu’elle détestait les scarabées tandis que Cullen se jura de remercier Sera d’une façon comme d’une autre pour l’aide qu’elle venait de lui apporter malgré elle.
Cullen reçut énormément d’informations les jours qui suivirent. Solas lui parla de l’orbe elfique extrêmement ancien que Coryphéus détenait et maniait avec naïveté. La magie qu’il contenait était puissante et dangereuse. Il suggéra au commandant de tout mettre en œuvre pour priver le magister de son artefact. Cullen bougonna des remerciements pour ces informations et se retrouva bien démuni face aux décisions à prendre. Pour reprendre l’orbe, il fallait affronter l’Ancien, et dans l’immédiat… impossible.
Hawke, l’ami de Varric, parla de la disparition des Gardes des Ombres, ce dont l’Inquisition était déjà informée. Blackwall était l’un des derniers qu’il avait trouvés. Le dernier et l’unique, à vrai dire, mais celui-ci n’avait aucune information sur ses confrères. Le Héraut de Kirkwall semblait soupçonner quelque chose de plus grave. Les Gardes des Ombres n’agissaient pas de manière aussi inhabituelle sans raison. Il les craignait sous l’influence d’une engeance puissante, comme Coryphéus l’était. Car oui, Varric et Hawke l’avaient confirmé : Coryphéus était bien une engeance d’origine humaine, un magister tévintide, conscient et doté de pouvoirs exceptionnels, ce qui le distinguait radicalement des créatures corrompues ordinaires. Une engeance donc, mais sans Enclin… accompagnée, en revanche, d’un fichu archidémon. Sans Gardes des Ombres, impossible d’éliminer une telle créature.
Trevelyan était donc parti pour Boscret avec Dorian, Iron Bull et Varric, afin d’y retrouver Hawke et une de ses connaissances. Le commandant espérait que cette expédition serait rapidement menée et que de nouvelles réponses arriveraient sans apporter de nouvelles interrogations.
Joséphine avait manifesté ses inquiétudes concernant le sort de l’Impératrice Célène, qui ne répondait à aucun de leurs courriers. Selon elle, l’urgence était là avant tout le reste.
Une livraison de lyrium était arrivée en fin de journée, et Cullen préféra s’en éloigner, se réfugiant dans la pièce qu’il s’était enfin octroyée : un bureau et une chambre qui méritaient encore quelques travaux, notamment au niveau de la toiture. Il haïssait ressentir encore les effets du lyrium dans son corps rien qu’en posant les yeux sur un simple chargement. Le manque le rongeait, et il se détestait pour ça.
Il repoussa le rapport qu’il lisait. Son mal de crâne revenait. Il trouva le baume que Théa lui avait confectionné dans un tiroir et constata qu’il serait bientôt à court. Il en prit un peu et l’appliqua sur ses tempes comme elle le lui avait enseigné. Puis, il ferma les yeux en s’adossant contre le dossier de sa chaise, et patienta que l’effet se fasse ressentir.
C’est alors que l’on frappa à la porte. Il poussa un soupir résigné. Il était fatigué, ne pouvait-on pas le laisser souffler un peu ? Mais quand la porte s’ouvrit pour laisser entrer l’herboriste, il se redressa d’un coup. Elle entra en silence et referma la porte derrière elle. Elle s’avança vers lui, une tasse fumante dans la main qu’elle déposa sur le bureau. Cullen observa le liquide et en sentit les parfums délicieux, mais il était incapable de les reconnaître.
— Je me suis dit qu’une boisson chaude vous ferait du bien, expliqua Théa en évitant son regard.
Cullen se sentit raide quand il saisit la tasse et la porta à ses lèvres. Elle avait ajouté du miel. L’attention le toucha. Comment avait-elle su qu’il aimait ses tisanes ainsi ?
— Ça vous aidera à mieux dormir.
Il eut un petit rire.
— Vous trouvez que je manque de sommeil ?
— Sera me raconte les nouvelles. Elle m’explique ce que l’Inquisition traverse.
Elle haussa les épaules et posa les yeux sur l’étagère près du bureau. Instinctivement, elle s’y dirigea et parcourut les volumes du bout des doigts. Cullen grimaça. Il ne possédait que des livres sur les stratégies militaires ou des atlas sur les régions de Thédas. Il craignit un instant qu’elle trouve tout cela bien ennuyeux. Qu’elle puisse le trouver lui bien ennuyeux. Cependant, ses doigts s’arrêtèrent sur un livre qu’elle sortit et se tourna vers lui, visiblement surprise par sa trouvaille. Le Glaive et la Tulipe, le roman de Varric. Cullen rougit aussitôt.
— C’est à Cassandra. Je ne l’ai pas lu. Elle me l’a prêté.
Théa sourit. Un sourire large, amusé, qui permit au commandant de se détendre un peu.
— Oui, elle m’en a parlé. Alors je l’ai lu aussi, dit-elle.
Il haussa un sourcil. Il connaissait la réputation du livre, du moins certains passages. Il ne s’était pas moqué de Cassandra, au contraire, il avait trouvé touchant ce goût romantique caché sous la carapace de la chercheuse, si dure et courageuse. Mais lui-même n’avait jamais pris le temps de se plonger dans le récit.
— Vous avez aimé ? demanda-t-il en s’approchant d’elle pour prendre le roman de ses mains et le feuilleta piqué par la curiosité.
Il tomba sur des mots qu’il aurait préféré lire seul, loin de tout regard, et referma brusquement le livre pour le ranger, totalement mal à l’aise à présent.
— C’était distrayant, répondit-elle en reculant de plusieurs pas.
Elle se dirigeait vers la porte, mais Cullen ne voulait pas qu’ils se séparent déjà. Il appréciait ces quelques mots échangés, et pour une fois qu’ils étaient en tête-à-tête, il aurait aimé poursuivre leur conversation.
— Joséphine vous a-t-elle informée ? Pour votre poste ?
Une lueur triste passa dans les yeux de Théa, et Cullen regretta amèrement d’avoir engagé cette conversation et aussi la chirurgienne. Pourtant, sans Adan, il n’avait pas eu vraiment d’autre choix. Il ne doutait absolument pas des compétences de Théa, mais elles étaient limitées. Il aurait apprécié qu’elle apprenne davantage auprès d’une nouvelle consœur, mais celle-ci n’avait pas voulu d’elle, sans même lui laisser une chance.
— Oui. J’ai hâte de découvrir les jardins, répondit-elle avec un pauvre sourire.
Cullen fronça les sourcils. Hâte ? Il n’en avait pas l’impression. C’était plutôt de la résignation. Est-ce que Théa doutait de son rôle dans l’Inquisition ? S’ennuyait-elle ?
— L’accès a été dégagé cette après-midi. La nuit n’est pas encore tombée. Je peux vous les montrer si vous le désirez.
Elle plongea les yeux dans les siens, et il perçut une hésitation silencieuse. Elle détourna le regard avant d’hocher la tête en signe d’acquiescement. Il termina son infusion d’un trait, comme pour se donner contenance, et l’invita à le suivre.
Ils descendirent dans la cour en silence. Cullen lui montra le chemin jusqu’au jardin. Il cherchait un sujet de conversation, mais aucun ne semblait suffisamment intéressant, et il n’était pas du genre à parler de la pluie et du beau temps. Fort Céleste semblait déjà endormi, enveloppé dans un calme agréable, en dehors des bruits de chant et de rire qui leur parvenaient de la taverne où la charge s’animait durant l’absence de leur chef.
Les yeux de Théa s’émerveillèrent tandis qu’elle découvrait les lieux, et Cullen, en l’observant, sentit une satisfaction discrète lui réchauffer la poitrine. Il n’avait jamais vraiment pris le temps de regarder ce jardin autrement que comme un espace à réaménager. Mais à cet instant, il le vit à travers elle.
Le jardin était bordé de murs de pierre couverts de mousse et de lierre. Un puits ancien trônait au centre. Des pots de terre cuite encore vides longeaient l’enceinte du jardin. Cullen en avait commandé des dizaines afin que l’herboriste puisse travailler sans limite.
Quelques statues de pierre, à demi effacées par le temps, veillaient entre les massifs. Sur la gauche, une porte de bois menait à un petit sanctuaire, simple et silencieux, que Mère Gisèle avait laissé ouvert. Des bougies y brûlaient, projetant une lumière vacillante sur les murs.
Le sol était irrégulier, parsemé de dalles anciennes et de touffes d’herbe. Ici et là, des bancs de bois avaient été disposés, et Cullen nota qu’un panier rempli d’outils de jardinage n’attendait que Théa. Le terrain devait encore être désherbé à moitié, mais l’ensemble avait quelque chose d’apaisant, d’élégant, et presque de romantique.
Théa fit quelques pas en silence, et Cullen la suivit comme son ombre, observant chacune de ses réactions. À ses yeux émerveillés, il sut qu’elle aimait déjà cet endroit et, que désormais, il l’apprécierait aussi.
Théa caressa le feuillage d’un arbuste.
— D’herboriste, je passe à botaniste…
— Non, s’empressa de la rassurer Cullen, qui sentait une blessure derrière cette phrase. Nous avons toujours besoin de vos talents, de vos connaissances. Vos baumes sont utiles. Vos tisanes aussi. Je suis certain que ma nuit sera plus douce, grâce à vous.
Elle lui adressa un pauvre sourire, à moitié convaincue par ces mots.
— Théa, continua-t-il en s’approchant d’elle. Ce n’est pas une sanction. Vous semblez le vivre ainsi.
— Des gens sont morts malgré mes soins.
— À cause des Templiers rouges. Pas à cause de vous. Vous avez été plus courageuse que la moitié d’entre nous.
Elle baissa les yeux. Cullen perçut sa tristesse, profonde, silencieuse. Ce n’était pas seulement du découragement, c’était une faille qu’elle tentait de dissimuler. Il eut l’élan de la prendre dans ses bras, de lui offrir un refuge, mais il se retint. Un geste trop direct risquait de la faire reculer, voire de l’effrayer. Ce qu’il craignait, c’était de la voir s’éloigner. Pas physiquement, mais intérieurement. Qu’elle se ferme, qu’elle se persuade qu’elle n’avait plus sa place ici. Et surtout, une place auprès de lui.
— Merci, Commandant. Ce sera un honneur de continuer à servir l’Inquisition. Et je suis certaine que les plantes seront plus faciles à maintenir en vie que les gens.
Elle chercha à rire, mais n’y parvint pas. Cullen baissa les yeux à son tour. Elle tentait de rester forte, de ne rien laisser paraître, c’était tout à son honneur, néanmoins mais il voulait que les choses soient claires, qu’elle comprenne que sa place était parmi eux. Qu’elle l’avait pleinement méritée.
— Par Andrasté, Théa… Je vous assure que je n’ai jamais cherché à vous écarter du rôle que je vous avais confié à votre arrivée. Adan est mort… Je voulais vous apporter une aide. Je regrette si cela vous a blessée. Mais vous êtes précieuse. Je vous demande de me croire.
Il tendit la main et saisit la sienne. Il serra ses doigts froids et la sentit frissonner. Elle fixait ce point de contact, silencieuse. Il n’avait pas réfléchi en agissant de la sorte. Il eut peur qu’elle lui arrache sa main, outrée, gênée ou écœurée. Mais elle ne bougea pas. Au contraire, elle referma les doigts sur les siens, et Cullen fut parcouru d’une sensation proche d’une décharge électrique. Cette jeune femme le déroutait. Sa force silencieuse, son regard, sa discrétion…
— Je vous crois, Commandant.
Cullen sourit, soulagé de l’entendre. Il leva l’autre main et, doucement, glissa une mèche des cheveux de Théa derrière son oreille. Puis il inclina la tête dans un salut et recula. Il devait mettre de la distance entre eux. Il en avait besoin pour son propre équilibre.
— Merci pour la tisane, dit-il dans un souffle. C’était parfait.
Elle hocha la tête sans répondre, mais son regard le suivit tandis qu’il quittait le jardin. Cullen franchit la porte en silence, le cœur plus léger, mais davantage troublé.