Un écho du passé

Chapitre 3 : L'etau se resserre...

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Dernière mise à jour 10/11/2016 09:22

 

L’étau se resserre
Chapitre deux
Pour un profiler tous les détails comptent, surtout ceux qui semblent les plus insignifiants.
L’évidence est un leurre.
 
Conté de Baker, Oregon. Premier juin.
La journée est déjà bien entamée lorsque l’équipe se pose enfin pour déjeuner.
Depuis une bonne heure,  JJ répond aux interrogations des fonctionnaires de police. Qu’est-ce qu’un sujet ? Pourquoi est-on certain qu’il s’agit d’un homme ? Pourquoi ci, pourquoi ça… c’est toujours un peu la même chose. Non que la police mette en doute l’interprétation des faits de l’équipe, mais simplement parce que tout ce qui nous échappe doit être vérifié, analysé, décortiqué jusqu’à ce que notre esprit l’assimile. Finalement c’est  faire preuve de bon sens que de ne pas prendre pour argent comptant les paroles de Gideon. Une fois cette étape achevée, elle aura du pain sur la planche. Gideon venait en effet de lui demander un speech pour la presse.
C’est son truc à Gideon, la presse. Il la manie et manipule à souhait… tant qu’il est de l’autre côté du micro ou de la caméra. Chacun son truc au fond. JJ, elle, est une experte de la communication, que ce soit au sein du groupe, de la police ou des médias. Quittant le dernier flic qui ne soit pas en train de chercher le petit disparu, JJ s’attable auprès de ses amis.
Tout les autres membres sont déjà installés, sauf Emily Prentiss qui arrive les bras chargé de sacs en papier recyclable et Gideon qui visiblement souhaite se nourrir de réflexions et autres pensées faibles en calories. Emily dépose ses trouvailles, galettes de blé, cuisses de poulet, nouilles chinoises et autres friandises à durée de vie relativement courte.
Le léger brouhaha qui accompagne le repas s’éteint doucement à mesure que les regards se portent sur Spencer. Le docteur Reid décortique du bout des doigts un os sur lequel ne subsiste plus que deux fragments blancs, microscopiques et filandreux se battant en duel ; le reste ayant été réduit en miettes immangeables ! Spencer semble absorbé par ses pensées, ce qui chez lui risque fort de se traduire par une sortie théâtrale à la Eureka j’ai trouvé ! … la bête noire de Morgan, ou par un SOS, agent perdu dans dédale neuronal. Emily ne résiste pas à la tentation d’une taquinerie. Elle agite ses doigts devant les yeux de Spencer.
-Allo Houston, nous avons un problème !
Réaction zéro.
-Toctoc ! Reid, tu es là ?
-Hein ? Quoi ?
L’agent redresse  la tête, jette un œil circulaire sur la tablée qui visiblement retient un fou-rire salvateur, puis fronçant les sourcils, lâche enfin le petit os dénudé.
-Je suis perplexe sur cette histoire de 12. Il y a eu douze victimes de douze ans depuis le modus operandi  instauré il y a douze ans. Je ne trouve rien dans le passé des victimes qui se rattache à ce nombre…outre leur âge évidemment. Notes scolaires, nombres de consultations chez le médecin, d’infractions à la loi… rien de rien.
Morgan est si stupéfait qu’il en lâche son sandwich et reste un instant la bouche béante et ridicule.
-Tu as calculé le nombre de fois où ils ont consulté le médecin ?
-Oui et le dentiste aussi, l’assistante sociale et tous les organismes de l’état qui auraient pu les convoquer du fait de leur situation précaire. Ne me regardez pas comme si j’étais un mutant. Bon, je sais, j’en suis un à vos yeux, mais en toute logique le sujet était bien informé quand à leur environnement immédiat. Douze pourrait être le nombre de dossiers à ce nom que possède le service où travaille le sujet.
Hotchner surenchérit comme si pour une fois les statistiques et données abstraites parlaient un anglais impeccable.
-Peut-être la place du dossier dans leur classement.
-Déjà fait, dans l’ordre alphabétique par le prénom, le nom et même la commune de résidence de l’enfant. J’ai cherché aussi les inscriptions scolaires ou sportives, bref tout ce qui fait qu’un enfant, potentielle victime, se retrouve affublé d’un nombre qui le désigne comme future proie. Et je n’ai rien à me mettre sous la dent !
Morgan explose littéralement de rire et tend le bout restant de son sandwich à son ami.
-Si tu avais mis le poulet dans ta bouche au lieu de le distribuer aux fourmis, il te resterait de quoi te sustenter ! Maintenant mange un peu Spencer, les neurones aussi ont besoin de protéines et de sucres lents pour fonctionner.
***
Le sheriff pénètre dans le bureau sans s’annoncer.
-Je ne sais pas comment vous comptez faire avancer l’enquête en laissant vos fesses bien installées ici, mais nous, on a du nouveau !
Ce n’est ni la première ni la dernière fois que l’équipe entend ce genre de discours. Gideon se garde bien de faire connaitre son point de vue. Voyant que son entrée en matière avait à peine fait lever le regard de JJ, et encore, le sheriff enchaîne, donnant de plus amples détails.
-Un automobiliste assure avoir vu le gamin dans une Chevrolet verte le jour de sa disparition, à La Grande, c’est au nord, sur la 84, en direction de Pendleton.
Légèrement agacé, Gideon coupe la parole au sheriff.
-Oui merci, nous savons où se trouve Pendleton. C’est la route principale pour Portland.
Le profiler se poste face aux photos et différentes cartes, puis termine sa phrase plus à l’intention de ses hommes que du sheriff.
- Il y a quelque chose d’illogique dans cette affaire.
-Morgan, est-ce que Garcia a trouvé d’autres renseignements sur les précédents enlèvements ? La Chevrolet verte par exemple ?
-Elle ne m’a rien dit de tel, mais je vais lui demander.
-Et sur la victime manquante ?
-Rien pour le moment mais la recherche est trop large, pas assez ciblée. D’autre part, l’enfant n’a peut-être pas signalé l’incident.
Gideon prend un feutre et marque les états au fur et à mesures de ses paroles.
-Les trois derniers meurtres : Idaho, Wyoming et Nebraska.
Il les relie d’un trait quasi-horizontal.
-Les huit autres victimes, dans l’ordre décroissant : Iowa, Illinois et l’Indiana… Là il y a un changement de cap avec le Kentucky puis le Missouri. Quelque chose ou quelqu’un lui a fait rebrousser chemin et reprendre son périple meurtrier vers l’ouest avec le Kansas, le Colorado puis l’Utah… Encore une ligne bien horizontale. Si on ajoute les deux premiers crimes supposés en Californie et Arizona, il y a non seulement une logique dans la localisation mais aussi…
Gideon s’interrompt et entoure un état en rouge.
-…Regardez. La ligne devrait obligatoirement couper cet état. C’est donc là qu’a du avoir lieu la tentative mystère d’il y a douze ans. Le Nevada ! Morgan, demande à Garcia d’affiner ses recherches sur le Nevada. Je serai surpris que notre homme ait fait connaitre ses déménagements aux services administratifs, mais demande à Garcia de regarder par là également. On ne doit laisser aucune piste de côté. Suis-je clair ?
Le sheriff qui n’a pas perdu une miette de l’exposé de Gideon l’interroge d’une voix calme où ne perce plus l’ombre d’un reproche.
-Comment savez-vous… enfin, pourquoi pensez-vous qu’il déménage chaque année d’un état à l’autre ? Ne pourrait-il pas simplement être représentant de commerce et voyager de façon aléatoire dans tout le pays ?
-Non, son cheminement n’a vraiment rien d’aléatoire.
Gideon montre du doigt l’Arizona et commente comme devant un amphithéâtre. De fait, au grès de ses explications, la salle se remplit de policiers avides de compréhension ou tout simplement de spectacle.
-Le premier meurtre. Un accident. L’enfant est jeune, soumis. Il est rapidement tué. Le plaisir qu’il procure au sujet est de faible durée. L’année suivante, à la même date…Californie. Le choix est plus réfléchi. Pourquoi a-t-il changé d’état ? Le premier était sans doute près de son domicile. Il a eu peur et s’est enfui. Il faut que Garcia cherche qui a été interrogé suite à cet assassinat et a déménagé peu après. Dans ce genre de cas, le coupable a souvent été questionné par la police locale sans que celle-ci ne trouve quoique ce soit. Où en étais-je ? Ha oui… Le second. Trop vieux. Il le garde un peu plus mais cela ne lui procure toujours pas assez de plaisir. Suffisamment toutefois, pour réitérer l’année suivante. C’est du moins ce que l’on suppose car aucun nom n’apparaît cette année-là. C’est certainement le cas X du Nevada. Le suivant est dans l’Utah et c’est le premier d’une longue liste suivant toujours la même ligne horizontale. Maintenant il sait exactement quelles seront ses proies. Ce sont tous des garçons de douze ans. Il les étudie et les fait siens. Ils sont à lui bien avant qu’il ne les capture et ne les garde douze jours exactement.
-Pourquoi avez-vous dit qu’il y avait quelque chose d’illogique ?
-Je ne sais pas, il y a un élément qui ne colle pas au schéma des huit derniers. Cette fois, il a enlevé l’enfant trop tôt. S’il le tue au bout de douze jours, la date ne coïncidera pas avec sa date anniversaire. Pourquoi aurait-il changé la donne ? Pourquoi maintenant ?
Un jeune policier tente une explication.
-Peut-être pour la même raison qui l’a incitée à vous contacter. Il veut en finir. Cela le pousse à commettre des erreurs
C’est Reid qui répond au policier. Ce faisant, il se lève et vient se poster aux côtés de Gideon.
-Je ne pense pas. La date du crime est la seule chose qui soit immuable dans son tableau de chasse. De plus, le nombre douze est extrêmement symbolique pour lui, jamais il ne changerait ce genre de donnée. Une erreur ? C’est possible mais peu probable. Nous sommes exactement là où il voulait que nous soyons. Il a toutes les cartes en main. Il est le maître du jeu. Non, tout cela est inscrit dans son plan. Reste à trouver pourquoi.
D’un geste de la main, le sheriff fait signe à ses hommes de quitter la salle. Alors que la team de Gideon se regroupe devant le tableau d’affichage, le policier organise la recherche de la petite victime, envoyant la majeure partie de son dispositif fermer la route 84 et explorer les environs de La Grande et de Pendleton.
Les profilers ne se laissent pas démonter par cette attitude ô combien habituelle. Ils reprennent leur éternel jeu de ping-pong verbal. Gideon en premier, Prentiss en second…
-Quel est l’intérêt d’enlever cet enfant plus tôt ?
-Peut-être n’est-il pas la vraie victime.
-Je reformule donc : quel est l’intérêt d’enlever cet enfant-là ?
-Il a vu quelque chose ?
-Notre sujet serait donc devenu imprudent, subitement, juste au moment où il nous convie aux festivités ?
Hotchner, Morgan et Reid prennent le relais sur Gideon et Prentiss.
-Ce qui ramène à la question suivante : pourquoi nous a-t-il convié ?
-Peut-être que le flic a raison. Il veut en finir. Mais en finir en beauté ! Il veut que nous soyons les témoins de l’achèvement de sa quête.
-Il va donc enlever sa véritable proie aujourd’hui.
Tournant le dos à sa team, Gideon reprend la parole. Il ne lâche pas la carte des yeux.
-Reid, retourne à l’école ! La sortie est pour bientôt et c’est le moment idéal pour kidnapper un gamin discrètement.
Hotchner enchérit avec un sourire strict mais rassurant.
-JJ, tu vas avec Reid. Vous ne serez pas trop de deux.
Jennifer plante un regard brûlant sur Aaron. Est-ce qu’il la teste ? Est-ce qu’il cherche à la déstabiliser ? Sans se départir pas de son flegme, Hotchner met fin au débat intérieur de JJ d’un hochement de tête lent et d’un sourire paternel. Le genre même que porte généralement Gideon à Spencer Reid. Gideon reprend son dispatching.
-Prentiss, épluche les dossiers que l’on a reçus et  essaye de trouver un indice sur leur provenance. N’importe quoi qui aurait échappé à JJ.
Il ne reste plus que Gideon, Hotchner et Morgan pour faire rebondir la petite balle verbale.
 
***
 
C’est JJ qui conduit le véhicule de location. Reid n’est pas un mauvais conducteur mais son cerveau toujours par monts et par vaux a du mal à se fixer sur une destination unique et réelle. Alors qu’ils longent la route principale, Spencer se laisse bercer par le mouvement de roulis. Un peu nostalgique, il se souvient qu’il arrivait souvent en retard au lycée. Quitter sa mère était toujours une déchirure. Il avait peur de ce qu’il retrouverait à son retour, peur qu’elle se soit blessée, peur d’être accueilli par une gentille dame des services sociaux. L’incertitude le rongeait et le détruisait à petit feu, tout comme la schizophrénie emportait sa mère chaque jour un peu plus profondément dans ses délires. Il savait déjà, du haut de ses vertes années, qu’il devrait un jour prendre la plus terrible des décisions et confier sa seule famille à des inconnus. Le chemin qui menait à l’école était sa première évasion. Tout, des maisons aux toitures étranges, des fleurs aux couleurs chatoyantes, tout était prétexte à l’imaginaire. Mais son échappatoire, son refuge psychique était aussi une cause de souffrance. Ses fantasmes n’allaient-ils pas également l’entrainer dans un gouffre où réel et imaginaire se confondent ? Spencer savait déjà que la maladie de sa mère serait peut-être un jour la sienne. Un lourd fardeau pour un enfant pas plus haut que trois pommes, insignifiant parmi les adultes et les « grands » de sa classe.
-Nous y voilà !
Les mots de Jennifer l’extraient de ses souvenirs douloureux. Il ne lui en veut pas, bien au contraire.
-Je suis content d’être avec toi JJ.
Jennifer le regarde étonnée. Reid n’est pas du genre expansif. Elle sent bien dans ces mots un soulagement, un réconfort réel, mais elle ignore si ceux-ci lui sont destinés, pour soulager sa culpabilité ou sont destinés à Spencer pour une raison qu’elle ignore. Elle le fixe avec surprise. Il ne s’en étonne pas, se contentant de mordiller sa lèvre inférieure, de regarder un peu partout autour d’elle comme si son œil cherchait à s’accommoder sur un champ visuel, bref il était égal à lui-même, du 100% Spencer Reid. JJ sourit puis rit franchement.
-Allez viens, on va voir le directeur pour bloquer les issues arrières et ainsi canaliser le flux d’enfants vers la porte principale.
 
***
Garcia adore ses ordinateurs. Elle les bichonne et leur parle avec affection. Pourtant aujourd’hui ceux-ci sont peu bavards et cela agace la belle.
-Bon, allez les jolis, dites-moi ce que vous avez trouvé d’intéressant.
Comme par une étrange magie qui surprendrait le commun des mortels mais qui finalement ne semble pas perturber la terrible hackeuse du FBI, un appel de Derek résonne dans ses multiples haut-parleurs.
-Dis-moi ce que tu as trouvé d’intéressant ma jolie !
Pénélope Garcia ne peut retenir son rire, sexy et chaleureux.
-Garcia, on a besoin de toi.
-Comme toujours mon beau brun, mais pour cette fois je suis totalement impuissante. Rien, nada, macache. Aucune trace d’enlèvement, ni même de tentative dans le Nevada il y a douze ans.
-Et pour…
-Et pour ton autre demande, c’est kifkif ! Dans chacun des cas précédents, l’enlèvement a eu lieu dans un contexte paisible, sans autre dossier difficile en cours de gestion. La police n’était pas surchargée si tu vois ce que je veux dire… Aucune raison d’être dispersée, à part peut-être l’envie de flemmarder devant une Budweisser.
Morgan laisse passer un instant de silence puis reprend avec une voix chaude et langoureuse comme il sait si bien le faire.
-Merci Garcia, t’es vraiment géniale !
 
***
-Spencer !
-Hum ?
-A quoi penses-tu ?
-Regarde autour de toi JJ. Il y a très peu de zone propice à un enlèvement. Nous avons fermé tout les accès autre que l’entrée principale. D’ici moins de dix minutes ce sera la cohue. Une marée humaine d’enfants courant et criant sans prêter la moindre attention à leur environnement. Autour de nous il n’y a que le parking qui sera rempli de professeurs et de parents d’élève qui eux seront à l’affût et la grande route qui aboutit obligatoirement à la 84 et aux barrages de police. Que peut espérer le sujet ?
-Qu’est-ce que tu veux me faire dire ?
-Il n’est pas idiot, loin de là. Tout cela résulte d’un plan qui doit être minutieux et calibré au millimètre. En quoi avons-nous agit différemment de ce qu’il espérait ?
-Tu sais toi, ce qu’il attendait de nous ?
-Non. Mais je ne me sens pas à l’aise du tout. Comme dirait Gideon, il y a quelque chose qui cloche.
-Qui cloche ?!
JJ quitte l’établissement scolaire des yeux et se tourne vers Spencer, les yeux rieurs et taquins. Le docteur Reid est plus pâle qu’à son accoutumé. Rien que cela suffit à faire disparaître le sourire de JJ, rien que cela, et son attitude fragile et étrangement enfantine. Spencer se rapproche de Jennifer et lui attrape la main comme un gamin cherchant l’assentiment d’un adulte.
-Tu m’as très bien compris JJ.  N’est-ce pas ?!
Ses yeux sont à la limite d’une inondation magistrale. Un effort surhumain permet de limiter le débordement. Alors que ses mots ne sont que murmures, Reid quitte son amie du regard tout en maintenant la pression sur sa main.
-Quoiqu’il arrive, cette fois-ci, on ne se quitte pas.
Jennifer sent une boule se nouer dans son creux épigastrique. Une boule monstrueuse nommée culpabilité. Soudainement l’attente de la vague devient oppressante. Si elle l’ignorait encore, maintenant c’est un fait : la peur est contagieuse, surtout quand celle-ci est irraisonnée.
 
***

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