Kinzoku no Ryōshu : Les Seigneurs du Metal

Chapitre 7 : L'Épreuve

5655 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/04/2022 00:11

Minuit venait d'être passé depuis quelques minutes, et un profond silence régnait maintenant sur le quartier. Après avoir fini son repas et fait la vaisselle, Mariko était retournée s'enfermer dans sa chambre, prétextant la fatigue et vouloir se coucher tôt. Mais la réalité fut tout autre. S'étant habillée de vêtements noirs et son manteau à capuche sur le dos, la lycéenne avait patiemment attendu que son père finisse par s'endormir. La nouvelle du massacre de cette famille, les Izogaïs, non loin du centre-ville et près du parc central, le jour même de l’attaque à son lycée avait laissé Mariko plus qu’incertaine, et s’il y avait bien une chose à laquelle elle ne croyait pas était les coïncidences. Elle devait en avoir le coeur net. Pour trouver l’adresse du lieu, elle n’avait eu aucun problème en cherchant sur internet, les médias ne s’étant aucunement privés de relayer les informations en ligne en quête du buzz.

Se glissant dans le couloir à pas de loup, Mariko ouvrit légèrement la porte de la chambre de son père, ce dernier confortablement installé dans son lit et laissant entendre un léger bruit de ronflement. Mariko ne put s'empêcher d'exprimer un petit sourire de le voir ainsi, dormant normalement, aucune bouteille vide visible sur le sol et la chambre n'empestant pas l'odeur d'alcool. Pour une fois, il était resté ici et n'était pas parti faire la tournée des bars à perdre tout son fric pour se mettre minable. Mariko se glissa aussi discrètement qu’un chat dans la chambre, pour venir jusqu’à la table de chevet et saisir les clefs de la voiture de son père. Elle se sentait honteuse d’emprunter ainsi la voiture sans sa permission, mais s’y rendre à pied aurait pris trop de temps. Une fois les clefs en main, Mariko ressortit et referma délicatement la porte de la chambre, ni vu ni connu.

À la faveur de l’obscurité de la nuit et de la quiétude qui régnait dans le quartier, Mariko sortit sans être vue. Bien qu’elle n’ai officiellement pas son permis, elle avait néanmoins appris à savoir conduire, son père Shiro lui ayant un peu enseigné les bases. Au moins, elle n’irait pas se planter lamentablement dans un lampadaire, mais il valait mieux qu’elle ne croise pas de flics en patrouille dans sa situation.

Mariko mit le contact et manœuvra pour sortir la voiture par le portail, et heureusement sans avoir attiré l’attention, commença à rouler en direction du centre-ville éclairé par les milliers de lumières des buildings et des tours. Tout en conduisant, Mariko ne pouvait s’empêcher de repenser encore une fois à tous les évènements qui s’étaient produits récemment et se demandant ce que cela pouvait signifier. La présence de ces agresseurs équipés de ces armures et de cet équipement étrange et hautement avancé, et surtout, ce jeune homme caucasien capable d'invoquer la foudre. Durant toute sa vie, Mariko avait cru être la seule dans sa situation, l’unique personne sur cette planète à posséder des capacités surnaturelles. Elle devait impérativement retrouver cet inconnu et lui parler, car il pourrait bien avoir les réponses à des questions qu'elle se pose depuis très longtemps.


Après un trajet plus ou moins difficile à travers les rues du centre-ville malgré l'heure tardive, c'est sous une fine pluie froide et battante que Mariko arriva finalement à destination. Garant la voiture sur la place libre d'un trottoir, la lycéenne observa la situation. Un peu plus loin se trouvait l'immeuble ou s'était déroulé la tuerie. Le problème était la présence de cette bagnole de police stationné juste devant, et visiblement, occupées par deux agents en civils surveillant les lieux, tous deux assis dans leur véhicule et semblant tuer le temps en discutant et en mangeant du fast-food. Ne voulant pas prendre le risque de passer par la porte d'entrée et se faire voir, Mariko décida de changer de tactique. Elle laissa la voiture et, capuche relevée sur la tête, se dirigea le plus silencieusement possible pour faire le tour sans être repéré et entrer dans le bâtiment par une porte de secours. Mariko se glissa comme une ombre, grâce au couvert de la nuit et de la pluie, dans la rue annexe et sombre coincée entre les deux immeubles. Et bingo, elle la trouva. Une porte simple et métallique, avec l'habituel petit panneau au dessus indiquant une sortie de secours et normalement interdite d'accès depuis l'extérieur. Mais là, il s'agissait d'une nécessité. Regardant autour d'elle afin de s'assurer de ne pas être observé, Mariko se servit brièvement de son pouvoir afin d'invoquer son katana dans sa main. Elle se servit de la lame de l'arme pour faire levier et après de longues secondes d'insistance, la porte finit par céder et s'ouvrit sous la pression exercée. Heureusement, le bruit fort de la pluie avait couvert le son du cassage du verrou. Mariko entra à l'intérieur, prenant soin de refermer la porte derrière elle, et espérant qu'aucun des agents de police n'aurait l'idée de venir vérifier cette porte. S'éclairant de l'application lampe torche de son téléphone portable, elle grimpa les étages silencieux de l'immeuble, pour finalement atteindre l'étage de l'appartement des Izogaïs. Mais en arrivant, Mariko constata d’emblée que quelque chose n'allait pas.

Sur le seuil de la porte d'entrée de l'appartement, se trouvait un troisième agent de police, étendu dos sur le sol, son talkie-walkie encore en main. Visiblement, il n'avait pas eu le temps de prévenir ses deux collègues en bas. Mariko, le coeur battant, s'approcha avec prudence et plaça la paume de sa main de la bouche du flic. Elle fut soulagé de sentir un souffle, même léger, sortir de sa bouche. Il respirait encore. Il avait sûrement été assommé. Mais la grande question était: par qui?

Le mauvais pressentiment de Mariko ne fit que s'accentuer lorsqu'elle remarqua que les banderoles jaune de police avaient été déchirées et que la porte de l'appartement avait été forcée et se trouvait maintenant entrouverte. Resserrant sa poigne sur le manche de son katana, Mariko décida d'entrer prudemment, poussant doucement la porte du bout du pied. L'appartement était plongé dans une obscurité totale ainsi qu'un silence inquiétant. Mais ce qui inquiéta encore plus Mariko fut l'atmosphère qui régnait en ce lieu et qu'elle sentit à peine ses premiers pas faits à l'intérieur. Un frisson morbide lui courut le long de la colonne vertébrale, et non pas à cause du froid hivernal anormal qui avait envahi l'appartement. Cette aura macabre, d'une noirceur perfide et d'une once de folie sauvage et inhumaine, accompagné de cette odeur pestilentielle de souffre ... Il était très semblable à celui que laissait émaner les créatures infernales qu'elle avait du affronter à plusieurs reprises, comme cette Goule il y a peu. Mais cette fois, l'aura était bien plus écrasant et menaçant, à un niveau que Mariko n'avait encore jamais expérimenté et qui la mit vraiment mal à l'aise, au point d'en avoir la nausée.

Son katana en main et prête à s'en servir en cas de danger, Mariko s'enfonça un peu plus dans l'appartement plongé dans les ténèbres, prenant sur elle pour se concentrer sur la principale raison de sa venue ici. Elle put voir avec horreur les marques de lacérations sur les murs, le plafond et le sol, comme si une bête enragé s'était déchaînée. Mais le spectacle fut bien plus horrifiant dans la cuisine et la salle à manger. Les corps, ou ce qu’il en restait, avaient été enlevés et emmenés à la morgue, mais tout le sang qui tapissait la pièce n’avait pas encore pu être nettoyé. L’odeur de sang et de mort imprégnait encore l’endroit, obligeant Mariko à se couvrir la bouche et le nez pour minimiser au mieux la senteur qui s’infiltrait dans ses narines. Le coeur de Mariko se serra devant cette vision de pure horreur. Elle n’osait imaginer cette paisible famille, en plein repas et ne s’attendant à aucun moment à se faire trucider et mettre en pièces comme des animaux. En se renseignant sur internet, Mariko savait que dans cette famille se trouvait un jeune garçon d’à peine huit ans. Cette simple pensée noua la gorge de la lycéenne. Comment pouvait-on faire subir un tel sort à une si jeune âme ?

Mais alors qu’elle inspectait la pièce en l’éclairant avec la lumière de son téléphone, Mariko se figea tout à coup. Elle l’avait sentie clairement derrière elle, se rapprochant peu à peu. Faisant semblant de rien et préparant mentalement sa défense, la jeune femme fit volte-face à grande vitesse, armant un coup latéral de son katana. Mais à peine s'était-elle retournée qu’un violent coup de pied dans le ventre la repoussa en arrière, l’envoyant percuter de plein fouet le frigo. Le dos meurtri par le choc, un genou à terre, Mariko releva la tête pour faire face à son mystérieux agresseur.

L’inconnu était entièrement vêtu de noir, une grande capuche cachant son visage et laissant dépassé une longue chevelure ébène.

_"Qui est-tu?" gémit hostilement Mariko en se redressant et prenant une posture de défense avec son sabre.

Se tenant droit comme un i, les mains dans les poches de sa veste, l’étranger se contenta de regarder vers Mariko sans rien dire, penchant la tête légèrement sur un côté. Devant cette non-réaction de sa part, Mariko choisit de riposter et tenta d'asséner un coup d'estoc rapide vers la poitrine. Cependant, l'inconnu esquiva sans aucun problème le coup, dans un mouvement de côté d'une rapidité surprenante, comme s'il avait vu le coup venir par avance.

Mais ce n'est pas ce réflexe qui laissa Mariko confuse. Dans sa poitrine, elle sentit son coeur battre plus fort, comme s'il réagissait à quelque chose. Et c'était le cas. Une sensation familière, qui émanait cette fois de cet étranger au visage caché. La même sensation que celle de l'homme de la foudre, mais à la fois différente de ce dernier. En voyant la réaction de Mariko, les lèvres de l'inconnu se fendirent d'un petit sourire, comme s'il se réjouissait de la voir deviné ce qu'il était vraiment.

_"Je vais te reposer la question… Qui est-tu?! Je te conseille de me répondre !" insista Mariko en le menaçant de nouveau avec son katana, tout en gardant une distance entre elle et lui.

L'homme fit alors quelque chose qui prit Mariko par surprise. Tendant l'un de ses bras vers le côté, des filaments d'eau se mirent à sortir par les manches de sa veste, glissant sur sa peau tels des serpents vivants, et venant progressivement se regrouper et fusionner. De cette même eau mouvante se matérialisa un long et fin manche noir, presque aussi grand que lui, et arborant à son extrémité une grande lame recourbée et dentelée, dont la forme caractéristique rappelait celle d'une faux.

Mariko eut un mouvement de recul face à cette invocation d'arme très similaire à la sienne, bien que cette fois, l'élément utilisé était l'eau et non le feu. Elle avait deviné juste. Cet individu était aussi comme elle, ce qui ne la rassura pas vraiment dans un sens car n’ayant aucune connaissance de son identité ni de ses intentions. Faisant tournoyer sa faux avec une dextérité certaine, l'inconnu brisa enfin son silence pour s'adresser à la jeune femme.

_"Si tu veux vraiment le savoir, alors essaye de me choper, enfin si t'en as la capacité bien sûr."

Sur ces mots un brin provocant mais prononcé avec une voix sinistre, l'inconnu s'échappa grâce à un bond magistral et surnaturel à travers la fenêtre de la cuisine qui vola en un millier d'éclats. L'appartement se trouvant au cinquième étage, Mariko courut jusqu'à la fenêtre pour contempler la fuite de son agresseur. Ce dernier se laissa volontairement glisser le long de la façade de l'immeuble, se servant de la lame de sa faux pour se raccrocher et ralentir progressivement sa chute, jusqu'à atteindre le sol de la rue annexe et commencer à courir très rapidement en direction du parc central.

Mariko aurait pu choisir de le laisser s'enfuir, mais le désir de réponse fut plus fort. Sachant que redescendre par les escaliers prendrait trop de temps, elle décida de l'imiter, sachant qu'elle prenait tout de même un énorme risque.

Bondissant à travers la même fenêtre brisée, Mariko planta de toutes ses forces la lame de son sabre dans le mur, glissant et raclant la façade jusqu'en bas. L'atterrissage fut brusque, mais Mariko était parvenue à ne rien se casser et sans perdre plus de temps, sous une pluie de plus en plus battante, se lança à la poursuite du fuyard.

Elle l'aperçut finalement un peu plus loin, l'attendant avant de reprendre sa course, comme s'il la narguait. En quelques minutes de course-poursuite à travers les rues du centre-ville et sans heureusement croiser le moindre témoin, l'inconnu à la faux bondit avec agilité au dessus de la grille métallique qui entourait le parc central. Mariko le vit faire et disparaître progressivement dans la nuit au milieu des arbres et des fourrés. Oh non, elle n'allait pas le laisser s'échapper aussi facilement. Elle retournerait tout le parc s'il le fallait.

Elle franchie à son tour les grilles du parc, pour continuer sa course au milieu d'une végétation luxuriante et imbibée d'eau qui réduisait encore plus la visibilité malheureusement. Le parc central était une véritable petite forêt au milieu de la ville ou s'était développé un petit écosystème et déclaré comme faisant partie du patrimoine culturel de la ville, et donc très protégé.

Le visage et la chevelure ruisselants de gouttes de pluie, Mariko courait tout en écartant les buissons et fourrés sur son passage, jusqu'à finalement sortir sur un espace clairsemé et herbeux, l'une des nombreuses petites clairières dispersées à travers le parc et là ou les gens avaient l'habitude de venir faire des pique-niques au milieu de la nature pendant le printemps et l'été.

Et au milieu de la clairière herbeuse... Il était là. Toujours d'une stature droite, laissant voir une confiance évidente, l'inconnu, une main dans la poche et l'autre tenant sa faux, avait patiemment attendu la venue de Mariko. Tous les deux, leurs armes magiques en main, se faisaient maintenant face, sous cette pluie incessante, se tournant autour l'un et l'autre sans se quitter des yeux une seule seconde. Ne connaissant pas les capacités de cet homme, Mariko était inquiète, mais elle faisait tout pour ne pas le montrer.

_"Tu as trouver la force de me poursuivre et tu as réussi à me retrouver." commenta l'inconnu, toujours avec cette même voix froide. "Pas trop mal pour une gamine de 17 ans. Mais la récré est terminée. Place maintenant au véritable test. Voyons voir si tu es digne d'être la porteuse d'un des coeurs de seigneur."

Coeurs de seigneur? Mariko haleta en entendant ces mots, et se souvint les avoir déjà entendus, de la bouche de l'autre homme en armure et parlant avec un fort accent allemand, qui avait participé à l'attaque de son lycée.

_"Qu'est-ce que vous me voulez à la fin?! C'est quoi les coeurs de seigneur?! Dites le moi!" exigea Mariko à bout et désireuse d'enfin savoir ce qui se passe.

_"Voilà ce que je te propose: Si tu l'emportes, alors tu auras droit à des réponses. Sinon, eh bien, tu pourras aller te faire voir." proposa simplement l'inconnu sans détour.

Bien sûr, ça aurait été trop simple, se dit Mariko qui souffla lourdement. Elle allait devoir elle-même venir arracher les réponses de la bouche de ce gars qui commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs. Ce dernier vit basculer sa capuche en arrière, révélant son visage caucasien, adolescent, ses longs cheveux noirs et lisses tombant sur la moitié de son visage, sa peau très pâle et ce maquillage noir autour des yeux, lui donnant des airs de gothique.

Sachant qu'elle n'avait pas affaire à un simple être humain, Mariko décida de passer à la vitesse supérieure. Elle concentra de nouveau le pouvoir qui vivait en elle, sentant son coeur battre plus fort. Sa main libre se couvrit de flammes ardentes qu'elle vint faire courir le long de la lame de son katana qui s'embrasa instantanément.

Devant cette vision, l'inconnu sourit à nouveau, et lui aussi se décida à pimenter un peu plus cet affrontement à venir. Faisant tournoyer sa faux devant lui, l'inconnu fit appel à la maîtrise de son propre pouvoir et de l'élément qu'il contrôlait. Tout autour de lui, les gouttes de pluie semblaient attirer comme par un amant, venant se condenser et se rassembler en sphères d'eau de plus en plus grandes. Les formes sphériques se changèrent en pointes et se durcirent comme de la glace, formant de véritables flèches tranchantes gelées et lévitant dans les airs. Mariko assista à cette magie phénoménale avec stupeur. Le niveau de maîtrise de cet homme était conséquent, l’eau lui obéissant au doigt et à l’oeil, comme elle le faisait avec son feu.

_"Voyons voir ce que tu vaux, porteuse du coeur de feu!" clama dès lors l'inconnu, qui d'un simple geste de sa main vers l'avant, envoya la dizaine de pointes de glace dans la direction de Mariko.

Cette pluie mortelle filant vers elle à toute vitesse, Mariko n'hésita pas. Un genou à terre et une paume contre le sol, elle fit apparaître sous ses pieds un cercle de runes rougeoyantes, duquel explosa un mur de flammes qui fit fondre instantanément les projectiles de glace avant qu'ils ne puissent la transpercer, ne laissant rien d'autre que de la fine vapeur vite dispersée par le vent.

_"Hmmm, bons réflexes, je dois le reconnaître, et tu parviens à bien maîtriser ton élément. Mais ne va pas croire que c'est déjà fini." commenta l'inconnu sans vraiment d'admiration.

_"Tant mieux. Tu vas voir que moi aussi je suis pleine de surprises." lui répondit froidement Mariko.

Elle concentra son pouvoir au niveau de ses pieds et se servit d'une impulsion de flammes pour se propulser rapidement en avant, atteignant son adversaire en à peine une seconde et lui assénant un coup vertical au katana. Mais une nouvelle fois, les réflexes de l'étranger s'avérèrent redoutables et ce dernier para l'attaque avec sa faux. Les deux lames se choquèrent dans un bruit sec métallique et une explosion d'étincelles. L'impact fut tel que tous deux sentirent leurs ossatures trembler et leurs coeurs bondirent dans leurs poitrines.

L'inconnu riposta avec une attaque latérale pour tenter de couper Mariko en deux, mais elle bloqua à son tour avec son arme. Durant de très longues minutes, les deux adversaires s'affrontèrent sous cette pluie torrentielle, attaques et parades, esquives et ripostes fusaient, sans qu'aucun ne prenne l'avantage, les chocs métalliques des deux armes résonnant dans la nuit. Chaque fois que l'un essayait d'attaquer avec son pouvoir, l'autre l'annulait automatiquement grâce à un sort de défense. Cependant, Mariko savait qu'elle ne devrait pas abuser trop de son pouvoir afin de ne pas s'épuiser. Avec cette pluie, l'inconnu possédait un avantage monstrueux, s'en servant comme source pour canaliser ses attaques magiques et sûrement aussi pour régénérer continuellement ses forces.

_"Au rythme ou vont les choses, on sera encore en train de se battre demain soir." admit l'inconnu, apparemment lassé par ce combat qui s'éternisait.

_"Dans ce cas, pourquoi ne t'avoues-tu pas vaincu? Rends-toi et dis moi tout ce que je veux savoir, comme ça on gagnera du temps." lui dit farouchement Mariko, bien décidée à ne pas se laisser faire.

_"Eh ben, t'as de l'audace, c'est clair." ria doucement l'inconnu sous sa capuche. "Mais c'est pas à moi de t'expliquer les choses. Moi, je suis là que pour te tester, rien de plus."

Mais alors que tous deux parlaient, la même sensation malsaine les traversa et attira leur attention à l'unisson.

_"Oh non, pas maintenant..." souffla Mariko en déglutissant et tournant son attention vers un point précis, le même que regarda l'inconnu, qui lui aussi, parut tout à coup bien moins serein qu'avant.

Des ténèbres des arbres et des fourrés encerclant la clairière, une dizaine de formes bestiales émergèrent, se révélant être des Goules, leurs yeux rouges luisants dans la nuit et grattant le sol de leurs énormes griffes acérées.

Les gueules salivantes, les regards animés d’une folie inexorable, les créatures aux corps tordues se dispersaient très lentement, encerclant peu à peu les deux humains, qui dans un réflexe, se regroupèrent tous deux vers le centre de la clairière, se mettant même dos à dos tout en surveillant les moindres mouvements des abominations. Mariko n'avait encore jamais vue autant de créatures à la fois, et cela l'inquiétait fortement. Bien que faisant pas confiance à l'étranger, ce dernier et elle se jetèrent le même regard de compréhension. Bien qu'adversaires, l'heure n'était plus au duel, mais à la coopération.

_"Elles sont bien trop nombreuses..." dit Mariko.

_"Pas assez pour nous." répondit l'inconnu qui esquissa un bref sourire, avant de produire un sifflement fort, comme un signal.

Mariko leva un sourcil, se demandant ce qu'il faisait, mais allait tout de suite recevoir une réponse à laquelle elle ne se serait jamais attendue.

La terre sous ses pieds se mit sans crier gare à vibrer, puis trembler. A cela vint s'ajouter un vent de plus en plus fort, venant faire danser les feuilles des arbres et l'herbe, et pour finir, accompagner d'éclairs qui explosèrent dans le ciel nocturne. Mariko leva les yeux vers le ciel, confuse par ce qui se passait. Les Goules elles aussi le sentirent, paraissant perturbés par ce brusque changement de la météo. La surprise se transforma en véritable choc pour Mariko lorsque surgissant dans la nuit tels des spectres, trois nouvelles formes humaines apparurent à sa vue dans l’éclat d’un éclair dans le ciel, se tenant côte à côte au sommet d’un bâtiment proche, et bondirent sans attendre dans leur direction.

La première nouvelle silhouette, féminine, habillée d’un long manteau, poussa un puissant cri de guerre dans les airs et vint frapper le sol à l'aide d'un imposant marteau à deux mains et aussi grand qu’elle, provoquant l'ouverture d'une fissure béante dans la terre qui engloutit au moins cinq des Goules et les fit chuter et disparaître dans les profondeurs obscures.

La deuxième silhouette, masculine cette fois, portant une simple veste et un bonnet sur la tête, arrive à son tour au milieu des créatures abyssales et s’aida de sa propre arme, une sorte de long et redoutable fouet recouvert de pointes, qu’il fit tournoyer à une vitesse hallucinante qui créa une brève mais puissante rafale de vent qui fendit trois des créatures en deux, avec une précision chirurgicale et aussi efficacement qu’une guillotine.

Quant au troisième venu, Mariko le reconnut sans difficulté comme étant le jeune homme au chapeau et maîtrisant la foudre, qui s’occupa d’éliminer les dernières Goules en seulement quelques secondes avec le pouvoir de sa guitare électrique, dont le riff strident et mélodique invoqua une pluie d’éclairs qui frappa sur place les abominations et les grilla comme de vulgaires morceaux de viande sur un barbecue.

Mariko resta sans voix devant la puissance et l’efficacité avec laquelle ces inconnus avaient éliminés les Goules, tandis que l’étrange à la faux montra un sourire en coin et les rejoignit, prouvant ainsi qu’il les connaissaient. Mariko quant à elle resta à bonne distance, ne les quittant pas des yeux.

La femme armée du grand marteau à deux mains retira sa capuche, révélant un visage beau, caucasien et jeune, semblant âgée d’une vingtaine d’années, des yeux bruns pétillants de force et une chevelure blonde coiffé en une queue de cheval tombante sur la nuque. Elle montrait une attitude énergique et joviale, mais ne voyant plus d’ennemis à combattre, fit disparaître son marteau, ce dernier se changeant en poussière qui s’écoula entre ses doigts.

L’homme armé du fouet à pointes et maîtrisant l’élément de l’air se dévoila aussi sous son bonnet, montrant le visage sérieux et calme d’un homme presque trentenaire, métis, des yeux noirs et une fine barbiche sur le menton. Lui aussi fit disparaître son arme qui se transforma en une simple volute d’air vite dispersée. En simultané des trois autres, maintenant réunis, il tourna son attention vers Mariko qui restait plus que méfiante et prête à se défendre.

_"Dommage que les Goules soient venus tout gâcher." commenta le jeune homme au chapeau en s'allumant une cigarette. "Le combat commençait à devenir intéressant."

_"De ce qu'on a pu voir, tu dois reconnaître qu'elle arrive à parfaitement maîtriser son élément et son coeur de seigneur." dit à son tour l'homme métis. "Pour un jeune âge comme le sien, c'est impressionnant."

_"J'suis d'accord avec Mehdi." ajouta la femme aux cheveux blonds avec conviction dans un accent allemand, désignant l'homme métis comme s'appelant donc Mehdi. "Et toi, Lars, t'en penses quoi?"

Le jeune homme gothique à la faux et aux cheveux longs, se nommant donc Lars, prit la parole à son tour.

_"Elle n'est pas arrivé à me toucher, mais moi non plus je n'ai pas réussi à la mettre à terre. Match nul donc. Mais de ce que j'ai pu en voir, je pense qu'effectivement elle pourrait être prête."

Mariko n'avait rien osé dire, et voir ainsi ce groupe d'inconnus aux pouvoirs élémentaires similaires au sien, parlant d'elle ainsi comme s'ils jugeaient ses performances lors d'un concours, était plus que perturbant. Le jeune homme français au chapeau avait écouté chacun de leurs arguments, et après une courte réflexion et un hochement de tête, se décida à faire plusieurs pas en avant vers Mariko. La première réaction de cette dernière fut d'immédiatement de brandir la lame de son katana vers lui.

_"Oh-ho, doucement, ma petite Mariko." dit le jeune homme français d'un air détaché et pas du tout intimidé. "J'te rassure, on est pas là pour se battre, pas avec toi en tout cas. De toute façon, si on avait voulu te faire la peau..."

Suite à ce dernier mot, il claqua simplement des doigts. Dans la seconde qui suivit, un éclair vint frapper le bitume, à seulement quelques mètres derrière Mariko, ce qui la vit sursauter. Elle ne l'avait pas vu ni senti venir. Cinq mètres plus en avant, et elle aurait été grillée sur place.

_"...Ce serait déjà chose faite." termina le jeune homme afin de se faire comprendre.

Mariko ne savait pas à quoi il voulait jouer avec une attitude pareille mais elle était bien décidée à ne pas se laisser faire.

_"C'est vous qui allez m'écouter." dit-elle hostilement. "J'ignore comment vous connaissez mon nom, et je m'en fous. Vous allez tout de suite me dire qui vous êtes, comment vous avez obtenu ces pouvoirs et ce que sont ces choses que vous appelez les "coeurs de seigneurs"."

La première réaction du jeune homme français face à tant de défiance fut un coin de sourire. Derrière lui, la jeune femme blonde se contenta d'un court sifflement, affichant son admiration de voir une lycéenne japonaise tenir ainsi à tête à Mathieu. Mehdi et Lars, quant à eux, restèrent plutôt neutres et attendant patiemment de voir ce qui allait découler de cette discussion.

_"Si tu veux, Mariko Miyazaki. D'abord les présentations: je m'appelle Mathieu Estout." déclara le jeune homme français en enlevant son chapeau dans une salutation élégante, ce qui contrastait un peu avec son look de métalleux voyou sorti tout droit d'un univers de steampunk. "Et voici mes potes et camarades de bataille: Jessica Sïeger, Mehdi Osmoon et Lars Johansen. Et comme tu l'auras deviné, nous sommes comme toi: des porteurs de coeurs de seigneurs."

Mariko n'eut pas vraiment le temps de réagir que la jeune femme allemande nommée Jessica, qui la dépassait d'une tête, vint à elle d'un pas rapide et lui serra vigoureusement la main.

_"Ravie d'enfin te rencontrer Mariko." dit-elle avec un sourire et une amabilité joviale et sincère. "Franchement, tu m'as surprise. Ce que t'as fait avec tes flammes, c'était vraiment stylé. J'avoue, j'ai pas pu m'empêcher de prendre des photos."

_"Euh...je..." balbutia Mariko, un peu pris au dépourvu et ayant, sans s'en rendre compte, abaissé son katana.

Mathieu s'était écarté et observait ça avec un certain amusement, mais sans non plus se moquer, continuant de fumer tranquillement sa clope.

_"Vas-y doucement, Jess." dit alors Mehdi, bien plus calme que sa camarade. "Ne va pas déstabiliser notre nouvelle soeur."

_"Oh, ça va, je faisais que la saluer." souffla gentiment Jessica en venant donner une tape ferme mais non hostile sur l'épaule de Mehdi, qui se contenta d'un roulement des yeux vers le ciel.

_"Que... quoi... comment ça, nouvelle soeur?" dit alors Mariko, encore plus perdue qu'avant.

_"C'est une façon de parler..." ajouta Lars en venant se mêler à la conversation, bien que beaucoup plus réservé et monotone que les autres, restait en arrière. "Étant donné que tu disposes toi aussi d'un coeur de seigneur, cela fait de toi l'une des nôtres."

Mariko se passa le visage dans les mains, soufflant un bon coup et se recula un peu pour avoir un peu d'air et faire le point avec toutes les informations qui se bousculaient dans son cerveau comme des centaines de billes qu'on auraient mis dans une machine à laver en marche. La voyant ainsi, Mathieu Estout fit signe aux autres de cesser et approcha d'elle, sans gestes brusques et la prit doucement par l'épaule.

_"Écoute, tu me crois ou pas, mais on sait exactement ce que tu ressens à l'instant, car nous aussi on est passé par là, chacun notre tour." dit-il de manière juste. "Tu ne comprends rien à ce qui se passe, tu sens que tout s'embrouille, que tu maîtrises plus rien à ta vie et que le ciel va te tomber sur la tête à tout instant. Je comprends que tu ai un milliard de questions sur les lèvres, et je te jure que tu auras tes réponses. Mais pas ici. On doit t'emmener dans un lieu sûr avant que d'autres saloperies bien plus coriaces que des Goules rappliquent."

Il voulut la prendre par la main, mais Mariko s'y refusa, se dégageant aussitôt et montrant encore de la méfiance à son égard.

_"Pourquoi vouloir m'emmener? Pourquoi ne pas retourner chez moi et tout m'expliquer?" demanda-t-elle.

_"C'est beaucoup trop risqué." lui avoua Mathieu. "Ces créatures sont attirés par nous, par le pouvoir du coeur qui vit en nous. C'est comme un putain d'aimant. Plus nous restons longtemps dans un lieu, et plus il est imprégné de notre aura. Vu que tu as passée toute ta vie dans cette baraque, c'est le tout premier endroit ou ils viendront pour te chercher. Autant t'accrocher une pancarte autour du cou avec écrit "Je suis gratuite"."

Devant la révélation de Mathieu, et même si en premier lieu elle n'avait aucune raison de lui faire confiance, elle pouvait voir dans son regard, et sentir dans les mots sortant de sa bouche, qu'il ne plaisantait pas du tout. La lycéenne devint pâle tout à coup, ouvrant des yeux ronds remplis d'horreur.

_"Oh non... Papa!" haleta-t-elle.

Mathieu et les autres eurent à peine le temps de réagir que Mariko partit comme une fusée, retraversant le parc et franchissant les grilles pour courir le plus vite possible en direction de la voiture qu'elle avait prise pour venir jusque dans le centre-ville. Le groupe sortit à son tour du parc mais ne parvinrent pas à la rattraper.

_"C'était à prévoir..." dit Lars.

_"Mariko, attends!" cria Jessica, sans succès et montrant une profonde inquiétude pour elle.

_"Elle est folle! Elle va se faire tuer!" commenta Mehdi.

Laissant tomber le reste de sa cigarette qu'il écrasa de sa botte, le regard ferme et déterminé sous son chapeau, Mathieu se tourna vers les trois autres, qui devinèrent avec précision ce qu'il comptait faire, et se joignirent à lui sans hésiter.

_"Même pas en rêve." déclara Mathieu. "Attaquer l’un d’entre nous, c’est nous attaquer tous."


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