Divalis : l'éveil

Chapitre 27 : Une simple journée.

5835 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 02/12/2023 21:42

Aziel vient à ouvrir les yeux, il a l’impression qu’il n’a plus dormi depuis des jours. Il remarque qu’Aéon est la seule encore allongée avec lui. Il porte le bras sur son épaule et la secoue doucement pour la réveiller. Celle-ci émerge de sa léthargie, ses iris remontant vers ceux du bicolore.

 

— Ça va, tu n’as pas mal ? demande la jeune tout en se dressant sur ses hanches.

— Je supporte, répond Aziel qui se relève comme un septuagénaire.

 

Le ventre du garçon se plaint – ce qui le fait rougir – alors qu’il sursaute en regardant Aéon qui rit tendrement.

 

— On va aller manger, dit Aziel en se levant de son matelas.

 

Il attrape et présente les béquilles à Aéon, qui se prépare à quitter le lit, elle se hisse dessus et il la suit jusqu’au salon où ils retrouvent la meute assoupie. Abysse bondit de son perchoir pour venir voir si les divalis humains vont mieux. Vlase, quant à lui, s’en va dans le jardin sous le regard confus de la dorée.

Aziel, qui a suivi le mouvement du canidé des yeux, se dirige vers le portemanteau à l’entrée pour attraper la veste qu’Ulrick a donnée à Aéon et la lui tendre. Celle-ci l’enfile, passe la baie vitrée et s’approche du renard, assis sur l’herbe fraîche, contre lequel elle vient se poser. Elle lui caresse la tête avec douceur, ce qui lui vaut un regard perplexe du canidé.

 

— Évite tout de même de me prendre pour un chien, dit Vlase, ronchon.

— Pardon, ce n’était pas mon idée, dit-elle en enlevant la main.

— Je plaisante, Aéon, répond-il en penchant une oreille tout en s’allongeant.

 

Cette fois, la jeune entoure de ses bras le cou moelleux de Vlase, qui vient poser la tête contre la joue d’Aéon.

 

— Les nôtres ont pour principe de dévorer le corps des morts afin que ces dernières ne soient pas inutiles. C’est dans nos mœurs… Nous sommes allés près de Sansa avec Buntar, mais nous n’y sommes pas parvenus et je ne le comprends pas, explique le bleuté.

— Peut-être que la blessure est encore trop fraîche, répond doucement Aéon pour le soutenir, même si l’idée de dévorer un membre de sa famille lui paraît étrange.

 

Le renard secoue nerveusement la tête, elle ne l’a jamais vu défaillir, pas une seule fois. Elle grimace pour retenir ses propres larmes, alors que le renard ne parvient pas à refouler les siennes. Aéon serre davantage Vlase tout en le caressant pour le réconforter.

 

— Tu n’y es pour rien, Vlase. Tu n’aurais pas pu prévoir, dit Aéon à voix basse.

— J’aurais dû être plus attentif… Que ce soit elle ou toi, répond le canin tout en léchant la jambe abîmée d’Aéon.

— Ce n’est pas ta faute, répète doucement Aéon, mal à l’aise.

 

Le cœur de la dorée se serre dès qu’elle entend le canidé reprendre sa respiration. Vlase tente de se contrôler, par gêne de montrer une telle faiblesse. Plusieurs minutes s’écoulent sans qu’ils se disent un mot, juste à rester l’un contre l’autre, conscients qu’ils peuvent juste regretter le passé. La tristesse du renard évacuée, celui-ci se redresse tout en regardant la divalis.

 

— Au fait, c’est agréable les grattes grattes, plaisante-t-il.

 

Aéon place alors ses ongles contre son poitrail et le frotte avec motivation, ce qui fait chavirer Vlase tant cela lui est appréciable ! Ils reviennent à l’intérieur, et la jeune divalis se traîne jusque dans la cuisine pour rejoindre Aziel.

 Le bicolore la fixe de son regard froid. Puis, une fois qu’elle arrive à sa hauteur, son visage s’adoucit dans une expression qui lui est devenue familière. L’odeur du plat d’Ulrick les met en appétit. Abysse et Buntar s’amusent de leur côté tout en ennuyant Vlase, puisque Dagan rechigne dans son coin.

Alors qu’il mélange le plat, Aziel regarde Aéon, quelque peu ennuyé.

 

— Je ne vais pas avoir assez pour eux, dit Aziel en se penchant sur Aéon.

— Je pense qu’ils préfèreront une carcasse de poulet au ragoût.

— Vlase va bien ? demande-t-il à voix basse.

— Comme un père qui a perdu sa fille, répond Aéon, déconfite.

 

Dans une volonté de réconfort, Aziel porte le bras dans le dos de la dorée pour le lui frotter. Aéon sursaute, ne s’y attendant pas, ce qui fait reprendre ses distances à Aziel.

 

— Et les jeunes ? continue le bicolore.

— Buntar va passer sa tristesse en jouant avec Abysse, et elle va s’assurer de lui remonter le moral, elle n’apprécie pas quand elle nous sent maussades, explique la dorée.

— Ce n’est pas plus mal, répond Aziel en levant les yeux vers la bleue.

 

Il remarque alors qu’Aéon se dandine sur sa jambe plutôt que d’aller se reposer.

 

— Va t’asseoir, c’est prêt.

— Je voulais juste me rendre utile.

— Ne t’en fais pas, répond-il simplement.

 

Celui-ci éteint la cuisinière, sert les assiettes et rejoint la jeune à table. Cela fait, une gêne réciproque vient à les prendre. Aéon ignore où regarder, il en est de même pour Aziel.

Abysse, intriguée par le fumet, a pour idée d’aller vérifier ce que mange sa mère d’adoption, du moins, jusqu’à ce que Vlase se redresse et se place devant elle pour qu’elle la laisse tranquille. La coïste tente de forcer le passage, ce qui oblige le canidé à l’attraper au cou et la faire se coucher pour qu’elle comprenne enfin la mise en garde.

 

— Ce n’est rien, Vlase, je peux lui en donner, dit Aéon en le voyant faire et en entendant Abysse couiner.

— Tu partageras quand tu auras fini, et s’il en reste, Aéon ! Tu ne manges pas en suffisance, elle, oui ! réplique le canin de vive voix.

 

Abysse est retournée près de Buntar, grincheuse, alors que ce dernier la nargue gentiment.

Aziel observe la petite tandis qu’il mâche son morceau de viande, réfléchissant au fait que les coïstes sont des créatures qui bougent et chassent tout au long de la journée de petites proies. Abysse a dû se faire à un régime alimentaire qui ne lui est pas naturel et, malgré le fait qu’elle mange à sa faim, celle-ci a l’impression d’être affamée. Aéon a tout de même laissé un reste pour Abysse, ce qui fait soupirer Vlase.

 

— Ce n’est pas pour une fois, dit Aéon.

— Elle le fait tout le temps ! Tu ne manges pas assez par rapport à l’énergie que tu dépenses, c’est pour ça que tu es aussi maigre ! râle Vlase.

— Je ne suis pas maigre, c’est notre physiologie. Toi aussi, tu es fin, répond la divalis.

— Nuance, je suis svelte, réplique le renard.

— Il a raison, intervient Aziel qui saisit l’assiette d’Aéon, qu’elle veut traîner en ne se servant que d’une seule béquille.

— Toi aussi, la brindille, tu es maigre, rétorque Vlase à Aziel.

 

Aziel soulève un sourcil au surnom que le renard vient de lui donner et proteste mentalement sur le fait que lui ne se trouve pas aussi maigre. Aéon aide pour la vaisselle, Vlase riant de leur maladresse, l’un devant jouer à l’équilibriste et l’autre devant se passer de l’un de ses bras. Lui nettoie, elle essuie et pose les ustensiles sur le plan de travail, puisqu’elle ne connaît pas encore leur place.

 

Aziel porte son regard sur la fenêtre et l’extérieur, il ne pensait pas dormir toute la journée. Il s’en va nourrir les drakes, car il n’a rien de mieux à proposer et qu’il se sent encore patraque. Tout le monde se retrouve dans la chambre et s’allonge sur le lit, soudainement plus assez grand, pour regarder un film avant de s’endormir.

Dès le matin, Vlase et Buntar se rendent dans la montagne, Abysse et Dagan observent depuis le canapé Aéon, qui se retrouve allongée dans l’autre fauteuil, jambe tendue vers le visage d’Aziel.

Celui-ci a défait le pansement et s’assure de la bonne guérison de la cicatrice.

 

— C’est bon, tu n’as plus besoin de pansement, on va pouvoir passer à la prothèse, déclare le bicolore.

— J’espère que je n’ai pas perdu de ma condition, répond Aéon tout en s’asseyant convenablement.

— Peut-être une fatigue musculaire. Ta guérison a été rapide, ta rééducation le sera aussi, confirme simplement Aziel en se vautrant dans le fond du canapé, puis en serrant les dents, puisque celui-ci manque de délicatesse face à ses propres blessures.

 

Aéon accueille cette nouvelle avec plaisir. Aziel se relève, ne pouvant irrévocablement pas rester tranquille, pour saisir la chaussure droite qu’Ulrick a donné à la jeune et s’en va avec, hors de la maison. Abysse, allongée contre la baie vitrée, s’approche d’un regard curieux de la blessure de sa mère d’adoption.

 

— Comment il a fait pour retirer ta patte ? demande la bleue.

— Avec ses outils d’humain, il va me faire une prothèse pour que je puisse facilement marcher, explique Aéon.

— C’est quoi prothèse ? dit Abysse en penchant la tête.

— Une fausse patte, répond Aéon en lui caressant le bout du museau.

— Il te l’a dit, mais va-t-il vraiment le faire ? réplique Dagan, resté près de la baie.

— Tu es mal placé pour juger Aziel, rétorque sèchement Aéon.

 

Dagan détourne le regard au retour du second divalis. Aziel l’a entendu, mais préfère ne pas en tenir compte, il l’ignore, même si le comportement du rouge l’irrite.

De plus, le mâle bicolore sait que la femelle dorée se méfie également de lui, bien qu’il ne le lui reproche pas. Il se baisse sur la jambe amoindrie d’Aéon, en tenant la chaussure en main, alors que celui-ci semble pensif. Il a placé un morceau de bois qu’il a un peu raboté dans l’écurie pour que celui-ci épouse la forme de la semelle. Le morceau remplit la pointe jusqu’au talon, mais il lui faudrait maintenant trouver un moyen de remplir la place occupée par la cheville, et ce, sans que la matière blesse Aéon avec le frottement. Il a retrouvé une attelle, qu’il a bloquée sous le morceau de bois de la chaussure, qu’il va devoir maintenir avec des bandes cohésives puisqu’elle ne possède plus de sangle d’attache. Il se redresse pour aller chercher ce qu’il lui faut tandis qu’Aéon le regarde faire ses allers-retours silencieusement. Aziel enroule le moignon de la jeune avec une bande en mousse et enfile la prothèse de substitution en la mettant un peu à mal pour vérifier qu’elle ne puisse pas se tordre au moindre mouvement.

 

— Cela tiendra, mais sers-toi de la béquille, on va descendre en ville, dit Aziel en remontant les yeux vers la jeune.

 

Aéon le regarde, penaude, puis acquiesce d’un mouvement de tête et, lentement, elle se redresse en se maintenant sur la béquille. Aziel la tient par le bras pour l’aider et l’accompagne jusqu’au portemanteau. Elle le saisit et l’enfile tant bien que mal et aide Aziel qui ne peut pas bouger son épaule droite.

 

— Tu es sûr de vouloir aller en ville dans ton état ? demande Aéon.

— Ouais, il te faut des vêtements, répond-il en ajustant sa veste bloquée par le plâtre.

— Tu m’en as déjà prêté ! dit-elle avec gêne.

— On va aller faire un tour au magasin, il t’en faut des plus chauds et surtout à ta taille, répond Aziel, le regard sur elle.

— Aziel, je n’ai pas d’argent ! Et je refuse que tu en dépenses pour moi, réplique la jeune, embarrassée.

— Ne t’en fais pas, réplique Aziel, qui se tourne ensuite sur Abysse qui est près d’eux. Nous ne devrions pas être longs, vous pouvez regarder la télé dans la chambre.

— Bien reçu, affirme la bleue avec enthousiasme.

 

Le jeune rejoint le bord du chemin et siffle après Fafnir, cependant celui-ci ne se montre pas.

 

— Ils doivent être avec les autres drakes, dit Aziel en grimaçant.

— Ils ne sont pas toujours avec toi ? répond la dorée, étonnée.

— La plupart du temps, ils restent en horde dans le village ou au bord de la montagne, selon nos horaires de travail. On va devoir descendre à pied, ça va aller ?

— Pas le choix, dit Aéon en riant.

 

Ils doivent se rendre au centre-ville, là où sont les magasins et les auberges ainsi que les restaurants d’Ecolyne. Aziel guide Aéon, tout en prenant garde à ne pas aller trop vite. Une fois qu’ils atteignent la place, l’expression d’Aziel redevient froide. Dès qu’ils croisent des villageois, le stress du bicolore augmente à l’idée de se faire agresser. Peut-être aurait-il dû prévenir Ulrick pour qu’il les accompagne Aéon et lui. Cela est agaçant de devoir ainsi dépendre de ce village qui le déteste. Il espère qu’ils ne seront pas remballés des magasins avec ce qu’il s’est passé…

 

— Détends-toi et arrête de fusiller les gens du regard, Aziel, ils seront moins sur la défensive.

— Je me méfie… Ils ont trop vite lâché l’affaire hier, répond Aziel, qui ne peut pas s’empêcher de regarder froidement les passants.

— Votre méfiance est réciproque, ils craignent le cryptide que tu es, sans voir l’humain qui a grandi parmi eux, et ton caractère n’arrange pas les choses non plus, dit Aéon tout en lui souriant.

 

Aziel tique tout en détournant les yeux, pas franchement d’accord avec les propos de la dorée. Ils sont sur le centre de la place, décorée par une fontaine à l’effigie d’un drake. Aziel l’accompagne jusqu’au magasin de vêtements pour femmes, et une fois devant la porte d’entrée, celui-ci se fige, sort son portefeuille et donne sa carte à la jeune, qui le dévisage, perplexe.

 

— Tu n’as pas besoin de moi, il n’y a pas de code, dit-il en tendant la carte à Aéon.

— Je ne vais pas utiliser ta carte, enfin ! réplique Aéon en secouant nerveusement la tête et les bras par refus.

— Ça ne me dérange pas, répond-il simplement.

— Je trouve cela déplacé, viens au moins voir avec moi ce que je prends, je n’ai aucune idée de ce qui est cher ou pas, grimace la dorée.

— Les hommes ne sont pas acceptés dans les magasins pour femmes, prétend Aziel.

 

Un couple vient tout juste de sortir de ladite boutique en les toisant et en continuant leur chemin. Aziel regarde Aéon, qui le fixe avec un petit sourire en coin. Le jeune soupire et suit la dorée à l’intérieur.

Aéon n’a pas de vêtements, il lui faut de tout, y compris des sous-vêtements qu’elle regarde avec suspicion. La dorée vient alors à penser qu’elle aurait, en effet, peut-être dû y aller seule.

 

— Tu devrais regarder chez les enfants, sans vouloir t’offenser, plaisante Aziel.

— Hilarant, grommelle la jeune.

 

Elle peut se sentir vexée, mais du haut de son mètre quarante, Aéon fait, effectivement, la taille d’un enfant. Elle se dirige chez les adolescents et regarde la lingerie, n’ayant aucune idée de ce qu’elle doit prendre. Aziel, mesurant presque deux mètres de haut, ne passe pas inaperçu. Une des employées s’approche d’eux, surprise de le voir là, avant de remarquer Aéon. La jeune demande alors l’aide de la femme, qui de ce fait ignore Aziel. Cette dernière guide la jeune dans les rayons et lui propose d’essayer le tout dans les cabines. La vendeuse est étonnée de voir Aziel les suivre dans les rayons malgré tout. Elle était absente lorsqu’il est sorti de l’hôpital, elle n’a eu que des échos de ce qu’il s’est passé.

 

— On va faire le tour, sauf si notre présence vous dérange, rétorque Aziel, agressif.

— Tu te cherches une excuse pour fuir la lingerie féminine ? plaisante Aéon tout en portant à sa poitrine un soutien-gorge à tendance coquine.

 

Aziel, devenu écarlate, détourne la tête, embarrassé, et racle sa gorge, tandis qu’Aéon fait un clin d’œil à la femme adulte.

 

— Méfiez-vous de lui, réplique la vendeuse à voix basse.

 

Aéon répond d’un sourire et rejoint le divalis dans l’autre rayon, qui n’est plus d’humeur blagueuse.

 

— C’était quoi ça ? grogne le bicolore.

— Tu t’es directement braqué. J’ai plaisanté pour qu’elle ne s’énerve pas. Regarde, elle s’occupe de ses affaires, dit la jeune d’un mouvement de tête vers l’employée.

— Elle nous garde à l’œil, réplique le jeune, râleur.

— Aziel, tu dois aussi faire un effort de ton côté, continue Aéon en venant se placer devant lui, qui fait la tête.

— C’est déjà étonnant qu’elle ne m’ait pas dit de partir, proteste-t-il.

— Peut-être parce que tu t’es éloigné au lieu de montrer les crocs ?

 

Aziel soupire et suit la jeune qui hésite sur les tenues qu’elle pourrait se prendre, ce qui n’est pas le cas d’Aziel. Celui-ci prend les vêtements en les plaçant devant la jeune tout en la questionnant d’un regard pour savoir si cela lui plaît aussi.

 

— Tu vas me faire défiler après ? plaisante Aéon.

— Avec la lingerie sexy que tu m’as montrée ? réplique Aziel, joueur.

— Tu ne serais pas contre, enchérit-elle tout en se dirigeant vers les cabines d’essayage.

— Pourquoi le serais-je ? répond Aziel sur un ton narquois.

 

Aéon rigole de gêne et referme le rideau d’un coup, préférant mettre fin à leur petit jeu, tandis qu’Aziel sourit tout en se grattant l’arrière de la tête, ne sachant plus où poser les yeux.

Je suppose que c’est là un exemple de parade amoureuse humaine ? Ou la nouvelle génération de divalis ne sait plus comment se courtiser ?

Aziel patiente quelques instants, puis Aéon sort avec le premier ensemble. Un jean bleu foncé et un pull d’hiver bleu clair. Il la dévisage alors qu’elle se dandine de gêne. Le jeune lui demande de tourner un peu sur elle, le pantalon fait des plis peu esthétiques derrière, il lui conseille d’essayer les autres. La jeune s’exécute avec un peu de lenteur à cause de la prothèse, puis montre le tout au garçon :

 

— La matière gratte un peu, dit Aéon, quelque peu gênée.

 

Aziel s’en va tout à coup dans les rayons, puis revient avec des pantalons de la même matière que les siens.

 

— Essaie ceux-là, je les supporte mieux, dit-il.

 

Aéon continue tout en laissant le choix esthétique à Aziel, puisqu’elle n’a pas l’habitude de s’habiller, et donc d’accorder ce qu’elle porte. Elle a tout ce qu’il lui faut pour avoir chaud l’hiver. En allant vers la caisse, Aziel ralentit en passant devant les robes tout en regardant Aéon, qui refuse d’un geste rapide de la tête. Il donne les vêtements à la patronne qui le regarde froidement tout en passant les articles…

 

— Je crois que vous avez passé deux fois le même article, madame, dit Aéon.

— Je sais ce que je fais, rétorque la femme.

— Sortez le ticket de caisse, on va vérifier, répond la jeune sans hausser la voix.

 

La femme soupire et sort le billet, le regarde et le jette en affirmant qu’elle a mal passé les vêtements. Elle recommence tout en regardant Aéon pour lui montrer qu’elle ne les passe qu’une fois. Aziel se contente de payer sans rien dire, tout en affichant un sourire quelque peu provocateur à la femme alors qu’ils sortent du magasin.

 

— C’est bien, tu as même souri ! Comme si tu refoulais ton envie de tuer, mais tu l’as fait, dit Aéon en le narguant.

— Tu as fini de te foutre de moi, râle le garçon.

— Il est vrai que je devrais être gentille, tu viens de me faire un cadeau. Tu peux te baisser, tu es un peu haut, demande la dorée.

 

Aziel fronce les sourcils, puis se baisse tandis qu’Aéon lui embrasse la joue pour le remercier. Le jeune se redresse, tout en faisant comme si de rien n’était, et embarque Aéon vers le prochain magasin, alors que cette dernière pensait qu’ils allaient retourner chez lui. Sur le chemin, ils croisent Fafnir et Silva qui viennent à leur rencontre. Aziel demande aux drakes de les attendre le temps de passer à l’animalerie où ils se rendent.

 

— Pourquoi viens-tu ici ? demande Aéon.

— Pour prendre un manteau pour Abysse et quelques jouets, en espérant ne pas les vexer, répond Aziel.

 

Ils passent les rayons pour aller directement vers les manteaux pour chiens. Abysse fait la taille d’un grand chien. Il n’y a pas énormément de choix pour le coup. Aziel en sort un qui couvre le dos et les pattes, avec de la laine à l’intérieur.

 

— Cela devrait le faire ? demande le jeune à Aéon.

— Je pense, la taille semble bonne.

 

Aéon baisse les yeux, apercevant le prix, ce qui la met une nouvelle fois mal à l’aise. Aziel se dirige ensuite vers les jouets et les bonbons pour animaux.

 

— Alors, si tu rapportes une balle à Vlase, je crois qu’il va te faire des trous dans le corps, plaisante Aéon.

— Je lui en lancerais bien une, juste pour voir sa tête. En revanche, je pensais plutôt à Abysse qui va avoir besoin d’occupation… Ah, regarde !

 

Il prend une longue corde à nœuds.

 

— Je pense que ça devrait les amuser de se tirer l’un l’autre, dit Aziel.

 

Touchée par l’attention qu’il porte à Abysse et Buntar, Aéon se met à sourire bêtement. Aziel, qui la dévisage, détourne une énième fois la tête en se grattant la joue.

Je leur suggèrerais bien de se prendre une chambre, mais les gens vont finir par les confondre avec un panneau stop.

Il change de rayon et emporte plusieurs blocs de viande sèche faite pour faire mâcher les chiens, et se dirige vers la caisse, tenue par un homme d’âge mûr qui regarde les jeunes avec étonnement.

 

— Tu as un chien ? demande le caissier.

— C’est difficile de trouver un manteau à ma taille, plaisante Aéon.

— Tu n’es pas si petite, répond sèchement Aziel en payant.

— Mon humour est si nul que tu ne ris jamais ? dit Aéon tout en regardant Aziel, faussement vexée.

 

Il dévisage Aéon, n’appréciant pas le fait qu’elle se rabaisse volontairement pour calmer les tensions.

 

— C’est vous qui avez un chien, madame ? demande l’homme.

— Habituellement, il me suit partout, mais il a un peu peur des drakes, alors il ne sort pas de chez Aziel, ment la dorée.

— Cela ne vous pose pas de problème de vivre chez un cryptide ? dit l’homme, tout en regardant froidement Aziel.

— Non, absolument pas, répond simplement Aéon.

— Il est instable, tout le monde vous le dira, ajoute le vendeur.

— Moi aussi, je le serais si tout le monde passait son temps à me critiquer, rétorque Aéon.

 

Aéon le salue, et ils rejoignent Fafnir et Silva dans la rue. Aziel aide la rousse à monter sur le dos de son drake, mais parvient difficilement à le faire quand vient son tour. Aziel maintient Aéon qui est devant lui tout en serrant les dents alors que ses côtes lui font un mal de chien. Une fois que Fafnir se met à courir, il se maudit d’être sorti alors qu’il devait rester coucher.

De retour à l’écurie, Aéon l’aide à nourrir les créatures, puis le duo retourne dans la maison. Marcher sur ses deux jambes en prenant garde à ne pas trop porter son poids sur sa prothèse a épuisé Aéon. Les jeunes s’asseyent dans le divan, et Aziel sort la corde qu’il montre à Abysse et Buntar, revenus entre-temps.

 

— C’est pour vous, pour jouer, explique Aziel.

 

Abysse attrape un bout de la corde et regarde Aziel en se tenant tendue sur ses pattes. Elle a bien compris l’idée, il pensait plutôt qu’elle jouerait avec Buntar, il maintient la corde et elle se met à le tracter. Aziel ne bouge pratiquement pas du divan, si ce n’est qu’il serre les dents par fierté pour ne pas montrer à la petite qu’il est en train de se tuer ce qu’il lui reste de côtes.

 

— Abysse, joue avec Buntar, Aziel est blessé, intervient Aéon.

 

Il lâche la corde et la bleue se tourne directement sur Buntar qui la regarde tout d’abord sceptique, puis imite Aziel en attrapant le nœud et tire dessus. Contrairement au renard, elle adhère bien au carrelage avec ses écailles, du coup, elle promène le renard dans la pièce.

Aziel sort les blocs de viande séchée, ce qui attire bien vite la curiosité d’Abysse. Buntar vient sentir l’autre, ne comprenant pas pourquoi Aziel lui donne sa nourriture, qu’il prend sur le bout des dents, confus, et s’en va le ronger plus loin. Vlase, assis devant la baie vitrée avec Dagan, observe Aziel du coin de l’œil.

 

— Excuse-moi, je n’ai pas pensé à t’en prendre un, dit Aziel au renard adulte.

— Si ça les occupe, c’est parfait, répond Vlase.

 

Le renard accorde son fameux sourire venu des enfers au divalis… Lui aussi trouve que cela lui donne un côté flippant. Aziel se redresse pour aller réchauffer un des plats d’Ulrick tandis qu’Aéon discute avec Vlase.

Dagan reste silencieux, toutefois le rouge s’agace qu’Aéon l’ignore au lieu de le confronter. Il se redresse pour venir lui faire face malgré le regard noir de Vlase et la tension qu’il sent venir depuis la cuisine.

 

— Aéon, j’aimerais que tu sois franche avec moi. Est-ce que tu n’oses pas me chasser ou veux-tu vraiment me laisser une chance ? J’ai fait une erreur, mais je refuse de la payer en devant supporter votre ignorance. Je préfère encore que tu me chasses, avoue Dagan, la tête et les oreilles basses, sa queue sous son ventre.

 

Aéon se crispe aux dires du divalis rouge. Cependant, elle peut comprendre qu’il soit perdu dans sa façon d’agir. Aéon détourne un instant les yeux avant de regarder de nouveau le rouge.

 

— Le problème, Dagan, c’est que je connais tes pensées et, même si je n’ai pas envie de te chasser, je peine à te refaire confiance. Je te rappelle aussi que je ne suis pas le chef de cette meute et que je ne suis pas la seule à donner mon avis. Vlase et Aziel peuvent aussi décider de te chasser, et je n’ai pas la force pour contester leur décision s’ils venaient à la prendre.

— Pourtant, c’est parce que tu as décidé de me laisser une chance qu’ils ne le font pas… Vous ne voulez même pas reconnaître que vous vous pliez à ses envies, dit Dagan.

— Ce n’est pas se plier, mais l’écouter, et je n’ai pas sa patience ni sa gentillesse, alors prends garde à ce que tu dis ou ce que tu fais. J’ai beau avoir les os cassés, tu n’auras pas le dessus sur moi, rétorque Aziel, revenu vers eux.

— Tu t’y crois, quand même, pour le dernier arrivé dans notre meute. Tu te penses supérieur à nous, comme tes amis humains ? rétorque Dagan.

 

Aziel s’énerve, mais reste sur place, alors que Dagan pousse un bref cri de douleur. Vlase vient de lui clouer la tête au sol, ses crocs dans sa nuque.

 

— Et toi, tu oublies qu’à la base, je tolère ta présence plus qu’autre chose ! Abysse et Aéon devraient être, dans la logique de mes mœurs, mes femelles ! Et, tu ne sembles pas remarquer qu’entre Aziel et moi, tu ne fais pas le poids, gronde Vlase tout en lâchant Dagan.

 

Le rouge s’ébroue et regarde Aéon, comme s’il lui demandait de plaider en sa faveur, mais celle-ci ne le fait pas.

 

— Tu n’aides pas ton cas, Dagan, soupire Aéon.

 

Celle-ci retourne vers Aziel pour savoir où ranger ce qu’il lui a offert, Dagan retourne contre la baie et Vlase s’allonge sur le sol.

La nuit tombée, Aéon et Aziel utilisent la salle de bains pour aller se laver. La dorée donne un coup de main au bicolore pour se séparer de ses vêtements. Malgré une commotion cérébrale, une épaule dans le plâtre et des côtes cassées, Aziel ne s’est pas reposé de la journée. Il a même demandé un coup de main à Abysse, Vlase et Buntar pour déplacer le lit de son frère dans sa propre chambre. Résultat ? Il a fini par perdre connaissance…

Il rechigne à laisser Aéon lui donner un coup de main, lui assurant qu’il peut se débrouiller seul.

 

— Laisse-moi le faire, bourrique, ricane Aéon.

— Ça va, je ne suis pas léthargique non plus, grommelle le divalis.

— J’ai fait moins de manières quand tu m’as lavée, toi ! réplique Aéon.

— Ce n’était pas pareil, tu étais sous ta forme animale, bougonne Aziel.

— Qu’est-ce qui est différent ? Ça m’avait embarrassée, répond Aéon sur le même ton.

 

Aziel détourne les yeux, laissant passer entre ses dents :

 

— Ça reste compliqué de se laver avec des pattes, contrairement à un bras immobilisé.

 — Tu as fini de te plaindre ? dit Aéon alors qu’Aziel se relève, prêt à aller sous la douche.

 

Du moins, jusqu’à ce que Aéon vienne à enlever ses vêtements sous le regard béat d’Aziel.

 

— Heu, Aéon, tu n’attends pas que je sorte ?

— Tu es pudique ? demande Aéon, soudainement rouge.

— Tu as, toi aussi, eu une éducation humaine… Ou ta mère vous laissait vous balader nus chez vous ? plaisante Aziel.

— Non, mais j’avais l’habitude de prendre mon bain avec Aïna, explique la dorée.

— Ça ne te dérange pas que je te voie ? s’étonne le jeune.

— Parce que je n’ai plus de pelage ? Ce qui est gênant, c’est plutôt le fait que tu me touches, répond simplement Aéon.

 

Aziel racle sa gorge, il se glisse sous la douche, Aéon a besoin du tabouret pour tenir l’équilibre, elle se place à côté d’Aziel sans même lui porter un regard curieux. Il le sent, contrairement à lui, elle ne porte pas d’intérêt à son corps et ne dégage aucune réponse vis-à-vis de ses phéromones. Ce qui donne un petit coup à l’estomac du jeune, qui prend cela comme un râteau…

En vérité, c’est normal qu’Aéon n’y réponde pas, elle n’est pas encore mature, elle ne perçoit juste pas encore les signes olfactifs d’Aziel.

Quant à Aziel, se retenir de loucher sur Aéon n’est pas possible, sa peau nue dévoile toutes les cicatrices que son pelage cache. Comme elle n’est pas un cryptide mammalien, elle ne possède pas de poitrine. Les divalis n’allaitent pas leurs petits, ils les nourrissent de la même façon que les oiseaux.


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