Suite de petits écrits

Chapitre 15 : Duo

876 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 18/11/2021 12:27

Duo

 

La porte s’ouvrit et l’homme avança sur la scène. La douche de lumière où se trouvait la guitare qui se reposait entre deux prestations se ralluma. C’était le douzième à passer et nous étions tous fatigués d’entendre encore et encore le même morceau reproduit à la presque perfection.

Malgré leur talent, aucun ne s’était démarqué et à l’allure de l’homme, ce candidat-ci n’allait pas faire exception. Il n’avait même pas daigné s’habiller d’une chemise. D’accord, nous ne sommes pas un conservatoire, mais notre troupe est quand même réputée ! Il s’avança, redoutant le moment où son corps allait baigner dans la lumière.

Derrière moi, j’entendis le souffle de l’exaspération des autres membres du jury. Je pouvais comprendre. L’homme ne semblait pas assuré dans ses mouvements, comment allait-il pouvoir gérer la pression lors de nos représentations ?

- Bien, commença notre chef, présentez-vous.

L’homme se râcla la gorge et avala la boule de stress qui logeait dans sa gorge.

- Thomas Masson. 28 ans. Je joue de la guitare depuis presque quinze ans.

Nous nous attendions à plus de détails, mais il semblerait que l’homme avait déjà donné son maximum. Le silence avait laissé place à un raclement de gorges général. Vite, le chef de notre troupe tenta d’effacer cet instant gênant.

- Très bien, les rires dans l’auditoire commencèrent à se faire nerveux, vous pouvez commencer dès que vous êtes prêt.

L’homme prit la guitare, faisant résonner les cordes dans un vacarme douloureux. Il passa la lanière par-dessus son épaule. Son ventre poilu s’échappa alors du t-shirt et il tira dessus dans un geste fébrile pour le remettre à sa juste place. Dans le public, nous nous demandions tous comment il allait pouvoir jouer tant ses mains tremblaient.

Soudain, je me redressai. L’homme avait fermé les yeux et sa main parcourait la caisse de l’instrument. Comme une caresse. Ce mouvement, presque sensuel, dénotait fortement avec sa gaucherie. Il souffla lentement, ce qui eut pour résultat d’atténuer ses tremblements.

Dans l’auditoire, le calme était revenu. On observait tous l’homme avec un respect soudain. Enfin, à nos yeux, il était devenu musicien. Pourtant, aucune note n’avait été encore jouée. Ce qui ne tarda pas à être le cas.

Sa main gauche s’étira et se plia tout en pianotant les différents accords, tandis que la main droite s’amusait avec les cordes, tantôt en les titillant, tantôt en les caressant. Mais ce que je regardais, c’était l’homme. Pour une rare fois, la musique m’importait peu. J’observais le visage de l’homme s’attendrir, se reposer, se détendre. Son pied, lui, battait le rythme sur le parquet de la scène. Ses épaules, toujours affaissée, épousait à présent l’instrument comme dans une étroite étreinte. Ce n’était plus comme s’il portait le poids du monde, mais plutôt comme s’il s’abaissait face au pouvoir de la musique.

Je me retournai vers mes comparses, tous avaient tendu l’oreille et se laissaient bercer par la balade qu’il jouait à la guitare. Était-ce vraiment le même morceau que celui des onze autres participants ? Était-il seul à jouer ? C’était comme si quelqu’un l’accompagnait. L’homme et la guitare formaient en fait un étrange duo. Comme si l’un n’existait pas sans l’autre. Ou seulement de manière fade et sans vie.

Et soudain, je croisai son regard. Une pluie d’étoiles dans laquelle je plongeai. L’homme vibrait au rythme de sa musique. Il semblait comme un enfant, heureux et pur. Ses yeux marrons me fixaient sans me voir. J’avais plutôt l’impression qu’il sondait mon âme, ma réaction. D’un sourire timide, je lui assurai que j’ai avais été capturée dans son monde. Il m’avait charmée, conquise, envoûtée.

Je voulais jouer à ses côtés, être proche de son âme, de ses vibrations. Aucun autre ne pouvait prendre sa place. C’était lui ou le vide. Lui et sa guitare, ou le silence.

Cet instant resta en suspens longtemps après la fin de l’interprétation. Il semblait se remettre de ce moment magique, puis il s’éteignit de nouveau. Enfant perdu sur une scène trop grande, trop éclairée. Enfant gêné devant nos regards trop nombreux, trop fixes.

Dans ce genre de concours, on n’applaudit pas les représentations. On ne félicite pas les bons musiciens. Comme si c’était normal qu’ils le soient. Pourtant, je me levai. Il fallait que je lui dise merci. D’une manière ou d’une autre. Mes mains sur le dossier du siège devant moi, je m’abaissai légèrement. M’inclinant face à tant de talents. Je vis d’autres faire de même.

Ses vibrations nous avaient tous atteins. Et nous avions que le silence pour réponse.


05/11/2021


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