Sortie en famille

Arzak et Biska avaient eu l’occasion de sortir de nombreuses fois ensemble – dans un sens amical comme dans un sens romantique –, mais la promenade d’aujourd’hui était spéciale, et ce à plusieurs égards.

Ils étaient mariés, désormais. Et ils n’étaient plus deux, mais trois.

Durant les premières années de sa vie, leur fille Aska avait été particulièrement malade, au point que ses parents avaient dû mettre en gage la récompense qu’ils avaient obtenue lors de leur première mission ensemble, afin de payer ses médicaments. Bien sûr, à ce moment-là, il n’avait nullement été question de longues promenades, que ce fût en ville ou en forêt. Mais maintenant que les beaux jours du printemps revenaient timidement et que la santé de la fillette s’était améliorée, les heureux parents avaient décidé d’enfin organiser une grande balade familiale.

En vérité, même si Aska était comblée de pouvoir gambader au-dehors, c’était sans doute Arzak et Biska qui avaient le plus besoin de prendre l’air : depuis la disparition de Natsu et des autres durant leur examen de rang S sur l’île de Tenrō, et le temps passé à s’occuper de leur fille, ils avaient rarement eu l’occasion de se promener ensemble. Même si la vie continuait et s’il était inutile de ressasser le passé, tirer un trait sur leurs anciens compagnons était… difficile, pour certains plus que pour d’autres. Il avait fallu que le couple se convainquît que leurs amis disparus n’auraient pas voulu qu’ils se morfondissent ainsi à leur sujet pour qu’ils osassent enfin aller de l’avant et s’autoriser, certes difficilement, à être heureux. Ils le méritaient, pas vrai ?

–        Aska, chérie, reste près de nous, s’il te plaît, l’interpella sa mère en la voyant s’éloigner un peu trop loin à son goût.

–        Laisse-la courir un peu, lui suggéra doucement son mari en serrant sa main dans la sienne. C’est sa première vraie sortie, et à nous aussi. Essayons d’en profiter.

–        Tu as raison, approuva-t-elle en souriant. Merci, d’être là. Pour moi et pour elle.

Arzak lui rendit son sourire, tandis qu’ils continuaient leur chemin à travers la ville. Ils n’avaient pas prévu de trop grande sortie, pour aujourd’hui : leur fille tenait absolument à aller au jardin d’enfants, non loin du centre-ville. Il y avait toujours quelques bambins qui jouaient là-bas, peut-être Aska se ferait-elle des amis, et peut-être Arzak et Biska sympathiseraient-ils avec d’autres parents. Ils ne s’étaient jamais rendus au parc pour enfants auparavant, et il n’était pas exclu qu’ils y fissent de belles rencontres, même sur la route pour s’y rendre.

La jeune femme n’avait qu’un seul regret : elle aurait aimé que sa fille rencontrât Natsu, Grey, Erza et leurs amis. On avait beau dire, c’était eux qui faisaient tout le sel de la guilde, et lorsqu’ils ne se trouvaient pas là, les choses étaient simplement différentes. Qui sait ? Pour l’instant, elle et Arzak étaient les premiers membres de leur génération à Fairy Tail à avoir un enfant – sans compter le Maître ni Macao, qui étaient eux plus âgés – mais il viendrait peut-être un moment où d’autres connaîtraient les bonheurs et malheurs de la parentalité. Elle pensait surtout à Grey et à Jubia, ou à Reby et Gajil, qui formaient des couples tout à fait mignons, selon elle. Cependant, maintenant qu’ils n’étaient plus là… cela paraissait quelque peu compromis. Il restait encore des membres, à la guilde, mais elle doutait qu’ils devinssent parents dans un avenir proche, ou même lointain.

Ce fut alors qu’elle était plongée dans ses pensées qu’elle remarqua deux personnes qui l’intriguaient, parmi les passants qui étaient de sortie aujourd’hui. D’abord son regard se posa sur elles sans faire attention, et ce ne fut qu’au moment de les dépasser que son cerveau réalisa ce qui se passait. Une petite personne, vieille et toute replète, à côté d’une autre, bien grande et bien plus musclée… Ce ne pouvait être que… ! Pourtant, c’était impossible ! Tous les deux, ils étaient…

Elle exécuta rapidement un demi-tour sur ses talons et se mit à leur poursuite, ignorant les personnes qu’elle bousculait. Après quelques dizaines de mètres passés à courir si vite qu’elle manqua plusieurs fois de perdre son chapeau, elle les rattrapa finalement, et plaça une main sur l’épaule du plus costaud dans un geste pour se signaler et demander qu’ils s’arrêtassent.

–        Luxus ! Maître ! Vous êtes de retour ? Quel plaisir de vous revoir, nous pensions tous que vous étiez–

Elle s’interrompit lorsque les deux personnes tournèrent des visages étonnés vers elle.

–        Un problème, madame ? Faut pas nous faire peur comme ça, mon grand-père est cardiaque, vous savez.

–        Je… Désolée, je vous avais pris pour des personnes que je connaissais.

Le petit-fils – pas si petit que ça – leva la main en assurant qu’il n’y avait pas de mal, et Biska le laissa repartir, encore un peu déroutée par la rencontre. Un petit-fils et son grand-père, hein ? songea-t-elle en levant les yeux vers le ciel. Pendant un moment, elle avait vraiment cru reconnaître…

–        Maman, regarde, papa me fait faire l’avion !

Perchée sur les épaules d’Arzak qui arrivait en courant, Aska étendait joyeusement les bras. En regardant ses mains, la jeune femme réalisa qu’elle ne s’était même pas rendu compte qu’elle avait perdu sa fille et son mari de vue, tout à l’heure, et celui-ci paraissait manifestement assez inquiet. Elle s’excusa dans un sourire gêné, avant de déposer un doux baiser sur ses lèvres pour se faire pardonner, et ils retournèrent vers le parc pour offrir à Aska le tour de balançoire qu’elle attendait.

–        Dis, qu’est-ce qui s’est passé, tout à l’heure ? l’interrogea son compagnon, piqué par la curiosité.

–       Oh rien. Disons que j’ai croisé de vieux amis à nous qui faisaient aussi une sortie en famille, répondit-elle d’un ton amusé.

Il n’avait pas besoin d’en savoir plus.