Sans la vue, le goût de vivre
Chapitre 2 Dans la lumière
~~~~~~~~~~
Dans un magnifique loft situé dans un des immeubles les plus côté du plus beau quartier de Manhattan, le bien nommé Upper East Side; régnait un capharnaüm pour lequel le mot capharnaüm semblait avoir été inventé. Et au milieu de ce loft, sur le grand salon d'angle gigantesque gisait, cuvant l'alcool accumulé durant la soirée de la veille, un jeune homme brun assez grand et âgé de vingt-cinq ans. Ce jeune homme n'était autre que Tyler Warrington, le chef du moment.
Tyler Warrington, fils de Anton Warrington, le grand magnat de l'immobilier New-yorkais, était à la cuisine gastronomie ce que le hard rock était à la musique classique, un paradoxe. Ayant grandi dans une famille on ne peut plus aisée, Tyler avait choisi dès le début de son adolescence de se rebeller totalement, sachant pertinemment que sa sœur d'un an plus jeune, Nora, reprendrait l'affaire familiale et son agence immobilière de luxe. Lui, alors âgé de douze ans préférait largement passer du temps avec ce que son père surnommait le bas peuple: le personnel de maison. Ce personnel était constitué de Carmen, la dame à tout faire et de Carlos, son époux et cuisinier de la famille. C'est Carlos, féru de cuisine française, qui lui a transmis le virus de la cuisine.
Quand il avait annoncé, autant par rébellion que par passion, son désir de devenir cuisinier, l'ambiance familiale devint électrique et depuis n'est toujours pas au beau fixe, Tyler faisant coïncider le nom Warrington avec frasques et décadence. Sans le soutien de sa mère Emma, Tyler n'aurait jamais pu avoir accès aux écoles de cuisine et il lui en était tout de même reconnaissant. Élève assidu et talentueux, il était destiné à de grandes choses. Commis dans les cuisines du Ritz de New-York, son chef de l'époque lui conseilla de s'inscrire à la cinquième édition de Golden Chief, le concours télévisuel le plus prestigieux des États-Unis.
Lors de ce concours, Tyler montra tout son talent et sa rage dans sa cuisine anarchique, mêlant toutes les cuisines du monde dans des plats plus époustouflant les uns que les autres. Même Gordon Ramsay était par moment stupéfait par son talent et son culot. Évitant toutes les épreuves éliminatoires, il se montrait de plus en plus impressionnant de semaines en semaines, même si l'épreuve de la reproduction d'un plat à l'aveuglette ne fut pas de tout repos mais heureusement il faisait équipe avec une jeune cuisinière tout aussi talentueuse. C'est d'ailleurs face à elle et dans une ambiance assez détendue qu'eût lieu la finale que Tyler remporta haut la main.
Par la suite, il fit de plus en plus la une des magazines obtenant une notoriété impressionante. Un jour, il décida de voler de ses propres ailes pour ouvrir son propre restaurant : Le Palais du Goût. Il s'était même entouré d'une équipe motivée et capable de le suivre dans ses idées culinaire plus extravagantes les unes que les autres dont son plat vedette : L'omelette curry risotto avec une sauce aux huîtres. Il obtint grâce à elle une étoile au guide Michelin après seulement six mois d'activité.
Cependant, sa notoriété montante et sa fâcheuse tendance à vouloir emmerder son père, le poussa à participer à toutes les soirées de la Jet-set new-yorkaise, fréquentant les stars de la musique ou de la télévision et à s'afficher avec des mannequins dans les magazines et cumulant de plus en plus de mauvaises réputations. Il a développé une certaine addiction à l'alcool en soirée et malheureusement son talent s'est fortement émoussé. Au bout d'un an d'ouverture, il n'était déjà plus aussi bon, et que dire de son inspiration... il n'en avait plus réellement, ses mariages improbables devenant l'ombre d'eux même. Il était désormais assez clair pour lui et son équipe que d'ici l'année suivante, il allait perdre son étoile et ce n'était pas son comportement avec tous les critiques culinaires qui le descendaient en flèche que cela allait s'améliorer. Et désormais, ses soirées finissaient toujours de la même manière : ivre mort et parfois avec des jeunes femmes dont il ignorait même le nom.
Un smartphone sonna, balançant le morceau Smell Like Teen Spirit de Nirvana dans la pièce.
- Grmbl... grogna Tyler sur le canapé.
Il saisit son téléphone, décrocha et le porta à son oreille.
- Gnéééé....
- Tyler?
- Ouais... Salut Priya.
À l'autre bout se trouvait Priya Varnesh, âgée de vingt-huit ans et surtout une cuisinière de talent. C'était elle, la jeune femme avec qui Tyler avait sympathisé lors de Golden Chief. Dès l'instant où ils s'étaient croisés, ils étaient devenus amis survolant les épreuves jusqu'en finale. Certes Tyler avait gagné mais pour lui, elle le méritait tout autant que lui. C'est pour cette raison que dès le projet "Palais du Goût" en place, il l'avait débauchée pour devenir son second et il faut bien l'avouer, ce n'était pas de tout repos pour elle. Elle tenait presque seule la baraque mais devait désormais lutter avec son meilleur ami pour l'obliger à se bouger le cul et revoir ses recettes. L'empêcher de boire et de fumer comme un pompier pour conserver son palais.
- T'es vivant ?
- Ouais... qu'est-ce qu'il y a?
- Tu sais l'heure qu'il est?
- Non mais parle pas trop fort j'ai la gueule de bois.
- Mon pauvre, il est déjà dix heures trente... MAGNE TOI LE CUL CRÉTIN !!!!!!! hurla-t-elle dans le téléphone.
Tyler eût le crâne en pleine vrille, véritablement en vrac, tombant même du canapé. Il n'avait pas vu l'heure et il aurait dû se trouver dans son propre restaurant depuis au moins deux heures.
- J'arrive...
- T'as intérêt pauvre con... dit-elle avant de raccrocher.
" Elle devrait se faire baiser plus souvent, elle me lâcherait la grappe." pensa Tyler.
Tyler se leva alors, et avisa sa bouteille de vodka sur la table et en but immédiatement une gorgée, la première de la journée. Il se rendit compte qu'il était torse nu et en jean, il chercha, au milieu du carnage dans son loft, un t-shirt propre avant d'enfiler sa veste et de foncer au garage de l'immeuble et monter dans sa Ford Mustang GT.
~~~~~~~~~~
Rejoignant son restaurant en ne faisant nullement attention à sa vitesse ou au code de la route, Tyler se gara dans l'allée derrière les cuisines, parking réservé au personnel de son établissement. Il courut pour passer la porte et enlever sa veste.
- Tiens, le patron s'est souvenu qu'il fallait cuisiner de temps en temps, fit un homme portoricain.
- Ho ça va Hector. Je suis juste à la bourre. Priya a la rage?
- Plutôt oui.
- Et merde...
Hector n'était autre qu'un membre de la brigade du Palais du Goût. Hector Jimenez, il avait trente-cinq ans et était originaire de Cuba, il avait déjà une belle carrière sur le territoire américain et était le chef de la partie poisson. Dans cette brigade, il y avait aussi James Holt, trente ans, qui gérait la partie légumes avec concentration et assiduité. Le dernier membre de la brigade était le génie de la cuisson des viandes Walt Torn, trente-deux ans. La différence notable avec beaucoup de restaurants actuels était que chaque membre de la brigade avait son mot à dire sur les fournisseurs et les produits achetés. Cependant les recettes restaient la mainmise de Tyler.
Celui-ci fonça aussi discrètement que possible au vestiaire et entendit la conversation téléphonique qui y avait lieu.
- Oui Maman, c'est sympa... non le chef n'est pas trop méchant... Hein? Non il n'a pas un composant bizarre. Non ni déplacé non plus. Bon faut que je retourne travailler ma pause est finie. Ho... bonjour chef, fit la jeune fille.
- Bonjour Amanda. Ravi de savoir que je me comporte bien.
Amanda Carver, une jeune fille de seize ans en pleine études de cuisine, effectuait son stage dans le restaurant de Tyler. Elle semblait douée mais manquait sérieusement de confiance en elle.
- Je suis désolée chef... ma mère lit la presse.
- Ce n'est pas grave allez va bosser.
- D'accord.
La jeune fille sortit du vestiaire sous les soupirs consternés de Tyler. Il n'était pas assez décadent pour sauter sur une gamine de seize ans non plus. Bien qu'il lui semblait bien que la dite gamine ne dirait pas forcément non.
- Ho Chef Varnesh, j'ai fini ma pause.
- Ce n'est pas toi que je venais chercher mais l'irresponsable qui te sert de patron. Et à moi aussi bizarrement mais j'ai parfois des doutes.
C'était mal barré pour Tyler, même si Priya était un petit bout de femme d'origine indienne d'un mètre cinquante-trois à peine, elle pourrait effrayer un pitbull en lui grognant dessus.
" C'est l'heure de l'engueulade..." pensa alors Tyler.
- Hey l'irresponsable de service.
- Oui ma chère.
- Qu'est-ce que tu foutais dans le vestiaire avec elle?
- Mais rien, tu me prends pour qui?
- On se passerait bien d'un scandale de plus.
- Franchement, je me demande comment Amar peut vouloir t'épouser, surtout que tes préparatifs te mettent à cran.
Amar Patil, petit ami puis fiancé de Priya, devait l'épouser dans trois mois à peine. Mariage où d'ailleurs Tyler serait le témoin de la mariée.
- Ça te regarde pas... Mais putain qu'est-ce-qu'il te prend franchement ?
- Quoi? C'est bon j'ai juste picolé hier. J'ai pas droit à la bise?
Priya s'exécuta quand même, ils étaient presque comme frère et sœur à force.
- Putain, tu pues la vodka.
- J'avais pas de café.
- Bordel Ty, je te reconnais plus. Ça t'es monté à la tête ce succès.
- Je vais me ressaisir tu verras.
- Ty, trois mois que tu n'as plus proposé de recette. Alors que quasiment tout les jours tu me faisais chier en pleine nuit pour m'expliquer tes idées.
- Je... sais.
- Et les critiques bon sang... l'étoile va disparaitre, mais je veux pas qu'on se plante. Je me moque si je reste second toute ma vie si t'es mon chef mais j'ai pas signé pour toutes tes conneries, dit-elle un peu au bord des larmes.
Tyler voyant cela ne put s'empêcher de la prendre dans ses bras.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- C'est tellement de pression avec mon mariage, j'ai pas besoin de ce bordel dans ma vie professionnelle.
- Je suis désolé, je vais me calmer.
- De toute façon c'est prévu.
- Hein?
- Non rien... allez on va bosser le rockeur.
- Oui chef...
- Tu me jures de rien faire à cette gamine?
- T'es sérieuse là ?
Et c'est ainsi que Tyler rejoignit ses cuisines pour son service du midi, une migraine horrible et la fâcheuse impression que tout le monde le prenait pour le taré du coin.
~~~~~~~~~~
Le service se passa sans encombres et l'équipe se retrouvait comme d'habitude pour un petit débriefing de fin de service autour d'un café et des desserts qu'ils restaient du service. Tyler avait enfin surmonté sa gueule de bois.
- Bon les gars... et les filles, ajouta Tyler en voyant le regard de molosse de Priya, bon service.
- Si on exclut les deux assiettes que tu as brisée, fit Priya.
- Ouais désolé... et pour mon retard. Je tiens vraiment à m'excuser auprès de tout le monde. Surtout toi Amanda.
- Pourquoi ?
Le regard plein de reproche de Priya semblait bien trop accusateur selon Tyler.
- Tu es là pour apprendre le métier et je ne suis pas franchement exemplaire.
- Ce n'est pas grave chef.
- Si justement, je ne voudrais pas voir tes notes baisser.
- On se demande d'ailleurs comment elle apprend autant, fit Priya. Ha oui je sais, on lui apprend.
- C'est bon ? T'as fini ?
- Oui.
- Bon, on a fait que les trois-quarts des couverts habituels mais les retours étaient bons. Nickel les poissons d'ailleurs Hector.
- Merci Chef.
- Certains légumes étaient un peu trop croquant selon certains mais c'est discutable.
- Ok chef, fit James confiant dans l'avis de son chef.
- Cuisson des viandes parfaite comme d'habitude Walt.
- Amanda, tes découpes sont de plus en plus précise.
- Merci chef, c'est gentil.
- Si tu continues comme ça, je te prend comme second si tu me promets d'être plus gentille que l'actuelle.
La brigade ne put s'empêcher de rigoler à la blague même la concernée qui comme son chef, gérait tout l'assemblage des assiettes et les sauces.
- Monsier Warrington, fit une serveuse.
- Oui?
- Robert Grayson pour vous.
- Faites le entrer.
Tyler avait embauché un chef de salle reconnu Jean Desgranges, un responsable de salle originaire de la Nouvelle Orléans et lui faisait une confiance absolue pour la salle et ne mémorisait donc jamais les prénoms des serveurs et serveuses mais se comportait toujours bien. Robert Grayson entra alors dans la cuisine, c'était un homme de quarante-cinq ans, vêtu d'un costume cravate du plus bel effet. Tyler l'avait embauché comme expert en communication pour l'image du restaurant. Il fallait lui reconnaître le talent de réparer les pots cassés laissés par un chef comme Tyler Warrington.
- Robert, vous allez bien?
- Pas vraiment non...
- Qu'ai-je encore fait ?
- Après votre fête d'anniversaire et ce doigt d'honneur, j'étais pas franchement à l'aise.
- Désolé pour ça.
- Vous dîtes cela un peu trop souvent.
- Je sais...
- Bon bref, j'avais pensé, je me demande pourquoi d'ailleurs, faire amende honorable en invitant un magazine à déguster vos plats.
- Et encore des plats gratuits...
- Il faut ce qu'il faut.
- Quel magazine ?
- The Other People.
- Connais pas...
- Un magazine dédié au handicap.
- Super je tombe encore plus bas si j'ai besoin d'eux pour l'image.
- Encore faudrait-il assurer.
- Je vous demande pardon ?
- Regardez vous même.
Robert lui tendit une feuille de papier, l'impression d'un article sur le net. Tyler la saisit et se mit à lire en écarquilla les yeux.
- C'est si mauvais ? demanda Priya.
- Croyez-vous que je serais venu plus tôt sinon?
- QUOI ? hurla Tyler , MA sauce trop sucrée ? C'est de la connerie.
- Calme toi Ty.
- Sauce du hachis trop poivrée ? Trop de muscade? Mais elle se prend pour qui cette connasse?
- Ty ça suffit !
- Et en plus de ça je drague toutes les filles qui bavent ?
- Il ne fait pas exactement écrit ça Monsieur Warrington. Qu'est-ce que vous faîtes ?
Tyler venait de sortir nerveusement son téléphone de sa poche. Et il tapait nerveusement sur l'écran.
- Ha... voilà. Other People. Ils vont m'entendre...
- Je vous demande pardon?
Tyler enlevait sa veste de cuisinier et commençait déjà à se diriger vers le vestiaire.
- Tyler, tu fais quoi? demanda Priya en le suivant.
- Je vais leur apprendre la vie moi...
- Tyler ne fais pas ça.
- Oh si...
Ni une ni deux, Tyler était dans sa voiture et démarrait laissant une Priya choquée et un Robert consterné.
- Vu sa tête, vous ne l'aviez pas prévenu, fit Robert.
- Ni pour la suite d'ailleurs.
- Ha... je crois qu'il va falloir que je téléphone.
- Ce mec est un putain de boulet.
~~~~~~~~~~
Tyler avait roulé encore plus vite pour rejoindre le magazine que quand il s'était rendu au restaurant. Il hurlait de colère dans sa voiture, que des critiques gastronomiques veuillent lui donner une leçon pour son comportement passait encore mais qu'une gonzesse sortie d'on ne sait où se le permette, ça il ne l'acceptait pas. Il se gara devant le bâtiment et se dirigea nerveusement à l'intérieur. Un homme à l'accueil tenta de l'arrêter.
- Monsieur, vous n'avez pas le droit.
- Rien à foutre, dégagez du chemin, fit Tyler en bousculant l'employé.
Il appela l'ascenseur et regarda le panneau à côté, cherchant la rédaction, c'était au quatrième étage. Il monta dans l'ascenseur et vit l'agent d'accueil téléphoner mais était bien trop remonté pour se calmer. Les portes s'ouvrirent alors et il se dirigea dans le couloir, avant de voir débouler une femme d'une trentaine d'années.
- Monsieur Warrington, nous allons appeler la police.
- Je veux voir cette CM qui ose critiquer ma cuisine.
- Ce n'est pas possible.
- Arrêtez de me faire chier, elle est où mademoiselle je sais ce qui est meilleur dans une assiette.
- Calmez vous. Et partez.
Cette femme, dont Tyler ne connaissait pas la fonction de rédactrice en chef, n'hésitait pas à lui tenir tête mais il n'allait pas toucher une femme.
- Elle est où la connasse qui me fait passer pour un connard notoire ?
- Votre comportement le confirme.
De plus en plus d'employés se ramenait dans le couloir, Tyler fût saisit de surprise, il y avait des gens avec des handicaps variés, il venait de se souvenir où il était. C'était un magazine dédié. À sa gauche, un homme en fauteuil roulant, à sa droite une brune avec une canne blanche tremblait un peu de peur.
- Vous savez quoi? Vous aurez des nouvelles de mon avocat.
- Mais bien sûr.
- On se reverra.
Tandis qu'il partait, il cru entendre cette femme lui dire que ce serait plus tôt qu'il ne le pense. Il était déjà parti pour son restaurant avant même de comprendre ce qui se passait.
~~~~~~~~~~
Après être revenu au restaurant, Tyler eu droit aux nouvelles remontrances de Priya, qui incluaient surtout des insultes. Elle lui reprochait d'être allé s'en prendre à des handicapés.
- Non mais t'imagines?
- Ouais bon.
- Quoi bon? Pauvre débile, tu crois que ces gens ont besoin de ça.
- Ça va, on s'en branle.
- Non on s'en branle pas pauvre con. C'est exactement le problème.
- Quel problème ?
- Tu supportes plus aucune critique.
- Mais merde, tu as lu ou pas?
- Ouais j'ai lu.
- Et?
- C'est pas totalement faux non plus.
- Qu'est-ce que tu veux de dire?
- Quoi c'est vrai non? Combien t'as de grammes d'alcool dans le sang quand tu cuisines?
- T'insinues que ce que je cuisine est dégueulasse ?
- T'es plus au niveau Tyler.
- Quoi?
- Tu referais Golden Chief aujourd'hui, tu passerais pas la qualification.
- Mais tu deviens débile ou quoi... Si tu es second aujourd'hui c'est grâce à moi, sinon tu serais encore dans ton buibui à la con.
La claque fut magistrale et retentissante mais eut cependant le mérite de remettre les idées de Tyler en place. Priya porta cependant sa main à sa bouche surprise de son propre geste mais Tyler avait largement dépassé les bornes.
- Priya, je voulais pas...
- Ferme ta gueule. Franchement te justifier est inutile, je vais mettre ça sur ton énervement et c'est tout. Mais tu recommences et t'en manges une autre.
- Ok. Vraiment désolé.
- C'est fini? fit l'homme dans la pièce.
Avec tout ça, Tyler avait oublié la présence de Robert Grayson. Il avait surtout oublié qu'à l'origine, il devait le voir sur un projet important mais l'article avait eu un autre effet.
- Oui, je suis calmé.
- Bon, alors...
Robert sortit alors un exemplaire du magazine dans lequel Tyler venait de faire un esclandre.
- J'ai eu Helen Blanchard au téléphone.
- Qui?
- Helen Blanchard, c'est la rédactrice en chef du magazine et la femme sur qui vous hurliez tout à l'heure.
- Elle va porter plainte pour agression?
- Non, j'ai arrangé la situation. Mais vous allez devoir donner de votre personne.
- Pardon?
- Oui, si ce magazine avait reçu des invitations c'est sur une de mes idées.
- C'est-à-dire ?
Robert tourna quelques pages et tendit ensuite la revue à Priya.
- Mademoiselle Varnesh si vous pouviez lire l'article, vous étiez d'accord après tout.
- Attends, Priya? Qu'est ce que t'as foutu?
- J'ai décidé que j'en avais marre de voir la réputation du restaurant pâtir de ton comportement, alors il faut absolument faire quelque chose.
- Nous allons redorer votre image, ou tout du moins vous ferez en sorte que les gens le croient.
- Bon... lis.
- Ha oui c'est là : " Other People a décidé de récolter des fonds afin d'initier les patrons d'entreprises, grandes et petites, au monde du handicap afin qu'ils se rendent compte des difficultés que nous vivons tous chaque jour dans leur monde. Pour ce projet, nous cherchons actuellement des volontaires afin de tester en premier la vie à la place d'un non voyant, accompagné de celui-ci, vous aurez de nombreux ateliers d'exercice et nous en sommes sûr, finirez par complètement vous mettre aux dernières normes. Nous attendons vos candidatures."
Tyler n'était franchement pas d'humeur à apprendre qu'on magouillait dans son dos. Et cela se voyait plus que clairement.
- Je suppose que le couillon qui va la jouer Matt Murdock, c'est bibi?
- Disons que votre image est déplorable.
- Hey!
- Sérieusement Monsieur Warrington, en quelques mois vous êtes passé de la coqueluche au bouffon, si vous me permettez.
- Vous vous êtes permis tout seul.
- Et donc, si vous donnez l'image d'un homme qui veut faire bouger les choses pour une minorité, c'est là qu'il faut se bouger.
- Une seconde Robert, moi je n'ai pas proposé cela pour l'image, je voulais vraiment qu'on soit accessible à tous le monde, se justifia Priya.
- Ça ne change rien, fit Robert, Monsieur Warrington doit revenir à son image sérieuse et de gendre idéal. Enfin, presque.
- Une seconde... On devait se voir aujourd'hui mais... c'était pour ça ?
- Oui Monsieur Warrington. Et nous devions nous rendre chez Other People ensuite. Pour discuter du projet.
- Ho merde...
- Madame Blanchard s'en moque, elle croit en son projet, et une personnalité aussi publique aura du bon.
- Je sens que je vais avoir l'air con...
~~~~~~~~~~
Environ deux heures plus tard, Robert et Tyler s'étaient rendus à Other People pour discuter du projet, auquel Tyler devrait participer non seulement pour l'expérience mais aussi au niveau financement. Le dernier point était selon Robert nécessaire à la nouvelle image qu'il allait falloir donner à tout le monde. C'est donc pour cette raison que quatre personnes étaient assises dans cette même salle de réunion. Il y avait donc Tyler et Robert lais aussi la fameuse Helen Blanchard et la jeune aveugle brune qu'avait vue Tyler plus tôt dans la journée, celle qui tremblait de peur.
- Et donc Monsieur Warrington fut très intéressé par le projet.
- Il n'en a pas vraiment l'air, fit Helen.
- Si, je vois assure qu'il l'est, n'est-ce pas Monsieur Warrington ?
- Oui, c'est vrai, fit-il avec assez peu de conviction.
- Monsieur Warrington, fit Helen, ce projet est on ne peut plus sérieux.
- Je me doute bien.
- Ce ne peut être un simple loisir ou une lubie passagère. La personne qui vous initiera au monde du handicap prendra sur son temps libre.
- Je comprends parfaitement, le projet m'avait séduit.
- Monsieur Warrington avait... hum... passé une assez mauvaise matinée, les joies du métier et quand il est tombé sur l'article, assez rabaissant il faut tout de même admettre, sa colère est montée en flèche.
- Et je m'en excuse. Sincèrement.
- Ce n'est pas à moi que vous devez présenter vos excuses, mais à cette jeune femme.
- Pourquoi ? Et qui êtes vous d'ailleurs.
- Je m'appelle Claire Montal et je suis la petite connasse qui vous a critiqué, selon vos mots.
- CM hein? Et bien sachez que je vais vous faire revenir dans mon restaurant et vous prouver que vous avez tort.
- Je sais ce que j'ai goûté.
Robert stoppa Tyler dans son élan car les escarmouches allaient reprendre assez rapidement.
- Vous voyez, il est plus calme.
- Ça tombe bien, Claire fera, et elle n'est pas très enjouée d'ailleurs, votre éducation du monde non-voyant.
- Elle? Sérieusement ?
- Croyez vous, Monsieur Warrington, que votre comportement m'empêchera de vous faire comprendre à quel point vivre avec un handicap est compliqué ?
- Mais combien de temps cela durera-t-il? demanda Robert avant une réplique cinglante.
- Un ou deux mois, fit Helen. Pas tous les jours à cause de votre emploi du temps et seulement plusieurs ateliers.
- D'accord, fit Tyler, mais si j'ai une urgence au restaurant, je laisse tout en plan.
- Cependant, vu que Claire a été assez choquée de votre comportement de tout à l'heure, elle demande à ce qu'une chose soit précisée.
- Laquelle ?
- Au moindre propos injurieux, déplacé ou à caractère sexuel, celle-ci se réserve le droit de mettre fin à l'expérience. De même dans le cas de gestes avérés.
- Gestes avérés ? Vous croyez que je vais lui faire du mal? C'est sympa vu le montant du financement.
- Il s'agit de mettre Claire en sécurité, Monsieur Warrington, comprenez la.
- Ok ok, tout ce qu'elle veut. Bon faut signer où ?
- D'abord nous allons vous laisser quelques instants seuls afin qu'elle puisse cerner si vous correspondez au projet.
- Sérieusement ?
- C'était prévu en effet, fit Robert.
Robert Grayson et Helen Blanchard sortirent alors de la salle de réunion. Il n'y avait donc plus que Tyler et la jeune femme nommée Claire.
- Auriez-vous des questions? demanda celle-ci.
- Comment ça va se passer en réalité ?
- Monsieur Grayson ne vous a pas mis au courant ?
- Il m'a parlé du projet, qui m'a intéressé, mentit-il, mais je n'ai pas demandé plus d'informations.
- Vous allez donc découvrir le monde par mes yeux, c'est donc dans le noir complet.
- Je pensais bien avoir compris cela.
- Nous commencerons chez vous, un milieu familier.
- Pourquoi ?
- Vous adapter au noir total dans un lieu que vous connaissez.
Tyler se promit alors intérieurement de ranger son loft de fond en comble connaissant son bordélisme généralisé.
- Ensuite?
- Les rues pour poursuivre puis des lieux non adapté.
- C'est une sorte de leçon de vie, je suppose.
- Tout à fait, peut-être vous mettrez vous à notre place.
- Mouais... et après ?
- Je vous montrerai aussi des endroits typiquement adaptés, des centres d'éducation pour jeune aveugles, des choses comme ça.
- Je comprends... Et je compte bien aussi en profiter pour vous prouver votre erreur.
- Mon erreur? fit l'aveugle surprise.
- Sur ma cuisine.
- Je sais ce que j'ai goûté.
- Je connais mon métier et mes qualités.
- Je crois que nous allons éviter le sujet.
- Pas sûre de vous?
- Vous êtes trop borné.
- Quoi? Mais je...
- Quand désirez vous commencer ?
- Je... euh... quand vous voulez.
- Demain cela convient-il? Sauf si vous êtes débordé par vos idées créatives, fit l'aveugle avec mesquinerie.
- Ok pour demain. Quel heure?
- Vers quatorze heures si cela vous convient. Ici.
- Parfait.
- Moi j'aurais une question cependant.
- J'écoute.
- J'aimerais réellement pouvoir publier des articles sur l'expérience.
- Vous êtes journaliste non? Faites ce que vous voulez.
- Je préférai vous demander quand même.
- Bon, à demain alors, j'ai un service à tenir moi.
- Bonne journée Monsieur Warrington.
- Mouais...
Tyler ressortit de la salle de réunion puis rejoignit Robert Grayson avant de repartir. Assis dans la voiture, Tyler s'adressa à Robert.
- Robert... au prochain coup de pute du genre, vous êtes viré.
- Est-ce si improbable de faire cette expérience ?
- Vous croyez que j'en ai quelque chose à foutre de rendre mon restaurant accessible à une minorité d'aveugles ? Et bien non, j'en ai rien à cirer.
- Tyler vous...
- Quoi? C'est vrai non? Pourquoi s'adapter, ils ont qu'à s'ouvrir des endroits que pour eux. J'ai pas que ça à foutre moi.
- Créer des recettes ?
- Vous passez trop de temps à discuter avec Priya vous...
- Tyler, je vous demande juste de faire comme si c'était important pour vous. Comme si vous vouliez vraiment ouvrir votre monde. Si vous vous en moquez, ce n'est pas grave.
- Donc je dois supporter cette connasse donneuse de leçon durant son expérience à la con et après au revoir ?
- Voilà, et vous comporter correctement aussi. Si vous pouviez éviter de l'insulter à tout bout de champs.
- Promis je serai sage.
- Et si vous êtes interviewé, parlez en ça fera très bon dans la presse.
- Vous commencez franchement à me gonfler. J'ai pas bâti mon succès sur une image nickel chrome, mais sur mon tempérament.
- Il va falloir apprendre.
Tyler marmonna méchamment dans sa barbe avant d'enfin démarrer la voiture pour partir travailler.
~~~~~~~~~~
Le service s'était passé dans un silence de mort total, Tyler n'étant pas d'une humeur réjouissante loin de là. Comme le lui avait dit Hector: si il y avait eu un peu plus d'ambiance, on se serait cru à une veillée funèbre. Pour confirmer cela, le chef Warrington ne passa même pas en salle pour saluer toute cette scène de la jet-set new-yorkaise. Par contre il avait un peu besoin d'aide et dû demander à Priya de l'accompagner chez lui pour l'aider à ranger. C'est donc comme ça que lui et Priya s'était retrouvé à passer la porte du loft.
- Ho bordel, quel odeur! fit Priya.
- Quoi?
- Un putain de mélange entre tabac froid et alcool.
- Ça pue pas tant que ça.
- Ha oui ? Je crois que certaines personnes doivent mourrir en passant ta porte.
- N'importe quoi.
- Comment les filles que tu ramènes peuvent vouloir baiser ici ?
- À ce moment là, c'est pas la déco qui les intéressent.
- Attention, prétentieux à l'horizon.
- Bon tu comptes me mettre en boite ou m'aider?
- Vaut mieux t'aider, la pauvre risque de se casser la gueule en faisant un pas.
- Ça me ferait bien marrer.
- T'es sérieux ? Mais t'es dégueulasse.
- Ça va... Commence pas.
- Tyler, t'as intérêt de prendre ça au sérieux.
- Ok ok. Je serai sage. N'empêche qu'elle me gonfle déjà avec ses théories sur mes plats.
- Tu recommences, je me casse.
- Ok... putain de solidarité féminine.
Priya et lui se mirent à ramasser les mégots laissés négligemment au sol, fait assez dégueulasse si il en est.
- Bon sang tu peux pas utiliser un cendrier.
- Bah en général oui...
- Des cannettes, des bouteilles... Tyler, tu bois tant que ça ? demanda Priya avec un peu d'inquiétude.
- Non je trouve pas.
- Tu bois tous les jours ?
- Un peu, c'est surtout parce que je sors.
- Tu devrais te faire aider.
- Laisse moi gérer ça...
Priya savait que ce n'était pas si simple, Tyler devenait clairement alcoolique de jours en jours. Elle s'en inquiétait plutôt énormément sachant sa façon de conduire.
- Je peux te demander quelque chose Ty?
- Quoi encore.
- Évite de boire durant l'expérience.
- Pour?
- C'est une journaliste, elle pourrait en parler.
- Hey ho, pas l'insulter, pas critiquer, pas boire... j'ai le droit de quelque chose ?
- Ty... le prends pas comme ça.
Priya s'attaqua ensuite à la cuisine, au moins assez propre, Tyler ne semblait plus trop cuisiner chez lui. Dans un tiroir, elle trouva un cahier, elle avisa l'absence de Tyler et l'ouvrit. Elle savait depuis longtemps que Tyler disposait des cahiers au cas où pour noter ses nombreuses fulgurances, il le faisait déjà à l'époque de Golden Chief. Cependant et étonnement, celui-ci était totalement vide... Il n'avait plus rien imaginé et ce n'était pas bon signe. Elle reposa le carnet dans le tiroir en soupirant.
- Bon bah le salon et la cuisine, c'est fait. La chambre maintenant... fit Tyler en revenant.
- La chambre, pourquoi? Tu vas pas oser ?
- Quoi? Non, je suis sur ma lancée alors...
Elle se dirigea avec lui dans sa chambre, c'était encore pire, encore des bouteilles... et beaucoup de vêtements sales.
- Mais quel bordel... ho mon dieu...
- Quoi?
- Un string...
- Pas à moi.
- Attends quel genre de fille oublie ça ?
- Je sais pas... une version cochonne de Cendrillon.
- Tu te crois drôle en plus.
C'est avec un manche à balai qu'elle prit le dit string et le jeta à la poubelle. Elle était de plus en plus consternée, son succès lui était totalement monté à la tête.
- Tu pourrais jeter tes emballages de préservatifs de temps en temps.
- Ho ça va hein ...
- C'est assez honteux, dire que je t'aide, je serai traumatisée à vie.
Elle jetait d'autres déchets, heureusement pas de préservatifs usagés, remerciant intérieurement Shiva et Vishnu. Les tiroirs de la table de nuit semblaient vide à part ses réserves. Elle se rendit compte alors qu'il n'y avait rien de personnel dans ce loft, aucune photo de famille ou autre. À part un cadre là, sur la commode. Elle regarda la photo, c'était elle et Tyler à l'époque de Golden Chief.
- Ty...
- Quoi?
- Tu devrais renouer avec ta famille tu sais.
- Pourquoi ? Je suis qu'un cuisinier pour eux.
- Ça te ferait du bien.
- Pff conneries...
- Et essayer de te trouver quelqu'un aussi.
- Ça y est, tu te prends pour ma mère ?
- Une grande sœur, qui a peur de te voir te foutre en l'air.
- Priya, tu t'inquiètes pour moi?
- Bien sûr abruti.
- Je pensais que c'était pour ton boulot.
- Je suis sérieuse, tu devrais arrêter les conneries.
- Bon ok, quand toute ces conneries d'handicap seront passées, je me ferais aider, ça te va?
- Ok. Si tu me le jures.
- Juré, je serai un ange à ton mariage.
- T'as intérêt. Surtout que je me doute que tu risques d'y draguer toutes les célibataires.
- Et les autres. Sauf la mariée.
- Crétin...
C'est ainsi que deux heures durant, les deux cuisiniers remirent en ordre cet appartement qui n'avait jamais été aussi propre. Après le départ de Priya, il tenta de regarder la télévision mais rien ne l'intéressait, il avait envie de boire. Mais elle avait planqué les bouteilles d'alcool et il ne se sentait pas le courage de chercher. Il se dirigea dans sa cuisine et se prépara une vulgaire salade, sans conviction. Il s'installa avec son cahier ensuite, mais comme de nombreux soirs depuis plusieurs mois, il n'avait aucune idée qui lui venait. Il ne savait pas pourquoi mais l'inspiration lui manquait totalement.
- Bordel de merde... je suis plus bon à rien...
~~~~~~~~~~