Divalis : l'éveil

Chapitre 28 : L'hiver à Ecolyne

6328 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/01/2024 11:08


Les semaines suivantes se déroulent dans le calme, Vlase et Buntar continuent d’arpenter la montagne avec Abysse, maintenant parée d’un manteau qui les aura bien fait rire au début. Au moins, la bleue peut aller avec les renards courir et, pour la première fois, jouer dans la neige sans avoir son instinct qui lui hurle de retourner se mettre au chaud. Elle dort tout de même une grosse partie de la journée, sa nature restant présente.

Aéon et Dagan sont revenus sur l’incident et en ont longuement discuté. La jeune est consciente que le rouge espère toujours la courtiser, mais Dagan a compris que l’agressivité n’est pas la bonne méthode, même si son avis diffère de la décision qu’elle a prise sur le fait que leur espèce n’a pas besoin d’alpha et qu’elle ne veut pas de petit pour que l’esprit de ruche se perde.

Aziel, de son côté, a commandé les prothèses pour Aéon et contacté la fondation pour les informer de son rétablissement. Il a fallu une bonne semaine à Aziel pour se remettre de ses blessures, et la plaie de Dagan s’est bien refermée. En revanche, le garçon lui a conseillé de ne pas trop marcher dessus.

Voilà presque deux semaines qu’Aziel n’est plus allé travailler. Il est plutôt content de reprendre, même si la présence d’Aéon et des autres ne le dérange aucunement. Il reçoit trois chiens aujourd’hui et ils ont une échographie à aller faire pour vérifier l’avancée de la gestation d’une jeune drake. Les auscultations terminées, il rejoint Ulrick et Irina à la cantine. Celle-ci a mis en route la machine à café tandis qu’Ulrick réchauffe les plats qu’il leur a apportés. Aziel s’assied en aidant l’homme, la jeune femme distribuant les tasses avant de se poser sur sa chaise.

 

— Alors, mon grand, tout se passe bien avec ta chérie ? plaisante Ulrick.

— Tes blagues ne m’avaient pas manqué, grommelle Aziel tout en buvant son café.

— J’ai entendu dire que tu étais allé faire les boutiques avec elle, rajoute l’homme en avalant sa bouchée.

— Elle n’avait pas de vêtements adaptés au froid.

— Donc elle reste l’hiver avec toi ?

— Elle repart mi-février avant le Martisor, répond Aziel.

— Dommage, elle va manquer l’une de nos plus belles fêtes. Tu aimerais bien qu’elle reste avec toi, n’est-ce pas ?

— À vrai dire, j’hésite à partir avec elle. On pourrait voyager durant la bonne saison et revenir ici quand il fait froid, dit-il tout en regardant son assiette.

 

Irina relève les yeux vers lui, c’est bien la première fois que la femme l’entend parler si calmement et même hésiter, comme s’il était vraiment attaché à cette fille.

 

— Je trouve que c’est une bonne idée ! Cela te changerait et ce n’est pas un départ définitif, répond Ulrick en souriant.

— Et toi ? Je ne vais pas augmenter ta charge de travail ?

— Tu partiras juste après la saison des amours des drakes. C’est le moment où j’aurai besoin de ton aide, après ça, ne t’en fais pas pour moi, dit Ulrick.

— Tu es certain ? Je peux aussi m’arranger avec elle pour ne pas partir toute la bonne saison. Je n’ai jamais quitté Ecolyne, après tout…

— Tu ne seras pas seul, Aziel. Et, qui sait ? Peut-être que vous nous reviendrez avec un petit bout en plus ! déclare Ulrick avec un large sourire.

— Elle a seize ans et l’on n’est pas proches à ce point, Ulrick ! réplique Aziel, les joues rouges.

— Pas encore, répond le vieil homme avec un clin d’œil.

 

Aziel secoue la tête, consterné par les propos de son tuteur.

 

— Évite de l’ennuyer avec ça, dit Aziel, le regard fixe.

— Ne t’en fais pas, je m’en souviens.

 

Irina ne fait qu’écouter, puisqu’elle ignore de quoi ils parlent. La femme a toujours connu Aziel désagréable et froid, y compris avec Ulrick, même s’il se contient avec lui. Elle était persuadée qu’il s’en fichait de tout et ne pensait qu’à lui. Elle sait qu’il est confirmé cryptide, mais là, elle peine à se dire que ce garçon n’est pas humain. Ou, tout du moins, elle ne perçoit plus le monstre qu’elle pensait connaître. Elle porte sa fourchette à sa bouche et savoure le morceau de viande. Par ailleurs, elle trouve que son caractère s’est adouci depuis que cette fille est là. Irina étouffe un petit rire amusé, qui attire l’attention des hommes sur elle.

 

— Je ne t’imaginais pas timide au point d’en rougir, déclare la femme en riant.

— Genre ! Moi, timide ? réplique Aziel en détournant les yeux.

 

Ulrick répond d’un mouvement affirmatif de la tête, ce qui amuse de nouveau Irina. Aziel espère toutefois qu’ils ne vont pas passer leur temps à le narguer avec cette histoire.

 

Abysse et Buntar sont retournés chez Aziel, Vlase se retrouve donc seul pour arpenter la montagne. Il y a quelques jours, il a relevé une odeur qu’il suppose venir d’un cryptide, mais dont il n’arrive pas à en identifier l’espèce ni vraiment à le pister tant elle est volatile. Le renard regarde la chaîne de montagnes qui s’étale sous ses yeux. Si ce cryptide peut voler, à moins de tomber dessus, il ne parviendra pas à le retrouver. Tout ce qu’il peut dire de cet individu, c’est qu’il s’agit d’une femelle. Cela pourrait être ennuyeux, parce qu’ils pourraient bien se retrouver en concurrence pour ce qui est des proies.

Il ne voit rien dans le ciel qui lui semble différent d’un oiseau. Il fait demi-tour, espérant qu’il ne s’agisse pas d’une wyverne ou, pire, d’un dragon. Ces créatures sont territoriales et tuent tout ce qu’elles estiment être trop proche de leur tanière… Heureusement pour Vlase, elles font partie des espèces presque éteintes.

Le renard descend le long de la paroi pour s’engouffrer parmi les arbres et buissons, se dirigeant vers le ruisseau dont il entend le clapotis. En s’approchant, il s’aperçoit que l’odeur inconnue est plus forte. Il hume l’air et rejoint le point d’eau à pas de loup, remarquant qu’il n’est pas le seul à avoir envie de se désaltérer.

Le renard observe la créature blanche au pelage… non, ce sont des plumes marquées de bleu sur les pointes. Le canidé la contourne pour se mettre à portée de vue de la créature. Les bords de ses plumes sont bleu clair pour le bas et bleu foncé pour le haut. La créature tourne l’oreille vers le canidé, et sa tête pivote sans même le regarder. Elle se redresse légèrement, remontant de ce fait ses longues ailes qu’elle croise par-dessus le dos, sa queue semblable à celle d’un félin, courte et garnie de plumes, s’ouvre brusquement, ce qui fait sursauter et reculer Vlase. Il y a des yeux dessus, comme les paons, elle a ouvert ses ailes comme un éventail en les plaçant vers le bas pour afficher ses remises, un peu comme les hiboux quand ils se sentent menacés.

 

— Tu es un griffon ? Je n’en ai jamais encore jamais vu, dit Vlase.

 

La créature tient sa tête de biais sans directement le regarder, l’écoutant plutôt, ce qui interpelle Vlase. Pourquoi ne le regarde-t-elle pas ? C’est une posture de défense ?

 

— Et toi, qu’es-tu ? demande la créature.

— Un lisii de la taïga.

 

La créature se penche à nouveau alors que Vlase lui tourne un peu autour pour venir boire, tout en tenant ses distances.

 

— Je suis une chimère, mais mon père est bien un griffon, explique la créature.

— Et ta mère ? demande Vlase, les gouttes d’eau s’écoulant le long de son museau.

— Un centaure, répond la créature.

— Je ne vois rien qui fasse penser à un cheval chez toi, réplique alors le renard, narquois.

— Les centaures ne sont pas qu’équins et, pour sûr, ma mère est un cervidé, plaisante la femelle.

 

En regardant de plus près, elle a des bois assez courts qui partent en arrière sur la tête et qui se fondent un peu dans sa crête de plumes. Elle a les pattes avant griffues comme un rapace, mais celles de derrière sont comme celles d’une biche. Elle doit faire une dizaine de centimètres de plus que lui, et est plus massive aussi. La chimère se tourne cette fois vers lui et c’est là qu’il s’aperçoit que ses yeux bleus sont voilés.

 

— Tu es aveugle, dit doucement le renard.

— Je suis née ainsi, mais ne t’en fais pas, je me débrouille parfaitement !

 

Elle s’approche du renard, qui recule un peu, se méfiant de son bec.

 

— Tu arrives à voler ?

— Je me débrouille, réplique la chimère qui vient le humer.

— Comment tu fais pour savoir où tu vas ? continue Vlase, se permettant de franchir son espace.

— Comme les oiseaux, je sais instinctivement où sont le sol et le ciel, le nord et l’est. J’utilise aussi le vent pour me diriger et pour éviter de me prendre un obstacle, explique la chimère.

 

Elle vient à s’asseoir, Vlase se détend de ce fait et imite la chimère. Elle est massive, mais ses pattes arrière sont si fines qu’il se demande comment elles peuvent supporter le poids de la créature.

 

— Suis-je sur ton territoire ?

— Nous passons l’hiver ici avec mon clan, répond Vlase.

— On parle de meute pour les lisiis ou je me trompe ? dit la créature en tenant sa tête de biais.

— Tu ne te trompes pas, nous ne sommes pas tous de la même espèce, alors nous adaptons nos mœurs.

— De quelles espèces se compose ton clan ?

— Une coïste terrestre, trois divalis et mon fils.

— Une coïste a bien voulu quitter sa harde pour vous suivre ?

— Elle a été rejetée par les siens quand elle était bébé. Aéon, la divalis, l’a recueillie, puis je les ai accueillies, explique le renard avec un certain sarcasme.

— Compagnons d’infortune… Je suis étonnée. Je pensais les divalis disparus ?

— Tu connais cette espèce ? s’étonne Vlase.

— Il y avait un clan là où je suis née. Je les ai un peu côtoyés avant que la tragédie n’arrive, explique la chimère en s’ébrouant, ses plumes gonflées lui donnant une allure de peluche.

— Tu sais ce qu’il leur est arrivé ?

— Nous étions dans une réserve protégée par les humains, j’ignore ce qu’il s’est passé exactement. Un jour, les divalis se sont retournés contre eux.

— Dagan nous a dit que les humains les avaient attaqués.

— Dagan ? Un des bébés divalis portait ce nom. S’il a survécu, peut-être a-t-il cru que c’était la faute des humains ? J’ignore ce qu’il s’est réellement passé et mes yeux ne pouvaient pas voir.

— Il a confirmé être trop petit pour vraiment se souvenir, répond Vlase.

— Je ne saurais donner plus d’informations.

— Je peux déjà leur confier ce que tu viens de me dire.

— Si personne ne peut vous donner de réponse, il vaut mieux éviter de faire des suppositions qui pourraient vous faire du mal, déclare la créature.

— Ce n’est pas faux… Tu as un nom, la chimère ? demande Vlase tout en se grattant.

— Je m’appelle Chillak et toi, le lisii ?

— Vlase, répond-il, narquois.

 

Buntar et Abysse s’amusent à se tracter avec la corde, Aéon est assise sur des rondins de bois à se frotter les bras malgré sa veste, les regardant en riant. Il y en a un autre qui se gèle à côté d’elle, mais qui ne le dit pas.

 

— Je le remarque seulement, mais hormis notre pelage qui s’épaissit, on ne développe pas de couche de graisse comme Vlase, Buntar et Abysse, dit Aéon en regardant Dagan.

— C’est surtout le fait de rester inactif qui donne froid, répond Dagan en se secouant.

— Je peux aller chercher l’autre corde, plaisante Aéon.

— Ça ne sera pas drôle, je vais te traîner dans tout le jardin.

 

Elle va la chercher, revient et la tend devant le nez de Dagan. Moqueur, il l’attrape et se tend sur ses quatre pattes pour la tirer d’un coup vers lui, elle résiste… puis part d’un bond en avant, surprenant le rouge qui tente de la rattraper ! Aéon a le nez dans la neige. Peut-être aurait-elle dû se douter qu’elle ne tiendrait pas avec sa prothèse de fortune.

Dagan veut s’appuyer sur sa patte, mais la douleur qui le prend le fait couiner.

 

— Tu as dû te faire mal, ne la pose pas au sol, Aziel regardera quand il sera rentré.

— Tu n’as que son nom à la bouche, rétorque le rouge.

— C’est le seul guérisseur du clan, réplique-t-elle sèchement.

 

Dagan la regarde, mais celui-ci s’abstient de lui faire une remarque. Le bruit de la porte qui claque annonce le retour du bicolore, et donc de la fin de sa journée de travail. Aéon, Abysse, Buntar et Dagan retournent de ce fait à l’intérieur le rejoindre. Aziel reste penaud face à leur réaction, l’accueillant comme s’il était un membre de leur meute. Aéon a même fait réchauffer un des plats d’Ulrick pour l’aider. Ils se mettent tous les deux à table, les autres ayant apporté des proies pour Dagan dans la journée. Abysse a trouvé un nouveau passe-temps, chasser les souris et les rats qui tournent autour de la maison.

— C’était le dernier, je ne suis pas grande cuisinière, mais si tu as des livres de recettes, je saurai le faire, explique Aéon à Aziel.

— Il n’y a plus grand-chose dans le réfrigérateur, les packs arriveront demain, j’irai les chercher après le boulot. Je finis à midi, avec de la chance ta prothèse y sera probablement.

— Je peux te rejoindre à la clinique, si tu veux ?

— Je préviendrai Fafnir pour qu’il vienne te chercher, répond simplement le jeune.

 

Aziel passe à la douche, puis c’est au tour d’Aéon. Elle enfile son pyjama sans remettre la prothèse temporaire. Ensuite, tout le monde se rejoint dans la chambre pour s’allonger et regarder un film. Enfin, cette fois-ci, Vlase s’abstiendra de rentrer, il a hurlé pour les prévenir. Cela surprend Aéon et Buntar, mais ils ne se posent pas plus de questions.

 

Le lendemain, comme prévu, Fafnir vient chez le bicolore pour embarquer Aéon. La créature se penche pour aider la dorée à monter sur son dos, puis se redresse alors qu’elle le remercie pour sa délicatesse. Arrivée devant la clinique, elle descend du drake, mais n’ose pas rentrer et préfère attendre le garçon devant la porte d’entrée. Il ne faut pas longtemps pour qu’Ulrick sorte et la fasse venir à l’intérieur. Elle le salue tout en lui souriant et il la guide jusqu’à la pièce de repos.

 

— Aziel a un peu de retard, il va arriver, je te présente Irina, notre secrétaire, et voici Eena.

— Enchantée, répond Aéon en tendant la main vers la femme.

— Pareillement, dit Irina en acceptant sa poignée de main, le visage jovial.

— Tu viens de loin ? Tu es bourlingueuse, si j’ai bien compris ?

— Je suis Finlandaise et, oui, je voyage un peu partout dans le monde.

— Tes parents n’en sont pas inquiets ? Tu ne vas pas à l’école ?

 

Aéon se crispe sur le coup, elle y a été, mais plus depuis sa transformation, puisqu’elle n’était plus parvenue à reprendre sa forme humaine.

 

— C’est que, je n’ai jamais été très à l’aise avec la foule et je suis orpheline, explique la dorée.

— Désolée de l’apprendre… Tu n’as pas une personne de ta famille qui s’inquiète pour toi ?

— Je n’avais que mes parents et ma petite sœur, répond Aéon.

— Comme Aziel…. Enfin, tu sembles plus sociable que lui, dit Irina en souriant.

— Aziel est bourru, mais pas méchant.

— Un grognon et une tête de mule ! réplique Ulrick en riant.

 

Aziel vient de rentrer dans la pièce, il dévisage Ulrick en montant la main à son visage en imitant un bec de canard avec ses doigts tout en paraissant protester. Les jeunes saluent les adultes et les voici qui retournent à l’extérieur.

Aziel fait la courte échelle à la jeune pour l’aider à monter sur le dos de Fafnir et ils se rendent au point de collecte qui se trouve dans les hauteurs du village. Les packs se font à la ferme maraichère qui s’étend sur toute la partie supérieure de la vallée. Aziel se pose et attrape la jeune, qui le suit à l’intérieur du bâtiment. Il y a plusieurs drakes devant l’établissement, qui discutent avec Fafnir et Silva.

Le duo s’avance jusqu’au comptoir où le vendeur vient de poser la caisse tout en dévisageant Aziel et Aéon, surpris qu’il soit accompagné.

 

— Nicolae, saurais-tu modifier le pack ? Elle passe l’hiver avec moi.

— Jusqu’à quand ? demande sobrement l’homme d’âge mûr.

— Fin janvier, on s’en va en février, répond Aziel.

— Tu quittes Ecolyne ?

— Je l’accompagne pour la bonne saison.

— Il y a moins de fruits cette année, nous avons eu un souci avec l’une des serres. Nous avons un nouveau livre de recettes, il est dans la boîte.

— Je regarderai ça en rentrant, merci, Nicolae.

 

Aéon salue l’homme et ils reviennent vers le drake pour se diriger cette fois au point poste du village.

 

— Ça a l’air d’aller avec Nicolae.

— Ouais, c’était un ami proche de mes parents et je lui rends souvent service.

— Tu vois, il n’y a pas qu’Ulrick qui t’apprécie ! Je suis sûre que si tu étais plus souriant et moins mordant avec les gens quand tu parles, cela se passerait mieux, déclare la dorée.

— Ça ne changerait rien. Je suis un cryptide, rétorque Aziel.

— Ils ne le sont pas avec moi et ne me disent pas qu’ils me prennent pour une humaine, je suis certaine qu’ils se doutent.

— Méfie-toi tout de même, Aéon…

 

Ils descendent pour aller à la réception, où le garçon demande s’il a reçu un colis. La femme vérifie, lui confirme, puis s’absente pour aller le chercher dans l’arrière-boutique. Elle revient avec la boîte qu’Aziel récupère avec impatience.

La divalis a les paroles d’Aziel qui lui tournent en tête. Voilà deux semaines qu’ils ont convenu de passer l’hiver avec lui. En revanche, il n’était pas revenu sur le fait de rester avec la meute par la suite, ce qui ravit la divalis plus qu’elle ne voudrait l’admettre.

Pour le retour, Aziel a coincé les boîtes dans la double crête de Fafnir. Aéon s’est mise, cette fois-ci, derrière le divalis, les bras croisés sur son ventre pour ne pas tomber. Aziel se penche un peu en arrière alors qu’elle rigole en se blottissant, la tête contre son dos.

 

— Ça va ?

— Tes cheveux viennent sur mon visage avec le vent, dit-elle en riant.

— Pardon ! Je n’y ai pas pensé !

 

Aéon continue à rire, elle repousse un peu sa chevelure et reste blottie dans son dos. Il traverse le village à une allure modérée pour éviter de foncer dans un passant, mais il a le cœur qui va à cent à l’heure. La divalis n’était pas attentive à ses phéromones ou même son rythme cardiaque, ce n’est plus vraiment le cas à présent. Elle ignore si cela fonctionne réellement, mais elle tente de penser à autre chose pour éviter qu’il ne capte qu’elle n’est pas indifférente face à lui.

La dorée l’ignore, mais Aziel est plus sensible de ce côté… Ils peuvent ralentir les battements de leur cœur avec de la concentration, ils peuvent aussi inhiber, voire diminuer la diffusion hormonale. Ils le font par automatisme lorsqu’ils traquent une proie. Là, ils sont directement en action, se calmer devient alors plus compliqué.

Ils remontent le chemin de terre qui mène jusqu’à la demeure du bicolore, qui, une fois devant l’écurie, pose le pied à terre, décharge les caisses et tend le bras vers Aéon. Elle s’en sert d’appui pour retrouver le sol… Du moins, avant que Fafnir, d’humeur taquine, ne lui donne un coup d’épaule qui la projette sur Aziel, qui la rattrape de justesse. Le divalis jure intérieurement alors qu’il dépose la dorée, fusillant du regard le drake qui imite un rire.

Ses os ne sont plus cassés, mais il n’est pas encore totalement remis. Aéon se penche pour attraper l’une des caisses, Aziel la poussant sans délicatesse de son pied pour lui donner le colis qui contient les prothèses bien moins lourdes.

 

— Ça va, je ne suis pas en sucre.

— N’oublie pas que tu n’as pas une vraie prothèse, si tu portes trop de poids, tu risques de te faire mal.

— Bien, chef !

 

Ils rentrent, Aziel va poser le colis dans la cuisine, puis il revient vers Aéon en lui indiquant qu’elle peut poser la boîte sur la table basse. Curieux, Abysse, Buntar et Dagan viennent voir ce qu’Aziel sort de l’emballage. Celle pour sa forme animale ressemble à un genre de ressort avec une partie qui s’emboîte sur son tibia. L’autre est un mix entre une prothèse de pied et une orthèse, un peu comme si elle portait une chaussure de ski.

 

— Désolé, j’ai pris la version standard par rapport à ta pointure de chaussures, c’est peu esthétique.

— Je ne vais pas me plaindre sur l’esthétisme d’une chose qui va me permettre de marcher normalement, répond Aéon en lui souriant.

— Tu vas pouvoir revenir courir avec nous dans la montagne, maman ? demande Abysse.

— Et aller voir ce que mon père a trouvé d’intéressant pour ne pas rentrer, réplique Buntar, ironique.

— Je devrais pouvoir y arriver, répond Aéon en remontant les yeux vers Aziel, qui lui ajuste la prothèse.

— Il te faudra un temps d’adaptation… Je vais t’en faire une plus sophistiquée pour ta forme animale, dit Aziel.

 

Aéon rougit alors qu’elle se penche sur lui pour le serrer dans ses bras, surprenant tout de même le garçon qui ne comprend pas pourquoi il reçoit un câlin. Aéon ignore comment réagir autrement. Dire à Aziel qu’il n’est pas obligé est inutile, elle sait qu’il va le faire. En plus, elle servirait de test pour celles qu’il fera par la suite pour les drakes, et un simple merci lui semble tellement dérisoire… Elle lui rend son espace, le bicolore, ayant tourné au rouge, se racle la gorge et se relève, demandant à la jeune d’en faire de même pour voir comment elle s’en sort avec son nouveau système de locomotion.

Aéon se hisse sur ses jambes, l’appui n’est pas le même qu’avec la prothèse temporaire, au moins, elle n’a plus l’impression qu’elle pourrait la perdre avec un faux mouvement. Son cerveau va devoir s’y habituer, elle marche un peu tout en tenant Aziel par les poignets.

 

— Ça va ?

— C’est un peu différent.

— Le pied est fait en résine rigide, tu vas gagner une souplesse que tu n’avais pas avec mon système, répond simplement Aziel.

 

Il la lâche en douceur et regarde Aéon, suivie d’Abysse, qui lui tourne autour en sautillant de joie, marcher avec plus d’assurance.

Dagan tourne les yeux vers Aziel avec une certaine frustration. Ce dernier sent la tension du rouge. Discrètement, il porte les yeux sur lui. Comme il s’est à nouveau fait mal, le bicolore suppose qu’il ne tentera rien. Aziel est conscient que celui-ci développe, jour après jour, une jalousie qui pourrait bien le faire retomber dans ses vices. Le bicolore rejoint cette fois la cuisine dans laquelle il ouvre et sort les aliments pour les jours à venir. Aéon le rejoint pour lui donner un coup de main. Elle a un déplacement un peu rigide, puisqu’elle n’est pas encore habituée à la prothèse et qu’elle a peur de la casser.

Aziel relève les yeux à son approche tandis qu’il regarde les différents paquetages qu’il sort de la caisse en bois.

 

— C’est drôle comme ils ont rangé le tout, dit Aéon.

— Pour avoir plus facile, des recettes sont proposées pour aider les rations.

— Et si tu veux te faire quelque chose qui n’est pas dans les recettes ?

— Tu peux commander à la pièce, les fruits, les yaourts, les boissons ou les œufs. Je vais te montrer puisque tu manges avec moi, autant faire des choses que tu aimes.

 

Aziel range les légumes, la viande, les boissons et revient vers le salon avec des yaourts tout en donnant une petite cuillère à Aéon. Celle-ci le dévisage alors que le bicolore ouvre les pots qu’ils proposent à tous. Abysse ne se fait pas prier, Buntar et Dagan sont sceptiques face à l’odeur âcre. Le divalis allume l’ordinateur tout en jouant avec la cuillère qu’il garde en bouche. Il dévisage Aéon qui ne mange pas.

 

— Tu n’aimes pas ?

— Je m’en suis passée jusqu’à maintenant, c’est à toi, dit-elle, gênée.

— Si cela me dérangeait, je ne vous en proposerais pas. J’ai surtout peur qu’ils ne le digèrent pas. Vlase n’est toujours pas revenu, vous avez chassé ? demande le bicolore aux jeunes.

— Je n’ai pas spécialement faim et Abysse à attraper une multitude de rats et va sûrement continuer à le faire, plaisante Buntar.

— Et toi ? s’adresse-t-il à Dagan.

— J’irai m’attraper un truc quand j’aurai vraiment faim.

 

Aziel revient sur l’écran de son appareil et incite Aéon à manger son yaourt. Elle a la sale impression de parasiter Aziel. Les commandes se font sur le site de la ferme, Aziel demande à la dorée ce qu’elle aime, mais celle-ci préfère ne pas faire sa difficile.

Ne parvenant pas à finir son pot, elle se met alors à trembler, les larmes coulant le long de ses joues. Alarmé, Aziel se tourne sur elle, penaud, et pose sa main sur son épaule tout en se penchant sur elle.

 

— Aéon, ça ne va pas ?

— J’aimerais t’aider et pas simplement profiter de toi, dit-elle en sanglots.

— Il ne faut pas te mettre dans de pareil état ! Si tu as envie de m’aider, j’ai une idée pour toi, répond Aziel en lui souriant.

 

Elle le regarde dans les yeux, attendant qu’il s’explique.

 

— Nous allons avoir de plus en plus de touristes. Comme je travaille à la clinique, je ne propose plus de promenades avec Fafnir, mais toi, tu pourrais le faire, dit Aziel.

— Il acceptera ?

— Fafnir n’est pas un râleur comme moi, plaisante le divalis.

— Je veux bien faire ça.

— Je te montrerai tout à l’heure comment le harnacher, pour ce qui est du tour, tu le laisses faire, mais tu ne seras pas seule, c’est ce qui m’inquiète le plus, déclare Aziel.

— Comment je sais si tu as un client ?

— Il y a une zone prévue pour l’embarquement et le dépôt des gens sur la place. Je le ferai avec toi le premier jour, de toute manière.

 

Abysse apporte les pots à Aziel pour lui montrer qu’elle aussi l’aide comme sa maman. Il la caresse pour la remercier, et la petite les accompagne jusque dans l’écurie où Silva vient directement la humer. La créature apprécie la bleue, quand ils partent en vadrouille, les drakes les accompagnent également dans la montagne. Fafnir se baisse et donne sa tête pour laisser Aziel placer une partie du harnais sur l’avant de l’épaule du drake, une sur le dos et une autre sur la croupe.

 

— La bricole sert à la traction, il faut bien vérifier qu’elle soit sur le milieu de son poitrail. Pour ne pas te tromper de sens, la partie qui se pose sur l’avant de l’épaule a le cuir renforcé. Si tu te trompes, ses écailles vont limer et casser la lanière.

 

Aziel sort de l’écurie et, d’un mouvement de tête, invite les filles à l’accompagner, Fafnir et Silva suivant d’office. Il se dirige vers le côté de l’écurie et enlève la bâche qui couvre sa charrette à quatre roues pouvant accueillir jusqu’à six personnes.

— Elle est trop belle ! déclare Aéon.

— C’est mon père qui l’a remise à neuf, elle ne ressemblait à rien.

 

Fafnir se place de lui-même à reculons dans les brancards, maintenus en l’air avec des cales en bois. Aziel se place sur son flanc pour montrer comment le sangler à la dorée.

 

— Ici, tu as la sellette, les brancards sont à la bonne hauteur, il suffit de les passer dans les bracelets qui se relient sous la double sangle qui passe sous son ventre. L’avaloir, c’est un peu plus compliqué, tu as les lanières de culeron qui se placent sur le brancard. Regarde, il y a un cran pour les maintenir en place. Tu as les lanières de reculement qui se placent simplement sur les brancards et tu attaches le trait qui relie la bricole à la charrette. Je te laisse faire l’autre flanc ?

 

Elle lève son pouce et se dirige de l’autre côté en réfléchissant à tout ce qu’il vient de lui montrer. Aziel la rejoint pour s’assurer qu’elle le fasse bien.

 

— C’est parfait ! On va faire un tour ?

— Tu ne veux pas travailler sur ton projet ? dit Aéon, ennuyée.

— Il peut attendre, venez, dit-il en montant à l’avant.

Aéon le rejoint et Abysse monte sur le plancher de la charrette et se met debout sur la plaque qui vient juste devant les sièges.

 

Fafnir n’a pas de bride pour le guider cette fois, puisqu’il est moins nerveux, et donc plus raisonnable. La charrette est assez large pour avoir deux personnes assises côte à côte. Aéon garde les yeux sur Abysse de crainte qu’elle ne parte en arrière. La bleue est amusée et Silva reste à sa hauteur pour garder un œil sur elle. Aziel les observe en souriant, la drake lui paraît plus vivante depuis qu’Abysse est là, elle le laisse même l’approcher et la toucher.

 

— Eh, Abysse, tu n’as pas envie de devenir humaine comme nous ? demande Aziel.

— Tu penses que je peux le faire ? Cela serait amusant de vivre comme maman et toi, répond la bleue.

 

Aéon regarde Aziel, surprise qu’il le lui propose. Si elle se transforme, elle aura besoin de vêtements, elle aussi.

 

— Si nous adaptons nos apparences en fonction de ce que nous faisons, alors il va tout de même falloir que l’on chasse, puisque Vlase et Buntar sont carnivores, contrairement à nous et Abysse, dit Aéon.

— Oui et de ce côté je viendrai vous aider, cela me permettra d’apprendre à vivre aussi un peu comme vous pour me préparer, quand je vous suivrai en été, dit Aziel en dévisageant la dorée.

— C’est vrai, tu viens avec nous ? Trop chouette, ça me fait un papa en plus ! exprime Abysse en riant.

 

Aziel et Aéon regardent la bleue, interloqués autant que gênés.

 

— Un papa en plus ? demande Aéon en souriant.

— Oui, Vlase parce qu’il nous a tout appris et Aziel parce qu’il fait comme si tu étais sa femelle, mais peut-être que tu ne veux pas être mon papa ? dit Abysse en se tournant sur lui.

 

Aziel cligne des yeux, puis souffle du nez en se grattant la tête. Il baisse ses prunelles violettes sur Aéon, qui le regarde avec malaise.

 

— Si ça te fait plaisir, ça ne me dérange pas, répond Aziel en souriant, pour une fois, avec douceur.

 

Abysse est heureuse et sa queue s’agite de joie. À nouveau, Aziel se tourne sur Aéon qui a le regard bas. Il aimerait faire un pas vers la dorée, mais il sent qu’elle stresse. Alors, il inspire un bon coup pour calmer la hâte de son cœur et se concentre sur les arbres dénudés de la forêt tandis qu’ils reviennent vers la maison.

Abysse n’a pas pris son manteau, elle grelotte et, de ce fait, vient se mettre entre Aziel et Aéon pour chercher un peu de chaleur.

Le divalis enlève sa veste et enveloppe la coïste en la prenant contre lui pour lui tenir chaud alors que la petite hisse sa tête sous son menton. Aéon se rapproche d’Aziel pour venir frotter la bleue, espérant la réchauffer. Encore une fois, le bicolore dévisage Aéon, puis se concentre sur le paysage alors qu’il vient furtivement glisser ses doigts sur les siens.

Aéon ressent les palpitations du cœur d’Aziel… Elle reprend un peu de distance, trouvant cette approche bien trop différente que les câlins que peuvent lui faire Abysse, Vlase et Buntar…

Ils sont de retour à l’écurie, Abysse s’empresse de rentrer pour se mettre au chaud tandis qu’Aéon aide Aziel à débarrasser le drake de son harnais. Elle lui tend les affaires au fur et à mesure qu’il les accroche au mur. Le jeune l’observe, mine de rien, alors qu’elle reste silencieuse et mal à l’aise.

 

— Pardon pour tout à l’heure…

— Ce n’est rien… Tu sais que je ne peux pas m’imprégner, répond la dorée à mi-voix.

— Je m’en fiche de ça, répond doucement Aziel.

— Que pourrais-je t’apporter d’autre si ce n’est pas l’esprit de ruche ou une descendance ? demande Aéon, confuse.

 

Aziel en ferme la bouche, ne sachant quoi lui répondre sur l’instant. Il détourne les yeux, ne parvenant pas à trouver ses mots…

 

— Ta… présence, dit-il, maladroit.

— Ce n’est pas déjà le cas ? dit Aéon en le regardant dans les yeux.

— Oublie ça, c’était idiot de ma part, réplique Aziel en se pressant de rentrer chez lui.

 

Aéon reste béate, puis grimace tout en s’attrapant le bras. Elle relève les yeux vers la neige qui recommence à tomber et soupire.


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