Le Sacre

Chapitre 12 : LA SOLDATE POURPRE II

5383 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/03/2016 18:32

LA SOLDATE POURPRE II

    L'ombre du général se retira et la carte s'éclaircit. Maintenant que son bureau s'était progressivement vidé, Copper n'avait plus besoin de se tenir debout. Veronica tira une chaise à elle une fois qu'elle eut fini d'arranger une série de papiers dans un porte-documents. Elle consulta sa montre ; presque onze heures, la réunion avait durée plus longtemps qu'elle ne l'aurait cru. Cela arrivait de plus en plus souvent, ce qui était un bon signe, selon le général. Plus ils avançaient, moins les informations avaient besoin d'être compartimentés. Toutefois, certaines précautions étaient toujours nécessaires.

    « Nous avons obtenu toutes les informations que nous pouvions auprès de ce fameux Celo, commença Hermann Copper. Je tenais à vous remercier de l’attention que vous lui avez apportée, cela n’aurait peut-être pas été aussi rapide sans votre intervention. »

    Veronica s’autorisa un petit sourire à la mémoire de ses séances d’interrogatoire avec le démon. Elle doutait sincèrement que ce soient ses interventions qui aient été décisives — n’importe qui aurait obtenu le même résultat — mais elle pouvait bien récupérer un peu de crédit.

    « C’est tout naturel, mon général. Je suppose que ce sont des informations sensibles puisque nous n’en avons pas parlé au cours de la réunion. »

    Le général Copper sourit, ce qui était devenu rare avec les années. Il attrapa la carte par ses coins et la replia avec le soin qui le caractérisait. Elle disparue dans un tiroir assez rapidement et il s’empressa d’en sortir une autre pour la déplier devant Veronica. Celle-ci était plus précise que la précédente, elle représentait la région Sud et ses multiples îles éparpillées. Deux points avaient été marqués au stylo, avec une telle précision que ça semblait imprimé directement sur le papier.

    « Notre amie commune a commencé à pratiquer le cloisonnement de l’information, manifestement. Même ses démons commencent à ne plus comprendre ce qu’elle fait exactement. C’est très intéressant. Nous avons toutefois été capables de croiser toutes les informations pour isoler deux bâtiments. Les missiles sont entreposés dans l’un ou l’autre, ou dispersés entre les deux. »

    La colonel n’eut pas besoin de se pencher sur la carte pour comprendre la situation. Les deux îles étaient suffisamment éloignées l’une de l’autre. L’une d’elle ne lui évoquait rien, mais la plus au Sud était parfaitement connue d’elle, et de tout le monde dans la région Sud.

    « Vous pensez Harpie suffisamment folle pour entreposer des missiles de cette envergure chez elle ? Je sais qu’elle ne craint rien mais elle a montré un attachement… particulier à ce bâtiment. »

    Les démons avaient cette mauvaise habitude d’être particulièrement résistants aux explosions. Même les plus mineurs pouvaient encaisser des missiles à courte portée sans craindre plus qu’une vague blessure. Il y a quelques années, il avait fallu faire sauter tout un building pour ne faire que blesser le précédent administrateur de la région. Harpie était d’un tout autre calibre. Même si Veronica brûlait d’envie de tout faire sauter pour voir comment la créature s’en tirerait, elle savait que ce n’était pas raisonnable. Le Ruban Rouge récupérait tout ce qu’il leur était possible de réquisitionner depuis des années avec un objectif bien plus précis en tête.

    « J’ignore ce dont Harpie est capable exactement, ses méthodes changent constamment. Je ne sais pas si elle cherche à s’adapter à nous ou si elle a simplement envie de se démarquer de son prédécesseur, mais je ne me risquerais pas à l’analyser. Si j’étais elle, je diviserais mon stock en plus de deux morceaux, mais je suppose qu’elle préfère avoir des hommes de confiance autour d’eux. »

    Si elle avait été Harpie, Veronica aurait commencé par détruire toute trace de missiles dans la région. Le Sud était la seule des cinq grandes zones dans laquelle l’arsenal humain était encore disponible. Tous les autres avaient détruit ou démantelé les leurs dès qu’il était apparu que certaines armes étaient capables d’atteindre leurs troupes les plus faibles. Seule la négligence de Piccolo — qui jugeait ces objets inutiles contre lui — avait permis aux différentes résistances humaines de s’organiser autour d’un matériel décent. Pendant de nombreuses années, le Ruban Rouge avait été obligé de fabriquer ses propres explosifs, mais depuis l’avènement de Harpie, des objets humains avaient commencé à resurgir un peu partout sur les îles du Sud. Étonnamment, la nouvelle gouverneur préférait les conserver plutôt que de simplement les détruire. Au début, le général avait pensé à des pièges mais il s’était avéré que les armes récupérées étaient parfaitement fonctionnelles.

    « Deux stocks donc. Nous pourrions récupérer facilement celui-ci. » fit remarquer Veronica en désignant celui qui se tenait sur une petite île isolée.

    Elle se doutait déjà que le général ne l’avait pas retenue ici pour lui parler de cet endroit.

    « En effet, mais nous ne pouvons nous permettre de négliger l’autre possibilité. J’ai donc besoin que vous montiez une équipe pour infiltrer la résidence de Harpie. Peu importe la méthode que vous choisissez, je vous fournirai toutes les informations nécessaires, à la fois sur la configuration du bâtiment et sur les allers et venus du démon.    - Aurai-je des restrictions sur le nombre d’homme que je peux emmener ? J’aimerais aussi utiliser un accès complet au laboratoire de Brief. Je pense qu’un bon nombre de ces dernières inventions pourraient nous être utiles. »

    Sa dernière remarque fit visiblement sourire le général. Il tapota sur la carte du bout de l’index. Ses yeux cuivrés la détaillèrent lentement.

    « N’avez-vous pas déjà plus accès que moi à ce laboratoire ? Bien sûr, vous pouvez utiliser tout ce que vous voulez, y compris ce qui est expérimental. Vous en assumerez les conséquences une fois sur le terrain, je ne me fais pas de souci à ce sujet. »

    Veronica se retint de rebondir sur sa dernière phrase. Ils savaient tous les deux le terrain glissant. Il n’avait pas confiance en Bulma et elle pouvait le comprendre, même si elle n’appréciait pas de la voir remise en question de cette façon.

    « Bien, mon général. Et au sujet des hommes ? Y a-t-il un délai ? »

    Hermann Copper reprit l’air sérieux qui le caractérisait si bien.

    « Pas plus de vingt. Je vous transmettrai des dossiers de nos meilleurs soldats. Je peux vous mettre une limite d’un mois si ça vous fait plaisir, mais vous savez comme moi que nous sommes pressés. »

    C’était un demi-mensonge et elle le savait. Cela faisait presque quinze ans qu’ils avançaient dans l’ombre, parfois avec l’impression de ne rien accomplir pendant des mois, parfois en se demandant s’ils n’allaient pas trop vite. Récemment, les choses s’étaient accélérées et il était important de maintenir ce rythme mais il n’existait pas d’homme plus patient que le général Copper. Si elle devait prendre deux ans pour lui ramener ces missiles, elle le ferait et il l’accueillerait avec un sourire.

    « Vingt hommes, c’est une équipe conséquente. Je pense que j’en emmènerai moins que ça, pour une mission pareille.    - Ce serait sage, oui. Cela évitera aussi que nous perdions tous nos meilleurs éléments si le pire devait se produire. »

    Le général avait toujours eu à coeur de minimiser les pertes acceptables pour toutes les missions et elle avait finit par prendre cette même habitude. C’était un changement important pour la colonel qui avait servi sous les ordres de Red, mais pragmatique. Chaque année, la surface et la population de la Terre se réduisaient un peu plus. S’ils recrutaient chaque année de nouvelles têtes, ils ne pouvaient pas se permettre que les pertes excèdent de trop ces arrivées. C’était une équation terrible dans sa simplicité, mais qu’ils surveillaient de près chaque jour qui passait.

    « Ces hommes sauront pourquoi ils se battent, mon général.    - C’est ce pourquoi ils ont signé, colonel. La raison pour laquelle nous sommes tous sacrifiables ici. »

    La transition lui fit froncer les sourcils. Elle l’observa se pencher sur la carte à nouveau alors qu’il détaillait lentement les contours du bâtiment.

    « Ils ne sont plus nombreux à habiter dans cette zone, mais il y a toujours des civils.    - Certains sont venus de leur plein gré, général, s’empressa de préciser Veronica. Invités par Harpie elle-même. »

    Elle n’aimait pas la direction que cette conversation était en train de prendre. Comme le général Red, Copper avait ses lubies et elle pouvait les comprendre, mais ça ne les rendait pas plus facile à suivre.

    « Nous savons tous les deux ce que "plein gré" signifie quand on reçoit cette invitation. Je ne vous demande pas de pratiquer d’extraction, colonel. Je veux simplement m’assurer que vous vous souvenez des règles, même pour une mission comme celle-ci.    - Il n’y a aucune perte acceptable pour les civils, monsieur. Je sais bien cela. »

    Violet s’autorisa à se détendre un petit peu, ce n’était pas ce qu’elle avait craint. Quoiqu’en dise le général Copper, ces gens avaient choisi leur camp au début de cette guerre et c’était celui de l’inaction. Elle ferait son possible pour que rien ne leur arrive mais ce n’était pas sa priorité. Hermann Copper lui avait bien expliqué sa stratégie, des années plus tôt, quand ils établissaient cette base. S’ils voulaient que les idéaux de l’armée du Ruban Rouge survivent à tous ceci, il fallait non seulement se débarrasser des ennemis de l’humanité mais que cette même humanité leur soit reconnaissante sans leur trouver aucun tort. Veronica avait accepté de suivre ces règles seulement après s’être assurée qu’elles ne concernaient pas les criminels qui avaient volontairement rejoint le camp de Piccolo. La Résistance pouvait choisir de se montrer clémente avec eux, il était hors de question de pardonner une trahison pareille.

    Les deux officiers étudièrent pendant presque une heure la carte et le peu qu’ils savaient des nouvelles installations de la démone. Ils posèrent les bases d’un plan que le colonel Violet aurait la responsabilité de peaufiner dans les jours à venir, pendant qu’elle monterait son équipe de choc. Lorsqu’elle referma la porte du bureau derrière elle, il allait être l’heure du déjeuner. Elle savait donc exactement quoi faire.

    Malgré le personnel réduit de la base, il y avait déjà une queue formée dans le couloir menant au réfectoire. Les hommes se redressèrent tout de même à son approche et firent leur salut pendant qu’elle les contournait. La porte des cuisines s’ouvrit alors qu’elle attendait depuis déjà deux minutes.

    « Vous êtes en retard, lieutenant. » Commença-t-elle.

    Le bond que fit Cyan faillit renverser le plateau qu’il tenait précautionneusement sur une seule main. Il le rattrapa habilement tout de même, s’appuyant de l’autre main contre l’encadrement de la porte. Son regard paniqué se stabilisa quand il la reconnut et il fit claquer les talons pour la saluer.

    « Colonel. Je suis désolé. Les cuistots ont pris un peu plus de temps à faire jouer les épices, ils me disent.    - Repos, lieutenant. Ce n’est rien. Je vais prendre ce plateau si vous le voulez bien. Et un autre pour moi. Prenez-vous une vraie pause déjeuner. »

    Les yeux de Cyan s’éclairèrent aussitôt et il lui tendit le plateau avant de se précipiter à l’intérieur pour en demander un nouveau. Veronica en profita pour l’inspecter : un ramassis de légumes sur lesquels on avait posé une tranche de viande rouge comme si elle était tombée par hasard. Elle était en train de se demander où pouvait bien se trouver les épices quand la porte se rouvrit sur le même lieutenant qui tenait un plateau identique.

    « Madame. Bon appétit à vous. Souhaitez-le au docteur Brief aussi. »

    La colonel lui adressa un dernier sourire pour lui signifier que c’était apprécié. Son regard s’arrêta tout de même sur un détail.

    « Vous avez un bouton de manchette qui a foutu le camp, ici. »

    Elle crut qu’il allait de nouveau sursauter mais il se contenta de regarder son bras droit sans donner l’impression de comprendre.

    « Oh oui, euh… Je ne sais pas quand c’est arrivé, je vais en mettre un autre dès que possible.    - Faites vite, lieutenant. Un uniforme impeccable est la marque d’un bon officier et je sais que vous en êtes un. »

    Il n’eut pas l’air de comprendre le rapport mais elle ne tenait pas à prendre le temps de lui expliquer. Sur un dernier salut formel, elle le planta là pour prendre la direction du laboratoire.

    Pour la cinquième fois en une semaine, elle se maudit pour ne pas avoir encore installé de musique dans cet ascenseur. La descente était interminable et le son bien peu agréable. Il était sûrement possible de mobiliser un technicien pour une matinée et installer ça, ce ne devait pas être bien compliqué. Lorsque les portes s’ouvrirent enfin, elle fut assaillie par le silence qui régnait dans le hangar-laboratoire.

    « Bul… ! »

    Avant qu’elle n’ait finit de prononcer son nom, une détonation monstrueuse la fit s’accroupir, la main posée sur la crosse de son arme de poing, les deux plateaux au sol. C’était un tir d’un sacré calibre, probablement un sniper. Le temps qu’il recharge, elle pouvait facilement atteindre la couverture du tank.

    « Bulma ? »

    Son cri resta sans réponse, jusqu’à ce qu’elle contourne le blindé pour retrouver un champ de tir aménagé. Des câbles avaient été grossièrement disposés pour en figurer les limites. Les cibles étaient apparemment des amas de fils dans lesquels on avait fourré des couvertures et des draps propres. Bulma se trouvait à l’autre extrémité, un protège-oreille grossier coupant sa chevelure en deux. Elle était en train de recharger un fusil de précision qui faisait deux fois la longueur de son bras. Veronica reprit les plateaux, les posa sur la chenille du tank et la rejoint avant qu’elle n’ait terminé. Elle lui retira le protège-oreille. La scientifique ne sursauta pas mais se tourna vivement vers elle.

    « Oh ! Colonel. On est déjà le soir ?    - Non, il est midi. J’ai apporté à manger. Pause repas. »

    Bulma Brief suivit le regard de Violet jusqu’aux plateaux et fronça les sourcils. Elle n’avait pas reposé son arme. Elle cligna plusieurs fois des yeux avant de finalement demander :

    « Il est arrivé quelque chose au lieutenant Cyan ?    - Non. Je l’ai croisé aux cuisines et comme je comptais passer, je lui ai pris ton plateau. »

    Elle eut l’air infiniment soulagée et se décida à reposer son fusil sur une table garnie d’armes plus ou moins bien assemblées. Veronica s’assura qu’elle soit bien déchargée et rabattit la sécurité, avant de revenir vers la scientifique qui avait déjà choisi son plateau. Elle allait lui demander où elles pourraient manger quand elle la vit bondir sur la chenille du tank et installer le repas sur ses genoux. Violet fit la même chose et s’assit à côté d’elle. Du coin de l’œil, elle pouvait voir Bulma qui comptait quelque chose, massacrant un légume du bout de sa fourchette à chaque mesure.

    « Le général m’avait demandé d’adapter mes munitions à plus d’armes. J’ai du mal avec des armes. Comme le fusil, là. Pour l’instant, je pense qu’il faut… continuer avec celles qu’on a déjà. »

    Veronica était au courant de cette requête. Les munitions Brief étaient efficaces même sur les démons et il était donc important que tous les corps d’armée puissent s’en servir. Bulma lui avait expliqué leur technologie il y a moins d’un an — ou peut-être encore avant ? Il s’agissait de balles auxquelles avait été ajoutées des lames miniaturisées ; la grande spécialité de l’entreprise des Brief. Avec le tournoiement du projectile, ces mini-scies n’avaient aucun mal à traverser les écailles des plus puissants démons. Veronica soupçonnait que ce soit aussi le cas pour Piccolo mais encore fallait-il qu’elles fassent du dégâts une fois à l’intérieur.

    « C’est pas grave. Tu nous as déjà beaucoup aidés, prends le temps qu’il faudra pour que ça fonctionne. »

    Elle attendit d’être sûre que Bulma soit bien rassurée avant d’ajouter :

    « D’ailleurs, j’aurais besoin d’un petit stock de ces munitions pour une mission qui aura lieu bientôt. Je te donnerai les modèles qu’il me faut. »

    La plus jeune des deux femmes se redressa légèrement et abandonna la découpe de sa viande pour se tourner vers Veronica.

    « Ce sera quoi comme mission ? »

    Selon le protocole, Bulma n’avait pas besoin de savoir ça, mais le colonel Violet avait déjà profité de nombreuses fois des conseils de la scientifique. Elle n’allait pas les refuser cette fois-ci.

    « Infiltration et extraction, dans le quartier-général de Harpie. On ne sera pas beaucoup et si tout se passe bien, on ne devrait pas tirer, mais on ne sait jamais.    - On ? Tu vas y aller aussi alors ? »

    La question la prit par surprise. Cela faisait en effet longtemps qu’elle n’avait pas participé à ce genre d’opération mais elle savait que pour une mission de pareille importance, elle ne pouvait pas simplement donner des ordres depuis la base. Elle devait être sur place, avec ses soldats, pour les guider et leur indiquer la marche à suivre en temps réel.

    « Eh bien, il faudra bien que je les accomp… »

    Avant qu’elle n'eut terminé sa phrase, Bulma avait sauté de son perchoir, son plateau repas se répandant au sol avec fracas. La scientifique se tenait droite comme un I, ses yeux bleus fixaient intensément les siens.

    « Bulma, calme-toi. Ce n’est qu’une mission, j’en ai déjà fait plein d’autres, tu sais.    - Non ! Ce n’est pas "comme les autres" et tu le sais ! C’est chez elle ! C’est dangereux et c’est pour ça que tu veux mes munitions ! »

    Prudemment, Veronica reposa son plateau sur les chenilles. Elle n’avait rien à répondre à cela, c’était vrai. Bulma le prit comme une autorisation à continuer. Elle trépignait devant Violet et semblait hésiter entre la foudroyer du regard ou la supplier.

    « C’est chez Harpie et c’est dangereux. Et si c’est dangereux, je ne veux pas que tu partes. Quand c’est dangereux, ils partent et ils disent que c’est pas grave. Et ils reviennent pas ! »

    À gestes lents, la colonel quitta elle aussi son perchoir et tenta de s’avancer vers Bulma. Celle-ci se recula aussitôt et se mit à fixer ses pieds.

    « Bulma, ce sera la routine. Je te le jure. On va prendre toutes les précautions. Je te promets que je reviendrai.    - Je m’en fous de ce que tu promets !! »

    L’explosion avait été aussi soudaine que brutale. Le cri retentit encore pendant de longues secondes contre les parois de métal du gigantesque hangar. Les deux femmes étaient restées figées face à face, les pupilles claires de Bulma fusillant celles, plus sombres, de la colonel. Veronica ne l’avait jamais vue comme cela.

    « Tu… Tu ne promets pas quand tu ne peux pas savoir ! Et tu ne peux pas ! Vous… Vous êtes tous comme ça ! Vous dites n’importe quoi et vous ne revenez jamais ! Alors vous pouvez bien promettre. Je ne suis pas une idiote ! Tu ne promets pas ! Tu ne promets pas. »

    C’est lorsqu’elle vit les larmes commencer à perler aux coins de ses yeux que Veronica se décida enfin à réagir. Cette fois-ci plus rapide que Bulma, elle la rejoint en quelques pas et l’attrapa par les épaules. La scientifique avait faiblement tenté de reculer mais elle trépignait toujours, les bras tremblants. Violet la serra contre elle, sans réfléchir, et referma les bras autour d’elle. La colonel adoucit sa voix pendant qu’elle glissait une main rassurante dans les cheveux de sa compagne.

    « Je suis désolée, Bulma. Je suis désolée. Je ferai attention, promis. Je ferai… »

    Elle sentit de petits poings se serrer contre son ventre et le front de la scientifique frotter contre son épaule.

    « Non, non, non, non, non…    - Tout va bien se passer, je te jure. Tout va bien se passer. »

    Les sanglots redoublèrent d’intensité et Veronica resserra d’instinct ses bras autour de la jeune femme. Elle voulait l’empêcher de trembler, mais elle savait qu’elle ne pourrait pas lui faire oublier les larmes.

    « Ils disent tous ça. Et ils ne reviennent pas. Et ils ne sont plus comme avant. Et ils continuent de le dire. Papa et Maman. P’tit Son. Krilin et Kame. Chaozu et Ten et Lunch et Chichi et Yamcha et… »

    La litanie de noms continua de s’étirer. Certains bien connus de Veronica mais beaucoup dont elle n’avait entendu parler que par Bulma. Presque tous étaient des experts en arts-martiaux, qu’elle méprisait tant. Ce Son dont Bulma parlait était même le principal responsable de la destruction de leur armée, bien des années auparavant. Bien sûr, elle ne pouvait pas mettre ça sur le dos de la scientifique. Elle en supportait déjà bien assez. Veronica était tout de même à court de mots et elle préféra bercer la jeune femme contre elle, chuchotant contre son oreille des mots sans sens. Le petit manège dura de longues minutes, jusqu’à ce qu’enfin la voix de Bulma redevienne audible, bien que brisée.

    « Tout ne va pas bien se passer. Je t’interdis de me le promettre.    - D’accord. D’accord, je ne promets pas. »

    Brusquement, elle sentit Bulma se raidir contre elle. La scientifique la repoussa brusquement, ses yeux clairs noyés de larmes s’étaient écarquillés sous le coup d’une intuition.

    « Je sais ! »

    Avant que Veronica ne puisse poser la moindre question, le docteur Brief avait déjà disparu derrière le tank. Elle lui emboîta le pas aussi vite que possible et la retrouva rapidement dans une alcôve formée par des étagères supportant des pièces métalliques diverses. Bulma ouvra violemment tous les tiroirs d’un vieux meuble de fer rouillé. Avec une exclamation de victoire, elle leva le bras et se tourna vers la colonel.

    « C’est un vieux projet, mais ça devrait faire l’affaire. » expliqua le docteur Gero de sa voix lancinante.

    La militaire eut un mouvement de recul. Les pupilles claires, si claires, du vieux scientifique la perçait sans effort. Elle cligna plusieurs fois des yeux avant que l’image du vieil homme ne soit remplacée par une Bulma inquiète.

    « Veronica ? Ça va ?    - Je… Oui, ça va Bulma. Ça va. Qu’est-ce que c’est ? »

    La jeune femme resta circonspecte une seconde avant de finalement s’avancer et tendre sa main vide vers le colonel Violet.

    « Donne ta main.    - Ma… ?    - Ton poignet, imbécile. »

    Avant qu’elle ne puisse répliquer, Bulma lui attrapa la main gauche et fit passer quelque chose autour de son avant-bras.

    « Promets-moi de l’utiliser si quelque chose tourne mal, d’accord ? Tu peux promettre ça. »

    Veronica releva les yeux. Ceux de Bulma était toujours brillants de larmes, mais elle pouvait y déceler autre chose. Quelque chose qui l’empêcherait de refuser. Elle poussa un soupir.

    « Je te le promets. »

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