Tome 1 - La Guilde des Élus

Chapitre 2 : L'Ermite

4604 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/08/2022 00:46

1.2 - L’Ermite


Suite à la fin des prestations du spectacle principal, Shaina et Brogar demeurèrent près de la scène afin de profiter des récits du barde qui avait animé le spectacle dont ils avaient fait partie. Ils prirent place à proximité dudit barde qui les salua avec un sourire pendant que les villageois intéressés se rassemblaient près de lui. Il regarda autour de lui et s’assura que tout le monde étant installé avant de prendre la parole : « Je vous remercie pour cet accueil chaleureux en cette soirée de réjouissances. Je tiens à remercier, par ailleurs, les artistes et artisans qui ont pris part de près ou de loin au spectacle qui vient de nous être offert. J’ai été humblement ému d’être invité à animer cette soirée spéciale et, maintenant, j’espère vous divertir et vous faire rêver à travers mes contes et légendes venues de nos ancêtres et des héros qui ont marqué notre histoire!


[La foule applaudit pour démontrer son intérêt et devint ensuite silencieuse pour laisser tout l’espace vocal au barde.]


-Je vous propose de commencer par une légende qui m’a été racontée par mon grand-père, qu’il a lui-même entendue à maintes reprises de la bouche de son grand-père. L’origine de cette légende est nébuleuse et remonte à de nombreuses années, suffisamment nombreuses que le grand-père de mon grand-père lui-même n’était pas en mesure d’en retracer les origines précises. Cette légende, entre vous et moi, est l’une de mes préférées et vous pouvez me croire, je connais autant d’histoire qu’il y a de personnes présentement devant moi… L’histoire qui nous intéresse s’est déroulée pendant une période sombre de notre histoire, beaucoup plus sombre que les nuits noires que nous connaissons aujourd’hui… beaucoup plus sombre que la plus sombre des nuits sans lune. Tout débuta dans un petit village isolé du reste du royaume, au sein d’une forêt dense, calme et majestueuse. Au cœur de cette merveille de la nature, un grand clan elfique vivait paisiblement, entretenant des relations amicales et pacifiques avec le reste du monde. Les sages de ce clan étaient reconnus pour leur pratique respectée de l’artisanat runique capable de guérir maladies et malédictions par l’enchantement d’objets de protection. Certains d’entre eux, surnommés « les anciens », maîtrisaient également certaines incantations et autres rituels de communion avec la nature afin d’attirer la clémence de Mère Nature et de ses créatures nobles et sauvages. Les plus anciens des sages, pour leur part, transmettaient lentement mais sûrement leur savoir à leurs descendants afin de perpétrer la tradition elfique de vie en communion pacifique avec la nature. Du fait de leur mode de vie paisible, ce peuple s’était volontairement isolé pour conserver son identité, mais était malgré cela vénéré et respecté de ses voisins avec qui il échangeait à l’occasion... Nouvellement arrivé à la tête de l’un des plus imposants royaumes de notre monde, l’empereur… Quel était son nom déjà? L’un d’entre vous aurait-il un nom à suggérer afin que nous puissions nommer cet empereur dont le nom m’échappe mystérieusement?


-Grotesque! lança immédiatement un spectateur d’une voix amusée.


[Quelques rires amusés se firent entendre parmi les spectateurs.]


-L’empereur Grotesque venait d’arriver à la tête de l’un des plus imposants royaumes de notre monde, reprit le barde d’une voix sérieuse. Plusieurs rumeurs circulaient selon lesquelles il serait parvenu à ses fins par des méthodes douteuses tandis que d’autres rumeurs soutenaient plutôt qu’il s’agissait d’un acte de génie de sa part pendant une période d’incertitude qui planait sur le royaume. Quoi qu’il en soit, les royaumes voisins eurent tôt fait de se retrouver devant un problème de taille suite à l’arrivée au pouvoir de l’empereur Grotesque. Celui-ci, en faisant appel à des ruses malhonnêtes ainsi qu’à des stratagèmes douteux, avait corrompu le cœur et l’âme de l’un des dirigeants du royaume voisin… et menaçait d’en faire de même avec ses autres voisins si ceux-ci ne se pliaient pas à sa volonté et ne respectaient pas son autorité. Il va sans dire que, malheureusement, la paix qui avait régné entre tous les royaumes pendant plusieurs siècles se volatilisa dans les mois qui suivirent. Chacun des royaumes tenta d’établir sa propre stratégie pour faire face à cette menace aussi soudaine qu’imminente. Les royaumes de l’ouest, géographiquement près de celui de l’empereur Grotesque, se joignirent à la cause de ce dernier et ceux qui résistaient à la pression finirent par se soumettre devant l’imposante puissance de l’ennemi. Dans l’est, les armées se mobilisaient et se préparaient pour l’inévitable affrontement avec l’ouest tandis que, pour sa part, l’imposant royaume du centre tentait de demeurer pacifique et d’être négociateur entre les deux factions.


-Est-ce la célèbre guerre de la Noirceur? demanda l’un des villageois.


-Exactement, confirma le barde. Le véritable nom de l’empereur Grotesque est tombé dans l’oubli, de peur de s’attirer ses foudres encore aujourd’hui, mais son histoire est célèbre. Il a laissé de nombreuses leçons derrière lui, et cette légende fait partie de cet héritage qui nous a été laissé par nos prédécesseurs.


-Mais qu’en est-il du clan des elfes vivant dans la forêt? demanda Brogar.


-Ah, ce clan des elfes, reprit le barde avec le sourire. Le chef de ce clan, malgré son âge avancé, avait une connexion presque divine avec la nature et ses créatures qu’il avait entretenue et nourrie depuis son plus jeune âge. Il pouvait ressentir l’énergie des plantes, communiquer avec les animaux comme s’ils étaient membres de son peuple et même influencer certains phénomènes naturels sur un périmètre relativement restreint autour de son village. Ainsi, son peuple n’avait jamais manqué d’eau ou de nourriture, et ce, même lors de périodes difficiles. Le mal qui s’emparait du monde, et qui cherchait également à corrompre la nature elle-même, le rendit malade au point de lui faire perdre la tête. Il perdit lentement mais sûrement tout sens commun, se désintéressa de tout et s’isola lentement. Peu après, le clan de la forêt se retrouva mêlé au conflit qui s’était étendu de plus en plus loin dans les terres et… Auriez-vous un nom d’elfe pour nous aider à poursuivre notre histoire?


-Valindra, avança Shaina après un moment de silence.


-Excellent, poursuivit le barde. Lorsque le conflit atteignit les abords de la forêt des elfes, ces derniers se virent forcés à prendre part directement dans le conflit. Leur intérêt n’était aucunement en ce sens, mais protéger leurs terres sacrées était un devoir transmis de génération en génération. L’affrontement éclata et, devant l’avancée du mal sur ces terres sacrées, la situation devint désespérée. La nature perdit brusquement sa vigueur et son éclat, les animaux demeuraient tapis dans leurs cachettes; la vie sauvage souffrait grandement de ce mal qui avançait rapidement… Un matin, sans explication, tout était redevenu normal. Les membres du clan de la forêt remarquèrent cependant que deux des leurs étaient disparus mystérieusement au cours de la nuit précédente. L’un des deux elfes manquants était le chef du village, que plusieurs croyaient devenu fou, et dont le départ était perçu par les membres du clan comme étant attribuable à sa folie. Ce dernier n’avait laissé aucun message, aucun indice concernant sa destination; il était simplement disparu. L’identité de l’autre elfe était Valindra, tout juste devenue adulte quelques jours auparavant. Elle avait démontré des qualités très similaires à celles du chef de son clan, la même énergie mystique et la même connexion avec la nature ainsi qu’une ambition à la grandeur de celle avec qui elle était souvent comparée. Certains voyaient en elle une future sage au sein du clan, une dirigeante digne et fière qui pourrait éventuellement devenir chef, et selon les dires des sages de la forêt, peut-être même davantage.


-Que lui est-il arrivé? s’enquit un spectateur.


-C’est une excellente question, débuta le barde d’une voix songeuse en prenant une petite pause. Nous y reviendrons dans un instant. Quelques jours après le retour de la paix dans la forêt, le chef du clan retourna auprès de son village, utilisant ses dernières forces pour rejoindre les siens et pour terminer ses jours sur ses terres sacrées, entouré des membres de sa grande famille. Il fut évidemment questionné longuement malgré que ses forces s’épuisaient lentement, mais rapidement il ne fut plus en mesure de répondre aux interrogations et autres demandes qui lui étaient adressées. Il respirait lentement, paisiblement, visiblement réconforté par la présence de son clan. Les seuls mots qu’il prononça avant de s’endormir pour l’éternité furent : « Valindra nous a sauvés, honorez-la pour l’éternité ». Suite à ces quelques mots prononcés dans son dernier souffle, il s’endormit, guéri de sa folie, dans un sommeil paisible et éternel qu’il avait bien mérité.


[Un moment de silence émotif plana sur la foule qui était visiblement émue.]


-En ce qui concerne Valindra, les légendes racontent qu’elle aurait affronté l’empereur Grotesque en duel, dans la forteresse de celui-ci, au cours de cette même nuit où elle a quitté son clan. Aucune piste n’a été retrouvée concernant la manière dont elle s’est déplacée ni l’emplacement exact de l’affrontement héroïque. Aucun témoin en mesure d’apporter la moindre information à ce sujet n’a été identifié, ni aucune trace découverte permettant de comprendre ce qui s’est réellement produit. Certains avancent que la jeune elfe magicienne se serait sacrifiée pour sauver son peuple, pour sauver le monde. D’autres croient plutôt qu’il y a davantage que cela dans son histoire et qu’elle serait disparue suite à son acte héroïque. Est-ce en raison de blessures? Est-ce pour récupérer ses forces? Est-ce parce que son acte héroïque l’a maudite et corrompue et qu’elle a préféré disparaître à tout jamais plutôt que de risquer de succomber à sa malédiction? Personne n’est en mesure de répondre à toutes ces questions, mais son nom résonne encore parmi plusieurs clans d’elfes qui l’honorent encore aujourd’hui et pour l’éternité.


-Ce clan des elfes de la forêt existe-t-il encore? s’enquit un spectateur.


-Il n’y a aucune certitude à ce sujet, affirma le barde. Toutefois, la présence de nombreux elfes vouant toujours un culte à Valindra suggère fortement que, si le clan lui-même peut s’être éteint, leurs traditions demeurent encore bien vivantes dans notre monde actuel. En ce qui concerne la forêt d’où proviendrait Valindra, je ne suis pas en mesure de vous en apprendre davantage. Les quelques bribes d’informations disponibles à ce sujet indiquent toutes que cette forêt a existé, mais aucune d’elles n’apporte de réponse directe à cette question. Vous trouverez très certainement des elfes dans la forêt, c’est une évidence, mais aucune indication concernant la forêt dont il est question dans notre histoire.»


Le récit se poursuivit pendant quelques minutes encore avant qu’une seconde histoire ne soit racontée à la foule attentive. Shaina et Brogar, qui commençaient à ressentir la fatigue suite au défilé de la pléiade d’artistes s’étant produits quelques minutes auparavant, décidèrent de retourner vers le village afin de s’y reposer. Ils suivirent le sentier calme menant à la scène et arrivèrent peu après à destination où ils rencontrèrent le maire du village qui les félicita pour leur performance. Le petit groupe discuta pendant quelques minutes et, peu après, se sépara pour profiter de la nuit qui avait déjà commencé à défiler. Dès qu’elle fut entrée chez elle, Shaina plongea sous les couvertures avant de s’enrouler dans celles-ci en pensant au plaisir qu’elle avait eu au cours de cette soirée de festivités et s’endormit aussitôt qu’elle ferma les yeux, épuisée par efforts soutenus fournis au cours des derniers jours.


Lorsqu’elle ouvrit les yeux le lendemain matin, ou plutôt midi, le soleil avait déjà atteint son altitude maximale et rayonnait chaleureusement sur le village de Kilda qui poursuivait ses célébrations. La jeune femme sortit rapidement de chez elle, animée d’une énergie nouvelle, et alla prendre part aux festivités… et en moins de temps qu’il n’en fallait pour écrire ces mots, le festival du printemps prenait fin, le maire offrait son discours de remerciement, et l’événement festif était devenu un excellent souvenir.


[Shaina se trouvait sur un petit sentier de terre au cœur d’une dense forêt habitée par un calme et une tranquillité presque divine. Autour d’elle, de grands arbres centenaires se dressaient fièrement, étirant leurs longs bras vers le ciel afin de capter les rayons bienfaiteurs du soleil avec leurs doigts qui s’agitaient doucement dans la faible brise. La jeune femme regarda autour d’elle afin de trouver un point de repère, mais elle ne parvint pas à se localiser. Autour d’elle, les oiseaux chantaient paisiblement, aucunement inquiets de sa présence en ces lieux pacifiques. Elle fit quelques pas, scrutant plus attentivement les alentours à la recherche d’un quelconque indice pouvant l’aider à savoir où elle se trouvait. Après quelques minutes de marche vers ce qui semblait au loin être un petit village, ou du moins un lieu habité, une petite forme humanoïde traversa le sentier en volant rapidement. Shaina profita d’un court arrêt de la créature afin de l’examiner et conclut qu’il devait s’agir d’une fée. Celle-ci salua brièvement la randonneuse et entreprit de lui dire quelques mots dans sa langue maternelle.]


Le soleil du matin salua timidement les paupières de Shaina qui demeura endormie pendant quelques instants encore avant de quitter le monde des rêves malgré elle. Elle se tourna sur le côté opposé pour tenter d’échapper à cette torture matinale et essaya de s’endormir à nouveau. Elle somnola quelques minutes sans toutefois atteindre son objectif et décida de se lever, intriguée par ce nouveau rêve qu’elle avait eu au cours de la nuit. Elle repassa les quelques bribes d’informations qui lui avaient été présentées pendant son sommeil en cherchant à les rattacher à quelque chose qu’elle connaissait, mais finit par conclure qu’il s’agissait probablement d’un dérivé du conte auquel elle avait assisté suite à sa représentation pendant le festival. Ce qui semblait être un village au loin pourrait être celui du clan des elfes de la forêt et, de manière un peu similaire, une fée pouvait vivre dans une forêt paisible comme celle où elle se trouvait. La coexistence des elfes de la forée et des fées était une idée fort plausible après tout. Elle se confirma ces quelques hypothèses et s’étira paresseusement en se frottant les yeux. Elle se leva lentement, les yeux encore mi-clos, et se rendit à la cuisine pour préparer son premier repas de la journée. Une fois cette première activité quotidienne complétée, elle s’habilla et se dirigea vers la demeure du maire afin de s’entretenir avec lui.


Quelques instants plus tard, la jeune femme était en compagnie du maire du village ainsi que de Brogar qui venait de terminer un petit accessoire artisanal qui lui avait été demandé par le maire. L’histoire racontée par le barde suite au spectacle inaugural du festival ainsi que le rêve fraîchement terminé par Shaina fit ensuite surface dans la conversation et, avec un sourire complice, le maire leur suggéra de rendre visite à l’Ermite, un vieil homme vivant légèrement en retrait du village, afin de discuter avec lui de ces sujets. Ce personnage, relativement peu connu par les habitants du village, avait en quelque sorte la réputation d’être sage et d’être une incroyable source de savoir. Selon les dires du maire, si une personne était en mesure d’apporter des réponses à leurs questions, l’Ermite était tout désigné. Sans tarder, et après avoir remercié leur ami pour ce conseil, Shaina et Brogar prirent la direction de la demeure de l’Ermite.


Lorsqu’ils arrivèrent à destination, après un peu plus de deux heures de marche à bonne vitesse, les deux amis se retrouvèrent devant une vieille cabane en bois qui semblait abandonnée. La nature avait fait de cette demeure la sienne en y déposant amicalement végétation et nids d’oiseaux. L’espace habituellement réservé aux fenêtres était presque entièrement meublé par les branches de plantes grimpantes dont les feuilles étaient vives et colorées malgré l’arrivée toute récente du printemps et après la longue hibernation de la nature. À leurs yeux, les plantes semblaient ne jamais s’être endormies et avoir poursuivi leurs pleines activités malgré les rigueurs de l’hiver. Le toit de la demeure, pour sa part, était couvert de feuilles déposées lors de l’automne précédent et semblait sur le point de s’effondrer sous le poids et l’influence du temps et des saisons qui avaient passé. Dans l’un des coins extérieurs adjacents au toit se trouvait un nid d’oiseaux duquel on pouvait entendre piailler quelques oisillons probablement encore très jeunes et qui demandaient la présence de leurs parents. Les deux amis se regardèrent mutuellement, étonnés du spectacle qui s’offrait à eux et se demandant comme ils avaient pu ne jamais remarquer cette demeure malgré qu’ils avaient passé toute leur vie au village. Peut-être avaient-ils simplement classifié cette information comme anodine… Ils approchèrent lentement de la porte, ou du moins de ce qui était la porte et qui était à présent à moitié dissimulé derrière de petits arbustes qui s’étaient installés à cet endroit tels des gardes qui contrôlent l’accès à l’intérieur de la maison. Ils s’immobilisèrent un moment et, tout à coup, entendirent une faible voix les inviter à entrer à l’intérieur. Ils enjambèrent habilement les quelques obstacles sur leur chemin et, une fois entrés, furent accueillis par un vieil homme vêtu d’une longue robe noire délavée. Celui-ci se tenait debout à quelques pas d’eux en prenant appui sur une antique canne de bois et affichait un sourire amical. Son regard était calme et accueillant, et il était possible de deviner son âge avancé tant par les rides évidentes sur sa peau que par les quelques mèches de cheveux blancs qui dépassaient de son bonnet qui cachait entièrement ses oreilles et ses sourcils. Le vieil homme portait ce simple bonnet tellement bas que ses yeux dépassaient tout juste en dessous de ce dernier. Leur hôte prit la parole : « Soyez les bienvenus dans mon humble et modeste demeure, jeunes Shaina et Brogar. Vous me voyez légèrement surpris, mais heureux de votre visite inattendue. Je me suis réveillé il y a peu lorsque les habitants de la nature m’ont prévenu que vous étiez en route pour me rendre visite. Avec cette annonce soudaine, je n’ai pas eu le temps de rendre ma demeure plus présentable, veuillez m’en excuser. J’espère que vous vous sentirez comme chez vous.


-Vous n’avez pas à vous excuser, assura Brogar. Nous sommes honorés de faire votre connaissance.


-Il en est de même pour moi, jeunes habitants de Kilda. Vous pouvez m’appeler l’Ermite. J’habite ici depuis de longues années et, comme vous avez pu le constater, je cohabite pleinement avec la nature. À ce sujet, vous n’avez rien à craindre. Malgré son apparence délabrée, cette demeure a résisté aux épreuves du temps. Que me vaut l’honneur de votre visite ce matin?


-Excusez-nous de vous déranger lors de votre repos, reprit Brogar d’une voix gênée.


-Ces politesses ne sont pas nécessaires, jeunes gens. Il y a longtemps que j’ai eu des visiteurs ici. Vous êtes les bienvenus. J’imagine, si je puis me permettre, que vous êtes à la recherche d’informations. Je ferai de mon mieux pour vous venir en aide. Puis-je vous offrir quelque chose à boire et peut-être une collation? Vous devez être fatigués après votre déplacement depuis le village. »


Devant le silence gêné de ses invités, l’Ermite leur demanda de patienter quelques instants pendant qu’il allait leur chercher des rafraîchissements ainsi qu’une petite collation. Les deux amis prirent place autour de la petite table qui se trouvait devant eux suite au mouvement de leur hôte et échangèrent un regard étonné. Lorsque l’occupant des lieux fut de retour, il leur servit une tasse contenant vraisemblablement une tisane aux herbes, lesquelles semblaient fraîchement cueillies. Shaina et Brogar prirent les tasses et prirent une petite gorgée de leur contenu. Aussitôt, ils sentirent une chaleur revigorante les parcourir comme si une vague de chaleur protectrice les parcourait de l’intérieur. Leur hôte sourit à la vue de leur réaction et leur expliqua qu’il s’agissait d’un petit secret qui lui permet de mieux résister au froid encore présent en ce début de printemps. Il échangea quelques propos avec ses visiteurs et sembla intéressé par leur demande au sujet des elfes et des fées lorsqu’ils lui exposèrent la raison de leur visite. Après avoir entendu le résumé de la légende racontée quelques jours plus tôt par le barde, il reprit la parole : « Cette légende concernant la guerre de la Noirceur est des plus intéressantes, si je peux émettre mon opinion personnelle. Il y a beaucoup de versions qui circulent à ce sujet et il est difficile d’en séparer les faits réels de ceux adaptés pour la légende. Selon mes connaissances personnelles, ce clan des elfes a réellement existé, il y a de nombreuses lunes, il y a de nombreuses générations. Les récits historiques divergent toutefois quant au sort que ce clan a connu suite à cette sombre période. Très peu est réellement connu à leur sujet en général par ailleurs. Ce peuple, pour cette raison, est lui-même digne d’une légende...


-Ce clan existe-t-il encore? s’enquit Shaina.


-Je doute que ce soit le cas, affirma l’Ermite d’une voix légèrement attristée. C’est toujours un peu triste de penser que des clans, des villages ou des civilisations puissent s’être éteints, mais tel est l’ordre des choses, vous savez. Il y a des dires selon lesquels quelques descendants seraient toujours de ce monde, mais il est pratiquement impossible de les retracer parmi la diversité que nous connaissons aujourd’hui. Non seulement leur peuple s’est-il éteint, mais s’il y a des descendants, ils ont probablement fondé des familles avec des partenaires provenant d’autres clans ou même d’autres races… ainsi ils se sont confondus dans la masse et ont perdu leur appartenance initiale à ce clan de la forêt. Je perçois votre déception, jeunes gens, et sachez que je la partage avec vous. Je suis moi-même avide de connaissances et de découvertes malgré mon isolement volontaire ici. Je n'ai plus la force ni l'énergie de voyager comme cela était autrefois le cas, mais j’ai de nombreux amis de la nature qui partagent avec moi leurs découvertes et me rapportent informations et connaissances. Les oiseaux, grands voyageurs de ce monde, sont mes oreilles et mes yeux, au même noble titre que plusieurs autres habitants de la nature.


-Connaissez-vous l’endroit où ce clan était établi? demanda Shaina.


-Je me dois malheureusement de vous répondre par la négative une fois encore, admit l’Ermite. Il y a trop longtemps que ce clan a vécu parmi nous; l’emplacement de leurs terres sacrées est un mystère. Par ailleurs, les elfes d’autres clans vénèrent toujours l’être héroïque qui a terrassé l’empereur sombre de la légende, mais son identité est également floue en raison des nombreuses versions des faits qui coexistent. D’un côté, il y a des versions comme celle que vous avez entendue où une jeune elfe est parvenue à vaincre le mal qui rongeait les royaumes à elle seule. De l’autre, des versions mettant plutôt un elfe masculin, un humain, un nain, ou une autre race dans les souliers du mystérieux héros. D’un autre point de vue encore, l’être de légende aurait surtout été un acteur majeur dans l’affrontement sans toutefois se voir attribuer tout le mérite de la victoire… la tâche colossale aurait été accomplie par un groupe d’individus héroïques. Mon opinion personnelle à ce sujet se rapproche de la version que vous avez entendue, si mon avis peut vous apporter un quelconque éclaircissement.


-Que savez-vous au sujet des fées? poursuivit Shaina avec intérêt après un court silence.


-Rencontrer une fée dans des circonstances semblables à celle de votre rêve n’est pas impossible, mais particulièrement improbable. Il est vrai que les fées se présentent parfois à nous, mais elles choisissent attentivement le moment et l’endroit pour le faire. En voir une est en soi une bénédiction selon les croyances anciennes.


-Se pourrait-il que la fée ait été affolée ou fuyait quelque chose? demanda Brogar.


-Je ne crois pas que cela soit le cas dans ce rêve. Elle s’est arrêtée pour vous adresser la parole en demeurant à découvert sur la route, à la vue de son potentiel poursuivant… Je crois que quelqu’un approche, dit soudainement l’Ermite en gardant le regard fixé sur la fenêtre complètement recouverte de végétation. Je crois que vous avez un visiteur, jeunes gens. »


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