Monstermen : Les Gardiens des Mondes

Chapitre 7 : La Bête Solitaire

5290 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/11/2021 11:35

En Laponie, la situation semblait s'être un peu calmée. Lordran, accompagné de ses animaux gardiens, avait réussi à échapper à l'obscurité de la malédiction des morts et se trouvait maintenant loin de la forêt de pins, au sommet d'une colline enneigée isolée au milieu de vastes plaines rocheuses parsemées de quelques herbes sauvages. Au sommet d'une de ces collines, reposaient les ruines de ce qui était autrefois un village, depuis longtemps dévoré par les flammes et imprégné de l’aura de mort. Lordran, avec un regard d'amertume profonde, contemplait sans rien dire les restes noircies des demeures. Ce n'était pas la première fois qu'il venait ici, d'ailleurs il s'y rendait au moins une fois par an, à une même date tout aussi précise. Ce fut ici, il y a très longtemps, que sa mère vivait avec sa tribu, et c'est en ce même lieu, par une nuit sanglante, qu'elle fut capturée par les démons et violée par leur impitoyable roi Olgoroth.

Alors qu'il marchait parmi les décombres endormies de cette ère bien lointaine, Lordran pouvait presque entendre les cris de souffrance passés, les rugissements et exclamations sadiques des démons résonnant dans cet endroit marqué à jamais par les horreurs de la guerre. Ce village en ruines fut la première chose qu'il vit en venant au monde ... Les dizaines de corps d’elfes sans vie, dispersés, les cruels démons s'extasiant de leur carnage, l'odeur du sang et de la mort empestant l'air ... Et sa mère, gisant sans vie après lui avoir donné naissance, ses entrailles déchirées et encore fumantes répandues dans la neige...

Les quatre rennes zombies broutaient paisiblement les quelques plantes qui avaient résisté au froid, tandis que le hibou et le corbeau se tenaient perchés sur des rochers et comme des sentinelles, regardant les alentours. Au sommet de la colline, Lordran s'agenouilla à côté d'une pierre usée, dressée devant une maison en particulier et portant un seul nom gravé à sa surface. Illyel. Soupirant lourdement, le seigneur solitaire posa sa main griffue sur le sommet de la pierre, ressentant le froid qui l'imprégnait mordant sa paume.

_ Mère ... Tant de temps s'est écoulé, et pourtant je n'ai jamais pu te connaître comme je l'aurais souhaité ... J'espère que ton âme pourra trouver la paix maintenant que tu as été vengée … J'ai tout fait pour être un seigneur juste et protecteur, mais maintenant je ne peux plus me battre seul ... Parfois je me demande si j'ai fait les bons choix, mais je sais que seul l’avenir pourra me le dire.

Il parla, comme s'il attendait une quelconque réponse de l'esprit de sa mère. Alors qu'il se recueillait sur la tombe de sa mère, le seigneur entendit tout à coup le bruit caractéristique d'un vortex qui s'ouvrait. En regardant par dessus son épaule, il pouvait voir le paysage au pied de la colline se distordre et s'ouvrir en deux, crachant une créature humanoïde à la peau pourrie et couverte de bandelettes, qui ne paraissant pas habituée à ce moyen de transport, s'écrasa et roula maladroitement dans la neige, sous les yeux étonnés des animaux gardiens. Lordran descendit lentement la pente, observant curieusement le monstre inconnu qui venait d'apparaître, ce dernier se levant un peu abasourdi après sa chute, enlevant la neige de ses bras et de son corps.

Une fois chose faite, le monstre tourna son regard vers Lordran, qui fut plus que déconcerté de voir une momie ici.

_ Qui êtes-vous? demanda le seigneur, méfiant, et tenant sa hache dans une de ses mains, prête à l'usage.

Le monstre momifié s'avança, ne montrant étrangement aucun signe d'agressivité envers lui.

_ Je me nomme Amon-Râ, Lord Lordran ... Enfin nous nous rencontrons. J'ai été envoyée ici à votre demande si j'ai bien compris, par votre messagère, lady Alcina Derune.

Et comme preuve de ses dires, Amon révéla dans sa main un petit bout de tissu blanc, appartenant à la robe noire que portait Alcina, et qui portait son odeur comme il put le deviner grâce à son odorat surdéveloppé. Mais cela ne parut pas convaincre le seigneur de Laponie qui continua de se méfier.

_ Si ce que tu dis est vrai... Alors ou est-elle?

_ Nous étions en route pour vous rejoindre, seigneur, mais nous avons été séparés durant la traversée...J'ignore ou elle peut être actuellement.

**********

Alcina avait enfin fait le premier pas vers sa nouvelle destinée, et trouver le premier allié qui se joindrait à la lutte contre les abîmes, en la personne d'Amon-Râ, souverain et dieu déchu de l'Égypte ancienne, à la fois aimé et craint, trahi autrefois par son peuple et ayant causé leur fin dans sa colère divine par delà le voile de la mort. Un allié de l'Antiquité et doté des pouvoirs d'une puissance que l'on n'aurait jamais pu soupçonner. Après avoir été séparée de son nouvel ami sans pouvoir l’empêcher et priant pour qu'il ai pu rejoindre Lordran, Alcina avait poursuivie sa quête et était partie pour un nouvel endroit, ne sachant pas à quelles autres épreuves elle serait confrontée. Au cours de son voyage à travers le vortex dimensionnel, elle commença à réfléchir à ce à quoi elle devrait s'attendre à la fin de cette quête. Trouverait-elle celui qui raviverait la flamme de son cœur et redonnerait un sens à sa vie? Où était-il? Qui était-il? Attendait-il aussi qu'Alcina vienne à lui sans même le savoir? Autant de questions qui trouveraient tôt ou tard leurs réponses, du moins, elle l'espérait au plus profond d'elle même.

Sortant du vortex, avec plus de facilité que la première fois, Alcina regarda attentivement son nouvel environnement. Plus de désert blanc, plus de sable à perte de vue ni de soleil brûlant. Elle marchait maintenant sur une surface rocheuse et vierge, au bord d'une mer calme dont les vagues glissaient, venant lécher lentement le bord, sous les cris de mouettes survolant de grandes falaises abruptes formant un véritable mur naturel. Au large des côtes, apparaissaient les silhouettes d'autres îles, plus ou moins proches. Le long des falaises, Alcina pouvait apercevoir les restes de ce qui ressemblait à un très vieux temple, dont l'architecture bien spécifique dévoilait l'endroit où elle se trouvait ... la Grèce. A en juger par les innombrables îles alentour, et se trouvant sûrement sur l'une d'elles, Alcina en conclut qu'elle était sur l'une des îles de la mer Égée. Mais à quelle époque se trouvait-elle ? Toujours dans présent ou revenue des siècles et des siècles en arrière comme ce fut le cas pour l’Égypte ? La réponse viendrait sûrement d’elle même, se dit-elle.

Tout comme pour l'Égypte, Alcina avait lue dans sa jeunesse des livres sur la Grèce, sa mythologie, ainsi que sur les peuples et les grandes villes comme Sparte, Athènes ou Olympie, qui firent l'histoire de ce vieux pays. Une de ses histoires préférées, se souvint-elle, était celle du célèbre roi spartiate Leonidas, qui, selon les histoires, s'était soulevé avec ses troupes contre l'envahisseur Perse venu de la mer, pourtant bien supérieur en nombre. Alcina pensa alors à Lordran, également seigneur dans sa patrie et voulant protéger son royaume, faisait face à un ennemi visiblement supérieur en nombre et en puissance. Malgré certaines différences, certaines histoires semblaient se répéter inexorablement à travers le temps et même les dimensions. De son vivant, Alcina n'aurait jamais pensée qu'elle aurait à participer à une guerre, encore moins dans un monde dont elle ne connaissait jusqu'à présent que des légendes et autres fantaisies.

La jeune comtesse escalada les premiers rochers afin de prendre un peu de hauteur et atteindre les sommets du littoral. Mais en arrivant, elle remarqua une forme, entièrement noire, se tenant à plusieurs centaines de mètres et la fixait directement. N'osant plus faire un mouvement, Alcina l'observa plus attentivement. Elle ressemblait à une femme ordinaire, entièrement vêtue de noir et dont la longue et élégante robe paraissait très ancienne. Un voile noir recouvrait son visage, empêchant toute identification. Entre ses doigts pâles, la mystérieuse femme tenait précieusement une fleur. Une rose, aux pétales noires comme le charbon.

_ Hé! Qui êtes vous?! l'interpella alors Alcina, sur ses gardes.

Un grand sentiment de tristesse l'envahit sans qu'elle sache pourquoi, dès l'instant ou elle avait posée les yeux sur cette femme. Aucune réponse ne vint de cette dernière, qui se contentait de rester fixe comme une statue. Alcina insista, mais rien à faire, pas le moindre mot ne sortit. Agacée mais désireuse de connaître l’identité de cette inconnue et la raison de sa présence ici, Alcina se dirigea d'un pas pressé vers l'apparition, qui la voyant faire, réagit dans l'instant et glissa derrière un groupement de gros rochers recouverts d'algues.

_ Non! Attendez ! Restez ici! J'ai des questions à vous poser! lui cria alors Alcina en accélérant le pas.

Elle accourut jusqu'aux rochers, espérant la surprendre derrière, mais à son grand étonnement, il n'y avait plus rien. Volatilisée. La comtesse examina minutieusement, faisant le tour des rochers, regardant partout, mais toujours rien. Ou avait-elle bien pu passée? Alcina avait-elle hallucinée? Cette île était-elle hantée? Qui sait. Alcina venait peut-être de voir l'apparition d'une âme errante. Après tout, l’existence des monstres comme les vampires et les momies n’étant plus à prouvé, celle des fantômes ne paraissait plus aussi improbable. Bien qu'intriguée mais ne trouvant aucune trace de la femme en noir, Alcina renonça à poursuivre des chimères et s'éloigna, non sans jeter quelques coups d'oeil derrière elle, au cas où.

La jeune vampire poursuivit sa marche vers l'intérieur des terres de cette l'île déserte, en passant par un passage fermé entre deux falaises abruptes, mais suffisamment large pour lui permettre de passer. La lumière du jour filtrait à travers ce défilé, mais il faisait assez clair pour voir où elle allait. Mais plus elle avançait, plus le chemin devenait sombre et trouble, empli d'une aura de mort et de colère. Elle pouvait le sentir tout autour d'elle, dans l'air et dans sa tête. Une force puissante était à l'œuvre sur cette île ...Une force inhumaine, emplie d'une rage sans bornes…

Enfin, elle arriva au bout du chemin, se terminant par une étrange et colossale porte de pierre creusée à même la roche de la falaise, et à sa surface, un grand crâne corné adressant un avertissement clair à tous ceux qui le voyait, ainsi que les quelques os et crânes pourris à ses pieds. L'aura de colère était encore plus présent ici, imprégnant jusqu'à la moindre parcelle de roche. Bien que méfiante et pas du tout rassurée, Alcina se dirigea vers la vieille porte scellée et posa sa main sur la pierre froide. Étonnamment, elle vit sa main s'enfoncer dans la porte, entendant ainsi le mécanisme caché qu'elle avait activé sans le vouloir. Des bruits sourds d'anciens rouages se faisaient entendre au sein de la roche, tandis que dans un nuage de poussière, la lourde porte s'éleva sous les yeux ébahis de la comtesse, révélant devant elle un long et sombre couloir s'enfonçant progressivement dans les entrailles de la falaise.

Prenant son courage à deux mains, Alcina fit ses premiers pas dans le couloir sombre, et devant ses yeux, des flambeaux suspendus de chaque côté s'embrasèrent, montrant des flammes jaunes, comme par magie. Impressionnant, pensa-t-elle. Une puissante onde de rage et de tristesse provenant des ténèbres la traversa subitement, la faisant reculer de deux pas et lui arrachant un rictus de malaise profond. Elle pouvait ressentir une présence là-dedans… Qu'importe ce que cela pouvait être, c'était en colère, à un tel point qu'il était difficile d'imaginer.

Alcina commença son exploration, non sans rester sur ses gardes et décrocha l'une des torches pour s'éclairer. L'endroit était un acheminement de longs et larges couloirs, partant à droite, à gauche, tout droit ... Un véritable labyrinthe. Alcina continua de marcher prudemment, regardant les murs usés de ce lieu ancestral. Le sol était parsemé de crânes et d'os brisés, ainsi que d'anciennes armures et armes et boucliers grecs rouillés par le temps et l'humidité qui régnaient ici. Alcina regarda tout cela avec une appréhension compréhensive. Combien d'hommes étaient morts ici? Et surtout, qu'est-ce qui aurait pu les tuer tous? Elle comprenait mieux alors l'aura de mort et de violence qui était emprisonnée ici après tout ce temps. Un peu plus loin, au détour d'un couloir, Alcina vit sur un mur de profondes rayures, comme si quelque chose de pointu et coupant, comme des griffes ou des cornes, avaient frotter dessus. Certains murs portaient des trous et d'autres étaient complètement brisés, et semblaient avoir été détruits à mains nues ou comme si quelque chose était passé à travers. Alcina frissonna presque. Qu'est-ce qui pourrait être assez fort pour tuer des centaines de guerriers et détruire des murs de pierre épais comme des biscuits secs? Elle sentait au fond de son esprit qu'elle était sur le point de le découvrir.

Après de longues minutes à errer dans les couloirs au risque de se perdre, Alcina entra dans un espace plus ouvert, de forme ronde, et rempli d'encore plus de squelettes, ainsi qu'une multitude de pièces d'or et de vieux parchemins rongés par l'humidité. Une très vieille fresque avait été peinte sur l'un des murs et Alcina s'en approcha pour la voir à la lueur d'un brasero brûlant à proximité. La fresque montrait une créature, humanoïde et massive, à cornes, couverte de poils et possédant des sabots en guise de pieds. Le monstre était représenté dans une position de domination absolue, combattant des guerriers humains en armures et massacrant la plupart d'entre eux dans un véritable bain de sang.

Mais alors qu'elle admirait ce travail d'une époque ancienne, Alcina sentit l'espace d'une seconde le sol vibrer sous ses pieds ... Puis une deuxième fois, et une troisième ... Un rythme régulier, et des bruits sourds, comme des pas qui approchaient... Vite, la comtesse éteignit la torche et alla se blottir derrière un pilier, se servant au maximum de l'obscurité présente pour se dissimuler.

Une minute passa et soudain, une grande créature fit son apparition par l'un des couloirs et entra d’un pas lourd dans la pièce, faisant trembler le sol sous son poids. Cachée, Alcina jeta un coup d'oeil discret et vit avec étonnement le monstre qui venait d'entrer. Il devait mesurer plus de 2 mètres 30 de haut, peut-être même plus, marchant avec de gros sabots noirs en guise de pieds. Il avait un corps humanoïde massif recouvert de poils d'un brun foncé et hirsute, et portait une armure d'épaule et une épaisse chaîne de métal en diagonale autour de son corps, ainsi que des bracelets en cuir sur ses bras solides. Mais le plus terrifiant était le haut. Une tête bovine aux yeux jaunes furieux, un anneau de bronze dans le nez, deux longues cornes sur son front et une large barbe de poils recouvrant son menton et le bas de ses joues. La bête grogna, crachant un nuage de fumée et montrant des dents épaisses et couvertes de traces de sang séché.

Un Minotaure! Alcina n'arrivait pas à le concevoir, même en le voyant et après tout ce qu’elle avait vue avant. Elle avait bien sûr lue la légende de Thésée et du minotaure, mais ne pouvait imaginer qu'un tel monstre puisse réellement exister. Le minotaure renifla autour de lui, comme un prédateur à la recherche de proies, et poussa de profonds grondements animal qui firent vibrer les tympans d'Alcina. Regardant autour de lui et constatant qu'il n'y avait rien, le monstre sembla se résigner et s'éloigna dans un autre couloir, disparaissant dans l'obscurité. Après avoir attendue et s'être assurée qu'il était loin, Alcina sortit de sa cachette et s'appuya contre le mur, poussant un léger soupir de soulagement.

CRACK!!

Sur l'instant, Alcina émit un cri de surprise lorsqu'elle vit le bras puissant du minotaure percer le mur, juste à côté de sa tête. S'éloignant le plus rapidement possible du mur, elle regarda un trou se former à la suite de coups violents, et la monstrueuse bête passa la tête à travers, rugissant de colère contre Alcina. Quelle idiote, pensa-t-elle. Il avait deviné depuis le début qu'elle était là. Son flair devait être aussi développé que celui d'un chien, peut-être même plus, et il avait feint de ne pas la voir. Donc en plus d’être fort, ce mastodonte semblait plus malin qu’il en avait l’air. Après un énième choc violent, le mur s'écroula en morceaux et le minotaure s'avança, lourd et puissant, les poings serrés et la fumée sortant de ses naseaux. Son regard haineux se posa sur la comtesse.

_ Enfin, après tout ce temps, un nouvel adversaire vient se présenter devant moi! proclama t-il de sa voix, d'un ton très grave.

_ Écoutez-moi, je ne suis pas ici pour avoir des ennuis. J'ai été envoyée par ...

Elle fut arrêtée dans sa phrase par le minotaure frottant le sol avec ses sabots et commençant à charger avec une vitesse surhumaine vers elle, grognant comme un animal enragé. Toute la pièce fut secouée par les pas rapides du monstre. Sous le stress mais réussissant à canaliser son pouvoir, Alcina devint transparente comme un spectre et sentit le colosse la traverser, heurtant le mur derrière elle à pleine vitesse. Voyant qu'il n'avait pas atteint sa cible, le minotaure se retourna, encore plus furieux. Il chargea de nouveau, mais Alcina l'attendait. Les mains en avant, elle concentra et envoya une puissante onde de choc télékinétique, frappant durement le minotaure de plein fouet, mais le faisant reculer seulement d'un pas et l'étourdissant à peine. Il est vraiment très fort, pensa-t-elle.

Grondant à l'attaque de la vampire, le minotaure l'atteignit à une vitesse fulgurante sans qu’elle puisse réagir et la saisit par la gorge avant de la jeter avec brutalité contre l'une des colonnes de pierre soutenant la structure. Alcina poussa un cri de douleur et tomba à genoux sur le sol, son dos ayant heurté la colonne. Mais elle n'eut pas le temps de reprendre son souffle, le minotaure crachant toujours de la fumée et se précipitant pour lui donner un magistral coup de poing. N'ayant pas le temps d'utiliser un sort, Alcina roula sur le côté, évitant le poing du monstre qui frappa la colonne et la souffla en des centaines de débris.

Même s’il ne paraissait pas doué de capacités magiques, le monstre compensait par une puissance herculéenne et semblait infatigable, voulant déjà donner un nouveau coup. Alcina réussit en se concentrant à créer une barrière mentale télékinétique devant elle, qui fut frappée à sa place. Elle se fit néanmoins repoussée de quelques mètres en arrière par l'impact. Sonnée par les assauts de ce monstre, Alcina savait qu'en termes de force physique, il était imbattable. Peut-être même dépassait-il la force physique de Lordran, qui sait? Elle ne pouvait compter que sur ses pouvoirs pour espérer le battre, et encore, il avait jusqu'à présent démontrer une forte résistance envers ces derniers.

_ Écoutez-moi, bon sang! Le Seigneur de Laponie lui-même m'a envoyée vous chercher, afin de contrer la menace qui pourrait nous anéantir tous et engloutir l'existence dans son voile! clama t-elle pour justifier sa présence en ces lieux.

_ Mensonges que tout cela! Un tel pouvoir ne peux exister ! Vous êtes ici pour me tuer, comme tous ceux qui avant vous ont osé venir ici! Mais personne ne me vaincra jamais! Je suis invincible! hurla la brute cornu, haletant de rage et les yeux injectés de sang.

_ Vous êtes possédé par votre propre colère ! Réfléchissez ! Insista Alcina.

_ Rien ni personne ne me possédera ! Jamais !

Alcina savait qu’elle ne pourrait pas le convaincre de cette façon. Sa colère était bien trop grande et aveuglait complètement sa raison. Mais elle ne renoncerait pas si aisément. Cette créature, cette bête solitaire, pourrait être un allié de grande valeur pour une guerre, mais d’un autre côté, elle voulait aussi l’aider à se libérer de ce démon de rage qui avait pris possession de lui.

Le minotaure s'empara de l'énorme chaîne métallique accrochée à son corps. S'en servant comme d'un fouet, il fit claquer la chaîne, l'abattant sans relâche vers Alcina, qui dut se réfugier derrière les colonnes restantes pour éviter les coups. La dureté de la chaîne mêlée à la force du monstre était suffisant pour couper les piliers en deux, comme s'ils étaient fait de verre. Suite à une roulade sur le côté, Alcina stoppa la chaîne par télékinésie et d'un geste de la main, l'arracha des mains de son propriétaire.

Loin d'avoir dit son dernier mot, poussant un puissant rugissement qui fit vibrer les fondations de la pièce, le minotaure chargea de nouveau, mettant toute sa force dans cette attaque. Si Alcina ne faisait rien, elle serait pulvérisée. Elle ferma les yeux, concentrant toute sa force mentale dans ce sort. C'était maintenant, ou jamais. Ses cheveux noirs flottaient dans l'air, tandis qu'une énergie transparente et volatile l'entourait de plus en plus. Puis, les mains tendues vers l'avant, Alcina libéra son sort, soulevant difficilement le corps du minotaure par télékinésie. Celui-ci fut déstabilisé de se voir soulever dans les airs par magie et projeté contre un mur. Littéralement crucifié sur le mur par cette force invisible, le minotaure se débattit férocement, rugissant de fureur. Alcina maintint le sort du mieux qu'elle le put, devant également lutter pour garder le dessus et ne pas laisser la force brute du monstre briser sa magie.

_ Tuer mon maître et mon peuple ne vous a donc pas suffi?! Vous voulez me faire la peau aussi? Eh bien, qu'est ce que vous attendez lâche, faites-le! beugla t-il, hurlant comme un possédé.

Ses iris de feu montraient une rage débridée, mais aussi une profonde tristesse enfouie, comme un désir de mourir.

_ Je ne sais pas de quoi tu parles, mais je ne suis pas venu ici pour te tuer. Je jure de tout t'expliquer, seulement si tu promets de te calmer. Soit ça, ou bien je serais dans l’obligation de t’éliminer, proposa Alcina avec fermeté.

Au début, le minotaure refusa de céder, mais il sembla réfléchir, puis se résigna et accepta par un léger hochement de tête, accompagné d'un profond soupir. Alcina tint parole et annula le sort, permettant au monstre de sentir de nouveau la terre fermement sous ses sabots. Alcina ne s'y attendait pas, mais lui aussi tint sa parole, cessant de vouloir attaquer et se contentait d'attendre les explications promises.

_ Qui êtes-vous et que faites-vous ici? Et ne me mentez pas, je le saurai! Grogna la bête humaine.

En plus d'être puissant, ce monstre était loin d'être une simple brute stupide, Alcina le sentait. De toute façon, elle n'avait aucune raison de lui mentir.

_ Je m'appelle Alcina Derune, et comme j'ai essayé de vous le dire plus tôt, une menace se répand en Laponie et pourrait aussi envahir tous les autres mondes et causer leur fin. Le Haut Seigneur de Laponie, Lordran, rassemble de puissants alliés pour contrer ce fléau avant qu’il ne soit trop tard ... Vous êtes puissant, un allié comme vous serait un atout majeur ... Hum .... Quel est votre nom?

Le minotaure avait écouté ce qu'elle avait à dire mais ne parut ni convaincu, ni méfiant. Respirant bruyamment, il se tourna vers la vieille fresque, le représentant sûrement, et la contempla d'un air mélancolique, les flammes du brasero se reflétant dans ses iris.

_ Je n'ai jamais vraiment eu de nom, mais Tavros est celui que je me suis donné. Je faisais partie d'un clan de minotaures. Autrefois, mon peuple était nombreux en Grèce, mais un par un, nos clans ont été décimés par les humains, jusqu’à entièrement nous effacé de la mémoire de ce monde. Étant enfant, sans famille, j'ai été sauvé par un mage nommé Andros, qui vivait comme ermite sur cette île et m'a élevé presque comme un fils. Mais les habitants des autres îles virent d'un très mauvais oeil qu'une créature comme moi puisse vivre sur leur archipel. Un jour, ils se rassemblèrent et attaquèrent notre froyer. Mon maître était avant tout un érudit, pas un guerrier, mais ils le tuèrent tout de même sans la moindre hésitation. N'ayant pas pu le protéger et témoin de sa mort, je perdit l'esprit, entrant dans une colère sans fin. Un par un, j'ai massacré les intrus, les transformant en véritable charpie. Mais le carnage ne suffit pas à m'apaiser. J'étais de nouveau seul, et cette fois condamné à la solitude éternelle. Rempli de haine mais aussi de désespoir, et persuader de ne plus avoir ma place en ce monde, je construisit ce labyrinthe par mes propres moyens, et décidait de rester à l'intérieur, de me cacher aux yeux de tous, comme l'abomination que j'étais devenue …

Tavros parla, ses mains tremblantes, toujours animée de cette colère encore très présente. Alcina avait écoutée et se sentit sincèrement désolée pour lui. Tout comme Amon, Tavros avait souffert de sa condition d’être à part. A croire que la fatalité se délectait de faire souffrir ceux qui étaient pourtant exceptionnels. Elle s'avança sans crainte vers le minotaure et plaça doucement sa main contre son dos massif. Il la sentit, mais ne fit rien pour la repousser.

_ L'abomination ce n'est pas vous, Tavros, mais ces gens qui ont tué votre père et les vôtres. Il est très facile de s'accrocher à la colère et au désir de vengeance en croyant qu'ils aideront à résoudre nos problèmes, mais ce sont des poisons qui ne feront que vous consumer et vous conduiront à encore plus de douleur.

_ Et que savez-vous de la colère et du désir de vengeance? grommela t-il en se tournant vers elle.

Alcina repensa à ces images de sa vie passée ... Maximilien la trahissant pour une autre femme ... Elle, utilisant ses pouvoirs pour les tuer ... Tavros la vit se mordre sa lèvre et soupirer, une larme coulant sur sa joue, qu'elle essuya avec sa manche.

_ Croyez-moi ... Je l’ai aussi appris à mes dépends, et la leçon fut très rude, elle se contenta de répondre.

La voyant ainsi, le minotaure devina qu’elle ne mentait pas et n'insista pas sur le sujet, préférant se tourner vers un autre.

_ Vous parliez d'une menace, n'est-ce pas?

Alcina acquiesça.

_ Oui. Une guerre vient d’éclater, et je crains que nous ne soyons les seuls à pouvoir la stopper avant qu'elle ne prenne des proportions trop élevées... Vous pouvez choisir de me croire où non. Notre duel m'a beaucoup affaiblie, et je sais que je ne fais pas le poids contre vous... Si vous décidez de rester ici, alors il ne vous reste plus qu'à me tuer où à me laisser repartir. Peu importe ce qu’il advient, je respecterais votre décision et ne reviendrai plus vous importuner.

Elle avait parler de vive voix, demeurant face au monstre à cornes et prête à accepter son sort. Tavros la dévisagea, leurs regards se croisant. Il lui suffisait de tendre ses mains pour la saisir et la briser en deux comme une branche sèche. Mais était-ce vraiment ce qu'il voulait? Ajouter un énième crâne à son charnier ? Il mentirait en disant que la tentation ne se fit pas ressentir, mais il se posa aussi une simple mais pourtant essentielle question : Qu’est-ce qu’une mort de plus de sa main pourrait bien lui apporter ?

_ Dans ce cas ... En la mémoire de mon maître, et pour ce que vous m'avez appris aujourd'hui ... je vais vous aider.

Il tendit la main et Alcina, souriant à cette réponse mais aussi soulagée intérieurement, lui serra la main pour conclure cette alliance.

Cependant, avant de partir, Tavros et Alcina sortirent du labyrinthe, heureux de retrouver l’extérieur et se rendirent au plus haut sommet de l'île, offrant une vue magnifique sur l'océan et son archipel d'îles. Alcina, par respect, resta un peu en arrière et fit slience alors que Tavros s'avança et s'agenouilla près d'une modeste pierre tombale disposée face à l'océan, gravée du nom de son maître, Andros. Selon le minotaure, son maître venait ici tous les matins afin de méditer et admirer le lever du soleil. Un genou au sol, la tête légèrement inclinée, Tavros frappa son poing fermement contre sa poitrine.

_ Maître Andros ... Que les dieux de l'olympe en soient témoins ... Sur mon sang et mon honneur, je ne vous décevrai plus. Chaque pas en avant, chaque ennemi que j’abattrai, chaque cause que je défendrai, sera en votre nom.

Ce fut sur ses mots, et après s'être redresser, levant les yeux vers le ciel, que Tavros poussa un grand rugissement qui résonna à travers l'archipel et provoqua l'envol de tous les oiseaux présents sur l'île. Le rugissement dura de longues secondes, laissant échapper toute la colère et la douleur qu'il avait accumulé au cours des siècles. Alcina le regarda avec une certaine fierté, heureuse qu'il ai pu enfin reprendre le contrôle de son destin, comme elle s’efforçait de le faire. Maintenant prêt à partir, Tavros la regarda, plus motivé que jamais. Un nouveau vortex s'ouvrit par le biais du talisman de Lordran. Mais alors qu'Alcina allait y entrer, une étrange impression la stoppa dans son geste et elle regarda derrière elle. Quelqu'un l'observait, elle en était sûre, et ce n'était pas Tavros. Ce dernier, la voyant ainsi, l'interpella.

_ Un problème?

_ Hum… Non, rien, répondit-elle en chassant ce doute de la main.

Ce n'était pas le moment de se laisser distraire. La comtesse et le minotaure entrèrent à l'intérieur du passage, afin de poursuivre le reste de la quête.





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