Dreamland - Le voyageur qui ne voulait plus dormir

Chapitre 3 : Partie 3

9001 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/03/2020 15:15

Je me sens totalement démuni : il y a vingt minutes, Arnaud m'a révélé être un voyageur victime d'un empoisonnement qui le tuera s'il dort à nouveau, et je n'ai pas su quoi lui répondre. Peut-être aurais-je dû lui dire que moi aussi, j'étais un voyageur, que je voyageais à travers Dreamland avec mes amis et que j'avais pour objectif de trouver Edenia, le royaume dreamlandais où se rendent les défunts, afin d'y revoir ma mère... Mais je n'ai pas su le lui dire.

Arnaud est sorti faire un jogging pour que le sport le maintienne éveillé. Il est parti en me laissant une assiette pleine de cookies que sa mère a préparé pour nous deux mais, chose qui n'a pas changé depuis que nous sommes petits, Arnaud me les a tous laissés. "Que les cookies de ma maman t'aident à supporter la perte de la tienne", me disait-il... Arnaud a toujours été un ami doux et attentif, intègre et altruiste. C'est pourquoi je veux pouvoir l'aider mais malheureusement, je ne vois aucun moyen de remédier à son problème. Je crains hélas que sa situation soit sans appel et cela me rend malade que des choses comme ça arrive à des gens qui ne les méritent pas.

Je profite d'être un petit peu seul pour monter à l'étage et utilise une des applications de mon téléphone pour contacter mes amis lors d'un appel vidéo groupé. Sabba répond le premier.

  • Ah, Terrence ! Content de te voir ! Justement, j'allais me lever !
  • Salut Sabba.

Savane répond à son tour.

  • Salut.
  • Salut Savane. Eh mais t'es déjà debout ? Et habillé, en plus ?! s'exclame Sabba.
  • Je vous rappelle que je travaille en intérim. Je dois me lever tôt, en ce moment.

Puis s'est au tour d'Ève. Cette dernière est tirée du lit. Tandis que Sabba a les cheveux ébouriffés, Eve, avec ses cheveux longs, a l'air d'avoir une crinière de lion passée au sèche cheveux sur la tête.

  • J'espère que vous avez une bonne raison de me réveiller, me dit-elle, grincheuse.
  • Ouaf ! Ève, ta tête est impayable ! s'exclame Sabba.
  • Ce n'est pas drôle, répond-t-elle mécontente.
  • Oh que si ! C'est même excellent ! C'est même...

C'est alors que la copine de Sabba se réveille, agacée.

  • Non mais c'est pas possible, ça !
  • Ah ! Candy...
  • Je suis juste à côté de toi en train d'essayer de dormir et toi, tu parles super fort ! Je compte pour du beurre ou quoi ?
  • Mais... Mamour...
  • Il n'y a pas de "Mamour" qui tienne ! Si tu veux parler à tes copains, c'est hors de la chambre !
  • D'accord... Désolé...
  • Et tu fermes la porte derrière-toi !

C'est ainsi que Sabba fut mis à la porte de sa chambre.

  • Excusez-là les gars. Elle a ses... Ses... Ses ragnagnas.
  • Je t'ai entendu ! Cria-t-elle en lui jetant un coussin.
  • Euh... Sabba, dis-je, tu devrais peut-être attendre d'avoir fermé la porte et de t'être éloigné avant de faire ce genre de commentaires.
  • J'en prends note.
  • Ça, par contre, c'est drôle, ricanna Ève.

Ainsi commença la journée de Sabba. De manière malchanceuse et amusante. Ève se rendit dans la salle de bain et cala son téléphone pour pouvoir suivre la conversation tout en se brossant les cheveux.

  • Je n'aime pas voir ma tête au réveil, dit-elle.
  • Que se passe-t-il, Terrence ? me demanda Savane. Pourquoi nous appelles-tu ?
  • Laisse-le tranquille, dit Sabba. On est ses amis. Terence n'a pas besoin d'une raison pour parler avec nous !
  • A vrai dire... En fait, les amis, j'ai vraiment besoin de conseils et je ne vois pas vers qui d'autre me tourner.
  • Ah ?... demande Sabba, inquiet.
  • Mh, répond Savane. Nous t'écoutons.

Je leur raconte tout dans les moindre détails et contemple leurs réactions : Ève s'est figée. Sabba se retient de fondre en larme et Savane reste stoïque. Puis, il prend la parole.

  • Et tu lui as dit quoi ?
  • Bah... Rien...
  • Quoi ?
  • Enfin, pas rien mais... Mais je lui ai expliqué que je ne savais pas quoi lui dire.
  • Pourquoi tu ne lui as pas dit que tu étais voyageur aussi depuis que tu avais vaincu ta phobie du feu ? me demande Ève.
  • Et comment est-ce que j'aurais dû m'y prendre ? Tu me vois lui annoncer, comme ça, un secret pareil en mode : "J'ai attendu que tu me dises tout avant de te répondre "Ah mais attends, je suis un voyageur, moi aussi !" en fait".
  • Ce n'est pas vraiment un secret, Terrence. Si personne ne parle de Dreamland, c'est uniquement pour éviter les prises de tête.
  • Oui mais je ne lui en ai jamais parlé et cela ne me semblait vraiment pas être le moment approprié. Arnaud m'annonce, dans un état de détresse, qu'il va mourir et je ramène la situation à moi en lui révélant que je suis un voyageur aussi. Ce n'est pas très classe, vous ne trouvez pas ?
  • Mais... me dit Sabba, Tu n'as rien trouvé à lui dire ?
  • Et j'aurais dû lui dire quoi, Sabba ? Je n'ai aucune solution à son problème. Je ne peux pas l'aider...
  • Tu aurais aimé qu'on te dise quoi, si tu avais été à sa place ? me demande stoïquement Savane.
  • Je ne sais pas. Je... Je suppose que j'aurais aimé qu'on me dise que ça allait allé, même si ce n'est pas vrai...

Mes amis se regardent d'abord eux, puis moi, l'air déçu. Je m'exclame :

  • Non mais vous réagiriez comment, vous, si vous appreniez que vous alliez bientôt mourir en tant que voyageur et tout oublier de Dreamland ?
  • Hm... répondit Sabba en réfléchissant, Euh... Cela ne me ferait peut-être pas très plaisir, en effet, mais je t'avouerais que je n'aime pas Dreamland alors, après mûre réflexion, je pense que cela ne me dérangerait pas tant que cela.
  • Ah ? Ève ?
  • Moi ? Eh bien, cela ne me plairait pas forcément mais d'un autre côté, je trouve que ma vie est déjà très intéressante sans Dreamland alors je pense que si je devais perdre cette vie-là, tant qu'il me reste l'autre, je devrais pouvoir m'en remettre, en particulier si je ne conserve aucun souvenir de ce que j'ai perdu et je pense que c'est cela que tu aurais dû dire à Arnaud : qu'il devrait se concentrer sur ce qu'il conserve et non pas sur ce qu'il perd ! OK, Dreamland, c'est fini, cela aura été une sympathique parenthèse mais maintenant, il est temps de passer à autre chose.
  • Mais je ne veux pas passer à autre chose, Ève ! M'exclamais-je.

Ève et Sabba sont surpris.

  • Vous, vous vous contentez de vivre une nuit après l'autre alors que moi, j'ai un projet, un objectif concret que j'essaie d'atteindre ! Ma mère me manque terriblement. Il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à elle. Devenir voyageur, moi qui suis mauvais en classe et ignoré des autres, cela m'a permis de me sentir exceptionnel ! J'ai vaincu une phobie qui me hantait, gagné la capacité d'explorer un monde fantastique et obtenu la possibilité de revoir la personne qui me manque le plus. Quand bien même il me restera toujours ma vie ici, je ne pourrais jamais accepter que mon existence de voyageur soit ainsi amputée.
  • Mais enfin Terrence, me répond Ève, tu peux continuer à vivre dans le monde réel si tu meurs en tant que voyageur mais tu disparais aussi à Dreamland si tu meures en vrai.
  • Je sais mais je ne peux pas m'empêcher de considérer que Dreamland est aussi réel qu'ici ! Ce que j'aurais voulu, moi, cela aurait été que l'on m'apporte de l'aide ! Mais moi, je ne peux pas aider Arnaud.
  • Si, tu aurais pu, me dit sèchement Savane.
  • Quoi ?
  • Terrence, lorsque tu as perdu ta mère, alors qu'il ne connaissait pas ta douleur, Arnaud l'a partagée avec toi et toi, alors que tu comprends parfaitement ce qu'il endure, tu ne lui dis rien ? Tu ne lui témoignes aucun soutien et tu lui mens ?
  • Attends Savane, répondis-je. C'était quoi la solution, d'après toi ?
  • Cela aurait été d'en inventer une !
  • Quoi ?
  • Tout ce qu'Arnaud voulais, c'était de ne plus se sentir seul. D'avoir quelqu'un pour l'épauler et le soutenir dans son épreuve. Il a fait ça pour toi et toi, tu n'as même pas l'idée de lui rendre la pareille !
  • Savane... Là, je te trouve injuste...
  • C'est toi qui as été injuste le premier ! Pourquoi est-ce que tu n'as pas partagé avec lui ce que tu viens de partager avec nous ?
  • Je... Je n'en ai pas eu l'idée sur le moment.
  • Bah voyons.

Eve et Sabba prennent ma défense.

  • Attends, Savane. Cela peut arriver à tout le monde, ce genre de trous.
  • Oui, on ne sait pas toujours quoi dire au moment "M". L'important est de pouvoir rattraper le coup après.
  • Ouais bah moi, tout ce que je viens de voir, c'est qu'on ne pouvait pas compter sur Terrence dans les moments difficiles.

Je suis stupéfait.

  • Comment peux-tu dire ça ?!
  • Terrence : tu disposes d'un des pouvoirs les plus puissants qui soient, contrôler le feu, et tu ne sais toujours pas t'en servir. Tu échoues au Bac et repique ta terminale alors que tu voulais en finir avec le lycée et tu n'es même pas fichu de trouver les mots justes pour soutenir ton plus vieil ami. Dis-moi franchement : tu n'en as pas assez d'être un bon à rien ? D'échouer sans arrêt ?
  • Quoi ?
  • Je vais te dire les choses comme elles sont, Terrence. Tu n'es qu'un mariole qui ne sait rien faire de ses dix doigts et, à l'heure actuelle, tu serais bien dans la merde à Dreamland si je n'avais pas été là pour te sortir du pétrin à chaque fois que c'est arrivé et je commence à en avoir ras-le-bol de devoir te torcher le cul ! Alors OK, partir à la recherche d'Edenia, c'est un objectif bien sympas seulement aujourd'hui, je commence à me demander ce que je fais avec un type aussi mou !

Puis il raccroche.

  • Euh... Ne t'en fais pas, Terrence, me dit Sabba. Il s'excusera une fois qu'il se sera calmé...
  • Savane n'est pas le genre de personne avec qui il est facile de communiquer sur des sujets sérieux, ajoute Ève. Il est bien trop fier et impulsif pour ça. Je suis sûre qu'il ne pensait pas ce qu'il a dit.
  • Moui... Mais le problème, c'est qu'il a raison...
  • Il n'a fait que grossir le trait, Terrence, ajoute Sabba. Si on te comparait à moi, le gros fumeur de joints qui gaffe à longueur de temps, on peut dire que tu es un cas en or.
  • Merci Sabba.
  • Ça va aller, Terrence, me dit Eve. Tu es un grand sentimental et quand on est sentimental, il arrive que nos émotions se bousculent dans notre tête et créent un désordre qui nous empêche d'exprimer clairement nos idées. Tu trouveras quoi dire à Arnaud, ce n'est que partie remise.
  • Merci les amis. Je vous tiens informés.

Puis je raccroche avant de m'asseoir sur le sol, de m'adosser contre mon lit et de fixer le plafond. Je descends finalement et fais les cent pas en réfléchissant à ce que je vais dire à Arnaud, dont le Jogging s'éternise. Soudain, mon téléphone sonne : c'est Savane.

  • Terrence ?
  • ... Ouais.
  • Euh... Je te dérange, là ?
  • Arnaud n'est pas encore revenu alors... "Si tu déranges" ? Tout dépendra de ce que tu as à me dire. Tu as encore l'intention de me crier dessus ?
  • Je... Je te demande pardon, Terrence. Tu es mon ami et je t'ai dis de mauvaises choses que je ne pensais pas.
  • Si tu ne les pensais pas, tu ne les aurais pas dites.
  • J'étais en colère, Terrence.
  • A cause de moi ?
  • Non. A cause du Professeur Cornélius !
  • Quoi ?
  • Ce mec m'a mis hors de moi ! Il a lâchement empoisonné Arnaud, lui a menti et il l'avait probablement suivi pendant longtemps pour savoir comment s'y prendre !...
  • Mais... Cela ne te concerne pas.
  • Peut-être, mais... Et si ça avait été moi ?
  • Quoi ?
  • Je t'ai critiqué sur la vie que tu mènes, Terrence, mais c'est peut-être aussi parce que je suis jaloux et contrarié quand je vois ce dont tu disposes et que tu ne l'exploites pas pleinement...
  • Qu'est-ce que tu veux dire ?
  • Tu as ton père et ton grand-frère pour te soutenir, tu vas au lycée et tu as même trouvé l'amour auprès de Lydia alors que moi : je vis sans l'aide d'aucun adulte depuis plusieurs années, je n'ai que ma petite sœur, Fontaine, dont j'ai la charge et qui vient de partir vivre avec notre tante en Italie, je n'ai pas l'embarras du choix quand on me propose du travail, je n'ai pas le Bac et je multiplie les conquêtes féminines parce que n'arrive pas à me poser avec une fille.
  • Ah oui, c'est vrai que tu as une vie de merde, en fait.
  • Tu comprends mieux pourquoi Dreamland est important pour moi ? Depuis que j'ai surmonté ma phobie des poissons et acquis le pouvoir d'en invoquer, je suis vraiment devenu quelqu'un d'exceptionnel ! Je ne suis plus l'espèce de gitan qui vit dans une caravane que tout le monde évite. Je deviens un aventurier invincible ! Un mec qui peut se faire remarquer pour de bonnes raisons...
  • Savane... Ce n'est pas ton pouvoir qui te rend exceptionnel. Tu n'en as pas besoin pour que je te respecte ou reconnaisse ta valeur. Tu m'as tiré de bon nombre de mauvais pas à Dreamland et le fait que tu sois avec moi dans les moments difficiles... Tu ne t'en rends peut-être pas compte mais cela m'aide à me sentir en confiance.
  • C'est vrai ?
  • Bien sûr. Pourquoi ? Tu en doutais ?
  • J'ai la baston dans le sang Terrence, ça, tu le sais. Mais si j'ambitionne de devenir le voyageur le plus fort, c'est parce que j'ai envie de devenir un champion et, d'ainsi, marquer les cœurs et les esprits, seulement les autres et toi, vous paraissez tellement détachés de tout ça que parfois, j'en viens à me demander si cela vous affecterait si jamais je venais à disparaître, moi aussi.
  • Bien-sûr que oui, enfin ! Tu es un des piliers de l'équipe !
  • Je... C'est que parfois, l'idée que je puisse disparaître sans rien avoir accomplis, sans rien laisser derrière-moi, sans avoir réalisé mes projets... Cumulé à la crainte que la disparition ne vous choque pas, tout cela a fait remonter beaucoup de colère et de frustration que je t'ai envoyé à la gueule. J'ai fait une projection sur Arnaud et le fait que tu n'aies pas su quoi répondre à son appel au secours, cela m'a fait mal réagir. J'étais furieux après cet homme qui se prends pour Dieu et se permet de décider arbitrairement qui doit vivre ou mourir et dont la décision est inéluctable... Cela m'a fait t'envoyer une colère qui ne t'étais pas destinée...
  • Je comprends et je te pardonne.
  • Terrence, ouvre ton cœur à ton ami. Je sais que tu sauras trouver les mots justes.
  • Merci Savane. Je pense que tu viens de grandement m'aider.
  • Bon courage. Tiens-moi au courant. Je retourne bosser.

Puis je raccroche. C'est à ce moment-là qu'Arnaud revient.

  • Arnaud ? T'es enfin là ? T'as disparu pendant presque deux heures...
  • Je... J'étais tellement crevé que je me suis laissé tombé à plat ventre sur la pelouse, à l'ombre d'un arbre, et y ai succombé au sommeil.

Je comprends mieux pourquoi il a l'air plus lucide. Arnaud traverse le séjour et se prend une chaise dans la cuisine sur laquelle il s'assoit. Il pose ses coudes sur la table et met son visage entre ses mains.

  • Tu te rappelles, Terrence, combien il est difficile de rester éveillé lorsque le sommeil te gagne ?
  • Assez bien, oui. Cela me fait souvent cet effet-là quand je suis classe, et tout particulièrement pendant les cours de gestion.
  • Tu comprends ce que j'endure ? A passer des nuits entières à m'empêcher de dormir ?
  • Je n'ose imaginer.
  • Les soldats d'élite y arrivent, eux... Alors pourquoi est-ce que moi, je m'endors et dois utiliser mon pouvoir me réveiller ?
  • Si tu veux mon avis, c'est parce que les exploits de ces soldats n'arrivent que dans les films.

Arnaud lève les yeux au ciel.

  • L'étau se resserre, Terrence. J'ai dormi une heure et pendant que j'étais à Dreamland, j'ai revu les médecins qui m'ont dit que si j'effectuais une nuit complète, ce serait la dernière.
  • Je vois.
  • Il va probablement falloir que j'utilise des médicaments. Que je...
  • Non, répondis-je fermement.
  • Excuse-moi ?
  • Tu arrêtes, Arnaud. Et tu le fais tout de suite.
  • Mais pourquoi tu dis-ça ?

Je m'assois face à lui.

  • Il y a quelque chose que je ne t'ai pas dit, Arnaud. Je suis un voyageur, moi aussi.
  • Arrête. Ne te moques pas de moi !
  • Ce n'est pas une blague.
  • Tu... Tu as surmonté ta phobie du feu ?

Je réponds par un hochement de tête.

  • Alors... Quand je t'ai tout raconté tout à l'heure... Tu étais déjà au courant pour Dreamland ?
  • Exactement.
  • Mais... Mais pourquoi tu ne m'as rien dit ?
  • Parce que tu avais besoin d'être écouté et que je m'en voulais alors de ne pas t'avoir fait part de ma condition de voyageur avant aujourd'hui.
  • Whao...
  • Je vais à Dreamland toutes les nuits avec trois amis et, je te l'accorde, c'est un endroit fantastique, mais il est grand temps que tu lâches prise.
  • Pourquoi ?
  • Parce que l'obsession que tu nourris vis-à-vis de tout ça va trop loin. Tu mets ta santé en danger et pourrais même en arriver à compromettre les projets que tu as dans le monde réel.
  • Mais si je dors, je vais mourir !
  • Et c'est quelque chose que tu ne peux pas empêcher !

Arnaud se tait.

  • Entendons-nous bien, Arnaud : ce qui s'est passé ce soir-là n'était pas ta faute. Tu as été victime d'un criminel et tu n'as rien fait pour mériter ça. Cependant, tu dois accepter le fait qu'il n'y ait pas d'issue. Il est impossible de te soigner dans les temps et toi, tu vas finir par te tuer à force d'accumuler les nuits blanches. Il est temps que tu acceptes ce que ni toi ni personne d'autre ne peut changer et profite de ta dernière nuit à Dreamland.
  • Mais... Mais je ne veux pas renoncer à Dreamland...
  • Peut-être mais c'est le prix à payer pour être enfin libre.
  • J'ai ... dit-il en se retenant de pleurer, J'ai l'impression que si je cède, je laisse Cornélius gagner...
  • Tu n'as même pas eu la possibilité de te défendre. Cornélius a gagné une partie sans risque et en mettant ta santé en danger, tu accrois l'emprise qu'il a eu sur toi.
  • Terrence, je... Je ne veux pas mourir seul... m'implore-t-il.

Je le prends dans mes bras.

  • Tu ne seras pas seul. Tu aimerais que mes amis et moi passions la nuit avec toi ?
  • Oui, dit-il en m'étreignant. Fais-ça pour moi, je t'en prie.
  • Alors ce soir, on te rejoindra et on passera la nuit où tu voudras.
  • ... Merci.

A Dreamland, cette nuit-là


  • C'est donc ici qu'Arnaud a voulu venir passer sa dernière nuit ? me demande Ève.
  • On dirait bien.

Nous sommes à un immense festival ressemblant à un mélange de plusieurs autres que nous connaissons déjà, comme le carnaval, avec des tas de gens déguisés et de décorations colorées, mais aussi "Dia de los Muertos", fête de commémoration mexicaine, et une de ces fêtes japonaise, où il y a des tas de stands sur lesquels il est possible d'acheter de la nourriture ou de jouer à des jeux, comme le lancé d'anneaux ou le chamboule-tout, ainsi des gens en kimono et de magnifiques lanternes suspendus à droite et à gauche.

  • J'ai hâte de rencontrer Arnaud, me dit Sabba.
  • Oui. Justement, le voilà, dis-je en le montrant du doigt.

Arnaud me fit signe de la main en arrivant jusqu'à nous.

  • Salut Terrence.

Je fus choqué en voyant son apparence.

  • J'ai si mauvaise mine que ça ?
  • Euh... Non, non, pas du tout...

En fait, si. Arnaud était très abîmé par son empoisonnement : il était maigre, voir squelettique, son teint était pâle et ses yeux parcourus de vaisseaux sanguins. Il avait l'air beaucoup plus affaibli que dans le monde réel.

  • Désolé. Je ne voulais pas t'infliger cela, me dit-il.

Je comprenais mieux pourquoi Arnaud se refusais à revenir à Dreamland. Nuit après nuit, il voyait son apparence physique se dégrader et je crois que moi-même, je ne supporterais pas de me regarder dépérir.

Savane s'approcha de lui.

  • C'est donc toi, Arnaud ?
  • Oui.

Puis, mon ami moralisateur lui tendit la main.

  • Moi, c'est Savane. Ravi de te rencontrer.
  • Pareil, lui dit-il souriant en lui serrant la main.
  • Moi c'est Sabba ! s'exclama Sabba en lui mettant une grande claque dans le dos.
  • En-enchanté, répondis Arnaud en ignorant du mieux qu'il pouvait la douleur de cette claque.
  • Et moi, c'est Ève, dit ma dernière amie en lui posant la main sur l'épaule.
  • Ravi de te rencontrer, répondit-il en lui faisant la bise.

Cette scène m'apaisa. Je voyais Arnaud se détendre en saluant mes amis, ce qui m'aida à oublier son état de santé.

Lorsque j'avais vu Arnaud, la première réaction que j'avais envisagé était d'appeler au secours, de l'emmener à l'hôpital mais voir mes amis se comporter normalement, me rappela qu'il n'y avait plus aucune raison de s'affoler. Arnaud allait mourir, c'est inéluctable, et notre mission à nous est de faire que sa dernière nuit à Dreamland soit merveilleuse.

  • C'est sympas, cet endroit, lui dit Savane.
  • Oui. Je crois que j'ai toujours aimé ce genre d'endroit et que je rêvais depuis longtemps d'y aller en vrai.
  • Eh bien dans ce cas, avant d'en profiter, je te propose d'aller reprendre quelques couleurs.

Puis Savane nous conduisit jusqu'à un stand, plus loin, où il était possible de se faire maquiller. Ève, elle, en remarqua un autre, juste à côté, sur lequel il était possible d'acheter des vêtement et des accessoires. Nous en sortîmes entièrement relookés : Arnaud était maquillé en squelette coloré comme ceux que l'on voit à Dia de los Muertos, avec un bonnet sur lequel il y avait une paire d'ailes de chauve-souris en plastique, et une sorte de costume noir comme portent les lycéens japonais, mais avec la chemise entrouverte et une cravate très déserrée autour du cou.

Ève portait un kimono bleu turquoise et chaussait des yukatas. Ses cheveux, teints en rose, étaient coiffés en chignon avec une paire d'aiguilles plantée en croix à l'intérieur, son visage était couvert de paillettes et traversé horizontalement de traits colorés en forme de vagues, et elle avait reçu un très bel éventail.

Savane prit un kimono blanc aux manches déchirées avec des bracelets de forces en coton autours des poignets et des chevilles, un foulard en forme de requin souriant de toutes ses dents enroulé autour de son front et couvrant ses cheveux, et des cicatrices dessinées sur le visage et un faux pansement sur le nez, illustrant les nombreux combats que notre compétiteur avait pu mener.

Sabba mis un déguisement de clown ratsa. Son vêtement était coloré et très large. La chemise avait des pompons en guise de boutons, était sans manches, laissant voir ses bras tous maigres, et le bermuda exhibait fièrement les jambes maigres et poilues de Sabba, ainsi que ses tongs dépareillées. Il portait également un béret mais rouge, jaune et vert, et tenait une palette de couleur avec un pinceau en forme de roulé au cannabis. Il eu de fausses tâches de peinture sur le visage comme touches de maquillage.

Moi, je recevais un serre-tête avec des cornes de diables, un manteau violet foncé ressemblant à celui d'Ichigo Kurosaki quand il sort son Bankai (long, ouvert et déchiré) avec un Marcel blanc en dessous, un bermuda noir et troué aux jambes, puis on me maquilla une tête de citrouille d'Halloween sur le visage avant de me donner un bâton noir long et fin au bout duquel était planté un croissant de Lune en train de sourire.

  • Tous le monde est prêt ? S'écria Sabba.
  • Ouais !
  • Alors allons-y !

Nous passâmes la nuit à essayer les différents stands, à goûter des plats et des sucreries sans aucune modération, surtout qu'ils mettaient toujours à notre disposition une assiette de cacahuètes magiques grâce auxquelles, quand on en mangeait une, notre estomac était vide à nouveau, ce qui empêchait l'ivresse ou la satiété. Nous goûtâmes alors des plats épicés et colorés, des alcools forts, doux ou fruités, ainsi que des confiseries tellement surprenantes que certaines ridiculisaient les chocogrenouilles qu'il nous était donné de voir dans Harry Potter.

Nous essayâmes aussi certaines attractions. L'une d'elles était une course de kart nous faisant faire un circuit à travers la montagne. On pouvait monter seul ou à deux. Tous montèrent seuls, sauf Arnaud qui vint avec moi. Trop affaibli pour pouvoir conduire, il prit le siège passager et profita de la vitesse, avec le vent qui lui arrivait en plein visage.

  • Terrence, c'est trop génial !
  • Je ne suis peut-être pas doué à grand-chose mais au moins, je peux me vanter d'être excellent à Mario Kart !

Je lui répondis cela parce qu'effectivement, l'attraction nous donnait l'impression d'une vraie course du célèbre jeu-vidéo Mario Kart. Arnaud admira les paysages, poussa un cri de joie à chaque virage puis, lorsque nous passâmes à travers un canon qui nous envoya dans les airs, le kart sorti son delta plane, nous faisant terminer la course en planant dans le ciel. Arnaud se leva sur son siège et écarta ses bras, savourant pleinement cet intense moment de liberté.

  • Je suis le roi du monde ! s'écria-t-il.

Nous terminâmes la courses. Arnaud et moi finîmes deuxième, derrière Ève qui arriva loin devant nous, ce qui nous impressionna, d'autant plus que Savane, Sabba et moi avions l'habitude de jouer ensemble à Mario Kart, lors de nos soirée jeux-vidéo hebdomadaires.

  • Je ne savait pas que tu était doué à ce genre de chose, dis-je bouche-bée.
  • Tu apprendras, Terrence, que j'ai plus d'un tour dans mon sac.

Pour nous remettre de nos émotions, nous nous rendîmes sur une terrasse sur laquelle il y avait des table à pique-nique et, tout autour, des stands de boisson et de nourriture, d'autres vendant des jouets, et une scène sur laquelle passait des artistes amateurs venus présenter leurs numéros. Certains chantaient, d'autres jouaient d'un instrument original, certains humoristes tentaient leur chance, d'autres dansaient ou jouaient une pièce... Nous nous installâmes à une table et un serveur vint à nous.

  • Bonsoir, jeunes gens. Je serai votre serveur et mon défi de ce soir sera de trouver la boisson qui vous convient le mieux.

Il nous examina l'un après l'autre puis dit à Sabba.

  • Vous, mon ami, voici le cocktail "Cool-Man".

Puis il lui servit une boisson dont émanait une fumée colorée à l'odeur euphorisante.

  • Vous, mademoiselle, je vous propose la "Sirène dans son Bocal".

Il lui servit un milk-shake rose et turquoise dont les couleurs dessinaient un tourbillon en train de tourner dans son verre. Il s'occupa ensuite de Savane.

  • Je pense que pour vous, ce sera sans hésiter une "Bière Bagarre".

Il le servit et arrêta la mousse juste au moment où elle atteignait le bord du verre. Il y glissa ensuite un petit boisson qui se mit à nager à l'intérieur. Il me servit ensuite moi.

  • Je sais reconnaître un contrôleur du feu quand j'en vois un. Je vous proposerais donc un "Dragon Shot".

Il me servit un shot auquel il mit le feu.

  • Quant à vous, mon jeune ami, Je vous propose d'essayer le "Drink Positive".

Puis il versa une boisson qui, une fois dans le verre, ressemblait à plusieurs disques colorés empilés les uns sur les autres.

  • Bon, dis-je, Eh bien, santé !

Nous trinquâmes puis bûmes à tour de rôle. Sabba le premier et ce dernier se décontracta en affichant une expression de pur bien-être avec un sourire jusqu'au oreilles.

  • Le "Cocktail Rasta" provoque la même sensation que la consommation de drogues douces de première qualité, expliqua le serveur. Ses effets durent moins longtemps que si vous en preniez en vrai mais au moins, vous n'avez ni les effets addictifs, ni ceux qui sont néfastes pour la santé et vous conservez toute votre lucidité.

Ève bu à son tour.

  • Je ne me sens pas différente...
  • Poussez la note, pour voir.

Ève essaya de chanter et prit, sans le vouloir, une voix de diva.

  • Une voix de sirène que vous pourrez mettre à profit cette nuit.
  • Oh, j'adore !
  • A vous, jeune homme.
  • Euh...
  • N'ayez pas peur. Le poisson est comestible.

Savane tenta sa chance à son tour et bu une gorgée.

  • Je me sens galvanisé !
  • La bière bagarre attise la combativité. Les effets sont normalement instantanés mais grâce à ce petit poisson artificiel, vous pouvez en contrôler les effets.
  • Ce n'en est pas un vrai ?
  • Non. Mâchez-le, vous aurez plus l'impression de manger un marshmallow qu'autre chose.
  • Eh bien c'est cool. Terrence? Je crois que c'est ton tour.
  • Bon. Eh bien allons-y.

Je bu mon shot.

  • Bien. Regardez vers le ciel et essayez de cracher du feu, maintenant.

J'appliquais les consigne et je me vis capable de cracher des flammes comme un ignivome, puis d'en cracher en forme de tourbillons, de faire un tir de magnésium, de plasma ou de cracher des boules de feu qui explosaient avant de redescendre et dont les étincelles s'éteignaient presque instantanément. On aurait dit le film "Dragons" de Dreamworks.

  • Trop bien ! Arnaud ?

Arnaud essaya à son tour.

  • C'est comment ?
  • Je me sens bien...

Soudain, la boisson fit varier, briller ou clignoter les couleurs de son maquillage, de ses vêtements et même de ses accessoires, comme les lumières d'un sapin de Noël. Cela nous fit tous beaucoup rire.

  • Vous ai-je servi des boissons qui vous convenaient, jeunes gens ?
  • Oui ! avons-nous répondu d'une même voix.
  • Vous m'en voyez ravi. Profitez bien de notre festival et n'oubliez pas que je suis à votre disposition si vous souhaitez reboire quelque chose.

Il nous fut ensuite servi une carafe ainsi que des biscuits apéritifs. Nous en profitâmes pour aller remplir nos assiettes de brochettes, grillades, fritures... Puis nous nous installâmes pour manger et parler. Etant donné qu'à Dreamland, Arnaud disposait de toute sa concentration, je pu donc lui raconter à nouveau les histoires que j'avais évoqué lors de mon arrivé, dont certaines plus en détails, comme celle concernant le fait que Sabba était très négligent et maladroit en ce qui concerne les ordinateurs.

  • Sérieux ? pouffa Arnaud, Tu t'es fait choppé avec un porno par tes amis alors que tu organisais une fête chez toi ?
  • Oh, ça va... marmonna Sabba, Cela peut arriver à tout le monde...
  • On l'a découvert à Dreamland, dis-je. Savane, Sabba et moi, on était entré dans un mystérieux chapiteau et le premier numéro fut de diffuser sur grand écran le moment le plus embarrassant qu'une personne, choisie au hasard dans le public, avait vécu.
  • Nous avons alors vu Sabba chez-lui faisant la fête avec ses amis, repris Savane. L'un d'eux a ensuite voulu lancer la musique sans savoir que le disque qui était déjà inséré dans l'ordinateur n'était pas un album mais un DVD de film pour adulte. Plutôt qu'une chanson, les invités ont eu droit à une actrice en train de beugler.

Puis nous rimes tous les trois pendant que Sabba se noyait dans son verre.

  • Ne rigolez pas... Certains ne m'ont plus adressé la parole après ça...
  • Et après, on s'étonne que je sois la seule fille dans cette bande de dingue, soupira Ève.
  • Oh, allez Sabba, dit Arnaud. On rigole mais ça ne veut pas dire que l'on te prend pour un idiot. C'est vrai que ça a dû être un coup dur sur le moment mais c'est maintenant une histoire marrante à raconter et, je pense parler au nom de tout le monde à cette table quand je te dis que notre estime pour toi demeure inchangée.

Tout le monde hoche la tête.

  • Merci les amis, dit Sabba en essuyant une larme.
  • Faut dire aussi qu'on en avait tellement peu, de l'estime... ajouta Savane.

Tout le monde éclata de rire.

  • N'empêche, Ève, repris-je. Tu te plains de ce genre d’anecdote mais c'est quand-même comme ça qu'on t'a aider à surmonter ta phobie.
  • Ah bon ? demanda Arnaud.
  • Ève était atélophobe. Elle avait peur de l'imperfection. Elle est apparu sur scène, a vu son physique de jolie fille disparaître au profit de celui qu'elle avait avant, tout en essuyant les moqueries des autres individus dreamlandais qui étaient dans la salle. Je lui ai finalement envoyé un micro, ce qui lui a permis de se défendre et de les envoyer chier.
  • J'ai ainsi vaincu ma phobie et ai reçu mes pouvoirs avant de rejoindre la bande.
  • Cool, dit Arnaud.

Cependant, mon ami remarque que l'attitude d' Ève a changée et réalise en même temps que moi que ce sujet est encore sensible. Il décide alors de caresser l'épaule d'Ève avec le dos de sa main.

  • T'as eu raison de les envoyer chier, Ève. Ras-le-bol de tomber sur des cons à qui personne ne dit jamais rien. Au final, tu y as gagné sur toute la ligne et franchement, j'aurais aimé te voir faire parce que ça devait être royal.
  • Merci Arnaud. C'est adorable.
  • Bon, dis Savane un petit peu agacé. Je vais me resservir.
  • Euh... Moi aussi, dit Arnaud.

Puis, les garçons s'en allèrent.


Au stand des brochettes


Savane se sert, l'air un petit peu agacé. Arnaud le rejoint et se sert sans dire un mot. Finalement, Savane s'arrête et lui adresse la parole.

  • C'est quelle brochette que tu préfères ?
  • Peu importe.

Savane se retourne et regarde ses amis.

  • Ce sont de chics types, dit Arnaud.
  • Oui. J'ai parfois du mal à les supporter mais au fond, je reconnais que j'ai de la chance de les avoir.
  • Ouais...

Puis Arnaud ose se jeter à l'eau.

  • Savane, s'il y a quelque chose entre Ève et toi, je te jure que je ne savais rien...
  • Hein ? Ah non, non. Il n'y a rien entre nous.
  • Ah ? Mais alors pourquoi tu...
  • C'est parce que... C'est parce que tu es trop gentil !
  • Ah ?
  • Je t'apprécie beaucoup Arnaud. Et quand je vois combien tu es sympas, je trouve de plus en plus injuste ce dont tu as été victime. Je te jure, je suis furieux après Cornélius ! Mais je ne peux m'empêcher de me dire que c'est ta gentillesse qui t'a condamnée et quand je vois que même maintenant, tu continue d'être gentil, j'en viens à redouter que cela ne se reproduise à l'avenir et cela m'énerve un petit peu.

Arnaud soupir et se prend un morceau de viande rôti avec un petit peu de légumes frits.

  • Je dois t'avouer que je me déteste aussi par rapport à ça... En fait, aujourd'hui encore, je ne peux m'empêcher de penser à mes anciens coéquipiers, me dire qu'ils vont connaître le même sort que moi et regretter de ne pas avoir pu les sauver.
  • Tu les as prévenu !
  • Hein ?
  • Tu les as prévenu, ils ont décidés de ne pas en tenir compte, alors maintenant, ils doivent se débrouiller tout seul.
  • Hm... C'est vrai.

Arnaud tousse.

  • Tu t'es conduit en camarade avec eux, Arnaud. Tu étais plus investi dans la cause de ce roi qu'il ne l'était lui-même et ils t'ont pris de haut. Dis-toi que maintenant, tous ceux qui t'ont fait du tort vont payer : les autres voyageurs ? Ils se feront eux aussi emporter par le poison. Le roi ? Sans voyageurs, il se retrouvera seul et ruiné, condamné à disparaître. Cornélius ? Crois-moi, il ne s'en sortira pas impunément...
  • Je sais. C'est juste que j'aurais aimé un dénouement plus positif...

Savane reste immobile et silencieux quelques instants.

  • Arnaud... Je peux te confier un secret ?
  • Si tu veux.
  • Il ne faudra pas le répéter aux autres.
  • Je mourrai à la fin de la nuit et oublierai tout. Si tu veux te confier, c'est maintenant ou jamais.
  • Je... J'ai eu une copine à une époque...
  • Avec qui ça s'est mal passé ?
  • On peut dire ça. J'étais très amoureux mais elle, elle ne faisait que jouer avec mes sentiments. Pour qu'elle ne s'en aille pas, je devais lui donner toujours plus, céder à chacun de ses caprices, comme si je lui criais à genoux "Reste ! J'ai encore ça à t'offrir !". J'étais sûr de moi et plus romantique, à l'époque mais elle a su me manipuler... Elle faisait des promesses qu'elle ne tenait pas, étendait son territoire toujours plus loin sur le mien et endormait ma vigilance avec quelques phrases, un petit peu de sexe, et me piquait des crises impressionnantes si je lui refusais quelque chose.
  • Merde...
  • Un jour, elle en a eu assez de moi. La charognarde n'avait plus que des os à ronger et elle a préféré passer à une proie plus intéressante. Elle est allée voir ailleurs, du jour au lendemain et je lui ai fait part de mon incompréhension vis-à-vis de ça. Elle m'a répondu sans aucune compassion qu'elle s'était lassée et que je n'étais pas assez bien pour elle, en précisant bien que j'étais pitoyable et qu'elle était presque écœuré tellement j'étais grotesque.
  • Ouille...
  • J'étais déjà exsangue, parce que je n'avais plus ni argent, ni moral, ni énergie, mais en plus, j'avais été blessé dans ma fierté !
  • Je suis désolé Savane. Je ne savais pas.
  • Ce n'est pas la peine de t'excuser, Arnaud. Tu n'y es pour rien. Je n'attends pas non plus de toi que tu m'adresses des paroles réconfortantes. Je suis trop fier pour les accepter, d'habitude. Néanmoins, étant donné qu'à Dreamland, tu as la possibilité de te venger impunément de quelqu'un qui t'a fait du tort, je me demande quand-même pourquoi tu ne tiens pas plus que cela à rendre la monnaie de sa pièce à Cornélius...
  • Parce que... Parce que ça n'a plus d'importance. Aucune vengeance ne me rendra ce que je vais perdre alors dans ce cas, je préfère préserver le peu que Cornélius ne m'a pas enlever plutôt que de le lui consacrer.

Savane reste immobile et silencieux quelques instants avant de finalement invoquer un poisson.

  • Qu'est-ce que tu fais ?
  • J'aimerais te prendre un petit peu de ton sang afin de comprendre. Un de mes autres poisson est un expert en poison. Peut-être qu'il comprendra mieux...
  • Je préférerai éviter. J'ai peur que mon affaiblissement m'empêche de cicatriser. Et si tu allais demander un échantillon à l'hôpital où je me suis fait examiné ?
  • Ou alors de la salive et des cheveux.
  • Ça, d'accord. Ça ne craint rien.


Pendant ce temps, à table


Une fois Arnaud parti, Ève me dit :

  • Il est gentil.
  • Très.
  • Cela rend les choses d'autant plus injuste.
  • Qu'est-ce que tu veux dire ?
  • Tu sais, Terrence, Arnaud et moi avons eu à peu près la même expérience : on a eu affaire avec des gens cons qui nous ont fait croire qu'on était pas assez bien et cela nous a libérés de les envoyer chier. Cela nous a ouvert les portes d'une nouvelle vie... En tout cas, à Dreamland.
  • Mais ?
  • Mais moi, j'en profite depuis le début. Arnaud, lui, il ne profite que de la fin...

Ève dis ça en le désignant. Je vois Arnaud et Savane discuter ensemble.

  • Il a l'air de tenir le coup...
  • Détrompe-toi. J'ai senti sa main à travers son gant. Il est plus maigre que quand nous sommes arrivés. Il perd des forces et du poids au fur et à mesure que le temps passe.

Je vois Arnaud tousser.

  • Il s'affaiblit, Terrence... Et maintenant, je regrette presque autant que lui qu'il n'ait pas plus de temps devant lui.

Je fixe mon verre. Ève m'avertit :

  • Reste près de lui, surtout.
  • Pardon ?
  • Ça va, on a un bon contacte avec lui mais c'est toi, son plus vieil ami. Alors surtout, ne te mets pas la rate au cours bouillon si tu passes plus de temps avec lui qu'avec nous. C'est même ce que je te demande.
  • Merci Ève mais je dois t'avouer que je suis bouleversé par ce qui se passe : j'ai perdu ma mère à l'époque et j'ai apprécié le soutien que ma apporté Arnaud. Maintenant, c'est Arnaud qui meurt et là, ça me renvoi dans le passé... J'ai du mal à affronter ça et, pour cette raison, j'ai vraiment besoin du soutien de la bande parce que sinon, j'ai peur de m'enfuir ou de m'écrouler.

Je me penche sur la table et Sabba me tapote silencieusement l'épaule. C'est alors que notre serveur repassa devant nous.

  • Tout va comme vous voulez ?
  • Oui, merci.
  • Parfait. Sachez d'ailleurs que, par rapport aux boissons que je vous ai servi, vous pourrez mettre à profit les bienfaits de la "Sirène dans son Bocal" lors du karaoké ou de la "Bière Bagarre" sur le ring qui est de ce côté, dit-il en nous le désignant.
  • Parfait, dit Ève.
  • Mais au fait, demanda Sabba, je viens de voir que vous servez deux boissons, ici : la "Bière Bagarre "et la "Boisson Baston". Quelle est la différence entre les deux ?
  • Au moment de la préparation, pour l'une des deux, on utilise de l'eau de source et pour l'autre, la sueur des combattants du ring, récoltée au fil des ans.

Silence.

  • Et... Et notre pote, il a eu laquelle ?
  • J'arrive ! Excusez-moi, jeunes gens, le devoir m'appelle en table 5.

Puis il disparu juste avant qu'Arnaud et Savane ne reviennent.

  • Tout va bien ? Demanda notre copain aux cheveux courts.
  • Euh... Oui oui, répondis-je
  • Je me verrai bien ensuite tenté ma chance sur le ring, ajouta-t-il.
  • Ah oui... Le ring, dis-je.
  • Je n'ai plus très soif, d'un seul coup, dis Ève.
  • En tout cas, elle m'a bien plu, ma boisson ! Je vais m'en commander une autre !
  • Euh... Savane, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée... Peut-être que tu devrais arrêter la Bière Bagarre...
  • Hm... Tu as surement raison. Dans ce cas : Garçon ! Une grande Boisson Baston !
  • Oups...


Puis la soirée repris. Ève fit un malheur lors du karaoké et Savane remporta plusieurs combats sur le ring face à des mecs qui ressemblaient à des catcheurs mexicains. Nous ne pûmes cependant pas l'empêcher de boire plusieurs pintes de boisson galvanisante.

  • C'est cool, ces combats, nous disait-il. Mais quelqu'un a compris pourquoi est-ce qu'il y a des petits gars qui courent partout avec des seaux et des raclettes ?
  • Euh... Non, disions-nous nonchalamment.

Nous continuâmes la nuit à profiter du festival, à explorer chaque stand, essayer chaque jeu et je pus voir Arnaud, sous son maquillage de squelette, rire à gorge déployer pour la première fois depuis nos retrouvailles. J'en vins même à oublier qu'il était mourant. On n'était plus que deux vieux amis qui rigolaient comme des gamins. Nous retrouvions une innocence et une insouciance que nous n'avions plus depuis très longtemps. Puis, plus tard...

  • On s'amuse bien, hein Arnaud ?
  • Ou-ouais...
  • Ça ne va pas ?
  • Excuse-moi, Terrence... Je...

Il s'écroula en s'agrippant à un truc. Savane le releva.

  • Désolé... Je... Je n'arrive plus à tenir debout... Je ne sens plus mes jambes...

La réalité me revint en pleine figure. Arnaud avait vidé ses forces. Il ne nous restait plus beaucoup de temps. Me voyant angoisser, Sabba me prit à part.

  • Terrence... Il serait peut-être temps que l'on se prépare pour le grand final, tu ne crois pas ?
  • De quoi tu parles ?
  • Apparemment, c'est bientôt l'heure du grand feu d'artifice chargé d'annoncer la fin du festival. On devrait peut-être aller se trouver de bonnes places.
  • Euh...

Je vis, en tournant la tête, une falaise au sommet de laquelle il y avait un arbre planté sur une vaste pelouse. Un sentier nous permettait d'y avoir accès facilement.

  • On verra bien, de là-haut ?
  • Oh oui, bonne idée !

Je me dirigeais vers mon ami.

  • Arnaud ?
  • Oui ?
  • On va aller se poser tranquillement là-haut pour profiter de la fin du festival, lui disais-je en lui désignant l'endroit choisi. Tu vas voir, c'est très calme.
  • Je... Je ne crois pas que j'arriverai à marcher aussi loin.
  • T'inquiète. J'te porte, dit Savane en prenant Arnaud sur don dos.


Nous nous dépêchâmes ensuite de rejoindre l'endroit désigné. Les bras enroulés autour du cou de Savane, Arnaud me parlait, complètement KO.

  • Hé hé hé... Je n'ai pas l'air trop ridicule ?
  • Pas du tout.
  • Moi, j'ai l'impression que si. Même plus fichu de remonter un sentier...
  • Ce n'est pas ta faute.
  • Tu aurais dû me voir à l'époque, Terrence. J'aurais été capable d'atteindre le rebord de la falaise d'un seul bond depuis là où nous étions quand tu me l'as montré. Ça aurais été... Magnifique.
  • Je n'en doute pas.

Je lui pose la main sur l'épaule.

  • Terrence... Est-ce que tu m'en veux ?
  • Quoi ? Pourquoi ça ?!

Il a les larmes aux yeux.

  • Je ne me suis jamais renseigné pour savoir si tu étais à Dreamland, toi aussi. Je suis devenu voyageur et je n'ai jamais pris la peine de venir te voir. Je ne me suis jamais dis que tu pouvais en être devenu un, toi aussi, alors que je savais très bien que tu avais la phobie du feu...
  • Non, Arnaud, non ! Ne dis pas ça... Moi aussi, je ne suis pas venu prendre de tes nouvelles. En plus, tu n'es pas responsable de moi. C'est normal que tu vives ta vie et que tu fasses ce que tu as envie de faire et ce n'est pas ta faute si l'expérience que tu as vécu t'a déçue...
  • Je... Je ressens comme un coup de poignard. C'est tellement injuste, tellement douloureux... J'ai tellement besoin que ça ait un sens...
  • Crois-moi Arnaud, parfois la vie, elle se contente d'attribuer ses saloperies au hasard à tous ceux qui, un jour, tirent le numéro perdant à la loterie. Si me prendre ma mère avait un sens, je suis bien curieux de savoir lequel !
  • ... Te donner un moyen de devenir voyageur ?
  • Je trouve que cela reste trop cher payé. Honnêtement, j'ai plutôt l'impression que les événements arrivent et qu'on ne peut que composer avec la situation...
  • Elle nous aura quand-même affecté tous les deux.

Puis, nous arrivons à destination.

  • On y est, dis-je.
  • Je ne suis pas trop lourd ? demanda Arnaud à Savane.
  • Léger comme une plume.
  • Tu... Tu veux bien m'asseoir au pied de l'arbre ?

Savane s'exécute.

  • Merci, ça fait du bien. Les arbres me revigorent.

Il se tourne vers mes amis et leur dit :

  • Terrence a bien de la chance de vous avoir. Je trouve que vous êtes de très bons amis

Ils répondent par un sourire. Nous sentons tous que la fin est proche ce qui, en dépit de nos efforts, réduit notre moral à zéro. Arnaud se met alors à pleurer, le visage entre ses mains.

  • Je ne veux pas mourir. Pas maintenant, pas comme ça... J'aurai pu faire tellement plus de choses... En savoir tellement plus sur Dreamland. Ou du moins, j'aurais voulu avoir le droit de conserver mes souvenirs et ne pas disparaître en oubliant tout de Dreamland, comme si cette nuit n'avait jamais eu lieu...

Mes amis me regardent. Ils me font comprendre que c'est à moi d'intervenir, maintenant. C'est alors que la peur me quitte et, calmement, je pose mon genou devant Arnaud et lui prend les mains. Curieusement, son maquillage à la Dia de Los Muertos n'a pas coulé.

  • Arnaud, ça va aller. On est là, avec toi. Tu es entouré de gens qui t'aiment, à commencer par moi.
  • Je... Je ne veux pas oublier...
  • Cela n'arrivera peut-être pas. Et peut-être que la mémoire te reviendra si jamais tu étais amener à redevenir voyageur d'une autre façon.
  • Et si c'était faux ?
  • J'ai l'intime conviction que tout ne s'efface pas quand tu quittes Dreamland. Je suis certains que tu garderas dans ton cœur une trace de toutes ces expériences, au lieu d'avoir une stupide remise à zéro. Maintenant écoute-moi : j'ai besoin que tu me fasses une promesse.
  • Laquelle ?
  • Ne me cède plus jamais ta part de cookies.
  • Quoi ?
  • Tu te rappelles pourquoi tu as pris l'habitude de faire ça ?
  • Oui. Je voulais te consoler d'avoir perdu ta mère.
  • Eh bien je ne veux plus que tu aies ce geste pour moi.
  • Pourquoi ?
  • Parce que c'est mon fardeau, Arnaud ! Cette douleur m'appartient et il t'est impossible de m'en soulager ! Tu te prives d'une part d'amour et de bonheur que t'apporte ta mère et tu endures une partie de ma souffrance tout ça pour ne créer que des illusions ! Tu te mets à souffrir à cause d'un fardeau qui ne t'appartient pas et je ne suis pas allégé par une part d'amour qui m'est cédée ! Et aujourd'hui, Arnaud, je ne supporte plus de te rendre malheureux. Tu as droit au bonheur, tu as droit à l'amour et surtout, tu as droit à la liberté ! Et je ne veux plus que tu sacrifies ta part pour une autre personne en souffrance, même si cette personne, c'est moi !
  • Je... Je ne savais pas... Ce n'est pas ce que je voulais.
  • Je sais. J'ai été profondément touché par tout ce que tu as fait pour moi mais il est grand temps que nous assimilions la leçon suivante : il est impossible de me rendre ma mère et, quand bien même ce serait le cas, ce n'est pas à toi de le faire ! Tu as ta mère, tu as l'amour des tiens, et c'est quelque chose qui t'appartient. Je veux maintenant que tu en jouisses pleinement sans plus te soucier de mon ressenti. C'est à moi de composer avec mon passé et ma souffrance, à moi de devenir fort et responsable. Tu n'as pas à l'être pour moi, tu n'as pas à l'être à ma place. Ton rôle à toi est, avant tout, d'être libre !

Je lui pose les mains sur les épaules.

  • Je n'ai plus besoin que tu me cèdes ta part de cookies.
  • Terrence je, dit-il en se taisant quelques secondes avant de me répondre avec aplomb... Je t'en fait la promesse.

Je le serre dans mes bras.

  • Je t'aime, Arnaud.
  • Je t'aime aussi.

Puis, j'entends le lancement d'une fusée qui s'envole, puis explose. Je m'écarte un petit peu et vois le regard émerveillé d'Arnaud, dont les lumières se reflètent dans ses yeux grands ouverts.

  • Un feu d'artifice, murmure-t-il. J'ai toujours adoré les feu d'artifice.

Nous debout et lui assis, nous admirons les formidables déflagrations dans le ciel. Arnaud semble avoir sommeil mais il résiste. Pour rien au monde, il ne passerait à côté du spectacle. Les fusées dansent, les couleurs brillent et se mélangent puis, arrive le bouquet final tant attendu. Nous portons nos regards sur Arnaud qui ne quitte pas le ciel des yeux.

  • C'est magnifique, murmure-t-il.

Il se met ensuite à cligner des yeux.

  • Mes amis... Merci d'être rester avec moi cette nuit... Je me suis vraiment... Bien amusé.

Puis Arnaud ferme ses paupières et laisse sa tête tomber sur le côté en expirant... Pour la toute dernière fois. Son corps se met lentement à briller avant de doucement disparaître, des pieds à la tête, en une nuée de lucioles qui s'élèvent pour disparaître dans le ciel.

Je pleure, la tête basse. Ève pleure dans sa manche. Sabba pleure bruyamment la tête en l'air. Quant à Savane, il reste stoïque. Finalement, il suit du regard les dernières lucioles et dit "Prends soin de toi l'ami".

Adieu, Arnaud.

Adieu... Mon ami.


Le lendemain, dans la chambre d'Arnaud


Je me réveille, lentement, puis regarde l'heure. Il est tard.

  • Bien dormi, Arnaud ?

Pas de réponse. Je me tourne vers son lit... Il n'est pas là !

  • Arnaud ?

Je sors de la chambre en l’appelant mais je ne reçois aucune réponse en retour. Je réitère l'opération en descendant les escaliers à toute vitesse. Où est-il ? Je dois m'assurer qu'il va bien !

Je tombe sur la porte de la cuisine. Elle est fermée mais la lumière qui passe en dessous m'indique que les volets des fenêtres sont ouverts.

  • Arnaud, tu es là ?

Pas de réponse. Je pousse la porte.

  • Arnaud ?

Ce que je vis me stupéfia.

Laisser un commentaire ?