La Fuite

Chapitre 8 : Visite spéciale

2323 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/01/2022 11:10

Jour : 22 décembre 2212

Lieu : Europe Unie – Région de l’ancienne France – Prison Hélène Bürger

 

Sa fracture s’est infectée. Ce matin, je n’arrive pas à lever Soa. Elle semble avoir mal. Parfois, elle se plaint d’avoir froid, parfois, d’avoir chaud. Une nouvelle fois, je lui dis qu’il faut se lever. Il est plus que temps. Mais je vois bien qu’elle en est incapable. Elle a tremblé toute la nuit. M’empêchant également de trouver le sommeil. Seule Ada a dormi comme un bébé. Soa grogne, son ventre l’imite. Soudain, une gerbe aussi violente que furtive vole en éclats sur ma tenue orange délavée.

- Merde, Soa ! C’est immonde !

Alors que je me retiens difficilement de vomir à mon tour, Ada l’aide à se redresser et la traîne vers les toilettes. L’avantage de cette prison, si j’ose le dire, c’est qu’on nous coupe régulièrement les cheveux. Mais si Soa les avait eu longs, Ada les aurait retenus. Elles sont devenues étrangement proches ces derniers temps. Il va falloir que j’en parle à ma tante lors de mon prochain rapport…

Alors que je tente de rincer ma tenue dans notre petit lavabo, une gardienne vient frapper à nos barreaux. Celle-ci ne semble pas vouloir commenter l’état de Soa, ni celui de ma tenue.

- On peut dire que c’est ton jour de chance, Flora. Nouvelles tenues pour tout le monde !

Surprises, nous nous hâtons toutes les trois sur les nouvelles tenues. Voilà maintenant quatre semaines qu’on ne nous en avait pas donné de propres. J’ai hâte de quitter cette odeur de sueur, de sale et surtout l’odeur de vomi.

Sans qu’on ne nous dise pourquoi, la journée ne ressemble à aucune autre. Le marché du mardi est annulé, l’heure de sport également et on nous demande de récurer les couloirs, les cellules et le réfectoire de fond en comble. Je suis quelque peu vexée qu’on ne m’ait rien dit. Je n’aime pas être prise de court. Mais bon sang, que se passe-t-il pour qu’on ait besoin de mettre en place une telle mascarade ?!

Soa, elle, reste allongé sur notre matelas. Si ces derniers jours elle semblait aller mieux, son état de santé a soudainement commencé à se dégrader. L’une de ses blessures a dû s’infecter. Mais les gardiennes n’en n’ont que faire. J’ignore ce qu’elle a fait pour se faire battre à ce point, mais une chose est certaine, on souhaite sa mort. Pourtant, je sais que sa mort signifierait une rébellion sans précédent. Je pense que c’est pour cela qu’on la laisse mourir d’elle-même. Ainsi, les gardiennes n’en seront pas responsables.

Moi ça ne m’arrange pas. Je l’entends souffrir, gémir et pleurer de douleur toutes les nuits. Alors je prie pour que la puce agisse enfin sur elle, que soudainement, Soa se mette à se comporter correctement. Cependant, elle est digne de son rang de rebelle, de fille de cité. Soa résiste. Je ne comprends pas ce qui les pousse, elle et les autres résistantes, à rester dans leur monde imparfait. Elles devraient suivre notre Fascinateur, celui qui nous a sauvé des tares de notre société.

La sonnerie d’appel retentie à une heure inattendue. Cela doit plutôt être un rassemblement. Je regarde Soa une dernière fois. Je ne suis pas certaine de la revoir en vie. J’aurai bientôt plus de place sur notre matelas… Jusqu’à ce que la nouvelle détenue arrive. Ada change le tissu mouillé sur sa tête, en se penchant il me semble qu’elle l’embrasse sur le front. Encore des satanées de lesbiennes. Beurk !

Toutes les femmes sont dans la cour. À la même place que lors de nos appels. Mais une chose dénote fortement cette impression d’habitude. La présence des prisonniers hommes. Dans leurs tenues vertes, elles aussi fraîchement lavées, ils nous regardent avec le même air ahuri. Sans rien nous dire, sans faire d’appel, les gardiennes et les gardiens nous laissent plantés sur place. Pendant longtemps. Très longtemps. Soudain une voix masculine retentit au travers des haut-parleurs. Je devine qu’il s’agit du directeur d’Hélène Bürger. Lewis Strandermann. L’homme à la main de fer, l’un des plus proches amis de Louis Royce, notre Fascinateur. Durant le discours les gardiennes et les gardiens se dressent, voulant montrer leur grandeur. Des caméras débarquent et tout le monde comprend qu’un clip pour le gouvernement va être tourné ici. Je me dresse également, fière d’être au premier rang. Une pensée émue pour mes parents traverse mon esprit. Qu’est-ce qu’ils seraient fiers de moi !

« Aujourd’hui la chance vous sourit. Vos parents, vos enseignants ne vous ont peut-être pas donnés les clés, mais l’État le fait à leur place. Aujourd’hui, nous sommes fiers de faire de vous les futurs jeunes de notre société. Le temps est certainement long ici, mais vous en sortirez grandis et sages. Aujourd’hui, soyez fiers de vous, car notre Fascinateur se présente à vous pour vous guider le droit chemin. Grâce à lui, grâce à l’Europe Unie, vous pourrez fonder une génération encore plus saine que la vôtre, qui elle-même en fondera une plus pure. Mes chers enfants, veuillez accueillir chaleureusement notre sauveur, le grand Fascinateur ! »

Mais au lieu des cris de liesse règne un long silence. Le Fascinateur n’est pas là. Les gardiens et les gardiennes le cherchent du regard. Je sens mon cœur s’emplir d’une tristesse et d’une déception. Où est le grand Fascinateur ? Quelque chose cloche. La longue attente des prisonniers et des prisonnières se transforme en un mouvement de panique. Où est donc notre guide ?

 

____

 

Le calme règne étrangement dans le couloir. Après avoir repris conscience, je me suis retrouvée seule. La tête me tourne. Je me redresse et fait tomber un tissu humide. Je devine qu’Ada me l’a posé. La nausée semble avoir disparu, cependant la douleur au niveau de mon coude s’est réveillée. Je l’inspecte, la couleur qu’il a prise m’inquiète. Je sais très bien que je ne peux pas faire appel aux gardiennes de la prison. Depuis mon passage à tabac, je vois dans leurs regards un violent rejet. Ce n’est plus comme auparavant, où mes tatouages les écœuraient, à présent je représente tout ce que l’Europe Unie a banni.

- Par ta faute ma famille ne me verra pas briller, râle alors une voix près de sa cellule.

Est-ce à moi qu’elle s’adresse ? Pourquoi brillerait-elle ?

- Tu pourrais au moins avoir l’honneur de t’excuser ! s’énerve alors la gardienne en cognant de sa matraque les barreaux.

- Mais de quoi parles-tu ?!

- De quoi parlez-vous ! Vous !

- De quoi parlez-vous ? répété-je alors, en grimaçant.

- Le Fascinateur vient et personne ne me verra à l’écran.

Le Fascinateur ? Venir ici ? Mais pour quoi faire ? Finalement, c’était peut-être une bonne chose que j’aille mal. Alec et ma mère, qui me pensent en Angleterre, ne sauront pas que je me trouve en prison pour vol. Cela aurait achevé maman. Surtout si elle me voit tuméfiée de partout, les cheveux blonds rasés alors que chacun sait je n’aurais jamais choisi cela et le teint si pâle qu’on pourrait voir au travers.

- Alors, reprit la voix sifflante de la gardienne, tu ne t’exc… Monsieur ! Bienvenue dans la prison d’Hélène Bürger.

Je sens alors mes poils se hérisser. Je n’ai pas besoin de voir pour comprendre qui vient de débarquer dans la section 2 de la prison. Louis Royce en personne. Mon plus grand ennemi.

- Monsieur, bégaye la gardienne, on attendait votre arrivée par la grande entrée…

- J’avais envie de voir les cellules. Cela pose-t-il un problème ?

- Non, non… Je peux vous guider à travers les couloirs jusqu’à la cour où vous attendent les prisonniers.

Certainement surpris par ma présence, l’unique prisonnière encore en cellule, Louis Royce s’arrête à ma hauteur. À l’aide d’une béquille qu’Ada m’avait fabriqué à partir d’un barreau de lit, je me lève pour me hisser jusqu’à l’entrée de la cellule. L’homme n’a rien d’exceptionnel. Ses cheveux poivre et sel piquent sur le haut de son crâne qui commence à se dégarnir. Il ne se démarque pas par sa taille, mesurant assurément moins d’un mètre soixante-quinze.

- Pourquoi est-elle encore en cellule ? demande-t-il d’une voix puissante.

Je n’entends pas la réponse que murmure honteusement la gardienne. En percevant sa voix un frisson particulier m’a traversé. Un frisson que j’avais déjà ressenti. Pour effacer le doute qui m’envahit je cherche alors à plonger mes yeux dans son regard. Le même. Ça ne peut être un hasard. Trop longtemps je m’étais questionnée sur la famille de Raven. Trop longtemps j’avais su sans me l’avouer. Raven, de son vrai prénom, Niella est la fille de Louis Royce. La fille disparue et tant recherchée. Le drame qui avait fait trembler l’Europe Unie en 2207. Ça ne peut être qu’elle. De plus, Louis Royce, l’homme qui a tué mon père, est le géniteur de Raven. J’en suis à présent persuadée.

Ma curiosité rassasiée, une pointe de dégoût naissant dans le fond de ma gorge, j’ose tourner le dos à l’autoproclamé Fascinateur. Fascinateur, mon cul, oui ! Sa fille est bien plus fascinante que lui. En m’asseyant difficilement sur mon lit, je lui adresse un dernier regard, plein de dégoût.

- Vous ne la méritiez vraiment pas.


____

 

Je regarde les nombreuses prisonnières. Parmi toutes les tenues orange, je ne perçois aucun signe de Niella. Si elle avait effectué un quelconque délit, elle se serait certainement retrouvée dans la prison Hélène Bürger. La plus grande de l’Europe Unie. Cependant, ma fille ne semble pas s’y trouver.

Au début, quelques jours après sa fuite, je m’étais dit qu’elle reviendrait d’elle-même, ne supportant pas la vie hors de leurs quartiers aseptisés. Pourtant, elle n’était pas revenue. Même Carola en avait été étonnée. Rapidement, mes gardes avaient perdu la trace de ma fille. Depuis ce jour-là, Carola l’avait considérée morte. Je gardais néanmoins espoir. Ma fille peut avoir en ma présence le futur digne de sa personne ! Je souhaite le lui donner. N’est-ce pas, après tout, le rôle d’un père, de tout faire pour que sa fille soit heureuse ?

Finalement la visite à Hélène Bürger n’avait été que diplomatique. Assis dans ma voiture, seul avec mon chauffeur, mon cerveau fait le tri dans les souvenirs de cette journée inutile. Les habituelles courbettes, la présentation de nouvelles puces, le point sur l’avancement de la création de la génération pure n’ont finalement pas été d’une grande nouveauté. Cette journée était juste bonne à faire un clip gouvernemental. Je fais confiance à mes équipes de communication.

Par la fenêtre du véhicule, je vois la prison s’éloigner. Quel bâtiment sinistre ! Je m’enfonce dans mon siège, une étrange boule dans le ventre. Le souvenir de cette prisonnière revient me hanter. Je n’avais pu m’empêcher de noter la présence de nombreux tatouages parcourant son corps. Après que celle-ci soit retourner s’asseoir, j’avais demandé à la gardienne qui me faisait parcourir les couloirs, le nom de cette détenue. Soa Lundor. La fille de Jonathan Lundor, le grand footballer de la décennie passée. Son état pitoyable m’avait troublé. Qu’avait-elle fait pour mériter un tel traitement ?

Au fond de moi, je sais que cette fille a connu Niella. « Vous ne la méritiez vraiment pas. », avait-elle déclaré. De plus, le trait de ses tatouages ressemble à ceux de ma fille. Non ! Louis ! Reste concentré… Ce n’est qu’une pure coïncidence. Niella ne se permettrait pas de laisser un indice si important.

- Anatole ?

Mon chauffeur leva le regard pour m’observer dans son rétroviseur.

- Tu feras des recherches sur Soa Lundor et sa famille. Je veux tout savoir.

- Dois-je le faire discrètement ?

- Je préfèrerais que Carola ne sache rien.

- Bien, monsieur.

- Anatole ? Je… je souhaite également qu’on s’occupe d’elle de manière plus digne, cette jeune femme mérite un meilleur suivi médical. Je veux que Lewis en soit informé.

- C’est également noté monsieur.

Le moteur hydraulique vrombit tel un ronronnement de chat et enfin nous quittons l’angoissante prison d’Hélène Bürger. Je souris en repensant à cette femme, ma grand-mère, et à l’idée que ce monstre entende dans l’au-delà que j’ai baptisé une prison de son nom.

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