Douloureuse découverte
Savannah avait été bipée pour une urgence au bloc. Elle se prépara et entra dans la salle d'opération. Elle allait opérer en solo. L'hôpital était en manque d'effectif, il n'y avait donc aucun interne pour la seconder et elle n'aurait qu'une seule infirmière de bloc pour l'aider.
Elle en aurait pour des heures. Elle s'agissait d'un polytraumatisé par balles. C'était l'occasion pour elle de montrer ses talents.
Quand elle arriva, elle jeta un œil sur le patient. Ses yeux s'écarquillèrent. C'était Devon, le petit ami de Pénélope.
Elle ne devait pas laisser paraître qu'elle le connaissait. Le conseil d'administration préconisait aux chirurgiens de ne pas opérer des patients qu'ils connaissaient car le fait d'être trop impliqué provoquait souvent des erreurs médicales et l'hôpital ne pouvait plus se permettre de procès longs, couteux et surtout médiatiques.
Il n'y avait pas de temps à perdre. Si elle disait qu'elle connaissait Devon, il leur faudrait au moins 30 minutes pour mobiliser et préparer un autre chirurgien. Elle avait décidé de se taire et de l'opérer.
Elle ferait de son mieux pour le sauver.
Il perdait beaucoup de sang. Elle se concentra et commença l'opération. Elle avait localisé les sources des hémorragies et s'activait pour les stopper.
Elle pensa à Pénélope. Celle à cause de qui elle avait perdu l'homme de sa vie.
Une rage s'empara d'elle. Pénélope tournait peut-être autour de Derek mais Savannah avait vu qu'elle tenait un peu à Devon. Elle tenait sa vengeance. Elle montrerait à Pénélope ce que cela faisait de perdre quelqu'un qui comptait pour elle. Elle saurait ce que la doctoresse avait ressenti lorsque Derek avait quitté la maison malgré toutes ses supplications et l'annonce de sa grossesse.
L'infirmière ne se rendrait compte de rien et l'anesthésiste était trop occupé à surveiller les constantes du patient et sa saturation en oxygène.
Elle fit des points pour suturer certains vaisseaux qui saignaient mais ne s'appliqua pas comme elle l'aurait fait dans un autre cas. Elle savait que les points ne tiendraient pas, mais le temps qu'ils lâchassent, l'opération serait terminée et elle ne serait plus en charge de Devon. Il serait en salle de réveil, surveillé par d'autres médecins qui s'occuperaient des suites post-op. Il ne survivrait pas à une telle hémorragie interne.
En quittant le bloc, elle avait déjà des remords.
Pourquoi avait-elle succombé à sa rage et son désir de vengeance au point de trahir son serment d'Hippocrate et avait négligé les soins prodigués à un homme innocent ?
« Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » Cette phrase tournait en boucle dans sa tête.
Ce sentiment de culpabilité fut décuplé lorsqu'elle vit la réaction de Pénélope. Elle était réellement amoureuse de Devon.
Sa conversation avec Derek finit par la convaincre qu'elle venait de commettre l'irréparable. Elle avait tué un homme qu'elle aurait pu aisément sauver. Elle venait de détruire la vie de celle qu'elle considérait comme sa rivale jusqu'à ici, à tort. Ce que Pénélope et Derek appelait amitié, l'était vraiment. Ils étaient les meilleurs amis du monde. Ils pouvaient compter l'un sur l'autre, du moins, avant que Savannah suggérât à Derek de rompre ses liens avec l'analyste.
Sa garde était terminée et elle rentrait chez elle, puisque Derek lui avait fait remarquer que sa présence ne ferait que perturber la jeune femme nouvellement endeuillée.
Elle s'installa à une table de la salle de repos, papier et stylo en main. Il lui fallut un quart d'heure avant d'écrire ses premiers mots, mais une fois lancée, elle finit sa correspondance en quelques minutes. Elle confia le courrier à une infirmière en lui donnant des instructions et quitta l'hôpital après avoir vidé son casier dans les vestiaires.
« Oh mon Dieu ! Qu'as-tu fait Savannah ? Dis-moi que tu as inventé toute cette histoire. » dit Derek incrédule.
Il se leva et se mit à faire les cent pas. Son ex-compagne venait de lui avouer avoir délibérément saboté l'opération de Devon, consciente des conséquences funestes.
« Tu te rends compte que je ne peux pas taire ce que tu viens de me dire ? demanda-t-il en criant
— Je sais, je voulais juste te le dire moi-même. J'ai écrit une lettre à la direction de l'hôpital pour me dénoncer. Je sais qu'ils ont ouvert une enquête suite à cela.
J'ai passé la matinée à mettre de l'ordre dans mes affaires car je vais me rendre à la police. Mais je devais te parler avant, je voulais t'expliquer pourquoi je l'avais fait. Je devais soulager ma conscience et te demander pardon, dit-elle en pleurant.
— M'expliquer quoi, Savannah ? Il n'y a aucune raison qui puisse expliquer le meurtre d'un innocent qui ne t'avait absolument rien fait. Me demander pardon ? C'est pas auprès de moi que tu devrais t'expliquer ! » cria Derek.
Il était hors de lui mais surtout effondré. C'était une fois de plus sa faute si la vie de sa Babygirl venait de se briser. L'homme de vie était mort parce que son ex avait en décidé ainsi par pure vengeance. Pénélope devait faire face une immense perte parce que Derek l'avait fait entrer dans leur vie et lui avait donné trop de pouvoir. Il se tenait la tête, il était perdu, révolté mais surtout honteux.
« Tu as vu dans quel état est Pénélope ? Tout ça c'est de ta faute et tu veux que je te pardonne ?
— Je sais que tu ne pourras jamais me pardonner mais comprends-moi. Je n'ai pas réfléchi. J'ai agis sous le coup de la colère. Je voulais qu'elle sache ce que ça fait de perdre celui qu'elle aime. Mais je t'assure que j'ai réalisé que c'était une erreur. C'était trop tard. Le mal était déjà fait. J'ai vu comment elle a réagi. Je ne pensais qu'elle l'aimait à ce point.
— Je te l'ai dit et redit. Mais tu étais tellement butée que tu t'accrochais à ta vérité, à savoir que c'était une façade et qu'en fait elle était intéressée par moi. Qu'est-ce que tu as fait Savannah ? On a rompu mais je ne suis pas mort. Tu peux encore me voir. Mais elle, elle ne le verra plus jamais. »
Des larmes montaient aux yeux de Derek. Savannah, elle, n'avait cessé de pleurer depuis l'arrivée de son ex petit ami.
« Tu as pensé aux conséquences ? La carrière qui te tenait tant à cœur est brisée. Tu iras en prison. Et tu fais quoi de l'enfant que tu portes ? Il va naitre dans une cellule à cause de ta méchanceté. »
Dans toute sa colère et sa honte, Derek ne perdait pas le nord. Il tenait à la démasquer concernant cette fausse grossesse.
« Je ne suis pas enceinte, murmura-t-elle en baissant la tête.
J'ai inventé cette grossesse pour te retenir. Je comptais faire en sorte de tomber réellement enceinte mais tu as déménagé et tu me repoussais à chaque fois que je faisais un pas vers toi. Je suis vraiment, vraiment désolée Derek. Je te demande pardon. »
Elle était réellement sincère pour une fois, mais Derek s'en moquait.
« J'avais compris tes manigances. Je m'en fiche que tu aies pu me manipuler, que tu m'aies menti, que tu aies essayé de me piéger en manigançant pour tomber enceinte. Mais je n'te pardonnerai jamais pour ce que tu as fait à Pénélope. Ce que tu as fait à Devon. Tu l'as tué bon sang ! »
Derek se rassit et se tint la tête entre les mains. Il pleurait.
Savannah voulut le réconforter mais elle savait très bien qu'elle ne devait pas le toucher. Il était trop en colère et trop blessé. Elle se doutait qu'il pensait que la mort de Devon était de sa faute, comme s'il avait lui-même tiré sur lui. Elle savait qu'il se disait que si Pénélope devait traverser toute cette peine et ce deuil, il en était le seul responsable. C'était dans son caractère de porter la responsabilité de quelque chose s'il avait été présent au moment du drame et qu'il n'avait rien pu faire pour l'empêcher. On avait beau le convaincre que c'était inévitable ou qu'il n'y avait rien à faire, il portait cette croix. Combien de croix portait-il déjà ? Savannah venait de lui en rajouter une.
« Je sais que lorsque Pénélope l'apprendra, elle ne voudra pas me parler, me laisser m'excuser et lui expliquer. Je lui ai écrit une lettre, tu pourrais la lui donner s'il te plait ?
J'ai déjà contacté un avocat. Il m'attend au commissariat, où je vais avouer mon crime.
Mes affaires sont rangées, j'ai loué un box. Un collègue viendra débarrasser la maison et tu pourras la garder ou la mettre en vente. Comme tu veux. C'est ta maison, tu peux en disposer maintenant. Je sors de ta vie. Si j'avais compris plus tôt et accepté notre rupture, on n'en serait pas là. C'est de ma faute tout ça. Ne t'en veux pas pour tous les crimes que moi j'ai commis. Au revoir Derek. Je t'aimerai toujours. Encore pardon. »
Elle prit son sac et quitta la maison.
Derek ne réagit pas. Il resta dans la même position, assis sur le canapé, la tête entre les mains jusqu'à ce qu'il puisse enfin se calmer et savoir ce qu'il allait faire. Il se leva, prit la lettre et regagna la maison dans laquelle il devrait faire face à celle qu'il aimait plus que tout au monde et dont il venait de ruiner la vie.