Sans la vue, le goût de vivre

Chapitre 3 : Expérience

7334 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/10/2020 17:05

Chapitre 3 : Expérience

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Le lendemain matin, lorsque Claire se réveilla, c'était en appréhendant la journée qui allait arriver.

Déjà que la veille allait pouvoir figurer en bonne place dans le classement de ses pires journées au travail. C'était comme cela qu'elle l'avait vécue, surtout quand ce fichu chef prétentieux et imbu de lui-même avait débarqué enragé dans le bureau. Les insultes avaient fusé et, bien qu'elle se savait en sécurité dans les bureaux, elle s'était mise à trembler de peur, cet homme aurait-il pu la frapper? Elle espérait bien que non.

Elle avait encore empiré quand sa patronne Helen lui avait dit qu'elle devrait l'initier à l'expérience de mise en situation de handicap. Autant dire que son stress était monté d'un cran. Et c'était d'ailleurs pour ça qu'elle avait ajouté des clauses de cessation, au cas où cet homme mal élevé se comporterait mal.

Afin d'éviter de lui donner une raison de devenir graveleux, elle avait choisi de se vêtir d'un simple jean, de baskets et d'un chandail rouge. Elle avait prévu de se rendre chez Helen avant d'aller au travail car aujourd'hui était le jour de repos de sa patronne.

Claire avait donc commandé un taxi et encore une fois, elle eut le même problème que d'habitude : le taxi s'était garé et attendait. Pourtant elle avait précisé au téléphone être aveugle et donc avoir besoin que le chauffeur lui signale sa venue en l'approchant. Il ne pouvait pas se tromper, cela aurait étonné Claire que des dizaines d'aveugles attendent un taxi au même endroit. Mais il avait dû se rendre compte du problème et l'avait alors guidée vers sa voiture.

" La journée commence vraiment bien..." pensait alors Claire.

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Claire se trouvait dans le salon d'Helen qu'elle savait cependant assez grand à force de s'y être déplacée mais elle n'avait forcément aucune idée des goûts décoratifs de sa patronne. Elle tenait actuellement Diana, la petite fille aveugle de six ans de sa patronne qui tenait la conversation avec Claire tandis que sa mère lui préparait un repas.

- C'est pas juste, je peux pas voir les dessins animés.

- Je sais Diana, mais tu sais, ta maman peut te les raconter.

- C'est pas pareil que les autres.

- Tu veux que je t'apprenne quelque chose?

- Quoi donc? fit alors la petite fille interressée.

- C'est quelque chose d'important, c'est comme ça qu'on sait à peu près à quoi ressemble les gens.

- Ha oui?

- Oui, mais tu ne dois pas le faire avec tout le monde, pour l'instant tu devras le faire qu'avec moi et ta maman pour t'habituer.

- Je veux savoir.

Claire posa alors du mieux qu'elle pût la petite fille sur ses genoux, tournée vers elle. Elle dirigea sa main vers ce qu'elle estimait être le front de la petite fille et commença à dessiner les formes arrondies de son visage poupon, passant sur ses yeux et puis ses oreilles. Elle pinça alors le nez de la petite fille.

- Mais euh...

- C'est drôle, ne me mords pas.

Elle descendit vers les lèvres de la petite qui rigolait sous ce qui semblait la chatouiller.

- À moi, à moi.

- D'accord.

La petite n'eut aucune douceur en posant ses mains sur le visage de Claire.

- Tu dois faire doucement Diana.

- Pardon...

- Recommence.

La petite posa, délicatement cette fois, ses mains sur le visage de Claire et imitant du mieux qu'elle pouvait Claire et ses mouvements, au point de pincer également le nez.

- C'était pour rire tu sais.

- Je sais, mais c'est drôle.

Elle descendit alors sur les lèvres de Claire qui embrassa les mains de la petite.

- Ça colle...

- C'est mon gloss. Désolée.

- Et maintenant, je sais à quoi tu ressembles ?

- Plus ou moins mais tu verras la différence plus tard.

- D'accord, tu as la peau douce Claire.

- Merci ma chérie.

Claire se pencha pour embrasser le front de la petite et le trouva aisément. Elle frotta ensuite ignorant si elle lui avait mis du gloss sur le front. Soudain elle fut perturbée par un cri de la petite.

- Hey...

- Qu'y a t'il Diana? Je t'ai fait mal?

- Mon lapin... je trouve pas mon lapin.

Claire qui avait eu la chance de voir avant son accident savait par Helen que la poupée qui servait de doudou à la petite était un Bugs Bunny duveteux, la seule chose qui la rassurait totalement à part les bras de sa mère, bien évidemment.

- Calme toi Diana, il peut pas être loin.

Claire, tenant la petite, chercha de sa main libre la peluche sur le canapé mais ne la trouvait pas. Tenant fermement la petite, elle se pencha.

- Ha je vais tomber, je vais tomber.

- Je te tiens Diana calme toi.

La petite se mit à pleurer alors que Claire cherchait toujours la peluche. Le stress montait tout aussi vite chez Claire. Mais les cris de l'enfant avaient alerté Helen.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Helen paniquée. Diana est tombée?

- Non non, rassure toi, je trouve pas son lapin.

Claire entendit les pas d'Helen dans le salon qui s'approchaient. Elle dût se pencher alors et le ramasser.

- Tiens ma chérie, fit Helen.

La petite était en sanglots, sa mère la reposa alors sur le canapé. Claire pouvait entendre les pleurs de la petite qui commençait à se calmer.

- Je suis désolée Helen.

- Ce n'est rien voyons... Claire ça va? fit Helen inquiète.

Sous le stress et se souvenant de sa crise d'angoisse quand elle avait tenu son neveu dans les bras, Claire avait senti les larmes monter et s'était légèrement mise à pleurer cherchant un mouchoir. Elle sentit Helen poser une boite de kleenex sur sa jambe et elle en prit un.

- Merci.

- Qu'est-ce que tu as?

- Je viens de comprendre que je... je ne pourrai jamais avoir d'enfant.

- Quoi? Mais pourquoi ?

- Je serai incapable de m'en occuper, je n'arrive même pas à trouver une peluche.

- Allons, ce n'est pas par maladie, tes enfants ne seront pas aveugles.

- Mais bébé je pourrais jamais m'en occuper, et si je le faisais tomber? fit Claire pleurant désormais totalement.

Helen la prit dans ses bras, passant sa main dans son dos pour la rassurer.

- Tu pourras y arriver, tu es courageuse.

- Ça ne changera rien...

- Et puis le père t'aidera. Forcément. Et il existe des aides.

- Je pourrais pas supporter d'entendre des cris sans trouver mon enfant. Et je pourrai l'emmener nulle part, si il tombe et se blesse, et si il peut pas m'appeler...

- Claire calme toi... Tu ne devrais pas penser à ça. Tu ne serais pas la première aveugle à avoir des enfants et ils se débrouillent bien tu sais.

- Je... je sais mais...

- Mais quoi?

- Je... pourrais jamais voir son visage.

Claire était comme beaucoup d'aveugles, inquiète à l'idée de ne pouvoir se débrouiller et élever un enfant. Même si ce sujet était encore loin de ses préoccupations, surtout qu'il faudrait déjà trouver le papa, mais malgré tout, elle se posait énormément de questions sur ce sujet. Comment ferait elle pour lui préparer un biberon ? Elle ne pourrait jamais voir les doses de lait en poudre, pareil pour l'aider pour ses devoirs, elle ne pouvait pas lui montrer. Et bien d'autres sujets.

- Claire, tu verras quand tu te sentiras prête.

- Je n'en aurais sans doute jamais de toute façon.

- Pourquoi ?

- Helen, vous savez aussi bien que moi qu'aucun homme normal ne se dirait qu'il veut faire un enfant avec une aveugle, ils savent qu'on est pas réellement capable de tout. Et je ne me vois pas être en couple avec un homme aveugle, deux personnes incapables de voir leurs enfants ce serait un drame.

- Claire, moi je te vois avec Diana, tu y vas doucement mais tu y arrives, tu as même déjà donné un repas à ma fille. Tu cherchais sa tête et ses lèvres mais tu l'as fait. Grâce à toi ma fille s'ouvre au monde du mieux qu'elle peut.

- Elle m'a appris quelque chose Maman, fit la petite fille.

- Quoi donc?

- Prends moi sur tes genoux, et je te montre.

Claire sentit du mouvement près d'elle, Helen avait dû soulever sa fille. Sans aucun doute celle-ci devait toucher le visage de sa mère.

- Tu es jolie Maman...

- Merci.

Naturellement, la petite ne devait pas le savoir réellement, n'ayant touché que Claire auparavant mais comme pour tout enfant de son âge, sa maman était la plus belle.

- Euh... fit la petite, pourquoi c'est mouillé.

- Ho ce sont des larmes ma puce, mais des larmes de joie.

- Je t'aime Maman.

- Moi aussi ma chérie.

Claire sourit alors, Helen était vraiment une mère courage, elle l'élevait seule avec beaucoup de patience malgré les difficultés.

- Décidément, fit Helen, notre repas se fera sous le signe des larmes. On aura pleuré toutes les trois.

- Au moins, les vôtres font plaisir.

- On va passer à table... tu veux ta canne Claire ? Ou mon bras?

- Ça ira, j'ai commencé à mémoriser ta maison.

Claire avança lentement vers la salle à manger. Jusqu'au bout elle garda contact avec le canapé avant de le lâcher. Elle chercha le mur de la main et le trouva aisément avant d'avancer vers une chaise. Helen la laissait toujours s'assoir avant de servir les assiettes. Comme ça, il n'y avait aucun impair ni situation gênante. Claire se souvenait qu'une fois, adolescente, chez Sybille, ses parents avaient déjà installé des assiettes mais elle s'était assise sur une chaise à l'autre bout de la table, la première qu'elle avait pû trouver, et la mère de Sybille s'était confondue en excuse tout le reste de la soirée. Helen s'était énormément renseignée sur ce genre de chose, bien avant la naissance de sa fille.

- Bon ce n'est pas grand chose, juste un peu de purée, du rumsteack et des haricots verts.

- C'est très bien Helen, ne t'en fais pas.

- Le sel et le poivre sont près de ton assiette devant, le sel à ta droite. Ton verre est à ta gauche, je ne l'ai rempli qu'à moitié.

- D'accord merci.

Elles commencèrent à manger mais Helen nourrissait en même temps Diana quand celle-ci n'arrivait pas à attraper quoique ce soit avec sa fourchette. En général, elle finissait avec les mains.

- Ha ben heureusement qu'il n'y pas de nappe.

- Pardon Maman.

- Ce n'est rien... Les autres enfants aussi en mettent partout.

- Et moi je fais tomber aussi tu sais, fit Claire.

- Ha bon?

- Oui mais ta maman ne me le dit pas, elle est trop gentille pour ça.

Claire avait en réalité eu beaucoup de mal à s'y habituer, manger dans le noir total était compliqué. Sa mère avait eu plusieurs crises de nerfs à gérer de la part de sa fille qui au début avait même envoyé valser son assiette de colère après avoir fait tomber un morceau de viande par terre.

- Au fait c'était réellement si moyen le restaurant ?

- Franchement oui, à croire que Warrington ne goûte pas ses plats. Ou alors il est tellement sûr de lui...

- Tu penses qu'il va y arriver ?

- Dans l'expérience ? Peut-être. Mais c'est son comportement qui m'inquiète.

- Ha bon?

- Il sent quand même un peu l'alcool, je crois qu'il doit boire pas mal. J'espère ne pas me retrouver seule avec un homme ivre.

- Allons, selon Monsieur Grayson, il est motivé.

- Il n'en avait pas l'air. Il ne se pose pas trop de question en tout cas.

- Tu risques de bien t'amuser à l'entendre se cogner dans tout.

- Bon chez lui cela devrait aller, il est censé connaître son logement.

- Tu verras, j'ai essayé d'avancer ici sans le sens de la vue et j'avoue qu'alors que j'ai placé moi-même mes meubles, j'ai eu beaucoup de difficultés.

- Nous verrons bien.

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Helen, dans sa grande mansuétude, avait commandé un Uber pour Claire. Celle-ci s'était ainsi rendue au magazine de cette manière et elle entra dans le bâtiment.

- Bonjour William, savez-vous si le chef Warrington est arrivé ?

- Oui, il attend dans le hall.

- Ha bon?

- Oui je suis derrière vous.

Claire se retourna surprise, elle avait dû être inattentive ou alors complétement stressée pour ne pas détecter de présence. Cependant, elle nota intérieurement que comparé à la veille, il ne sentait nullement l'alcool. Au moins, était-il sobre.

- Bonjour, Monsieur Warrington, fit Claire en tendant la main.

- Bonjour, laissez tomber le monsieur, dites Tyler comme tout le monde, je déteste toutes ces simagrées, dit-il en serrant sa main.

Sous le contact de la main, elle se rendit compte qu'elle était assez caleuse, c'était clair qu'il travaillait avec ses mains. Claire le savait, forcément pour un chef, mais elle était toujours surprise de se rendre compte de ce genre de détails auxquels jamais elle n'aurait prêtés attention.

- Alors appelez moi Claire. Êtes vous prêts ?

- Oui. Nous avions dit chez moi je crois.

- Tout à fait, ce sera plus simple et puis vous pourrez partir travailler ensuite.

- Je suppose que je conduis.

" Mais quel goujat..."pensa Claire.

- Bien évidemment, fit celle-ci ne se démontant pas.

Elle marcha à côté de lui jusqu'à passer la porte, elle avait entendu une vibration qui devait venir du portable du chef et elle l'entendit grommeler. Elle l'ignora et se retrouva sur le trottoir.

- Où est votre voiture ?

- C'est la bleue là-bas, fit celui-ci avec mesquinerie.

- Vous vous trouvez drôle franchement ?

- Assez oui...

- Pourtant vu votre tempérament, j'aurai cru que vous auriez une voiture rouge.

" Moi aussi j'ai de l'humour Monsieur Je me moque des aveugles".

- Bon allons y.

- Guidez moi, s'il vous plaît.

- Comment ? Je vous dis où tourner comme un GPS?

- Réfléchissez, placez vous près de moi.

Elle l'entendit s'exécuter en râlant. Elle leva la main et toucha son bras.

- Vous êtes grand non?

- Oui, un mètre quatre-vingt-treize.

- Je pensais tenir votre épaule, mais je me contenterai de votre bras, si ça vous convient.

- Allons-y.

Il marchait un peu vite pour elle, il ignorait sans doute que cela restait compliqué pour quelqu'un ne voyant pas mais il allait l'apprendre rapidement. Il s'arrêta cependant après peu de marche.

- Je vous ouvre la portière.

Il s'exécuta et elle mit sa main dessus et puis sur le toit avant de s'asseoir, sa voiture était assez basse. Elle chercha la ceinture et s'attacha avant de vérifier que sa canne était dedans.

- Vous pouvez fermer. Merci.

Il referma la portière et Claire se rendit compte que la voiture puait littéralement la cigarette, c'était désagréable. Comment un chef pouvait-il fumer suffisamment pour imprégner sa voiture ? Cela expliquait sans doute que son sens du goût était altéré. Elle entendit la portière côté conducteur s'ouvrir puis se refermer. Il mit le contact et Higher Ground des Red Hot Chili Peppers résonna à fond la caisse dans la voiture. Elle poussa un petit cri en se tenant les oreilles, c'était tellement fort et en plus elle ne s'y était pas attendue.

- Pardon... dit-il en éteignant le poste, j'adore ce morceau.

- Il est pas mal, mais je préfère Californication, c'est plus doux aux oreilles.

- C'est vrai alors?

- Quoi donc?

- C'est comme Daredevil, vous vous repérez aux sons.

Claire était consternée, les américains n'avaient-ils vraiment que les comics comme culture générale ? Ce n'était pas la première fois qu'un américain lui posait la question et elle répondait toujours de la même manière :

- Je ne vois pas en sonar, je ne suis pas une chauve-souris, mais oui nous distinguons bien mieux les sons que vous. Mais contrairement à Matt Murdoch, quand le son raisonne, nous sommes plus circonspects.

- Ok, êtes vous malade en voiture ?

- Non mais conduisez correctement, s'il vous plaît.

Il conduisit doucement mais ne lui adressa pas la parole de tout le trajet, alors elle appuya son front contre la vitre et sentit la chaleur, il devait faire assez ensoleillé, son visage devait être baigné de lumière.

- Une cigarette ?

- Hein? Non merci. Cela perturbe mes autres sens.

Elle avait entendu l'ouverture d'un briquet mais pas le son de la roulette et il n'y avait aucune odeur. Peut-être par gentillesse mais il avait changé d'avis. Elle le sentit se garer et attendit.

- Excusez moi, nous sommes arrivés.

- J'attendais pour descendre au cas où vous vous seriez arrêté pour quelque chose.

- Pas bête.

- Simple habitude. Suis-je du côté trottoir ?

- Oui mais je vais venir vous ouvrir.

Pour descendre elle n'en avait pas besoin, elle déplia sa canne et attendit. Elle ne pouvait pas savoir où elle était mais il arriva assez vite.

- Je vous tends mon bras gauche.

- Merci, dans quel quartier sommes nous ?

- Upper East Side.

- Quartier aisé.

- Je sais, j'adore le coin.

Il l'emmena vers un immeuble et passa la porte. Heureusement dans ce genre de quartier, il y avait des ascenseurs dans les immeubles d'habitation, heureusement car elle prendrait énormément de temps pour monter les escaliers, surtout sur les paliers. L'ascenseur les emmena à un certain étage, elle ignorait lequel mais allait déjà tester Tyler.

- Tyler?

- Oui.

- Avez vous remarqué un détail qui différencie votre immeuble de celui de Other People.

- À part qu'ici ce ne sont pas des bureaux non.

- Votre ascenseur.

- Quoi? Il est problématique?

- Il n'indique pas l'étage.

- Bien sûr que si sur l'écran... oh.

- Oui, à Other People, il l'indique de manière sonore. Ici par exemple, je n'aurai jamais aucune idée de mon étage si j'étais seule.

- Vous avez déjà eu des complications avec des ascenseurs ? demanda-t-il en faisant du bruit avec des clefs.

- Vous savez ce qu'aiment faire les gosses? Appuyer sur les boutons. Pour nous cela signifie beaucoup de problème, les parents devraient y songer.

- Allez y.

Elle entra dans un appartement, au bruit de ses pas au sol, il s'agissait de parquet ancien. Elle s'arrêta un moment peu après être entrée.

- Où puis-je m'asseoir?

- Attendez...

Il lui prit le bras et la guida vers le canapé qui semblait en cuir et assez grand vu qu'elle n'atteignait pas le dossier, cependant une certaine odeur de tabac l'imprégnait un peu. Elle sentit la chaleur sur son visage et tourna par réflexe la tête dans cette direction, une fenêtre ou une baie vitrée sans doute.

- Jolie vue hein...

- Je suppose.

- Pardon, je n'ai pas réfléchi, je ne voulais pas...

- Tiens c'était involontaire? Pas comme la voiture ?

- Désolé c'était mesquin.

" Tiens il y a déjà un peu de progrès, il comprend que ce n'est pas drôle."

- Vous désirez à boire? Café, vodka ou du vin, j'ai du choix. Du vin?

- Allons-y pour du vin, un petit fond uniquement.

- D'accord.

Il se leva et marcha dans la pièce, environ cinq mètres si elle se fiait aux pas sur le sol, il ouvrit une porte, une cave à vin, vu le bruit de succion du caoutchouc sur la porte. Puis elle entendit un bruit de tiroir, puis de bouchon. Il se rapprocha et elle tendit la main vers lui. Il ne lui donna pas le verre.

- Comment avez vous su que je revenais ?

- Le bruit de vos pas sur le parquet, c'est idéal pour moi.

- D'accord.

Elle prit le verre et le senti, il semblait excellent. Elle but une gorgée et profita de tout le bouquet aromatique. C'était incroyable, elle avait déjà fait l'expérience du vin mais celui là était à part.

- Il est très bon.

- Pas surprenant.

- Tous ce mélange de violette, iris, pivoine et fleurs blanches. C'est un vin français ?

- Comment savez vous cela?

- Pour deux raisons, la première je suis française et la seconde c'est que le sens du goût est très développé chez moi.

- Vu vos critiques j'avais compris.

- Vous allez revenir là-dessus ?

- Non. Je vais essayer en tout cas. D'où en France ?

- Lyon, c'est la ville de la...

- Gastronomie ? Merci je suis au courant.

- Alors qu'est-ce donc comme vin?

- Romanée-Conti 2015

- Pardon?

- Vous ne connaissez pas?

- Si de nom...

Romanée-Conti, un des meilleurs vignobles du monde et LE meilleur pour certains experts. Le prix d'une bouteille était exorbitant.

- Vous êtes fou? demanda Claire.

- Pourquoi ?

- Vous savez le prix de cette bouteille ?

- Oui et? Cela m'a permis de vous tester.

- Me tester?

- Su c'était des critiques infondées ou si vous vous y connaissiez un tant soit peu.

- Je vois, je m'en vais. Ramenez moi.

- Quoi? Pourquoi ?

- Vous avez acceptez que ce soit moi pour vous venger.

- Pas du tout, je saisis l'occasion. Nous devons essayer votre projet.

- Vous allez être sérieux ?

- Promis, alors on commence par quoi?

- J'ai tout prévu.

Claire ouvrit son sac à main et chercha ce qu'elle avait prévu et en sortit un masque pour les yeux assez épais pour ne laisser transpercer aucune source de lumière.

- Tadam, fit Claire un peu trop enjouée.

- Vous ne préférez pas faire votre expérience d'abord ?

- Pardon?

- Je suis pas fan des trucs SM mais...

- Espèce de pauvre con, fit elle énervée en français avant de se ressaisir pensant juste à une boutade. Vous deviez pas être sérieux et ne rien dire de déplacé?

- Si mais avouez que c'est tentant.

- Mettez ça, fit elle en le tendant.

Claire était déjà exaspérée de son comportement nonchalant. Et cette vanne profondément honteuse et portée sur la chose, cela allait être long.

- Ça y est, je fais quoi maintenant, je vous cherche?

- Non, allez vers euh... votre cave à vin.

- Pas de problème.

Elle entendit marcher puis un grand bruit, un choc sourd et des jurons. Il avait dû se casser la gueule, et elle dût se retenir de rire.

- Putain de bordel de merde.

- Ça va?

- À votre avis?

Il semblait se relever et se diriger vers la cuisine mais elle entendit un autre grand bruit et d'autres jurons tout aussi fleuris que précédemment, cette fois, elle ne put s'empêcher de relâcher un petit rire.

- Vous ne vous êtes pas fait mal?

- J'ai vécu pire.

- Essayons autre chose, relevez votre masque et allez dans votre cuisine.

- Vous voulez que je fasse quoi ?

- Vous allez essayer de vous servir un verre.

- D'accord.

Claire se leva alors et le suivit, munie de sa canne et ne percuta rien, elle. Elle l'entendit ouvrir un placard.

- Alors un verre..., l'entendit-elle prononcer pour lui même dans doute.

Elle entendit alors le bruit caractéristique de plusieurs verres qui s'écrasèrent au sol. C'était une catastrophe. Elle se pencha pour essayer de l'aider.

- Surtout pas, vous allez vous couper.

- Je n'en suis pas à mes premiers verres brisés.

- C'est une situation à la con quand même.

- Vous trouvez ?

- Comment je peux faire? Je me suis jamais déplacé à l'aveugle merde! Je vois moi. Aïe putain.

- Vous savez que c'est extrêmement déplacé ce que vous venez dire? J'aimerais aussi ne pas être devenue aveugle, mais bizarrement, on ne m'a pas laissé le choix, dit-elle passablement énervée.

Elle l'entendit suçoter son doigt ou sa main, il avait dû se couper mais elle s'en foutait, il avait été très désobligeant.

- Devenue? Vous n'êtes pas aveugle de naissance?

- Non Monsieur c'est trop compliqué pour moi. Moi aussi j'ai dû apprendre du jour au lendemain, et il me suffisait pas d'enlever un masque pour reprendre une vie normale.

- Je... je ne savais pas.

- Ça ne change rien à ce que vous avez dit. Vous croyez que nous sommes heureux de pas pouvoir profiter de notre environnement? Votre blague à la con sur votre vue m'a juste rappelé que jamais plus je ne verrai de panorama.

- Excusez moi, vous avez raison. Désolé.

- Maintenant ouvrez vos yeux et regardez un peu.

Elle se mit à se déplacer dans l'immense salle de vie du loft, sans rien toucher du tout à part du bout de la canne. Elle trouva même le couloir qui menait à ce qu'elle estimait être une salle de bain et la chambre.

- Alors, vous voyez, je suis obligée d'apprendre à faire attention, et je me déplace ici alors que je ne connais pas l'endroit. Comme partout ailleurs.

Claire continuait de marcher dans ce qui était la chambre. Mais il y avait un truc bizarre, elle ne devait pas être dans une chambre, il n'y avait pas de lit.

- Claire, attention...

Elle se demandait pourquoi et elle sentit quelque chose contre sa jambe perdant l'équilibre, puis deux mains sur ses bras qui la retinrent.

- Qu'est-ce...

- J'ai un lit qui remonte au plafond, le pied est central.

- Voilà pourquoi je ne trouvais pas les pieds du lit.

- Bon vous m'avez convaincu, je suis pas doué et je m'excuse de mes propos. Ça vous va?

- Je les accepte, au moins vous n'êtes pas trop borné, dit-elle en retournant vers le salon.

- Juste une espèce de pauvre con, n'est ce pas?

Claire se rendit compte qu'il avait traduit ce qu'elle avait dit en français tout à l'heure.

- Vous parlez français ?

- Pas vraiment, l'homme qui m'a appris à cuisiner était passionné de cuisine française et de la France en général, j'ai plus ou moins retenu les jurons.

- Vous avez appris dans un restaurant français ?

- Non, c'était le cuisinier personnel de mes parents.

- Personnel? Vous êtes issu d'un milieu aisé ? Avec votre attitude à Golden Chief?

- Oui, vous m'avez regardé ? Enfin je veux dire...

- Seulement en rediffusion sur Netflix, et ce n'est pas gênant dans ce sens là, ce n'est pas par humour. Je ne suis arrivé ici qu'il y a un an.

- Donc vous n'avez pas été une de mes ferventes supportrices.

- Ça vous dérange ? Navré mais le physique qui plaît n'est pas suffisant pour obtenir mon soutien.

" Moi aussi je peux être vexante".

- Mais le talent est là.

- Ça je ne peux pas juger, je ne l'ai pas vu.

" Là c'est le coup de grâce".

- Je peux toujours vous le prouver.

- Nous verrons...

Claire s'assit à nouveau sur le canapé et Tyler lui reservit de son Romanée-Conti.

- Je me débrouille assez mal, fit Tyler.

- J'avoue que je ne pensais pas que vous auriez autant de problème chez vous. J'ai déjà peur pour quand nous ferons cela à l'extérieur.

- Je vais vérifier mon assurance vie.

- Vous faites bien, fit Claire avec un petit sourire.

Soudain, provenant de son sac à main, retentit une sonnerie de téléphone. Claire sortit alors son téléphone et son casque.

- Excusez moi, j'ai un message.

- Un message? Mais comment vous...

Il s'interrompit comprenant alors que les technologies modernes disposaient des fonctions adaptées. Claire, elle, entendit le message qui provenait de Sybille.

- Message de Sybille, fit la voix informatisée et sans émotion, : Ma belle, je suis désolée, je serai pas là ce soir. Je sais qu'on a prévu de faire des courses et de cuisiner ensemble mais Mark m'a organisé une surprise. Ça ne te gêne pas? Je me rattraperai. Ps: J'espère que ça va avec l'autre con.

Claire sourit en entendant la fin du message mais la première partie la décevait un peu mais il était normal que Mark tente aussi quelques surprises auprès de sa petite amie. Elle répondit alors qu'il n'y avait pas de problème et qu'elle allait se débrouiller. Elle soupira alors.

- Mauvaise nouvelle?

- Ma coloc passe la soirée avec son mec.

- Une coloc ?

- Oui une autre française, amie d'enfance, on rêvait de découvrir New York, donc on est venue.

- D'accord. Et ça vous fait un peu de compagnie je suppose.

- Oui... euh puis-je vous demander quelque chose ?

- Allez y.

- Avant de me ramener, pourriez vous m'emmener faire des courses.

- Euh... oui. Pourquoi ?

- Pour moi cuisiner ce soir.

- Je pourrai moi, mais je dois aussi faire des courses.

- Non, ça ira je sais me débrouiller.

- J'aimerais voir à quoi ressemble votre cuisine.

- La cuisine d'aveugle?

- Ce n'était pas péjoratif.

- Bon... alors allons y. Merci quand même.

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Claire dû alors se laisser conduire à un supermarché du coin. Tyler, quand même assez poli, lui ouvrit la portière et avait déjà acquis le petit réflexe de lui tendre le bras. Bras qu'elle prit d'ailleurs tandis qu'ils se dirigeaient vers le supermarché.

- Je me demandait, fit Tyler, comment faites vous quand vous êtes seule?

- Un taxi ou un Uber pour les transports mais si je me promène à pieds, j'utilise ceci.

Elle sortit son téléphone et brancha les écouteurs qu'elle tendit dans le vide. Elle sentit Tyler s'en emparer et enclencha le GPS adapté. Ils avancèrent un peu et Tyler reprit la parole en rendant les écouteurs.

- C'est perturbant, mais c'est bien indiqué.

- Voilà.

Elle sentit l'air climatisé sur son visage, signe qu'ils étaient en train de pénétrer à l'intérieur du supermarché. Il la lâcha un peu pour prendre un panier, sans doute. Et ils arpentèrent un rayon.

- Vous devez me dire où je suis.

- C'est le rayon des boissons, soft pour l'instant, les alcools sont au fond.

- Merci. J'ai besoin d'un peu de vin rouge. Dégotez moi une petite bouteille.

- Ok. Je suppose que vous faîtes vos courses avec votre colocataire.

- En général oui, mais près de chez nous, il y a un petit commerçant qui m'aide dans les rayons.

- C'est gentil ça.

Elle avait besoin de pas mal de chose, dont du filet de bœuf, ils s'arrêtèrent alors dans le coin boucherie et elle passa sa commande. Tyler devait surveillait le boucher car il lui posa une question.

- Mais c'est impossible, vous devez vous faire avoir, il peut poser son doigt sur la balance.

- Nous devons vivre en faisant confiance en l'honnêteté des gens. Pareil pour le paiement. Si c'est en liquide je suis obligée de croire au montant que les caissiers m'indiquent.

- Et vous êtes sûre de pas avoir de problème ?

- Ça m'est déjà arrivé, certains sont malhonnêtes. Amenez moi au rayon légumes.

Tyler la guida alors vers le bon rayon. Elle énonca alors avoir besoin d'herbes aromatiques et de champignons.

- J'ai pris les plus beaux du rayon.

- Tyler, l'apparence ne fait pas tout. Je sais bien qu'on dit toujours aux chefs d'utiliser de beaux produits mais il y a une méthode plus amusante.

- Laquelle ?

- Sentez en fermant totalement les yeux et faites abstraction de vos autres sens.

Elle espérait qu'il le fasse en même temps elle devait lui faire confiance.

- Bon ces herbes sont plus odorantes mais pour les champignons ils sont vraiment peu avenant.

- Faîtes confiance au nez d'une aveugle. Continuons.

Ils se dirigèrent dans d'autres rayons. À un moment quelqu'un la percuta, rien de bien surprenant sauf que là quelqu'un prît la parole.

- Vous ne dîtes rien?

- Quoi?

- Ce mec vient de vous bousculer et vous ne dites rien?

- Si je le faisais, imaginez qu'il soit violent, je ne pourrai pas me défendre.

- Donc vous vous laissez marcher dessus? Il va m'entendre.

- Laissez tomber Tyler, c'est comme ça. C'est une habitude à prendre.

Elle l'entendit grommeler quelques grossièretés qui semblaient être le fondement même de son vocabulaire. Arrivée à la caisse, elle disposa ses affaires sur le tapis et emballait ses affaires.

- Vingt-neuf dollars quatre-vingt-dix.

- D'accord.

Claire chercha alors son porte monnaie dans son sac, c'était toujours un peu long, mais elle entendit un bruit caractéristique.

- Au revoir bonne journée, fit la caissière.

- Tyler, vous avez payé?

- Oui pourquoi ?

- Je suis aveugle, je ne fais pas la charité.

- Calmez vous. C'est juste amical. Vous me rembourserez chez vous si vous voulez. Vous habitez où d'ailleurs ?

- Heu... je...

Claire détestait indiquer où elle habitait, non par honte mais par peur. Mais elle devait bien lui dire.

- Dans le Queens.

- Ok vous m'indiquerez en chemin.

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- Allez y entrez, fit Claire en laissant au chef le soin d'accéder à son appartement.

- Merci.

- Ce ne doit pas être aussi luxueux que chez vous.

- C'est très joli, mais surtout très ordonné.

- C'est une obligation pour moi, Sybille a dû s'y faire.

- Je suppose que c'est la demoiselle sur les photos.

- Tout à fait.

Elle avait entendu Tyler déposer le sac de courses sur l'îlot central et se mit à ranger. Touchant les bords de tiroirs plus par réflexe que par besoin, désormais elle savait où tout se trouvait mais au départ elles avaient apposés ces petites plaquettes.

- Pourquoi touchez vous les portes?

- Ho venez ici, je vais vous montrer.

Il s'approcha et par instinct elle attrapa sa main. Elle guida alors cette même main vers la petite plaquette.

- Vous sentez?

- Oui des petits points.

- C'est du braille.

- Je sais vaguement à quoi ça ressemble mais je n'avais jamais touché.

- Venez, je vais vous en montrer.

Elle se dirigea vers sa chambre et entendit Tyler cogner dans quelque chose.

- Vous allez bien?

- Oui, il fait sombre.

- Pardon, j'ai l'habitude de ne pas allumer la lumière.

- Ça ne vous serait pas très utile.

- Comme vous dîtes.

Elle se dirigea alors vers sa bibliothèque et sortit un roman historique intégralement en braille. Elle le tendit dans le vide.

- Tenez regardez.

- Ha oui... c'est donc avec vos doigts que vous lisez.

- C'est un peu long à apprendre mais au bout d'un moment cela devient instinctif.

- Votre chambre est encore mieux rangée que le reste.

- Vous verriez mon dressing.

- Mais... je vois que vous avez des livres normaux.

- Évitez ce terme s'il vous plaît, dit-elle sèchement.

- Lequel?

- Normal. Je ne suis pas anormale, j'ai un sens en moins. Mais je peux très bien me débrouiller.

- Je ne voulais pas vous vexer.

- C'est quand même fait.

" Quel connard! Normal... je suis quoi? Un être bizarre ?"

- Et donc la réponse à mes questions ?

- J'utilise ceci, dit Claire en prenant une boîte électronique sur sa table de nuit.

Elle alluma le boîtier avant de le tendre à Tyler.

- Sélectionnez un livre, et posez le boîtier dessus, sur une page je veux dire, puis trouvez le bouton play.

Elle l'entendit ouvrir un livre et la voix mécanique s'enclenche alors.

- "Noël ne sera pas Noël si on ne nous fait pas de cadeaux, grommela miss Jo en se couchant sur le tapis. — C’est cependant terrible de n’être plus riche, soupira Meg en regardant sa vieille robe — Ce n’est peut-être p..."

- Little Women? Honnêtement.

- Quoi?

- Il y a des romans plus mature et vous avez choisi celui-là.

- Je le lisais à ma sœur quand elle était petite.

- Votre sœur est... commença-t-elle gênée soudainement.

- Ho non, elle va bien, c'est juste un souvenir.

- Bon, nous retournons dans le salon. Nous sommes restés suffisamment longtemps dans ma chambre.

Claire n'avait que rarement des gens dans sa chambre et n'appréciait pas réellement cela. Sa chambre était on ne peut plus impersonnelle, à quoi bon décorer, elle ne pouvait pas admirer le résultat. Et puis cela devait rester suffisamment épuré. Revenu dans le salon, Tyler devait ressentir un certain manque.

- Puis-je fumer?

- À la fenêtre s'il-vous-plait.

Elle l'entendit l'ouvrir et sentit l'air frais.

- Vous voulez boire quelque chose ? Vodka?

- Comment savez vous que j'aime la vodka ?

- Vous sentiez fortement la vodka l'autre jour.

- D'accord, va pour une vodka.

Elle se dirigea vers la cuisine pour servir.

- Je vois sur les photos le petit ami de votre colocataire.

- Oui Sybille et Marc sont assez complémentaire. Lui aussi est chef d'ailleurs, dit elle en apportant le verre.

- Merci. Ha oui? Je le connais peut-être ?

- Ça m'étonnerait, il s'agit d'un tout petit restaurant familial.

- Et vous?

- Moi quoi?

- Je ne vois des photos de vous qu'avec votre amie. Peut-être n'y en a-t-il pas parce que vous ne pouvez voir les photos ?

- Il n'y en a pas tout court.

- Surprenant.

- Pardon?

- Je suis surpris, je n'aurai pas cru.

Claire ne su que répondre à cela, c'était surprenant mais était-ce réellement un compliment ? Ou juste de la politesse ? Elle préféra ignorer la phrase.

- J'aimerais vous posez une question ? Mais c'est gênant...

- Est-ce graveleux ?

- Quoi? Non! Vous m'avez dit que vous étiez devenue aveugle. Puis-je savoir comment ? Mais vous n'êtes pas obligée.

- Ça ne me gêne pas, dit-elle un peu surprise.

- Qu'y a t'il ?

- Vous semblez enclin à être sérieux.

- C'est censé être un compliment ?

- Non. Pour mon accident, mes parents étaient venus me chercher le lendemain après une soirée passée chez Sybille, nous devions aller voir mes grands-parents qui habitaient à quelques dizaines de kilomètres de Lyon. Nous ne sommes jamais arrivés. Un camion nous a percuté.

- Navré de l'apprendre... vous avez perdu quelqu'un ?

- Non, nous avions tous été gravement blessé, mon père a fini dans le coma pendant un mois, ma mère a perdu un rein, ma sœur avait pas mal de fracture. Moi un bout de verre a transpercé mon visage près de l'œil et atteint l'épicentre de la vue. Je n'ai plus rien vu depuis.

- Je suis désolé.

- Merci. Le plus dur a été de m'habituer, je n'étais pas très facile à vivre.

- Qui le serait ?

- Peut-être mais déjà que l'adolescence était pas facile.

- Adolescence?

- J'avais quatorze ans, cela fait déjà cinq ans.

- D'accord.

- Mais la chance que j'ai, si on peut appeler ça une chance, c'est que j'ai eu l'occasion de voir. Donc quand on me décrit quelque chose, je peux faire appel à mes souvenirs. Je connais les couleurs, des acteurs et actrices, des peintures, des gravures, des films et des séries.

- Vous en regardez encore ?

- Oui souvent, mais maintenant il y a l'audio-description. Si il n'y en a pas Sybille me décrit les choses.

- Vous avez une amie précieuse, fit il penseur.

Claire avait remarqué le ton étrange, elle se demandait bien ce qui le travaillait comme ça mais la question qui suivit lui fit comprendre.

- Comment fait-elle pour vous décrire quelqu'un que vous n'avez jamais vu, comme de jeunes acteurs.

- Elle se sert de ceux que j'ai eu l'occasion de voir.

- Oh.

- Vous voulez savoir comment elle vous a décrit ?

- Euh... comment le savez vous?

- Vous seriez surpris du nombre de personnes non déficientes qui me posent la question.

- Alors?

- Je crois qu'elle m'avait dit Jonathan Rhys Meyers dans Match Point de Woody Allen. Celui avec Scarlett Johansson.

- Mouais, il y a une petite ressemblance.

Claire posa son verre, désireuse de quand même se mettre à cuisiner, mais le chef n'avait pas finit de poser des questions.

- Mais vous touchez les gens non? Comme dans les films?

- Oui, fit-elle amusée, mais c'est assez gênant. Je le fais rarement à part avec mes proches, c'est un peu gênant et les gens sont mal à l'aise.

- Ça ne me gêne pas.

- Pardon?

- Si vous voulez vous faire une idée.

- Je vous ai dit que c'était gênant.

- Peut-être pour vous?

- Non.

- Alors faites-le, ça ne me gêne absolument pas et puis au moins vous saurez à quoi je ressemble.

Claire soupira et se leva pour se diriger vers le chef. Elle leva les mains en tremblant quelque peu. Elle n'était réellement pas habituée à le faire avec quelqu'un qu'elle connaissait à peine. Mais lui n'était pas gêné à l'idée. Elle posa alors ses mains sur ses joues, la mâchoire carrée avec une barbe naissante, elle évita cependant les lèvres, les sourcils semblait épais et le regard devait être dur. Le front était plissé quand même. D'après ce qu'elle avait lu, ou plutôt touché, dans les livres dédiés, il rentrait dans la catégorie beau voir très beau. Elle toucha alors ses cheveux qui lui tombait sur le visage.

- Vous êtes content?

- Ça vous permet réellement de vous faire une idée ?

- Moui plutôt.

- Et je suis comment ?

- Exaspérant... bon je vais me mettre à cuisiner. Vous voulez voir comment une aveugle se débrouille en cuisine?

- Je serai aussi sévère que vous...

Tandis que Claire sortait tout le matériel, elle se demandait ce que pouvez bien faire Sybille. Elle espérait bien que ce qu'elle allait cuisiner allait plaire mais elle n'avait pas le même niveau que cette personne. Et c'est vrai que cela s'était fait naturellement, elle n'avait même pas pensé à le virer de chez elle pour cuisiner. Elle ignorait que pour lui, le repas allait être particulier.

- Aidez moi quand même.

- Avec plaisir.

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