D'humains à cyborgs

Chapitre 7 : Nato

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 22:30

Quand il vit ses enfants avec le petit Soy à l'extérieur, en sortant de sa douche, Nato se précipita à l'extérieur en jogging gris, la première chose lui étant tombé sous les mains, ne prenant pas la peine d'attacher ses cheveux. Enfin. Ils s'étaient peut-être enfin décidés à revenir. Il se demandait bien ce qui avait amené ce changement. Mais peu importait finalement. Malheureusement, quand il arriva dehors, il ne vit plus Mâron et Hazel. Seul restait Soy qui était sur le point d'entrer dans le bâtiment. Nato regarda autour pour voir s'ils n'étaient pas dans le coin. L'enfant le regarda d'un air interrogateur.
« Monsieur Nuss ? Qu'est-ce que vous avez ?
- Soy... Mâron, Hazel, ils étaient là, à l'instant... Je n'ai pas rêvé. Où sont-ils passés... ? »
Le petit garçon baissa les yeux.
« J'ai voulu leur dire de venir vous voir... Mais ils n'ont pas voulu... »
Devant l'air désolé du rouquin, Nato posa une main sur son épaule.
« Ce n'est pas grave... J'aurai d'autres occasions. Mais, si ce n'était pas pour moi, que sont-ils venus faire ici... ? »
Soy reprit son sourire habituel.
« Ils sont venus me ramener ! Je leur ai dit que les sales types qui m'obligeaient à voler de l'argent à mes parents allaient peut-être recommencer à m'embêter. Alors, ils sont venus.
- Ta mère ne serait sûrement pas contente de savoir qu'ils t'aient ramené... »

L'enfant le regarda étrangement.
« Ta mère est très gentille, mais même si elle n'ose pas me le dire, je sais qu'elle ne fait pas confiance à mes enfants et qu'elle ne les aime pas beaucoup. Mais qui pourrait l'en blâmer... ? » En disant cela, Nato prit un air triste.
Le garçonnet resta silencieux un court instant, puis fit un large sourire.
« Pourtant, c'est elle qui m'a dit de leur demander de me ramener. »
Nato tourna brusquement son regard vers Soy, étonné. Il savait que malgré le soutien qu'elle lui apportait, et l'amitié qui était née entre eux, les jumeaux lui rappelaient trop sa fille disparue et le calvaire qu'elle leur avait fait vivre à son mari et elle, pour que Barley leur fasse confiance. Pourquoi leur confierait-elle son propre fils ? Évidemment, Nato savait que malgré les apparences, ses enfants n'étaient pas encore perdus, et leur comportement envers Soy le lui avait confirmé. Mais ce n'était pas le cas du couple Corn, en particulier Barley.

« J'y pense, Soy, tu n'as toujours pas dit à tes parents comment tu as retrouvé l'argent qu'on t'avait forcé à voler ? Et puis, au fait, comment as-tu croisé mes enfants ?
- J'ai été obligé de le dire à mes parents, car comme j'ai reconnu Hazel et Mâron quand ils sont entrés dans le magasin de mes parents, maman et papa les ont pris pour mes raquetteurs. J'ai donc été obligé de leur dire la vérité.
- Ah ! Je comprends mieux ! Tu vois ? Il ne faut pas mentir à ses parents.
- Oui... » répondit l'enfant en se grattant l'oreille.
« Bon ! Rentrons ! » Il joignit le geste à la parole et Soy le suivit.
« Dis-moi, pourquoi tes parents t'ont-ils fait ramener ?
- Ils doivent faire l'inventaire.
- Je vois, donc tu risques de rester pas mal de temps tout seul...
- Oui. Mais c'est pas grave, je vais regarder la télé.
- Tu as déjà mangé ?
- Oui, au magasin de mes parents, il y a un four à micro-ondes et mes parents peuvent faire chauffer des plats. J'ai mangé un ramen.
- Tu peux venir chez moi, si tu veux. Je te donnerais un bol de lait chaud et quelques biscuits.
- Oh ! Merci ! »

Nato sourit. C'était vraiment un enfant adorable. Il avait le côté bon vivant de sa mère et le caractère facile de son père. Ils entrèrent tous deux dans l'ascenseur. Soy se mit à parler de sa journée de manière très joyeuse et agitée. Mais Nato était en train de réfléchir. Qu'étaient donc venus faire Mâron et Hazel au Capsule Corn ? Ce n'était pas vraiment le genre de magasins où ils iraient chercher des capsules, vu l'ancienneté des modèles. Une pensée sombre lui traversa l'esprit. Ils étaient venus le braquer. Cependant, le fait qu'ils ne l'aient finalement pas fait réconforta Nato, et il se dit que décidément il y avait encore de l'espoir. Il avait déjà été renforcé dans cette opinion quand Soy lui avait raconté comment son fils et sa fille l'avaient aidé.

« Monsieur Nuss ? Nous sommes arrivés à votre étage... »
Nato sortit de ses réflexions : « Euh... Oui. Où avais-je la tête... ? »
C'était la première fois que Soy venait chez Nato. En fait, c'était plutôt lui qui avait l'habitude d'être invité chez les Corn. Soy fut surpris de la simplicité de l'appartement qui restait pourtant assez élégant. Malgré la sobriété des lieux, l'enfant se sentait à l'aise et l'endroit était plutôt propre, surtout considérant l'état moral de Nato. Ce dernier conduisit le rouquin au salon, où une petite table en verre était posée entre la télévision, le canapé et les fauteuils. L'homme le laissa allumer la télé, puis alla préparer le lait chaud et les biscuits. Le garçon grignota goulûment, tout en parlant de tout et de rien. Si bien que Nato se demandait pourquoi le téléviseur était allumé. Il sourit.
« Attends. Je vais aller mettre un mot sur votre porte, pour que tes parents ne s'inquiètent pas si quand ils rentrent, ils ne te trouvent pas chez vous. »
L'enfant acquiesça.

L'ex-champion se leva, se dirigea dans sa chambre, prit un morceau de papier et griffonna un mot, puis il sortit. Encore une fois, il laissa flâner sa réflexion. Cela faisait deux mois que ses enfants étaient partis, deux longs mois. Il les avait recherchés comme un fou durant près d'une semaine, la police ne s'intéressant guère à ce qu'elle considérait comme de la vermine. Ce fut durant cette période qu'il fit connaissance avec les Corn. Ce fut d'abord Soy qui vint lui parler. Deux jours après la disparition des jumeaux, alors que Nato revenait de ses recherches infructueuses, le garçonnet, l'ayant aperçu quand il était venu demander à ses parents s'ils avaient vu ses enfants, l'aborda pour lui raconter sa rencontre avec les jumeaux. Nato qui commençait à croire que Hazel et Mâron étaient moralement perdus, en fut si soulagé qu'il pleura devant l'enfant, ce qui mit ce dernier très mal à l'aise. Nato se souvenait très bien de la gêne et de la maladresse avec laquelle Soy s'exprimait, se triturant l'oreille, lorsqu'il lui avait demander de ne pas en parler à ses parents tout en essayant de ne pas le blesser. Mais l'homme avait bien compris que l'enfant craignait que ses parents ne croient qu'il avait de mauvaises fréquentations. Qui pouvait les en blâmer ? Il fit cependant semblant ne rien voir et accepta de ne rien dire, dans la mesure où de toute façon, il ne connaissait pas bien ses parents.

Nato arriva devant la porte des Corn et scotcha son mot, puis s'en retourna. Ce ne fut que la semaine suivante qu'il fit vraiment connaissance avec Barley et Colza. Il croisa la petite famille dans l'ascenseur, et ne reconnut que Soy. Pour ne pas mettre mal à l'aise l'enfant, il fit comme s'il ne le l'avait jamais vu. Mais bien qu'il ne se souvînt pas du couple, eux, se rappelaient bien de lui. Pour une raison qu'il ne comprenait pas, Barley l'invita à manger. Il tenta d'abord de décliner l'offre, n'ayant pas la tête à ce genre de mondanités, mais ils insistèrent tant, qu'il finit par accepter. Soy se tenait l'oreille, apparemment, c'était son tic quand il était gêné. Finalement, Nato ne regretta pas d'avoir accepté. Il put se changer les idées pour la première fois depuis des années. À ce moment, il se dit que c'était peut-être ça qui n'avait pas marché avec ses enfants, il voulait tellement reconstruire sa famille, qu'il en oublia de se tourner vers l'extérieur et il l'enferma finalement en elle-même, avec ses problèmes. Après avoir discuté un peu plus avec les parents, il se rendit compte qu'ils le connaissaient bien mieux qu'il ne les connaissait, et il en sentit une légère honte.

Quand il ouvrit la porte de son appartement, il constata que la porte de la chambre de Mâron était entrouverte. Il l'ouvrit, mais il n'y avait personne. Il claqua la porte. Il pénétra dans le salon. Soy regardait la télévision.
« Euh... C'est bon ? » dit l'enfant, se triturant l'oreille.
« Oui. ... Tu es entré dans la chambre de Mâron ?
- Euh...
- Ce n'est pas grave... »
Le garçonnet rougit un peu. Il pointa une photo.
« C'était votre femme ?
- Oui.
- Elle avait l'air gentille.
- Elle l'était. »

La photo avait été faite avant leurs premières morts, mais il ne se souvenait pas quand exactement. Dona y était radieuse. Soy regarda ensuite une photo des jumeaux, datant aussi d'avant leurs morts.
« Ils étaient comment quand ils étaient petits ? »
Nato resta silencieux durant un instant, puis répondit en souriant :
« Têtus, obstinés et avec un caractère bien trempé. Mais Mâron était plutôt du genre silencieuse et pour quelqu'un qui la ne connaissait pas elle devait sûrement être difficile à cerner. Alors que Hazel était plus extraverti, plutôt du genre à faire des plaisanteries, à se moquer, mais jamais méchamment. C'étaient de gentils enfants et très intelligents pour leur âge.
- Ils ont pas l'air d'avoir changé...
- ... Non, c'est vrai.
- Comment ils ont appris à se battre ? C'était quoi leur technique ? Du karaté ? Du kung fu ?
- Ha ! Ha ! Ha ! Non. C'est le kurumisenryu. C'est ma propre technique, et c'est moi qui la leur ai apprise.
- Oh ! C'est vrai ?! C'est super ! C'était incroyable ce qu'ils ont fait quand ils m'ont aidé ! »
L'enfant prit de grands yeux ronds et fut bouche-bée devant la révélation de Nato. Puis, il recommença à essayer d'imiter les gestes des jumeaux le jour où ils l'avaient sauvé. Nato se mit à rire.

« Dis-moi, tu as ta propre école ? Euh... Je veux dire vous avez votre propre école ?
- Ha ! Ha ! Ha ! C'est bon. Tu peux me tutoyer. Non, j'ai créé cette technique en suivant plusieurs enseignements classiques dans les arts martiaux, mais je ne l'ai transmise qu'à mes enfants. Je n'ai pas créé d'école. En revanche, j'ai été deux fois champion du monde des arts martiaux.
- Ah ? C'est possible, ça ? Il y a une compétition ?
- Euh... Oui... Ça m'étonne que ne tu connaisses pas...
- Ah ? C'est célèbre ?
- Euh... Assez, oui... Je me fais vieux, moi...
- Ah bon ! Moi, je ne connaissais pas. Tu crois que Mâron et Hazel vont participer au prochain championnat ?
- Je ne pense pas... Ils n'ont pas l'air de s'y intéresser. Et puis, le stade a été détruit, il y a un peu plus de cinq ans, lorsque Minami no Miyako fut rasée dans une mystérieuse catastrophe... Je ne sais même pas s'il va être reconstruit. Mais qui sait ? Peut-être un jour. Ils auraient leurs chances. Ils sont déjà plus forts que moi.
- Waaah ! Ils sont déjà plus forts qu'un champion ! Dis-moi, tu as déjà perdu ?
- Bien sûr que oui. Bien que cela ne me soit plus beaucoup arrivé après ma défaite au dix-huitième champ... »
Il s'interrompit. Se rappelant sa dernière défaite et des conséquences. Il prit un air sombre. Le constatant, Soy se demanda ce qu'il avait pu dire de mal. Il changea de sujet, se disant qu'il valait mieux ne pas demander ce qui n'allait pas.
« Tu veux bien m'apprendre à me battre ? »
Nato le regarda étonné.
« Euh... C'est-à-dire que... Cela fait un certain temps, que je ne m'exerce plus... Et puis, tu sais, ce n'est pas comme un cours de judo de quartier... Je n'ai entraîné que mes enfants jusqu'à présent, et je leur faisais faire des exercices quotidiens. Si je t'entraîne, ce sera vraiment à la dure. Et je suis exigeant. Tu vas devoir t'entraîner des heures tous les jours.
- Ah non, alors ! Je veux pas !
- Il se laisse vite décourager, » pensa l'homme, en riant pour lui-même.
« - Tant pis... » dit l'enfant, déçu.

Le reste de la soirée s'écoula en regardant la télé qui était mise sur la chaîne des dessins animés. Nato et Soy n'échangèrent plus que des commentaires sur ce qu'ils voyaient, où plutôt, Soy commentait ce qu'il voyait. Il était environ vingt-trois heures, quand la sonnerie de la porte retentit. C'étaient les Corn.
« Maman ! Papa ! Vous avez vite fini !
- Oui, l'inventaire a été plus vite fait qu'on ne l'imaginait. »
Barley regarda Nato un moment. Celui-ci répondit à ce regard.
« C'est gentil d'avoir essayé... »
Les parents de Soy sourirent tristement.
« Merci de vous être occupé de Soy. Comme ça, il n'est pas resté seul, » dit Colza.
« Je vous en prie. C'était un plaisir. »

Ils se dirent au revoir et Nato referma la porte. Il se retrouva à nouveau seul dans son appartement. Il ouvrit la porte de la chambre de Mâron. Il n'avait touché à rien depuis leur départ, pareil pour la chambre de Hazel. Mais de toute façon, il se rendait compte que sauf à changer la fonction de chambre à coucher des deux pièces, il aurait été difficile de changer quoi que ce soit. Ces chambres étaient totalement impersonnelles. Même un enfant comme Soy, avait dû s'en rendre compte. Le fait qu'il ne lui ait posé aucune question sur ces chambres, lui qui était si curieux, confortait Nato dans cette opinion. L'air gêné du petit rouquin quand il avait été pris sur le fait ne semblait d'ailleurs pas être uniquement dû au fait d'avoir fouiné chez lui. Ces chambres s'étaient vidées doucement après la mort de Dona, sans que leur père ne s'en rende compte. En regardant ces chambres vides d'âme, Nato ne put s'empêcher de se dire que ses enfants n'avaient pas été chez eux dans cet appartement. Ils étaient plutôt comme dans des chambres d'hôtels qu'ils utilisaient uniquement pour dormir. À part leurs vêtements, qu'ils mettaient dans leurs armoires, leurs affaires personnelles étaient contenues dans des capsules qu'ils gardaient toujours sur eux. À vrai dire, si leur père n'avait dû compter que sur l'état des chambres pour savoir s'ils étaient encore là ou non, il n'aurait jamais remarqué leur disparition avant au moins plusieurs semaines. Mais Mâron lui avait laissé un mot. « Nous ne reviendrons pas. Ne nous cherche pas. » Il s'était alors précipité dans leur chambre pour ouvrir leurs armoires et avait constaté que leurs vêtements avaient bel et bien disparu. C'était la seule chose qu'ils avaient emportée.

Évidemment, il n'avait pas respecté la demande de Mâron et s'était tout de suite mis à leur recherche. Il avait averti la police, qui ne s'y intéressa guère, des vauriens qui fuguent n'étaient pas leur priorité. Il avait fait des avis de recherche. Il avait interrogé tout le quartier. Il était allé dans les quartiers les plus mal famés. Sachant que les jumeaux aimaient se battre contre des voyous. Il interrogea plusieurs de ceux-ci, sachant qu'ils n'oublieraient pas une dérouillée face à des personnes qui avaient l'air aussi peu dangereuses que les jumeaux. Certains s'étaient mis sévèrement en colère à la vue des avis de recherche, mais ils comprirent vite qu'il valait mieux rester calme face à Nato. Finalement, un voyou lui révéla qu'ils étaient chefs du gang des Rifles et lui dit où se trouvait leur quartier général, puisqu'il était un Rifle lui-même. Bien entendu, Nato avait dû lui soutirer cette information par la force. Arrivé au hangar où ils se basaient, il avait prétendu vouloir défier les chefs. Quand ils étaient venus voir qui les défiait, ils avaient eu l'air surpris qu'il ait réussi à les retrouver. Il avait tout de suite essayé de les convaincre de rentrer et de reprendre le lycée. Mais ils avaient vite coupé court à la conversation et l'avaient laissé en plan. Ils lui avaient tourné le dos, et des membres de leur gang l'avaient empêché de les suivre. Il aurait pu les maîtriser, mais d'autres seraient venus, et il se rendait compte qu'agir par la force n'aurait fait que les braquer. Il décida donc de s'en retourner.

Constatant que les avoir retrouvés avait été complètement inutile, il s'était morfondu durant deux jours, jusqu'à ce que les Corn l'invitent. Ils lui avaient rappelé ce qu'était l'ambiance familiale. Il se mit alors à fréquenter régulièrement cette famille. Dans le même temps, il allait régulièrement rendre visite à ses enfants, jamais dans l'intention de les ramener, il savait que leur demander une telle chose était inutile. Il allait simplement les voir, pour parler de tout et de rien. Il espérait ainsi qu'ils finiraient par vouloir rentrer d'eux-mêmes. Ils avaient accepté ses visites les deux premières fois, sans toutefois accepter la communication qu'il cherchait à instaurer. Mais par la suite, ils avaient chargé leurs sbires de l'empêcher de passer. Il continua malgré tout de venir, espérant que sa persistance servirait. Mais ce fut inutile.

Évidemment, tout cela ne faisait que miner son moral. Et il se demandait s'il ne valait pas mieux abandonner. Cependant, il se ressourçait grâce aux rencontres régulières avec les Corn. Bien qu'il sentît que le couple estimait que ses enfants étaient perdus, particulièrement Barley, ils n'en dirent jamais rien. Nato préférait cela. Il pouvait passer outre leurs sentiments à ce sujet, mais il n'aurait jamais supporté qu'ils lui disent d'abandonner. Un jour, Barley lui dit qu'elle admirait son courage et sa confiance envers ses enfants, qu'elle enviait ces qualités. Quelques larmes avaient coulé alors de ses yeux. Il s'était alors demandé ce qu'elle avait voulu dire. Colza lui expliqua, à part, que leur propre fille avait suivi la même voie que Hazel et Mâron. Il n'était pas entré dans les détails, mais Nato comprit que les deux parents avaient décidé de la laisser partir. L'ex-champion n'avait pas demandé plus de précisions.

Ils le voyaient donc comme un bon père ? Oui. Il avait été un bon père. Mais il y avait longtemps. Il se souvenait du temps passé dans leur ancienne villa. Un temps où il montrait toute son affection à ses enfants. Et où ils le lui rendaient. Il se souvenait des moments de calme, de douceur, des fous rires, des crises de nerfs, des contrariétés, des petits détails quotidiens. Dona et lui étaient de bons parents. Ils éduquaient leurs enfants, chacun dans son domaine. Rien ne servait d'y repenser. C'était le passé. Un passé qu'il ne retrouverait pas. Il était devenu un mauvais père et un mauvais mari. Un homme impardonnable, que ses enfants ne pardonnaient pas. Mais il voulait tout faire pour mériter ce pardon. Il n'abandonnerait pas tant qu'il ne l'aurait pas obtenu. Tant qu'il n'aurait pas redonné l'espoir à ses enfants. Même si lui n'avait plus d'espoir. Il savait ce qui l'attendait au bout, ce que subissait à ce moment même Dona. Mais il devait rendre ses enfants heureux, pour elle. Pour eux, surtout. La vie était le seul moment où l'on pouvait être heureux, il ne fallait pas qu'ils ratent ça.

Après avoir poursuivi ses réflexions encore un moment, il se prépara à aller se coucher, bien décidé à réessayer de voir ses enfants le lendemain. Non, il n'abandonnerait pas, peu importait le nombre de fois où il se sentirait abattu.

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Quelques jours passèrent. Il n'avait toujours pas réussi à convaincre ses enfants de reprendre le contact. Cependant, il continuait de rencontrer les Corn. Les Corn qui en plus de lui apporter du réconfort s'étaient mis à l'encourager dans ses tentatives avec Mâron et Hazel. Leur rencontre avec les jumeaux, mais surtout ce qui s'était passé avec leur fils, les avaient apparemment convaincus qu'ils n'étaient pas des cas désespérés.

Ils s'étaient aussi mis à parler plus souvent de leur fille. Ils ne lui avaient toujours pas raconté les circonstances exactes de sa disparition, mais ils évoquaient très souvent Rye, puisqu'il s'agissait du nom de leur fille. Cependant, s'ils ne lui avaient pas raconté les circonstances du départ de Rye, lui non plus ne leur avait pas raconté les racines de son problème avec les jumeaux. Mais que leur aurait-il raconté ? Qu'il s'était enfermé deux ans derrière un mur après avoir été tué avec sa femme par un démon ? Et que cela avait indirectement causé la mort de celle-ci ? Ils savaient donc juste que la mort de Dona avait été un événement traumatique pour les enfants, comme toute mort d'un proche. Mais ils ne savaient pas en quoi cette perte se différenciait des deuils habituels.

Les jumeaux étaient déjà venus voir les Corn trois fois à leur magasin et Soy traînait parfois avec eux quand ils avaient des activités sans rapport avec leur gang. Ils avaient apparemment accepté sa présence. Les Corn avaient demandé à Nato s'il voulait qu'ils tentent quelque chose. Mais celui-ci avait refusé, craignant que cela ne fasse fuir les jumeaux, ils se seraient ainsi privés de la présence saine de cette famille. De plus c'était pour Nato comme des contacts indirects avec ses enfants. Il avait donc même supplié le couple de ne surtout pas leur parler de lui.

Il était sur le point de rentrer du travail, pour ensuite partir tenter encore de voir les jumeaux, mais il vit devant la porte de son appartement une femme brune qui semblait hésiter. Il s'approcha.
« Euh... Bonjour, madame, puis-je vous aider ? »
Elle sursauta tellement fort, que Nato en eut aussi un léger sursaut.
« Euh... Pardon. Je... Euh... Je... Je viens voir M. Nuss...
- C'est moi-même. »
À ce moment-là, la femme prit une expression bizarre. Nato aurait bien été incapable de la décrire, mais il avait acquis l'étrange certitude qu'elle voulait tout sauf lui parler.
« Et vous êtes ? Je ne crois pas vous connaître...
- Mon nom est Guilt Modent. Non. Effectivement, nous ne nous connaissons pas...
- Bon, que puis-je faire pour vous ? »
Elle resta silencieuse.
« Madame ?
- C'est-à-dire que... »
Elle cessa à nouveau de parler. Elle avait des yeux noirs fatigués et portait un long manteau beige, cachant le reste de ses vêtements. Ses cheveux étaient organisés en coupe au carré. Nato s'impatientait.
« Écoutez, madame, j'ai autre chose à faire. Si vous pouviez en venir au fait.
- Oh ! Si vous voulez, je peux revenir plus tard.
- Et bien, faites donc ça. »

Elle allait s'éloigner et il mettait déjà sa clé dans sa serrure.
« Non. Non. Je crois qu'il vaut mieux que je vous parle, maintenant. S'il vous plaît. ... »
Pourquoi avait-il l'impression qu'elle allait ajouter « tant que j'en ai le courage » ? Mais elle n'en fit rien. Que lui voulait-elle donc ? En tout cas, elle ne disait toujours rien. Il venait de remarquer qu'elle ne le regardait jamais en face.
« Alors... ?
- Euh... Est-ce que nous pourrions entrer ? »
Pour toute réponse, il ouvrit la porte et l'invita à pénétrer dans la maison. Il la fit s'asseoir dans la salle de séjour et lui apporta un café. Elle fixait sa tasse et ne disait toujours rien. Nato commençait à s'impatienter.
« Vous avez de beaux enfants. »
Elle indiquait une photo en lui disant ça. C'était une photo datant de l'époque où ils vivaient à la montagne.
« Oui, merci. Bon. Vous allez me dire ce que vous me voulez ?
- Ce... Ce que je vais vous dire n'est pas facile à dire... Pour moi... Je... Vous savez, à l'époque mes enfants étaient encore jeunes, et je ne voulais pas qu'ils perdent leur mère. ... Mais... C'est en les voyant dernièrement sortant d'un magasin de capsules, que je... ... Je suis aussi allée à la cérémonie. J'ai regardé de loin. »
Ce qu'elle disait n'avait aucun sens. Pourquoi tournait-elle autour du pot, ainsi ? Elle le regarda soudainement dans les yeux.
« Il y a huit ans, c'est moi... Enfin... Moi, qui était au volant quand votre femme... »

Elle détourna les yeux. Nato se figea. Il sentit d'abord un vide l'envahir, puis des souvenirs du passé lui revinrent soudainement. Sa vie à la montagne, avec sa famille. Cette époque paisible. L'arrivée du démon. Sa mort et celle de Dona. Sa résurrection. Son emménagement à Kita no Miyako. Son éloignement de sa famille. Hazel qu'il avait blessé. Dona endormie après avoir ingurgité trop d'alcool. Elle, sur son lit de mort. La haine que ses enfants lui portèrent des lors. Leur disparition. Quand il revint à la réalité, sa tasse de café était renversée et la femme sanglotait en le suppliant de la pardonner.
« Partez. »
Elle leva les yeux.
« Je...
- Partez ! »
Elle fit un mouvement de recul, et après quelques secondes, se leva.

Soudain, Nato se demanda comment il pouvait demander à ses enfants de lui pardonner, si lui ne pouvait faire la même chose. Il ne savait pas d'où cette pensée lui était venue si soudainement, alors qu'il voulait juste la voir partir. Cette réflexion lui fit l'appeler:
« Attendez ! »
Elle se retourna. La voyant les larmes aux yeux, il réalisa qu'il était tout bonnement incapable de lui pardonner, comme il ne pouvait se le pardonner à lui-même. Il resta un long moment silencieux, Guilt Modent, devant lui, immobile aussi, toujours pleurant sans le regarder. Il ouvrit finalement la bouche.
« Je... Je ne peux pas vous apporter mon pardon... C'est... C'est trop me demander. J'en suis incapable. Même si je sais que vous n'avez pas voulu tuer Dona. Mais, je vous en prie, ne gâchez pas votre vie. Ne vous rongez pas de culpabilité. Même s'ils ont grandi, vos enfants ont besoin d'une mère qui puisse leur apporter du soutien, vous ne le pourrez pas si vous vous plongez dans les remords. »
Elle sourit faiblement.
« C'est trop tard pour mes enfants. »

Elle se dirigea vers la porte, l'ouvrit puis la referma derrière elle. Nato s'assit alors lourdement sur son canapé et pleura à chaudes larmes. Il avait l'impression que tout s'était passé très vite, à tel point qu'il se demanda si c'était réellement arrivé. Au bout d'un long moment, il se leva, se prépara et sortit pour tenter de voir Mâron et Hazel. Peut-être se pardonnerait-il à travers leur pardon à eux.

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