Kinzoku no Ryōshu : Les Seigneurs du Metal

Chapitre 5 : Témoin

5879 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/10/2021 16:29

Les lueurs rouges des gyrophares de la police et des pompiers perçaient la nuit tandis qu'une foule de curieux s'amassaient progressivement dans la rue devant le lycée Yamanoshi, ne faisant qu'accentuer la curiosité autour d'eux. Un cordon de policiers s'était immédiatement établi, empêchant les civils de pouvoir approcher et les forçant à se reculer afin de ne pas gêner l'intervention. Pendant ce temps, des pompiers avaient sautés hors de leurs camions et s'attelaient à déployer les tuyaux d'arrosage afin de mettre un terme à la progression du feu rongeant le bâtiment principal de l'établissement.

Certains prenaient leurs téléphones portables afin de filmer ou prendre des photos, d'autres étaient bien trop surpris ou horrifiés pour faire quoi que ce soit. Les habitants contemplaient cette vision surréaliste du lycée en proie aux flammes, dont les fumées noires s'élevaient haut dans les airs, formant une véritable mare noire vaporeuse et flottante.

Alerté par son supérieur, l'inspecteur Shiro Miyazaki, dont l'agacement et la fatigue se lisaient sur sa figure, sortit immédiatement de son véhicule après l'avoir garée sur le bas côté. Obligeant la foule à s'écarter de son chemin, il se fraya le passage jusqu'au cordon d'agents, leur montrant son insigne et passa sans le moindre problème. Un flash soudain par dessus son épaule l'interpella cependant et il en remarqua immédiatement la cause. Un journaliste était parvenu à se dissimuler à l'insu des flics et avait dégainé son appareil photo.

_"Hé! Ce journaliste là! Foutez-le hors d'ici!" Shiro ordonna immédiatement à deux agents les plus proches, ce qu'ils firent, venant se saisir de l'individu et de son appareil pour le conduire hors de la zone.

L'homme se défendit, déclarant le baratin habituel, que la presse à le droit de savoir et blablabla… Shiro soupira lourdement, se frottant les yeux du bout des doigts.

_"Foutus reporters… On à déjà assez de problèmes comme ça, faudrait pas non plus que la presse vienne jeter de l'huile sur le feu avec leurs articles apocalyptiques…" marmonna l'inspecteur fourbu en s'avançant vers l'un de ses collègues de travail arriver avant lui, l'inspecteur Kota Yoshiro, qui était également un ami d'enfance de Shiro.

Tous deux étaient entrer à l'école de police ensemble et malgré les gros problèmes d'alcool de Shiro, Kota était rester en bon termes avec lui, le soutenant du mieux qu'il pouvait et lui ayant même filer plusieurs tuyaux afin de se sortir de ce cercle vicieux mais pour l’instant sans succès.

_"Ah Shiro, pas trop tôt…" dit Kota en venant à son collègue, l'air plutôt déconcerté "… C'est un putain de foutoir, j'ai jamais vu une chose pareille."

_"Ouais, je peux voir ça…" répondit Shiro en posant les yeux sur le terrible spectacle qui se déroulait devant lui.

Il devait admettre lui aussi n'avoir jamais rien vu de pareil. Le bâtiment principal consumé par le feu, la cour entièrement jonchée de cratères, l'odeur de brûlé et du sang se mélangeant et venant imprégner l'air… Le lycée ressemblait davantage à une zone de guerre maintenant. Plusieurs cadavres avaient été découverts gisant au milieu de la cour dans d’importantes mares de sang, mais à cause des flammes les ayant dévorés, tous n’étaient plus du tout identifiables.

_"Dis moi, c'est pas le lycée ou va ta fille d'habitude?" demanda alors l'inspecteur Kota en étant pris d'un doute.

La mention du nom de sa fille fit comme un électrochoc à Shiro qui s'empressa de prendre son téléphone portable et appela le numéro de Mariko. Mais après plusieurs et interminables secondes de sonnerie, il fut accueilli par la voix du répondeur.

_"Rah, comme d'habitude elle a du mettre son téléphone en mode avion. Bordel!" grommela Shiro en resserrant la poigne sur son téléphone.

Mais sa frustration laissa vite place à une lourde fatigue qui le fit souffler lourdement, se frottant le front du plat de la main et sa tête le faisant encore légèrement souffrir. Kota le remarqua et s'inquiéta pour son collègue.

_"Hé vieux, ça va? T'as vraiment pas l'air dans ton assiette ces derniers temps."

_"Ben....je me suis encore engueulé avec ma fille…" expliqua Shiro, dont les cernes sous ses yeux démontraient le poids de la fatigue qui lui pesait "… Elle peut même plus me voir en peinture et les seuls fois où on se parle c'est pour se balancer des reproches. Et puis il y a eu ce meurtre, ou plutôt ce carnage commis dans cet appartement, ce midi… ça commence à faire beaucoup… Qu'est ce qui arrive à cette putain de ville, je me le demande…"

Mais ce que Shiro ignorait, est que, se tenant à l'écart de la foule, caché au recoin d'un bâtiment, se trouvait le seul témoin oculaire de ce qui s'était passé. En état de choc et ruisselant de gouttes sous la pluie froide, le jeune Koichi était recroquevillé, les yeux écarquillés et tremblant comme une feuille, il avait encore du mal à croire ce qu'il venait de voir. Peu après être revenu chez lui, il était ressorti à l'insu de sa mère afin d'aller attendre Mariko devant l'entrée du lycée et la raccompagner chez elle, afin qu'elle se sente moins seule. Mais il ne s'attendait pas une telle chose en arrivant dans les grilles de l’établissement…

Ses mains tremblantes tenaient précieusement son téléphone portable, avec lequel il avait pu filmer, malgré la peur et la surprise, ce qui s'était passé. Relançant la vidéo encore une fois, il ne pouvait en détourner les yeux, ni prononcer un mot… Le lycée en flammes, et ces deux personnes étranges, l'un en armure ultra perfectionnée, l'autre en manteau de cuir et chapeau noir, tous les deux s'affrontant dans un combat d'une violence incroyable, et l'homme au chapeau faisant preuve de facultés surnaturelles en invoquant la foudre par sa propre volonté… Même s'il regardait la vidéo pour la centième fois, son esprit ne parvenait pas à accepter ce dont il avait été témoin avec ses propres yeux …


Pendant ce temps…

Jamais Mariko ne s'était aussi confuse. Mille et une pensées et questions se bousculaient dans son esprit, s'entremêlant comme une véritable mélasse brumeuse et immonde. Assise sur la banquette de cuir noir du taxi qui la ramenait chez elle, la lycéenne ne disait pas un mot, regardant sans vraiment le voir, à travers la vitre ruisselante des gouttes de la pluie fine verglaçante qui commençait à tomber. Dehors, les bâtiments et les rues défilaient dans la nuit déjà pleinement tombée, et plus loin, les grandes tours du centre ville donnaient l'illusion de grandes montagnes d'acier parsemées de centaines de lumières. Sur les trottoirs marchaient des dizaines de gens chaudement enfermés dans leurs manteaux et autres anoraks, fourbus de leur journée de travail et désireux de rentrer chez eux. Mariko, elle aussi, voulait rentrer chez elle, mais pour une tout autre raison.

Comme reprenant conscience de la réalité, elle baissa le regard vers ses mains encore légèrement tremblantes et fit de son mieux pour faire cesser le tremblement. Remarquant ses poignets et ses paumes portant encore quelques traces du sang des hommes qu'elle avait lacérer avec son katana, son coeur bondit dans sa poitrine. Elle les dissimula du mieux qu'elle put, bien que le conducteur du taxi n'eut pas l'air de beaucoup se préoccuper de la jeune passagère et se contentait d'attendre, le poing appuyé contre la joue, que le feu rouge passe au vert. La radio diffusait une petite musique lente et agréable, mais fut soudainement interrompu par une annonce.

_"Nous interrompons votre programme musical pour un flash spécial: aux alentours de 17 heures, une violente explosion s'est produite dans le bâtiment principal du lycée Yamanoshi. Les pompiers et la police se sont rendus immédiatement sur place et après de plus ample informations, il est à craindre que plusieurs corps n'aient été retrouvés et seront emmenés à la morgue afin d'être examinés. Certains pensent que cet incendie pourrait être liée au terrible massacre de la famille Izogai qui a eu lieu en fin de matinée, mais il est encore trop tôt pour confirmer quoi que ce soit. Nous vous tiendrons informer de…"

La radio fut alors coupée par la décision du conducteur.

_"Ah là là, dans quel monde vit-on, franchement…" il commenta en secouant nonchalamment la tête, parlant tout seul "… Faut vraiment être un monstre pour faire péter un lycée. J’suis sûr que c’est encore un coup de ces foutus djihadistes…"

Mariko, de son côté et restant aussi discrète que possible, n'avait pas perdue un mot de l'annonce et resta profondément marquée, bien qu'essayant de le cacher. Un monstre? C'est ce qu'elle était? Elle était après tout en partie responsable de l'incendie. Encore une fois, elle s'était laissée dominée par ses émotions et son pouvoir avait pris le dessus sur elle. C’était la toute première fois que son pouvoir se manifestait avec une telle intensité et lui avait montré un nouvel artefact dont elle disposait vraisemblablement depuis le tout début. Ce serait donc ce que je suis? elle pensa, regardant la paume de sa main, puis tournant le regard pour apercevoir le reflet de son visage dans le verre de la vitre, déformé par les petites rivières de gouttes de pluie s'écoulant tout du long à l’extérieur.

Mais alors qu'elle contemplait ce visage qu'était le sien, elle crut percevoir l'espace d'une seconde ou deux, un autre reflet émerger du sien, prenant la forme d'un visage inhumain et grognant, aux yeux rouges luisants la fixant directement, un anneau perçant ses narines, aux dents aiguisées et arborant deux grandes défenses recourbées sur les côtés de la mâchoire et reliées par une grande chaîne de métal. Cette apparition soudaine terrifiante surprit Mariko, haletante, qui dans un mouvement de recul, attira l'attention du chauffeur.

_"Tout va bien, mademoiselle?" il demanda en regardant un instant dans le rétroviseur intérieur avant de se reconcentrer sur la route.

_"Euh…oui, oui, merci…" elle répondit avec un petit rire gênée, se grattant l'arrière du crâne en faisant mine de rien. Le conducteur ne s’attarda pas plus et retourna son attention sur la route.

Mais reprenant vite son sérieux, Mariko jeta un autre coup d'oeil à la vitre, pour constater que cette « chose », ou du moins son reflet, s'était volatilisé. Qu'est ce que ça pouvait être? Une autre créature cherchant à s'emparer d'elle et jouant avec ses nerfs? Pourtant, Mariko ne ressentait aucune présence abyssale dans les parages. Son coeur la brûla fortement l'espace de quelques instants, comme si lui aussi avait réagi à cette vision. Grimaçant un peu à cause de la douleur, Mariko fit le vide dans sa tête afin de ne pas déclencher un autre drame.

Après près d'une heure de trajet à travers les rues d’Hobara, le taxi arriva finalement devant le portail de la maison de Mariko. Après avoir payée le chauffeur et être descendue du véhicule, la lycéenne trempée et profondément pensive s'empressa de franchir le jardin et entra sa clef dans la serrure pour se précipiter au sec et au chaud dans sa maison.

Trop pressée de rentrer chez elle, Mariko n'avait même pas ressentie la présence pourtant proche d'une silhouette qui l'avait suivie jusqu'à chez elle et l'avait observé rentrant dans sa maison depuis le toit d'une des maisons à proximité. Debout sous la pluie, les mains dans les poches, son grand chapeau noir trempé, Mathieu sortit alors son téléphone portable et après avoir sélectionné un numéro masqué, le porta à son oreille.

_"Ouais Rob, c'est moi. C'est bon. La fille est rentrée chez elle, saine et sauve, et aucune présence de créatures des abysses à signaler dans les environs, du moins pour cette nuit."

_"Bon boulot pour ce que t’as fait au lycée. J’ai une dette maintenant envers toi, Matt." fit la voix de Rob à l'autre bout du fil.

_"Mouais…" marmonna le jeune homme au chapeau d'un air moins enjoué "…ça l'aurait vraiment été si j'avais pu flinguer Krügger, mais cet enflure à encore réussi à filer… Tu me diras, lâche comme il est, c'était à prévoir."

_"On aura d'autres occasions de le dessouder, t'inquiètes pas..." le rassura Rob avec assurance "...Mais pour l'instant, on a un autre problème. Quelqu'un a été témoin de ton affrontement avec Armin et l'a filmer. Tu sais qu'on ne peut pas se permettre que la police se mêle de nos affaires."

Tout en écoutant cela au téléphone, Mathieu esquissa un coin de sourire et ricana légèrement, son iris brillant d'un éclair vif.

_"Je crois savoir de qui il s'agit." commenta Mathieu en regardant par dessus son épaule, sachant ou il se rendrait maintenant.


Pendant ce temps…

Ne se doutant aucunement de ce qui se passait car trop préoccupée par ce qui venait d’arriver aujourd'hui, Mariko était montée à l'étage, dans sa chambre. Laissant tomber son sac de cours au pied de son lit, elle se dirigea d'un pas nonchalant vers la fenêtre, tirant légèrement le rideau et observant attentivement la rue sombre et déserte devant chez elle. Rassurée de voir que personne ne l'avait suivie, elle souffla un peu. Mais ses pensées se retournèrent très vite vers ce jeune homme au grand manteau de cuir et au chapeau noir qu'elle avait aperçue. Les éclairs qu'il faisait jaillir et jetait à volonté, son agilité surhumaine, cette hache se transformant en guitare électrique qu'il avait fait apparaître dans ses mains et dont il s'était servi pour invoquer la foudre… Toutes ces images repassaient en boucle dans le cerveau de Mariko, comme la scène d'un film se répétant, encore et encore jusqu’à lui faire mal à la tête…

Elle qui croyait pourtant être la seule à posséder des facultés hors normes, voyait maintenant une réalité tout autre lui sauter en pleine figure… Il y en avait un autre comme elle! Mais qui pouvait-il être? Était-il le seul ou y en avait-il d’autres ? Ces questions ne pouvaient quitter son esprit en pleine confusion.

Mariko se débarrassa de son uniforme scolaire, ainsi que du reste de ses vêtements et poursuivit ses réflexions dans la salle de bain. Debout derrière la vitre de verre teintée, elle restait droite, les yeux fermés, le visage légèrement levé vers le haut et laissant le rideau l'eau chaude venir la recouvrir, ruisselant le long de ses seins, de son corps et dans sa chevelure d'ébène. La sensation de chaleur lui arracha un frisson, alors qu'elle baissa les yeux, contempla avec une once d'angoisse ses mains encore tachées du sang des hommes qu'elle avait tuer ce soir. D’habitude, elle n’avait ici tuer que ces êtres cauchemardesques qui cherchaient à s’en prendre à elle, mais ce soir, elle avait tuée des êtres humains pour la toute première fois de sa vie. Même si cela avait été une nécessité, un profond sentiment de mal-être l’envahit.

Une autre question s'abattit alors sur elle par surprise... Son père! Qu'est ce qu'elle pourrait lui dire? Devais t-elle lui révéler la vérité sur ce qui s'était passé? Mais pourrait-il seulement le croire? La confusion était à son paroxysme, provoquant un mal de crâne chez la jeune lycéenne, qui plus que perdue, ne put que se laisser glisser le long du mur blanc de la salle de bain, assise dans un coin de la douche, recroquevillée et en pleurs sous le jet d'eau continu la recouvrant. C’était trop pour elle. Elle souhaitait tellement que sa mère soit encore là pour la soutenir.

Après s'être lavée et purifiée de toute trace de sang et s'être assurée qu'aucune trace n'était restée dans la baignoire, Mariko avait réussie à se calmer. Enveloppée dans un peignoir de bain, elle faisait maintenant face au miroir ovale suspendu au dessus du lavabo et séchait sa chevelure avec son sèche-cheveux, sans un mot. Elle se perdit un instant à regarder son propre visage dans le reflet. Elle se voyait, et pourtant, avait également l'impression de voir quelqu'un d'autre. Quand elle avait invoquée cette armure malgré elle et avait laissée libre cours à sa colère contre ces assassins… Elle l'avait sentie, l'espace d'une infime seconde, au fond d'elle… Une autre présence venant de son coeur… Une présence plus forte, mais également plus impitoyable. Elle avait pu également sentir la chaleur de ses flammes, plus intense et puissante que jamais… Bien que vivant avec ces pouvoirs depuis aussi longtemps qu'elle s'en souvenait, Mariko devait admettre n'en connaître pas suffisamment, et c'est ce qui la terrifiait le plus. Cet homme capable de manipuler la foudre… Lui pourrait avoir des réponses. Mais était-ce une bonne idée d'essayer de le retrouver? Après tout, elle ne savait rien de lui et de ses motivations.

Le bruit étouffé mais caractéristique de la porte d'entrée s'ouvrant à l'étage inférieur la tira hors de ses pensées. Encore sous la tension de l'attaque du lycée, le coeur battant, elle se dirigea d'un pas prudent vers la porte de la salle de bain, prête à frapper à la moindre intrusion.

_"Mariko?!...Mariko, c'est moi!! Tu es là?!"

Son père! Elle poussa un soupir de soulagement et sans hésiter, sortit de la salle de bain pour se précipiter dans les escaliers. Shiro, en se débarrassant de son grand manteau trempé, vit sa fille descendre les marches à grande vitesse, et fut lui aussi rassuré de la voir saine et sauve. Immédiatement, les larmes aux yeux, Mariko se jeta dans les bras de son père, qui l'étreignit avec force.

_"Oh merci seigneur, merci… j'ai eu tellement peur pour toi… ça va, tu n'est pas blessée? J'ai essayé de te joindre, mais pas moyen…" souffla Shiro en étreignant sa fille, puis en lui touchant les cheveux et le visage comme pour s'assurer qu'elle était bien là.

Bien sûr, il n'était pas au courant de l'heure de colle que sa fille s'était vue imposée et qu'elle avait été témoin de ce qui c’était passé.

_"Je vais bien papa, je t'assure." confirma Mariko en acquiesçant. "Mais dis moi, qu'est ce qui a pu se passer? J'arrive pas à le croire!"

Elle posa cette question en jouant l'ignorance afin de cacher ce qu'elle avait vue à son père. Cela lui faisait mal de lui mentir dans un moment pareil, mais elle le devait, pour son propre bien.

_"Pour l'instant, je l'ignore, il faudra attendre les résultats de l'enquête…" soupira lourdement Shiro en allant s'asseoir mollement sur l'une des chaises de la salle à manger, fatigué et sur les dents à cause de tout ce qui se passe "… On a retrouver plusieurs corps, mais ils étaient trop carbonisés pour pouvoir en tirer quelque chose."

Mariko se couvrit la bouche, horrifiée, jouant à la fois la comédie pour tromper son père, mais en même temps réellement affectée par la mort de la surveillante générale et du concierge dont elle avait vue les corps de ses propres yeux. Se passant les mains sur le visage et poussant un profond soupir de fatigue, Shiro se redressa sur la chaise et sourit cependant à Mariko.

_"Au moins, tu n'as rien. S'il y a une miette de positivité que je peux tirer de cette journée pourrie, c'est bien celle-ci que je choisis de ramasser."

Mariko fut touchée par ces mots et sourit à son tour, chose qu'elle n'avait plus fait depuis un moment avec son père. Elle pouvait voir la fatigue creusant et grignotant son visage comme une nuée de termites sur une souche de bois. Elle constata également que depuis son arrivée, son premier geste ne fut pas de se diriger vers le comptoir de la cuisine pour y sortir une bouteille de whisky et s'en vider la moitié dans le gosier, comme il avait pris l'habitude de le faire. Voyant son père fourbu par ce qui fut visiblement une journée très chargée, Mariko vint à lui et déposa une bise sur sa joue, ce qui le surprit un peu sur l’instant. En ce moment de grand trouble, mieux valait faire preuve d’une once de compassion.

_"Va prendre une douche et te reposer un peu. Je vais préparer le dîner en attendant." dit-elle calmement avec une certaine insistance dans la voix.

Shiro acquiesça doucement et alors qu'il se levait et se dirigeait vers les escaliers pour se rendre à la salle de bain, se retourna une dernière fois vers sa fille.

_"Au fait, Mariko… Pour ce que j'ai fait ce matin, je…"

_"Non…" l'interrompit alors Mariko "…c'est moi qui m'excuse. J'aurais pas du te parler comme ça… Allez, va. Je m'occupe de tout. Ma façon de me faire pardonner."

Bien qu'il aurait voulu s'excuser pour son comportement de ce matin, Shiro fut profondément touché par l'attitude de sa fille à son égard. Lui qui ne se voyait à ses yeux que comme un déchet vivant, avait l'impression pour la première fois depuis longtemps d'être enfin un père à ses yeux. Mais tandis qu'il montait l'escalier, le doute le rongea. Aurait-il du parler à Mariko du meurtre qui avait eu lieu ce midi en centre-ville? Non, elle était déjà assez bouleversée comme ça, il ne voulait pas l'inquiétée davantage. Cependant, son instinct de policier le titillait. Il avait le sentiment que ce meurtre et cet incendie, tous deux dans la même journée, ne pouvaient être une simple coïncidence. Shiro sentait au fond de lui que quelque chose de très grave était à l'oeuvre, mais sans savoir quoi, et pourquoi?


Pendant ce temps...

D'ordinaire très gourmand et appréciant particulièrement la bonne cuisine de sa mère, Koichi Emiya ce soir n'arriva pas à avaler la moindre bouchée. Assis à la petite table ronde en verre près de la modeste cuisine de son appartement situé en centre-ville, il faisait face à son assiette encore fumante de nouilles sautées et de poulet accompagné de légumes cuits à la vapeur. Le jeune homme ne disait pas un mot, les mains sur les genoux et montrait une expression visiblement perturbée. Ce qu'il avait filmé ne cessait de se répéter dans sa tête, encore et encore. Dehors, la pluie continuait de battre son plein sur la ville et les échos de quelques sirènes de police pouvaient être entendues résonnant dans les rues lointaines.

_"Koichi… Koichi… Mon chéri, tu m'entends?"

Koichi réagit comme émergeant soudainement d'un rêve et fit face alors au regard de sa mère, une jeune femme aux yeux noirs et aux cheveux courts coupés en bol. Ayant elle aussi été mise au courant de la tragédie survenue au lycée, elle avait essayée de réconforter son fils comme elle pouvait.

_"Je… je crois …" fut la seule réponse qu'il put formuler, hagard.

Sa mère s'inquiéta et posa alors ses couverts pour prendre la main de son fils dans la sienne.

_"Tu n'as pas touché à ton assiette. Tu dois manger. Rappelle toi ce qu'a dit le docteur…"

_"Je sais…" soupira mollement Koichi en se frottant les yeux "… Je… je me sens pas bien… Je crois que je vais aller dormir un peu…"

Sur ces mots et n'attendant même pas une réponse de sa mère, Koichi quitta la table et se dirigea d'un pas quelque peu pressé vers sa chambre au fond du petit couloir, laissant sa mère pantoise et concernée.

Après avoir franchi le seuil de sa chambre de taille relativement moyenne, Koichi s'empressa de fermer la porte, se retrouvant seul dans la pièce obscure à peine éclairée par les lueurs des réverbères et des néons des panneaux publicitaires suspendus sur les façades des immeubles d'en face. La fenêtre de sa chambre, ouverte et laissant entrer l'air frais, lui fit lever un sourcil. Il n'avait pas souvenir de l'avoir ouverte.

Il alla fermer et verrouiller sa fenêtre, avant de sa faire surprendre par l'explosion soudaine d'un éclair très proche dans le ciel, qui le fit sursauter et battre son coeur très fort.

_"Nerveux?"

Koichi haleta de surprise et de peur à l'entente de cette voix sombre derrière lui. Se retournant d'un bond, blottit contre le mur à côté de la fenêtre, il écarquilla les yeux derrière ses lunettes. Assise sur son lit, dans la pénombre de la nuit, se tenait une forme d'apparence humaine. La personne se leva très lentement, portant visiblement un grand manteau noir de cuir et un chapeau sur la tête, tous deux ruisselants de gouttes de pluie venant humidifier le parquet. L'individu dominait Koichi d'une tête et demi de plus au moins et paraissait trapu. S'avançant d'un pas, l'intrus se révéla à la lumière de l'extérieur, ses longs cheveux châtains et son visage caucasien, laissant Koichi sans voix et en proie à une peur encore plus grande qui le paralysait sur place, reconnaissant sur le champ l’intrus.

_"V… vous…" il parvint tout à juste à bégayer entre ses lèvres tremblantes. C'était lui! L'homme qu'il avait filmé au lycée, celui qui pouvait lancer des éclairs et invoquer la foudre.

_"Moi." répondit Mathieu d'un ton presque narquois, sortant une cigarette de sa poche et l'allumant avec son briquet, son visage grave sous son chapeau noir s'éclairant à la lueur de la petite flamme orangée.

Son regard lourd et sombre ne quittait pas celui de Koichi, qui n'osait plus faire un mouvement. Tout en tirant une première bouffée, Mathieu parcourut du regard d'un air neutre et faussement intéressé l'ensemble de la chambre du lycéen, y découvrant tous les posters de films ou de jeux vidéo, ainsi que les piles bordéliques de mangas, l'ordinateur sur le bureau et les nombreux composants électroniques diverses et variés en chantier tout autour.

_"Je vois que j'ai affaire à un nerd." commenta Mathieu en émettant un petit rire amusé, en ramassant dans sa main l'une des jaquettes de jeux et la regardant vaguement avant de la reposer.

_"S'il vous plaît… Pitié, me tuez pas…" supplia Koichi au bord des larmes, dos au mur et tremblant de tous ses membres, conscient de ce que cet homme, ou ce monstre, était capable de faire.

Mathieu le dévisagea à peine, s'amusant presque de la peur qu'il inspirait à ce pauvre binoclard tremblotant, mais redevint vite sérieux.

_"Je suis pas là pour toi si ça peut te rassurer. Mais pour ça." dit Mathieu en sortant de la poche de son manteau un objet qui fit frémir Koichi.

C'était son téléphone portable que cet étranger blanc, français à en juger par son accent, tenait dans sa poigne.

_"Je sais que t'étais là et ce que t'as fait." lui lança Mathieu sur un ton presque accusateur, tel un juge abattant ses accusations sur un condamné.

_"S'il vous plaît …" demanda humblement Koichi, mais fut très vite interrompu par la poignée de petits éclairs que Mathieu invoqua soudainement dans sa main, grillant tous les composants du téléphone portable et le rendant tout à fait irrécupérable, détruisant ainsi la seule preuve que Koichi possédait, au grand damne de ce dernier.

Laissant tomber le téléphone hors d'usage et fumant à ses pieds, Mathieu s'approcha alors jusqu'à quelques centimètres de Koichi, venant presque coller son visage au sien et lui soufflant la fumée de cigarette à la figure.

_"Crois moi, je te sauve la vie en faisant ça." dit Mathieu "T'allais te frotter à des choses qui dépassent ta compréhension et maintenant sans vidéo, personne voudra jamais te croire. L'enjeu est trop important pour qu'on puisse se permettre de laisser un petit geek puceau dans ton genre venir tout foutre en l'air."

Koichi l'écoutait sans oser protester, trop intimidé par la carrure et la voix de l'étranger, ce dernier venant alors le saisir à la mâchoire fermement, le soulevant presque du sol.

_"Si jamais t'essayes encore de te mêler de nos affaires, je devrais te tuer, et crois moi, j'hésiterais pas une seconde. J'ai été assez clair?"

Koichi acquiesça avec insistance en guise de réponse, le coeur battant à tout allure. Il vit dans l'iris de cet homme la sincérité à son paroxysme. Il le ferait, sans aucun doute. Mathieu sourit en coin et le laissa alors retomber sur le parquet de sa chambre. Se reculant aussi loin que possible, se recroquevillant dans un coin de sa chambre, Koichi vit alors l'étranger au chapeau ouvrir à nouveau la fenêtre de la chambre et enjamber sans aucune pression le rebord.

_"Mais y a une chose que je peux te dire: c'est que le monde comme l'humanité le connaît, est sur le point de changer, et ça, rien pourra l'empêcher."

Mathieu parla tout en attardant son regard sur l'immensité de la ville recouvert par la pluie. Il regarda alors par dessus son épaule, lançant un dernier regard lourd d'avertissement à Koichi, avant qu'un nouvel éclair n'explose dans un flash intense qui obligea Koichi à fermer les yeux. Une fois ses paupières rouvertes, il constata avec stupeur que l'homme avait disparu sans laisser la moindre trace, laissant le lycéen pantois dans sa chambre, avec devant lui traînant sur le sol la carcasse fumante de son téléphone portable. Encore sous le choc de cette rencontre inattendue, Koichi se redressa et s'avança, hésitant, vers le rebord de sa fenêtre, regardant vers l'extérieur comme pour essayer d'y apercevoir une quelconque présence. Tout ce qu'il trouva fut l'empreinte de brûlé qu'avait laissé la foudre en venant frapper pile à l'endroit ou l'homme se tenait avant de disparaître.


Pendant ce temps, un peu plus loin, l'ombre de Mathieu filait de toit en toit tel un ninja, aussi vite que les éclairs qui explosaient dans la nuit noire. Aucun risque qu'il soit vu, il le savait, l’obscurité et la couleur de ses vêtements le masquant parfaitement.

Atterrissant sur ses pieds avec une parfaite agilité sur le énième toit d'un petit immeuble du centre ville, Mathieu s'accorda une petite pause. Les mains dans les poches, le manteau et le chapeau ruisselant de gouttes de pluie, il resta quelques instants parfaitement immobile, puis émit un petit rire narcissique tout en souriant.

_"Dis moi, Lars, y a pas moyen que t'arrête cette foutue pluie?" dit-il très calmement, alors qu'une silhouette masculine au corps mince émergeait lentement de l'ombre du grand panneau publicitaire vissé sur le toit et arborant la publicité d'une marque de soda très populaire.

L'homme nommé Lars s'avança dans la lumière du panneau, montrant de longs cheveux noirs tombant en cascade sur ses épaules, recouvrant la moitié d'un visage morne, très pâle et portant autour des yeux du maquillage noir représentant des sortes de veinules courant le long de ses joues. Habillé tout de noir, dont une grande tunique de cuir noir enserrant son corps et portant deux bracelets à piques autour des poignets ainsi que de grandes bottes noires entourées de chaînes, Lars avança jusqu'à Mathieu, sans que ce dernier ne montre la moindre hostilité envers lui.

_"Pour une fois, je n'y suis pour rien. Faut bien laisser mère nature reprendre ses droits de temps à autre." répondit Lars, la voix aussi morose que son visage.

Les deux hommes restèrent côte à côte, observant ensemble l'activité nocturne d’Hobara et écoutant les échos des bruits habituels d'un centre-ville, ainsi que le bruit du tonnerre continuant de gronder et de déchaîner sa colère en cette nuit fraîche.

_"Mais dis moi, Mathieu…" ajouta alors Lars en tournant son oeil à l'iris noir vers lui. "Tu trouves pas que t'y as été un peu fort avec ce morveux?"

_"Tiens, je savais pas que tu étais devenu aussi sentimental, Lars. Tu me déçois." lui répondit Mathieu en se moquant ouvertement de son ami.

_"Tu te trompes. Le sort de ce gamin m'indiffère totalement. Je dis juste que si tu te mets à menacer tout ceux que tu croises, tu vas finir par attirer l'attention sur nous. Et Rob le prendrait très mal, tu sais comment il est." lui dit Lars, montrant bien au timbre de sa voix qu'il ne se souciait bien aucunement de ce qui pouvait arriver à Koichi.

Mathieu reconnaissait bien là son ténébreux et imperturbable ami, ce qui parut le rassurer un peu.

_"Je le sais très bien, pas la peine de me faire un dessin." soupira Mathieu d'agacement en commençant à marcher un peu sur le toit, suivi d'un pas lent par Lars.

_"Et alors… Cette jeune japonaise dont Rob n'arrête pas de parler… Celle qui détient ce pouvoir si particulier. Qu'est ce que tu en penses?" demanda Lars, ce à quoi, Mathieu ne répondit pas tout de suite, ses pensées étant justement tournées vers Mariko et ce qu'il avait pu voir de ses capacités pour le moment.

Le jeune français resta dubitatif sur le sujet.

_"Nous verrons bien."

Puis, alors qu'ils allaient repartir, Mathieu fut quelque peu surpris de voir Lars lever lentement mais sûrement sa main vers le ciel. En seulement deux secondes, la pluie cessa de tomber sur la ville. Regardant vers le ciel obscur, Mathieu manifesta un petit rictus narquois envers son ami qui marchait devant lui.

_"Ben alors, Lars. Je croyais qu'on devait laisser mère nature reprendre ses droits de temps en temps."

Nullement affecté par cette moquerie, apparemment monnaie courante en ce qui le concernait, Lars continua de marcher sans se retourner et fournit une réponse des plus simples.

_"Oui… Mais cette pluie commençait à m'agacer. Ce n'est pas bon pour mon maquillage."


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