D'humains à cyborgs

Chapitre 3 : À l'hôpital

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 03:22

Un an et demi passa. Nato continuait à se cacher derrière son mur d'indifférence, Dona de s'enfoncer dans sa dépression. L'animosité des enfants à l'égard de leur père montait. Ils continuaient malgré tout leur entraînement drastique, et ils étaient devenus vraiment très forts, mais Nato n'était jamais satisfait. Les jumeaux étaient inscrits dans une école de Kita no Miyako. Ils avaient réussi à s'intégrer, mais ils ne s'étaient pas fait de vrais amis et préféraient rester entre eux. Quant à leurs notes, elles n'étaient pas fantastiques, mais étaient suffisamment bonnes pour qu'ils n'aient pas à s'inquiéter d'un redoublement. Compte tenu du temps qu'ils passaient à leur entraînement, temps qui débordait sur celui qui aurait dû être imparti aux études, on pouvait même considérer que leurs notes étaient extraordinaires.


 

Mâron et Hazel suivaient un cours d'histoire, un cours qui les ennuyait profondément. M. Rekish, un petit homme dont les quelques cheveux entourant sa calvitie étaient grisonnants, et qui portait un costume brun foncé, était absolument soporifique de l'avis de tous les bambins. Mais il avait la punition facile, voilà pourquoi ils préféraient s'ennuyer plutôt que de chahuter.


 

« Gérinovitch est né en 374 dans une petite ville du sud de la région du Jakchyo et est mort en 435 à Santeren, l'actuelle Naka no Miyako. Il est considéré comme l'un des plus grands philosophes du IVe siècle. Cependant, il était aussi un homme politique très important de l'histoire. Et c'est à cet aspect que nous allons nous intéresser. En effet, en tant que Premier Ministre de l'ancienne petite république de Goranz, dont Santeren était la capitale, je le rappelle, il apporta des réformes économiques très efficaces qui furent ensuite adoptées par toutes les petites nations de l'époque. Ces réformes… »


 

Mâron et Hazel n'écoutaient même pas, et regardaient à travers les grandes fenêtres à carreaux de style ancien. Ils se sentaient tellement peu concernés par ce qui était dit. Mais c'était à peu près pareil pour tous les cours. Cependant malgré le désintérêt pour les études qu'ils ressentaient, l'école était le seul endroit où les jumeaux se sentaient à peu près bien. Le seul lieu où ils ne ressentaient pas cette angoisse oppressante. Ils redoutaient toute la journée le moment de retourner chez eux, de retrouver le sourire vide de leur mère, essayant de se montrer chaleureuse et aimante envers ses enfants, mais ne parvenant qu'à leur communiquer son mal d'être. Puis leur père rentrait, toujours glacial. Il demandait à leur mère si ses recherches de travail avançaient, elle rétorquait que non et il n'allait pas plus loin. Il ne lui jetait pas un regard. Il demandait alors aux enfants d'aller se préparer pour leur entraînement. Ceux-ci ne ressentaient plus que de la colère pour lui. Il s'en était rendu compte, mais pensait que cela les aiderait à se battre avec plus d'ardeur.


 

« Mâron, est-ce que tu peux me répéter ce que je viens de dire ? »

Elle sursauta.

« Et merde ! » pensa-t-elle. « Pourquoi moi ? Personne n'écoute de toute façon !

- Alors ?

- Et puis va te faire voir ! » continua-t-elle en elle-même. « Non. » Cette fois-ci, elle parla à haute voix.

« Et pourquoi ça ?

- Parce que ça ne m'intéresse pas ! » répondit-elle sèchement, agacée par l'insistance de l'instituteur.

Tout le monde se mit à rire. Mais un regard furieux de M. Rekish suffit à les faire taire. La trentaine d'élèves assis sur des pupitres en bois individuels, se calma et détourna les yeux. Sauf Mâron et Hazel qui n'avaient même pas réagi à cette technique pourtant si efficace avec les autres élèves. Le professeur n'appréciait pas du tout. Il pensait que pour se faire respecter, il fallait s'imposer. Or il sentait bien que ces deux jumeaux étaient loin de le trouver impressionnant, c'est pourquoi il ne les aimait pas beaucoup.


 

« Au bureau de M. Kocho ! Et vite ! On va voir si tu fais toujours la maligne ! »

Mâron obéit mais rit intérieurement. Il ne pensait quand même pas qu'elle avait peur du proviseur ? Elle était habituée à bien plus coriace. Elle repoussa sa petite natte derrière son dos recouvert d'un simple t-shirt blanc, puis elle passa sa main sur son jean, comme pour le défroisser, et prenant son sac à doc bleu marin, elle se dirigea vers la porte. Son frère ricana sous cape, repoussant ses cheveux qui lui arrivaient pile au niveau des yeux. Pendant qu'elle sortait, le professeur continua sa leçon.


 

« Gérinovich fut aussi le premier à proposer, lors de la fameuse Conférence de Jineba en 412, la formation d'un super état qui regrouperait tous les petits pays d'alors en une grande fédération. Bien qu'on lui ait ri au nez, il parvient quand même à faire accepter un accord de libre échange complet qui aboutira six ans plus tard sur le Traité de Parsley City. C'était le début de ce qui deviendra cette future supra nation que nous connaissons tous et dans laquelle nous vivons. Le plus incroyable est que Gérinovitch avait déjà préparé ce qui pourrait être les fondements politiques pour le bon fonctionnement d'un tel état. Ces fondements sont encore actuellement utilisés par le Roi Kokuô ! »


 

Elle alla chez le proviseur, dont le bureau avait le même style ancien que toute la bâtisse. Le relativement jeune proviseur en lui-même affichait un air sérieux et élégant, dans son petit costard bleu-gris et avec sa petite moustache du même brun que ses cheveux bien peignés en arrière. Elle lui raconta pourquoi on la lui avait envoyée, sans même essayer d'enjoliver les choses en sa faveur. M. Rekish entra dans la pièce quelques minutes plus tard et se joignit à la leçon de morale qu'avait entamée le proviseur. Elle ne fit même pas semblant d'écouter, mais ils ne parurent pas le remarquer puisqu'ils finirent par la laisser partir avec deux heures de colle et une copie à rendre pour la semaine suivante. Deux heures de colle ? Ils ne se rendaient même pas compte à quel point cela la soulageait.


 

Une fois sortie du bureau, elle se dirigea vers la cours de récréation, un grand espace goudronné avec quelques arbres dispercés de-ci de-là, et des tables en bois réparties dans certaines zones. Au moment de sortir, un garçon de sa classe, Enpits, l'apostropha.

« Eh ! Tu sais que je t'ai trouvée cool tout à l'heure ? Tu l'as bien remis à sa place. J'aimerais bien pouvoir faire pareil !

- Et pourquoi tu ne le fais pas, alors ? » répondit-elle, indifférente.

« T'es folle ! J'oserais jamais !

- Alors ne dis pas de paroles en l'air !

- Allez ! Sois pas si méchante. Tu sais, tu me plais beaucoup !

- Ah, oui ? Et bien ce n'est pas réciproque.

- Eh! Sois cool ! Détends-toi ! Je te trouve très mignonne ! »

Il lui mit la main aux fesses. Malheureusement pour lui, il ne savait pas qu'elle était une disciple du kurumisenryu, et encore moins qu'elle pourrait facilement assommer un adulte. La réaction ne se fit pas attendre. Elle lui envoya un violent coup du revers de la main. Il se retrouva à terre.

« Recommence ça, et je te brise tous les doigts de la main ! »


 

Le garçon, pleurant, se mit à saigner drument du nez. Mâron se demanda alors si elle n'y était pas allée un peu fort. Elle s'apprêtait à l'aider à se relever, mais il la repoussa. C'est alors qu'un grand gaillard d'une classe supérieure s'approcha. Il devait bien avoir trois ans de plus que Mâron.

« Dis donc, toi, qu'est-ce que tu viens de faire à mon petit frère ? »

Elle toisa le grand garçon du regard. Elle était désolée qu'Enpits saigne autant, mais pas au point de se rabaisser en s'excusant alors que c'était lui qui l'avait provoquée. Elle répondit donc : « Je l'ai frappé. Ça te pose un problème ? Il n'avait qu'à ne pas poser ses sales pattes sur moi ! »


 

Elle allait s'éloigner mais quatre autres grands adolescents, deux garçons et deux filles lui barrèrent la route. Le frère d'Enpits lui dit : « Tu ne crois quand même pas que je vais te laisser te tirer après ce que tu as fait à mon petit frère ? On ne touche pas à la famille. »

Elle le dévisagea. Elle se disait bien que sa tête lui était familière, c'était Grafit, la brute du coin, et sa bande. Ainsi c'était le grand frère d'Enpits ? Elle regarda en direction de sa victime et vit qu'il la fixait d'un air goguenard malgré une expression toujours endolorie et des larmes aux yeux, la main sur le visage, le sang filtrant toujours au travers. Ils ne s'imaginaient tout de même pas lui faire peur ? Hazel qui voyait la scène de loin, s'approcha, dans son t-shirt rouge sans manches et son short beige.

« Un coup de main soeurette ?

- Fais comme tu veux. »


 

Des enfants s'étaient déjà agglutinés, flairant la bagarre.

« Mais pour qui ils se prennent ? » pesta Grafit. « Que l'un de vous s'occupe du gosse. Mais laissez-moi la gamine. »

Mâron lui jeta un regard glacial droit dans les yeux. Cela le mit encore plus en furie.

« Tu va arrêter de te croire supérieure !

- Mais je te suis supérieure, grosse brute sans cervelle. » répondit-elle avec un sourire en coin.

Cette phrase fit frémir tous ceux qui, parmi les spectateurs de la scène, avaient déjà eu à faire à Grafit. Ils se demandaient où cette fille trouvait le courage ou la folie de lui parler ainsi.

« Quoi ? ! ? »

Il leva le bras pour la frapper, mais avant qu'il n'ait le temps de le baisser, Mâron lui fila un crochet du droit avec tout le poids de son corps dans le ventre. Grafit se plia en deux sous le regard ébahi des ses compagnons.

« Qu'est-ce que… Grafit !

- Sale gamine ! »


 

Les autres adolescents s'apprêtaient à attaquer Mâron, mais Hazel donna deux légers et rapides coups de pieds sur l'arrière du genou d'une d'entre eux, celle-ci perdit l'équilibre et s'effondra. Les autres s'arrêtèrent, sur le point de trébucher sur la jeune fille.

« Je commence à perdre patience ! On ne va quand même pas se faire ridiculiser par des gosses ! »

Sur ces mots, Grafit se releva. Les cinq adolescents encerclèrent les jumeaux. Ceux-ci avaient les nerfs à vif. Ils avaient juste envie d'être tranquilles au moins un moment dans la journée, mais ces brutes les avaient vraiment mis en colère et ils voulaient en découdre. Hazel lança la première attaque, il se dirigea vers l'une des filles, celle-ci allait riposter, mais, au dernier au moment, il changea de direction et fonça vers Grafit qui était juste à côté. Il repoussa le bras de la fille du bout des doigts vers l'avant de la poitrine de celle-ci, et, dans un même mouvement, frappa du bout des quatre doigts de son autre main la gorge de Grafit qui en eut le souffle coupé. L'adolescente, distraite, n'eut pas le temps de voir Mâron lui sauter dessus pour lui asséner un coup de pied au visage. Elle fut propulsée au sol. La bagarre aurait pu continuer, si un professeur n'avait pas hurlé :

« Qu'est-ce qu'il se passe ici ? »

Mâron tiqua quand elle se rendit compte que c'était encore M. Rekish. Apparemment, il avait été assigné pour surveiller le préau. Celui-ci aussi les regarda d'un air agacé quand il comprit que c'était Hazel et Mâron.

« Encore toi ? Décidément, tu n'en rates pas une, aujourd'hui ? Une bagarre à présent ? Et avec ton frère aussi ? Vous allez tous me faire le plaisir de m'accompagner chez M. Kocho ! »


 

Ni Mâron, ni Hazel n'essayèrent de protester que c'était Grafit et sa clique qui les avaient provoqués, et personne ne le fit à leur place. Rekish chargea un élève d'emmener Enpits à l'infirmerie, puis accompagna les jumeaux et la bande de Grafit chez le proviseur. Les cinq adolescents furent les premiers à passer devant Kocho. Quand ils sortirent de son bureau, ils jetèrent un regard noir aux petits et ceux-ci entrèrent. Une fois de plus Mâron se retrouva dans le bureau du proviseur, cette fois-ci accompagnée de son frère. Encore une fois le proviseur teint un discours moralisateur que les deux enfants n'écoutèrent pas, mais cette fois-ci M. Kocho ne l'entendait pas de cette oreille et s'aperçut qu'il n'avait pas l'attention des jumeaux.

« Petits impertinents ! Vous… »

Il fut interrompu par la sonnerie du téléphone.

« Oui ! … Comment ? Écoutez Hisho, je suis occupé. Est-ce que… … Comment ? … Oui… Je viens… »

Il raccrocha. Étrange, sa voix était passée de la colère à l'inquiétude en un instant. Il se leva.

« Restez là les enfants, je reviens tout de suite. M. Rekish restez avec eux. »


 

Les enfants n'en revenaient pas, auraient-ils senti de la douceur dans son intonation ? Il poussa la porte. Mâron et Hazel tentèrent de jeter un œil à l'extérieur. Mais ils ne parvinrent pas à voir quoique ce soit.

« Restez tranquilles ! » tonna Rekish.

Il ne changeait pas, lui. Les jumeaux patientèrent un moment avant que M. Kocho n'ouvre enfin la porte. Ils aperçurent ce qui semblait être un policier. Le proviseur appela Rekish, celui-ci, paraissant intrigué, avança vers lui. Ils restèrent un moment sur le seuil de la pièce, Kocho murmura quelque chose au professeur que les enfants ne purent saisir. Cependant ils virent Rekish prendre un air choqué et l'entendirent souffler "Mon Dieu !" Puis, ils acquiescèrent tous les deux et l'enseignant sortit de la pièce en leur jetant un regard compatissant. Là, c'était sûr, quelque chose n'allait pas. Ils virent Kocho s'approcher d'eux d'un air triste. Leurs cœurs battaient la chamade. Ils étaient franchement inquiets. L'homme s'accroupit devant eux.

« Les enfants, j'ai une mauvaise nouvelle, votre mère a eu un accident. Elle est à l'hôpital. Elle… Elle est dans un état critique. »


 

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Mâron et Hazel étaient dans la voiture des deux policières qui les emmenaient à l'hôpital. Ils avaient l'impression que leurs cœurs allaient bondir hors de leurs corps. Apparemment leur mère s'était fait renverser par une voiture alors qu'elle traversait la rue. Le chauffard s'était ensuite enfui. C'était tout ce que les enfants avaient pu soutirer des deux agentes de police à force de les marteler de questions. Celles-ci leur avaient aussi dit qu'on n'avait pas réussi à contacter leur père. D'autres policiers étaient alors partis le chercher à son lieu de travail que son employeur leur avait indiqué, le stade Sakkâ où il était responsable de la sécurité pour la journée. Mais ça, les enfants s'en fichaient car ils savaient que l'accident de leur mère n'intéresserait pas leur père.


 

Une fois arrivés à l'hôpital, les quatre allèrent droit à la réception.

« Bonjour monsieur, Agentes Manacle et Païpu, pourrions-nous savoir le numéro de la chambre de Mme Nuss Dona, s'il vous plaît ? »

Les deux agentes, habillées du même uniforme bleu à casquette, auraient pu former un duo comique si les circonstances s'y étaient prêtées, tant elles avaient un physique opposé. Manacle était petite mais corpulente, avait la peau noire, des cheveux frisés et de grands yeux. Alors que Païpu était grande et élancée, avec une peau pâle, des cheveux noires, longs et lisses et des yeux en amande. L'infirmier en charge les toisa un moment, puis sembla étonné quand il vit que ces deux policières étaient accompagnées de deux enfants.

« C'est… C'est pourquoi ?

- Nous accompagnons ses enfants. »

Il jeta un regard sur les visages angoissés de Mâron et Hazel, puis sans dire un mot tapota sur un ordinateur et informa : « Chambre 413. »


 

Suivis des deux policières, les jumeaux arrivèrent à la chambre 413 où ils firent face à un spectacle terrifiant. Leur mère, qui avait le visage en partie couvert de bandelettes ensanglantées et un torse nu dans le même état, se débattait avec les médecins et les infirmiers. Elle hurlait et sanglotait.

« S'il vous plaît, ne me laissez pas mourir !

- Bien sûr que non, madame ! Calmez-vous !

- Vous… Vous ne comprenez pas ! Là-bas c'est horrible ! C'est… C'est pire que tout !

- Madame, calmez-vous ! Vous ouvrez toutes vos plaies !

- On souffre atrocement ! Terreur ! Sou… Souffrance ! Douleeuuuur !

- Vite ! Zéro trois de morphine !

- Non ! Non ! Pas de morphine ! Je veux rester réveillée !

- Bon sang ! Il faut la calmer !

- Je ne veux pas retourner là-baaas !

- Mais sanglez-la ! »

Soudain, Dona aperçut ses enfants.

« Mâron ! Hazel ! Aidez-moi ! Empêchez-les de me faire ça ! »


 

L'agente Païpu éloigna les enfants de la chambre. Ils entendirent quelques hurlements.

« Tenez-lui le bras pendant que j'injecte !

- Noooon !

- Mais tenez-lui le bras ! »

Puis les hurlements s'apaisèrent peu à peu, jusqu'à ce qu'on ne les entende plus. Hazel et Mâron étaient prostrés sur le banc dans lequel les policières les avaient installés. L'hôpital émettait tous les bruits classiques de n'importe quel hôpital, avait la même odeur et il était d'une blancheur immaculée et oppressante. Les deux enfants se sentaient impuissants. Puis après quelques minutes un médecin vint leur annoncer qu'ils pouvaient aller voir leur mère. Ses bandelettes n'étaient plus aussi imprégnées de sang que tout à l'heure, sans doute les avait-on changées. Elle avait le visage un peu adouci. Elle était dans une chambre individuelle, aussi blanche que le reste de l'hôpital. Après un long moment silencieux auprès de leur mère, Hazel se leva.

« Je vais nous chercher un verre d'eau. »


 

Mâron ne répondit pas. En revenant, Hazel surprit une conversation entre Manacle et un médecin. Il était dans un angle de vue difficile pour les deux adultes et il les écouta.

« Comment va-t-elle docteur ?

- Et bien, ses blessures sont très graves et elle a de nombreuses hémorragies internes et des côtes brisées. Mais le plus inquiétant est son état d'excitation intense. Elle est arrivée ici inconsciente et on l'a soignée comme on pouvait, mais une fois réveillée elle s'est mise à s'agiter violemment et à tenir des propos incohérents. Je n'ai jamais vu quelqu'un avec un air aussi effrayé. À vrai dire, je ne comprends pas comment elle peut avoir la force de s'agiter ainsi, avec six côtes cassées, elle ne devrait même plus pouvoir remuer. Nous avons eu le plus grand mal à la calmer, nous lui avons injecté de la morphine à trois reprises. Mais ces agitations ont beaucoup aggravé son état.

- Je vois…

- Je sais que vous vouliez l'interroger pour qu'elle vous donne la description du chauffard ou de son véhicule, mais très franchement elle n'est pas en état…

- Nous comprenons. Nous avons essayé de trouver des témoins oculaires qui nous donneraient des indications sur le conducteur, mais comme très souvent dans ces cas, tout le monde a vu la scène, mais personne n’a vu le chauffard… Une voiture blanche à roues, c'est tout ce qu'on sait. Nous n’avons pu qu’obtenir des témoignages sur le comportement de Mme Nuss. Ils s’accordent tous pour dire qu’elle avait l’air terriblement déprimée et qu’elle a traversé la rue de manière très imprudente. »

Hazel reteint son souffle.


 

« Mon Dieu ! Un suicide ? Pourtant, tout à l'heure…

- Non. Je ne pense pas… On ne se suicide pas avec des commissions que l’on vient de faire…

- Tant mieux… C’est déjà dur comme ça. Je n’arrête pas de penser à ses enfants… Vous avez des nouvelles du père ?

- Justement, mon équipière est allée appeler nos collègues pour savoir s'ils arrivent. Ils étaient en route… Malheureusement ils étaient coincés dans un embouteillage dû à un carambolage, la dernière fois qu'on leur a parlé. J'espère que ça va mieux.

- J'espère qu'ils ne mettront pas trop longtemps, car je ne pense pas qu'elle passera la nuit.

- Mon dieu ! Vous… Vous êtes sûr ?

- Malheureusement… Il y a très peu de chances qu'elle survive…

- Pauvres enfants… »

À ce moment, ils entendirent un bruit d'eau. Hazel venait de laisser tomber les gobelets, sous le choc.

« Tu… Tu étais là… ? »

Les deux adultes regardèrent l'enfant d'un air triste. Manacle s'avança vers Hazel, s'agenouilla et le prit dans ses bras. Le monde de Hazel était sur le point de s'écrouler pour la deuxième fois dans sa vie. Mais il ne pleura pas.


 

Quand il retourna dans la chambre, il ne dit pas un mot. Il n'avait pas ramené d'eau et Mâron ne posa pas de questions. Dona était toujours endormie mais marmonnait un charabia incompréhensible, on pouvait juste saisir quelques mots, "mort", "souffrance", "là-bas", "terreur" et d'autres choses incohérentes. Il s'approcha du lit pour se mettre à son chevet. Il observa son visage à moitié couvert par des bandages. Quand tout a coup sa mère ouvrit des yeux révulsés, saisit fortement le poignet de Mâron et murmura d'une voix d'outre-tombe : « Je ne veux pas retourner là-bas… »


 

Les deux enfants sursautèrent. Mâron finit par crier à Hazel : « Va chercher un médecin. »

Celui-ci s'exécuta. Il courut vers le médecin.

« Venez vite ! Maman s'est réveillée !

- Quoi ? ! Mais c'est impossible avec toute la morphine qu'on lui a administrée ! »

Il appela tout de même une autre médecin et des infirmiers. Ils accoururent tous vers la chambre, y compris les deux policières qui voulaient savoir ce qui se passait.


 

Quand ils arrivèrent dans la chambre Dona tenait toujours le poignet de sa fille, mais avait les yeux fermés, la face crispée. Le rythme cardiaque affichait à plat sur l'écran. Un son aigu et continu se faisait entendre. Mâron se retourna. Une expression indescriptible sur le visage et une intonation indéfinissable dans la voix, elle souffla : « Elle ne veut pas me lâcher… »

Tout le monde eut froid dans le dos et se figea une seconde. Puis un médecin reprit ses esprits.

« Elle est en arrêt cardiaque. Vite ! Allez chercher un défibrillateur et dégager sa fille de son étreinte, sinon on va l'électrocuter ! En attendant, je vais lui faire un massage cardiaque ! »

Le médecin se mit au travail. Tandis que l'autre docteure ramenait le défibrillateur, mais elle ne put l'appliquer car les infirmiers ne parvenaient pas à faire lâcher prise à la mère. Pourtant, celle-ci était morte. Seuls ses muscles crispés la faisaient s'accrocher à sa fille.

« Mais bon sang ! D'où vient cette rigidité musculaire ? »


 

Hazel assistait à la scène, complètement paralysé, sur le pas de la porte. Il revivait les événements de deux ans plus tôt. L'impuissance. L'angoisse. L'incompréhension. La terreur. Sa mère morte. Ses bandages s'étaient à nouveau couverts de sang. Le regard de sa sœur était redevenu aussi vide que ce jour-là. Cette fois-ci, il ne pleurait pas. Pendant qu'on brisait les doigts de sa mère pour la délivrer, Mâron resta impassible. L'agente Manacle prit Hazel par les épaules et l'éloigna de la chambre.


 

Quand leur père arriva enfin, il était trop tard. Ses enfants, lorsqu'ils le virent entrer dans la chambre où ils étaient restés sans bouger, sans parler et sans avoir la moindre réaction jusque-là, lui jetèrent un regard plein de haine. Leur mère était morte sans avoir eu l'écoute qu'elle demandait. Ils sortirent. Nato les regarda un moment, impassible, s'éloigner de lui. Il s'assit au chevet de sa défunte épouse, repoussa la couverture, contempla son visage livide un moment, lui prit délicatement sa main encore intacte, posa doucement son propre visage dessus et pleura en silence.

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