D'humains à cyborgs

Chapitre 4 : Un jour comme un autre

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 19:38

Ils étaient tous les trois dans le skycar familial. Ils rentraient après avoir passé plusieurs heures à l'hôpital, toute la nuit en fait. Le père était resté un long moment au chevet du corps sans vie de son épouse. Les enfants, prostrés, n'avaient pas bougé des chaises dans le long couloir, à côté de la chambre de leur mère. Beaucoup de personnel et de gens venus visité des patients les regardaient curieusement, mais ne s'arrêtaient pas. Manacle et Païpu, les deux agentes, ayant fini leur service n'avaient pas quitté les deux enfants. Elles avaient essayé de leur faire évacuer leur chagrin. Mais ce fut vain, Mâron et Hazel étaient demeurés silencieux et n'avaient versé aucune larme. Tout ce qu'elles pouvaient faire, était leur apporter une présence réconfortante. Lorsque Nato était enfin sorti de la chambre de sa femme, il avait les yeux rouges d'avoir pleurer. Il avait réglé toutes les affaires administratives immédiates concernant le décès de Dona, puis s'était dirigé vers ses enfants. Les deux agentes s'étaient alors effacées. Il s'était assis auprès d'eux. Ils étaient restés ainsi quelques minutes, puis il avait tenté un geste de tendresse, mais Mâron et Hazel l'avaient repoussé. Il avait essayé de leur parler, mais ils ne l'écoutaient pas. Pour la première fois depuis deux ans et demi, il avait voulu établir un vrai contact avec eux, mais il avait échoué.

 

Il regarda à travers le rétroviseur et observa ses enfants. C'était peut-être trop tard. Il avait coupé la communication depuis trop longtemps. Mais il se devait de tout faire pour la reprendre. Il s'était enfin réveillé, mais le réveil était dur. Il avait perdu son épouse. Il l'avait enfermée dans le silence, et ses amers regrets ne pourraient jamais changer cet état de fait. Mais il avait bien l'intention de libérer ses enfants de cet enfermement.

 

Ils finirent par arriver chez eux. Bien qu'ils n'eussent pas dormi de la nuit, ils n'allèrent pas se coucher immédiatement. Évidemment, ils ressentaient un grand vide. Le fait de savoir qu'elle ne serait plus jamais là… Mâron et Hazel espéraient que le ciel redeviendrait noir. Mais ils savaient que ça n'arriverait pas. Cette mort était trop réelle contrairement à la dernière fois. L'absence de leur mère était pesante, mais ils allaient devoir s'y faire. Ils ne la reverraient plus, malgré tous leurs espoirs que le ciel s'obscurcisse. Ce sentiment était nouveau pour Nato, et il se demandait comment il allait remplir ce vide. Ses enfants, eux, connaissaient bien cette émotion. Ils l'avaient vécue deux ans et demi auparavant. Mais cette fois-ci, ils ne revoyaient pas un bon souvenir à chaque coin de l'appartement, non. Ils se rappelaient seulement des sourires vides de leur mère, de son désespoir de plus en plus profond. Leur colère envers leur père montait, ils en ressentaient presque de la haine.

 

Nato alla dans la cuisine, il prépara un lait chaud et quelques biscuits. Il les rapporta dans la salle de séjour. Il savait que reprendre le contact avec ses enfants n'allait pas être chose facile. Il devait y aller doucement.

« Tenez… Vous n'avez rien mangé depuis hier midi. Mangez ça. Ensuite, allez vous coucher. Vous avez besoin de dormir un peu. Je vous préparerai quelque chose de plus consistant à votre réveil. »

 

Les enfants lui jetèrent un regard haineux, se levèrent et partir dans leurs chambres. La colère qu'ils ressentaient envers lui les aveuglait tant, qu'ils ne se rendirent pas compte qu'après deux ans et demi il était enfin redevenu leur père. Après qu'ils étaient sortis de la pièce, Nato fixa les deux tasses de lait et les biscuits. Des larmes commencèrent à couler le long de ses joues. Il sentait que cela allait souvent arriver, mais il s'en fichait, il s'était libéré. Même s'il avait fallu une tragédie pour cela, il s'était libéré. Et il espérait juste que cela ne soit pas trop tard pour eux, au moins.

 

Les jumeaux s'étaient réunis dans la chambre de Hazel. Cependant ils ne disaient pas un mot, la présence de l'autre les réconfortait, et c'était tout ce dont ils avaient besoin. Ils avaient tous les deux enfilés leur tenues pour se coucher, de simples t-shirts blancs et des bas de training jaune pour le garçon et bleu pour la fille. Le brun était couché sur son lit, tourné vers le mur. Mâron était assise au pied de ce même lit. Elle observait le mur d'en face, recouvert des posters des groupes préférés de son frère. Au bout, d'un moment, elle entendit un léger gémissement. Elle se leva et regarda son frère.

« Hazel… ? »

 

Il dormait, mais une larme coulait le long de sa joue. Il devait rêver. Sa sœur essuya la larme et lui caressa la joue. Elle sourit tristement. Elle couvrit son frère, puis se coucha dos à dos avec lui. Elle s'assoupit rapidement. Le père passa dans la chambre et vit qu'ils dormaient tous les deux. Il eut un sourire à la fois tendre et mélancolique. Il fouilla dans une armoire, en sortit une couverture et en recouvrit Mâron. Il alla lui aussi se coucher.

 

Quelques jours plus tard, eurent lieu les funérailles. Le ciel ne s'était pas assombri. Malgré le petit et vain espoir que les deux enfants avaient eu, il n'y eut pas de second miracle. La police avait cherché le meurtrier de leur mère, celui qui s'était enfui après l'avoir renversée, mais ne le retrouvèrent pas.

 

Nato avait essayé tout le temps d'avant la cérémonie de se rapprocher de ses enfants, mais ce fut inutile, ils se muraient dans une haine silencieuse. Le pire était que cela les empêchait d'exprimer leur chagrin. Il se sentait extrêmement coupable vis à vis de Dona, mais aussi des jumeaux. Il avait songé à déménager, mais il avait renoncé devant l'exemple du gâchis qui s'était produit malgré leur dernier départ. Partir ne servirait à rien, il fallait qu'il résolve cela là où ils étaient déjà.

 

Il n'y avait pas grand monde à ces funérailles. Leurs grand-parents étaient tous décédés, d'ailleurs à part la mère de leur père, Mâron et Hazel n'en avaient connu aucun. Dona avait bien eu un petit frère, mais celui-ci était mort bébé et Nato était fils unique. Quant aux rares amis que la famille avait à l'époque où ils vivaient en montagne, ils les avaient tous perdus en déménageant, n'ayant donné leurs coordonnées à aucun d'eux. Et vu l'isolement psychologique dans lequel toute la famille s'était plongée, ils ne s'étaient évidemment pas fait de nouveaux amis à Kita no Miyako. Ainsi, à part Nato, Mâron, Hazel et les agentes Manacle et Païpu, qui avaient eu la gentillesse de venir assister à la cérémonie avec eux, il n'y avait personne. Le cimetière était vide. Cependant, Hazel remarqua une femme brune qui restait debout au loin. Elle resta là un moment regardant dans leur direction puis le sol. Elle finit par partir.

 

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Un peu plus de six ans plus tard, le 12 octobre 761, dans une grotte des montagnes au sud de Kita no Miyako aménagée en laboratoire plein de machines et de cables dispersés partout, un homme aux cheveux grisonnants gémissait dans son long blouson blanc. Il frappa sur son bureau plein de paperasses et de plans mécaniques.

 

« Non ! Il… Il ne peut pas être mort ! C'est moi qui devais le tuer ! Pas cette espèce d'extraterrestre débarqué d'on ne sait où ! Noooooon ! Ma vengeance ! Tout ce pourquoi j'ai vécu ces onze dernières années ! Vain ! Tout cela n'a servi à rien ! Tout ce que j'ai construit ! »

Il renversa tout sur son bureau et continua à frapper dessus en pleurant et hurlant. Il finit par se calmer, essoufflé.

« Du… Du calme ! Réfléchis un peu. Ses amis vont le ressusciter. Oui, d'ici un an il reviendra et quand ils se seront débarrassés des deux autres Saiyans, tout reviendra à la normale, et j'aurais en plus pu récolter d'autres données de leurs combats. Oui, voilà, je dois persévérer ! »

 

Il se dirigea vers ce qui semblait être une table d'opération derrière lui. Un corps s'y trouvait, de nombreux câbles lui étaient reliés.

« Jusqu'à maintenant j'ai toujours utilisé des batteries rechargeables. Malheureusement, ce type de batterie a une durée très limitée avant de devoir être rechargée. J'ai à chaque fois amélioré les capacités de stockage énergétique, mais je n'ai pas réussi à enrayer ce défaut. Avec les nombreux pouvoirs que j'ai dû leur donner, le type de batterie que N°8 utilisait n'était pas aussi efficace avec les androïdes 9 à 15, car il se décharge beaucoup trop rapidement. Mais cette fois, j'ai réussi à créer une batterie aux capacités infinies ! Et tu vas en bénéficier mon petit N°16. Fu ! Fu ! Fu ! N°10, va me chercher la batterie. »

Une personne adossée au mur, immobile, bougea soudainement.

« Hé ! Hé ! N°16, tu seras mon chef-d'œuvre. »

 

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Le même jour, un peu plus au nord, à Kita no Miyako, dans une salle de jeux, deux adolescents jouent à un jeu d'arcade rétro.

« Bon sang, Mâron, si tu crois que tu va m'avoir comme ça ! »

La jeune fille ne répondit rien. Elle avait un air indifférent.

« Merde ! J'en reviens pas ! Comment tu peux gagner en t'en foutant ?!

- Partons. Je m'ennuie. Je ne vois vraiment pas pourquoi tu m'as traînée ici. Quel endroit nul !

- Ohlala ! Sœurette, tu pourrais au moins faire semblant de t'intéresser à ce que je te dis. »

 

Beaucoup de gens dans la salle de jeux surpeuplée, les suivaient du regard. Il faut dire que leurs traits fins et leurs yeux d'un bleu cristallin et perçants n'étaient qu'un exemple de leur beauté. Mâron portait un jeans bleu, moulant, déchiré aux deux genoux et un léger juste-au-corps rouge, sans manches, le col montant jusqu'au milieu du cou. Elle avait des mitaines de cuir noir et des baskets noires aux lacets rouges. Une large ceinture noire était posée sur ses hanches. Ces longs cheveux blonds lui tombaient sur les épaules. Hazel, lui, arborait aussi un simple jeans bleu, déchiré, serré avec une ceinture brune et un t-shirt moulant, vert militaire, aux manches arrachées. Il chaussait de larges bottes noires-vertes, délacées. Ses cheveux mi-longs étaient coiffés en arrière. Il avait de plus un foulard orange enroulé autour d'un de ses bras.

 

Tout à coup, le regard de Mâron fut attiré par quelque chose. Elle se mit à sourire. Hazel, intrigué, porta son attention dans la même direction. Comprenant ce que pensait sa sœur, il prit aussi un air satisfait. Dans le fond, à côté des vitrines de l'établissement, se trouvait un groupe de voyous, cinq garçons et trois filles. Ils parlaient vulgairement et très bruyamment. Les deux jumeaux se dirigèrent vers la bande. Lorsqu'un des garçons du groupe, du genre bien musclé, celui qui était le plus proche de Mâron, les aperçut, il dit à la jeune fille :

« Hé ! Ma petite blondinette ! Qu'est-ce que tu me veux ? Je te plais, c'est ça ? Tu sais que t'as de la chance ! T'es plutôt mon genre ! »

 

Ce n'était pas la première fois que Mâron se faisait aborder de manière aussi minable. Elle commençait à s'y habituer même si ça ne lui plaisait pas particulièrement. Cependant, elle savait qu'elle allait pouvoir se défouler. Elle se comporta comme elle le faisait toujours. Elle sourit malicieusement.

« Tu sais que toi aussi tu es mon genre…

- Oh ! Oh ! Oh !

- T'as une touche, on dirait ! Et elle est canon, la poupée ! Tu m'en laisseras un peu, après.

- Tu rêves, je garde tout pour moi ! »

Tous les loubards, y compris les filles, riaient grassement. C'était une constante chez les membres de gangs de la ville, qu'il soit garçons ou filles, hétéros ou homos, ils riaient grassement aux blagues vulgaires.

« Tout à fait le genre de mec que j'aime tabasser. »

 

Là, tous les gloussements cessèrent en un instant.

« Quoi ?! Non mais comment qu'elle me cause l'autre pétasse ! »

Les rires reprirent de plus belle. Elle ressentait un grand plaisir à l'idée qu'elle allait se défouler.

« Ha ! Ha ! Ha ! Comme il s'est fait casser !

- La honte !

- Vos gueules !

- Hé ! Hé ! Mais il est mignon le garçon qui l'accompagne ! J'en ferais bien mon quatre heures ! »

 

Si Mâron attirait les machos musclés et sans cervelles, Hazel, lui, attirait les filles vulgaires ou les cruches qui voulaient se faire passer pour rebelles. Tous les deux avaient déjà eu de nombreux petits-amis et petites-amis, mais ils étaient toujours tombés sur ce genre de personnes, et ils s'en lassaient très rapidement. Jusqu'au point où ils décidèrent d'arrêter complètement les petits-amis. D'ailleurs, ils ne comprenaient même pas pourquoi ils avaient commencé à en avoir. Probablement juste pour voir quel intérêt les autres y portaient. Eux n'y avaient rien vu d'intéressant.

 

La loubarde prit une pose aussi provocante que sa tenue et tenta de caresser le dessous du menton de Hazel du bout de son index. Celui-ci lui attrapa prestement la main.

« Ôte tes sales pattes !

- Doucement, mon mignon. On ne parle pas comme ça aux demoiselles.

- Si tu veux jouer la "demoiselle", ne soit pas aussi vulgaire ! »

Cette dernière remarque acheva de jeter de l'huile sur le feu. Mâron, qui commençait à s'ennuyer d'attendre de donner une leçon de bonnes manières au tas de muscles, n'en fut que plus satisfaite. Hazel aussi d'ailleurs.

 

Avant que le gérant, qui avait senti que les choses allaient barder, n'ait eu le temps de leur demander de quitter son établissement, une demi-douzaine d'autres voyous se rassemblèrent autour des jumeaux. Ces derniers se jetèrent un regard, sourirent, puis se lancèrent sur la personne qui les avait le plus indisposé. Mâron fonça donc droit sur le tas de muscle, celui-ci n'eut pas même le temps de réagir que déjà la "petite blondinette" lui avait donné un coup de poing sur le sternum, il se tordit de douleur, le souffle coupé et se tenant la poitrine. Celle qui avait abordé Hazel eut plus de réflexes et leva la jambe pour tenter une attaque. Hazel esquiva en tournant sur lui-même et dans le même mouvement lui enfila un coup de pied sur le dos. Elle s'étala au sol. Premier k.o.

 

Au moment où Mâron avançait pour en finir avec son adversaire, d'autres voyous foncèrent sur elle, le poing déjà levé. Celle-ci évita leurs attaques au dernier moment en s'accrochant à la tête du tas de muscle qui n'avait pas encore récupéré son souffle. Elle se teint dressée sur les mains, appuyée sur lui une fraction de secondes, juste le temps pour que ses deux agresseurs soient suffisamment proches l'un de l'autre. Et là, elle se laissa tomber en ajoutant sa propre force sur ses genoux qui vinrent se fracasser sur la tête des deux voyous. Puis continuant sur sa lancée elle repoussa la tête de celui sur qui elle venait de s'appuyer pour reprendre de la hauteur et redressant l'avant bras, lui mit un coup de coude sur la nuque. Elle ratterrit élégamment. Plus que quatre.

 

Hazel, pendant ce temps, taclait l'un de ses adversaires. Celui-ci s'écroula sur le dos. Il se retrouva donc épaule à épaule avec Hazel. Ce dernier lui envoya un coup de coude au visage. Un autre l'attaqua avec un banc pris dans la salle, il tenta de frapper les jambes du jumeau avec, mais il ne rencontra que le sol. Déjà, Hazel avait levé ses jambes, son adversaire n'eut que le temps de voir les pieds de celui-ci arrivés sur sa figure. Il fut alors éjecté contre une machine de jeu qui fut endommagée sous le choc. Dans un même élan, le jumeau se remit debout et s'élança sur un autre loubard, l'éjectant violemment sur une machine qui encore une fois explosa. Mâron, quant à elle, défenestrait la dernière avec un jeté.

 

« Partons ! Cet endroit est un trou à rats !

- C'est ce que tu dis à chaque fois, sœurette.

- Ça, c'est parce que tu choisis toujours des endroits minables et que comme une idiote je te suis. »

Ils ramassèrent leurs vestes, toutes deux en jeans avec des cols en laine, ainsi que quelques pièces des machines d'arcades détruites. Hazel fouilla le grand loubard et prit son étui à capsules hoipoi.

« Hé ! Hé ! J'espère que t'as de belles caisses. En tout cas, maintenant, elles sont à moi. »

 

Ils sortirent de la salle de jeu. Les passants s'étaient entassés à l'entrée devant la fille défenestrée par Mâron. Hazel sortit une capsule et l'activa. Un skycar maquillé blanc en sortit.

« Waouh ! Pas mal ! »

Il monta dedans, lançant quelques expressions d'admirations. Il s'aperçut soudainement que sa sœur le fixait.

« Allons ! Ne fais pas cette tête, Mâron ! Monte ! On va aller dans un magasin de fringues ! Et on va essayer cette caisse pour voir ce qu'elle a dans le ventre ! »

Elle soupira, il n'était définitivement qu'un gamin. Elle monta dans le skycar. Hazel décolla et fonça à toute vitesse vers Jucshin, le quartier chic de la ville. Hazel était devenu un passionné des véhicules en tout genre et d'armes à feu, tandis que Mâron… Et bien, Mâron faisait semblant de s'intéresser aux vêtements et à la mode. Mais en réalité, rien ne l'intéressait vraiment, et de façon générale elle avait l'impression de s'ennuyer ferme, c'est pourquoi elle s'était choisie une "passion". Même si elle ne la "passionnait" pas, c'était encore ce qui l'ennuyait le moins.

 

Ils sortirent du skycar. Ils étaient dans une large et très étendue avenue avec des boutiques de luxe tout le long. On voyait facilement que les gens qui s'y promenaient étaient des hautes couches de la société, tous richement vêtus qu'ils étaient. Mâron se dirigea alors vers la boutique de vêtements qui lui semblait le moins ennuyeux. Tout le monde les regardait, mais pas à cause de leur beauté, plutôt à cause de leurs airs de racaille qui jurait avec les lieux. Entrant dans le vaste magasin avec des verrières au plafond, Mâron se fit interpeller par une vendeuse élégamment habillée et coiffée.

« Euh… Puis-je vous aider, mademoiselle ?

- Non, merci. »

Sa voix était suffisamment sèche pour dissuader la femme d'insister. Mâron essaya un très grand nombre de vêtements, ne remettant jamais rien à sa place. Elle prit bien une heure pour essayer toutes sortes de vêtements laissant tout en désordre au grand désarroi des employées. Comme à son habitude, l'adolescente mit discrètement dans une capsule hoipoi les habits qui lui plaisaient, laissa tout le reste sur place et sortit. Ni vu, ni connu. Les vendeuses n'avaient plus qu'à tout ranger et à constater lors de l'inventaire la disparition de certains de leurs articles.

« Au… Au revoir, mademoiselle. »

 

Mâron rejoignit son frère qui commençait à s'ennuyer à l'attendre dans le skycar.

« Le "shopping" a été bon ? »

Mâron ne répondit rien. Hazel haussa les épaules, démarra et ils s'envolèrent. L'adolescent continua à s'amuser avec son nouveau jouet un moment. Il allait le plus rapidement possible et s'en amusait beaucoup. Ils se firent même courser par la police, mais Hazel était vraiment très doué et il les sema facilement. Ils arrivèrent finalement dans les montagnes qui entouraient la ville. Il décida alors de changer de véhicule. Il essaya plusieurs capsules hoipoi, et tomba finalement sur un modèle rétro rouge à quatre roues.

« Parfait ! C'est ce qu'il nous faut ! Avec ça, on va pouvoir faire des virages serrés et de beaux dérapages. »

 

Ils passèrent ainsi une bonne partie de l'après-midi. Même Mâron avait apprécié ces prises de risques. Finalement ils stoppèrent le véhicule près d'une falaise pour se détendre. On y avait une vue imprenable sur Kita no Miyako. On pouvait observer toute l'agitation de l'ensemble de la ville, les grands buildings, les tours, les bâtiments ronds, les batisses sphériques posées sur des des pilones de béton, les skycars qui volaient, des montagnes brunes à perte de vue comme arrière-fond et un ciel d'un bleu sans nuages. Il faisait chaud pour une journée d'octobre. Ils restèrent un moment silencieux.

 

En principe aujourd'hui était un jour de lycée, mais ce n'était pas la première fois que les deux adolescents séchaient. En fait, ils allaient au lycée juste assez souvent pour ne pas être renvoyés. Cela leur donnait une excuse pour ne rien faire. Le plus incroyable était que leurs notes étaient stables, pas exceptionnelles, mais suffisantes. Ce qui faisait dire aux professeurs qu'ils pourraient être d'excellents élèves et faire de grandes études s'ils arrêtaient de "zoner", comme les deux jumeaux aimaient à le dire.

 

Le directeur avait convoqué leur père à plusieurs reprises, mais c'était peine perdue, cela faisait belle lurette que Nato n'avait plus la moindre influence sur ses enfants. Certains professeurs, consciencieux dans leur travail, avaient tout essayé pour susciter l'intérêt des deux lycéens. Mais rien n'y faisait. Les autres, plus nombreux, ne les considéraient que comme de la racaille et ressentaient même du soulagement quand ils ne venaient pas en cours. Ils ne comprenaient pas l'attention que leur portaient les professeurs qui voulaient les aider. Mâron et Hazel avaient la particularité de les rendre très nerveux. Les enseignants se rendaient compte qu'ils ne les impressionnaient pas le moins du monde, et même si les deux élèves n'avaient jamais agressé personne, que ce soit physiquement ou oralement, dans l'enceinte du lycée, ces instituteurs n'avaient pas le moindre doute qu'ils le feraient sans hésiter à la plus minime indisposition. C'était par ailleurs l'opinion de la plupart des autres étudiants du lycée. Ils connaissaient tous leurs activités en dehors des cours. La majorité d'entre eux préféraient éviter les jumeaux, seuls ceux qui faisaient parti des bandes de voyous, ou les personnes qui fantasmaient sur les "rebelles" osaient s'approcher d'eux, mais le plus souvent le frère et la soeur les envoyaient paître.

 

En fait, la plupart des activités des jumeaux consistaient dans le vol, les courses avec des véhicules et la bagarre avec des loubards. Le combat et les courses étaient à peu près les seuls choses qui les faisaient éprouver des sensations. Le vol, c'était parce qu'ils voulaient avoir ce qu'ils désiraient, mais n'avaient pas envie de travailler pour ça. Ils avaient cessé l'entraînement depuis près de trois ans. Les relations avec leur père s'étaient dégradées à un point de non-retour. Mais c'était exactement ce qu'ils voulaient. Nato avait fait à peu près tout ce qu'il pouvait pour se rapprocher d'eux, et parfois même les jumeaux avaient été touchés par ses efforts. Mais ils ne pouvaient pas, ils refusaient de revoir en lui un père. Le problème n'était pas tant de lui pardonner, ça ils l'avaient fait depuis longtemps. Le problème était plus profond. S'ils avaient accepté de recevoir l'attention qu'il avait refusée à leur mère, ils auraient eu l'impression de la trahir. C'était elle qui en avait eu le plus besoin, sans jamais la recevoir. Mais il était impossible de revenir en arrière. Plus rien ne pourrait rattraper ça. En tout cas, ils ne voulaient pas retrouver une vie de famille normale après ce qu'il s'était passé, pour les deux jumeaux cela aurait été la plus grande des injustices. Surtout après ce qu'elle avait dit sur la mort, à son décès… Ils ne pouvaient pas imaginer reprendre une vie heureuse, en sachant "où" était leur mère.

 

« Tu te souviens de quand elle est morte ? »

Mâron regarda son jumeau, surprise qu'ils pensent tous deux à la même chose. Elle sourit légèrement. Il n'était pas son frère pour rien.

« Comment je pourrais l'oublier ?

- Tu… Tu te rappelles de ces choses qu'elle a dit sur la mort ? »

Le visage de Mâron s'assombrit.

« Oui…

- Tu crois que c'était vrai ? Tu crois qu'elle est en train de souffrir en ce moment ? »

 

Mâron regarda Hazel, un peu étonnée, c'était la première fois qu'il lui parlait aussi ouvertement. À vrai dire, après la mort de leur mère, même si le frère et la sœur étaient restés très proches l'un de l'autre, ils n'avaient jamais eu de grandes conversations, et leurs discussions étaient somme toute assez superficielles. Alors de là à parler de leur mère et de sa mort... Mâron n'eut pas le temps de répondre, il le fit par lui-même.

« Quelle question idiote ! Bien sûr que oui ! Elle était déjà morte une fois. Elle savait à quoi s'en tenir… Et puis, malgré que Nato ait tenté de se rapprocher de nous après son décès, il n'a jamais voulu aborder ce sujet. Il s'est pourtant montré ouvert pour tout, y compris sur ce qu'il a ressenti durant les années juste avant… Mais la mort… Ça… … Quel monde pourri. »

 

Mâron réfléchissait. Toute une vie pour en arriver là. À quoi tout cela servait-il ? Oui, "pourri" était le bon mot. Elle se sentait prisonnière. La vie ne lui semblait d'aucun intérêt, mais la mort était bien pire. Elle était obligée de subir. Elle n'en voulait plus à son père depuis longtemps, mais elle en voulait à sa mère. Elle avait baissé les bras, elle s'était laissé aller, plutôt que de se battre. Si elle avait relevé la tête, elle n'aurait pas traversé et ne se serait pas fait renverser. Et leur vie aurait peut-être été différente. Mais rien ne servait de regretter le passé, et puis elle ne parvenait pas à haïr sa mère. Elle savait très bien que cette rancune était injustifiée, même si elle ne parvenait pas à s'en séparer. Et la savoir "là" où elle était, horrifiait Mâron.

 

« Elle a dit quelque chose ?

- Pardon ?

- … Elle… Elle a dit quelque chose avant de mourir… ? »

Mâron resta bouche bée un moment.

« Oui… »

Hazel qui regardait droit devant lui jusque-là, porta son attention vers sa sœur.

« Qu… Quoi… ? »

Mâron tourna sa tête de l'autre côté. Son frère ne voyait plus son visage. Elle resta un court instant silencieuse.

« Je ne sais pas…

- Hein… ?

- Elle a dit quelque chose, mais je n'ai pas compris quoi. J'ai voulu lui faire répéter, mais elle a fermé les yeux et le cardiogramme s'est mis à… … Je n'ai pas entendu ses toutes dernières paroles… »

 

Sa voix était tremblotante. Hazel n'insista pas. Il s'était toujours demandé quels avaient été les derniers mots de sa mère. Il ne savait pas pourquoi, mais quelque part il espérait que ces dernières paroles auraient pu le réconforter. Lui enlever cette impression que tout était vain. S'il les connaissait, sa vie aurait pu prendre une toute autre tournure, avoir un sens. Sa mère était en quelque sorte ce qui l'avait emprisonné dans cette vie, mais en même temps ce qui lui apportait l'espoir. Mais il savait qu'il y avait peu de chances que ses dernières paroles lui apportent le réconfort qu'il attendait, c'est pourquoi il n'avait jamais osé demander à sa sœur. Jusqu'à ce jour-là. Mais finalement elle n'en savait pas plus. C'était sûrement mieux pour lui. Au moins, il pouvait conserver ce reste d'espoir. Ses pensées se concentrèrent sur sa jumelle, elle avait été là pour ses derniers instants, mais elle n'avait pu comprendre ses derniers mots…

 

« Tu ne crois pas qu'on est pas très logiques… ?

- Comment… ? »

Elle le regarda, intriguée.

« Et bien, oui, même si nous ne savons pas exactement ce qu'il y après, nous savons au moins que c'est certainement pas très joyeux… »

Il marqua d'un ton ironique le mot "joyeux". Mâron ricana presque, tourna la tête devant elle en fermant ses yeux d'un air pensif et croisa les bras, avant de répondre.

« Tu t'imagines vivre une vie tranquille, bien rangée et bien propre ? Toute emplie de prudence et de sécurité ? Bien étudier pour avoir d'excellentes notes et pouvoir faire des grandes études ? Puis trouver un bon travail, avoir des ambitions ? Te marier ? Avoir des enfants ? Tout en sachant que maman est dans cet "après"… Sachant que tu l'y rejoindras un jour ou l'autre ? … Ainsi que tes enfants ? Tu crois pouvoir leur faire aimer le monde ?

- Humpf ! Pas vraiment ! »

Il fit une grimace. Elle lâcha un petit ricanement amer.

« C'est aussi entre autre pour ça que nous ne nous sommes jamais réconciliés avec Nato…

- Ça et le fait qu'il ait laissé coulé maman… ? Je ne sais pas pour toi, mais je ne lui en veux plus vraiment…

- Nous savons très bien tous les deux que là n'est pas le problème… La question n'est pas de lui pardonner ou non… Nous n'allons quand même pas prendre quelque chose qu'il a refusé à notre mère… »

Hazel regarda sa sœur, étonné. Alors ils pensaient exactement la même chose ? Il se reconcentra sur l'horizon.

« … Depuis combien de temps ne l'avons-nous plus appelé "papa"… ? »

Mâron entrouvrit légèrement la bouche, mais ne répondit rien.

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