La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié

Chapitre 2 : L'appel

5947 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/01/2025 12:44

Chapitre 2: L'appel






« Viens à moi. » Dit une voix lointaine et profonde, se répercutant tel un écho. Warda se réveilla en sursaut, son corps entier était trempé de sueur. Son cœur battait tel un tambour entre ses côtes, son souffle court. L'affolement ne dura pas très longtemps, le silence régnait dans la pièce. Il regarda tout autour de lui, le calme absolu. Il regarda ensuite vers la direction du lit secondaire où était blottie une forme affinée sous les couvertures en soie. Il se leva et s'approcha de la dite forme. Une femme splendide aux cheveux noirs bouclés dormait d'un sommeil profond et paisible. Depuis deux ans, depuis l'épisode de cette guerre des montagnes de Léondia, Taläsna se montra plus tolérant envers leur relation. Lindilla avait reçu la permission d'aller voir Warda à condition de ne pas se faire remarquer, et en échange, les gardes avaient pour consigne de détourner le regard du visage de la sœur du roi. Mais ils ne pouvaient dépasser un certain stade relationnel, tel était leur unique contrainte: jamais ils ne devaient se toucher. La jeune elfe était de sang royal, elle était déjà destinée à épouser un prince puissant. Warda ignorait qui, Taläsna n'avait donné guère plus de détail lors de cette discussion, regrettant d'avoir déjà trop dit. Tout ce qu'il lui répondit lorsque l'elfe noir demanda pourquoi cette règle de l'interdiction de toucher fut: « Elle doit rester pure. ». Warda accepta les conditions imposées par le roi elfe, tant pis s' ils ne pouvaient se toucher, la présence de Lindilla à ses côtés lui suffisait amplement. « Viens à moi. » dit de nouveau la sinistre et lointaine voix dans sa tête. Il tenta de la faire partir en l'ignorant, mais elle revenait encore et encore. Mais ce qui suivit fut bien plus inquiétant, car la voix commença à disparaître pour laisser place à un chant triste et mélancolique dans une langue inconnue. Il retourna à son lit et enfila son pantalon vert sombre, ses bottes métalliques, sa cotte de maille, son plastron et rangea Algazalm (la pourfendeuse d'acier) dans son dos. Il se dirigea vers la porte, lança un dernier regard vers Lindilla et s'en alla. Il descendit les marches de la tour de bois. La voix continuait de chanter inlassablement, à la limite du sanglot et des larmes. Il ouvrit la porte de la tour et descendit les dernières marches avant de mettre pied à terre. 

_ Que se passe-t-il ? Demanda une voix grave à peine réveillée.

L'elfe noir se retourna et vit Jaron qui levait son museau vers lui, les yeux entre-ouverts. 

_ Reste là Jaron.

_Tu veux réellement y aller seul ? 

_Je ne veux pas qu'elle soit seule. Je peux compter sur toi Jaron ?

Le grand loup gris se gratta la tête d'un coup de patte pour se débarrasser de quelques tiques et répondit d'un hochement de tête. Il entrecroisa ses pattes avant et reposa son museau dessus, ses yeux en direction de la forêt. Warda fixa à son tour l'orée des bois. Une brume épaisse et blanche avait envahi les lieux, empêchant même de voir la terre sous leurs pieds. La voix venait de là-bas, d'entre les arbres. Le guerrier sombre commença à s'en aller, mais avant de disparaître au milieu du feuillage, il regarda derrière lui la tour. En réalité, c'était un arbre transformé par les architectes de Taläsna en tour, servant autrefois à accueillir les prisonniers appartenant à la noblesse ou de haut-rang. Warda fut l'un de ces prisonniers, mais c'était un cas à part. Depuis la bataille du mont de Léondia, cette tour était sa demeure. D'ordinaire il était toujours escorté par deux gardes au moins pour sortir en forêt, mais pour une raison inconnue, les gardes avaient abandonné leurs postes. La voix, elle était devenue plus intense, plus insistante. Il marcha à travers les bois, se dirigeant vers l'origine du chant. À chacun de ses pas le linceul blanc suspendue en l'air s'écartait de ses bottes. La forêt habituellement accueillait un véritable orchestre d'oiseaux, mais ce jour-là elle était silencieuse, calme, figée. Le seul écho que pouvait entendre le guerrier sombre était celui du chant. Il marcha longtemps, il avait perdu toute notion du temps. Il écarta des fougères sur son passage et vit, de l'autre côté d'un étang, un individu portant un grand manteau noir, son visage était caché par une capuche ténébreuse. Il lui faisait face, et de sous cette capuche effrayante s'échappait la voix qui chantait le sinistre requiem. Lorsqu'il acheva ses derniers vers, l'individu releva sa capuche, dévoilant une longue chevelure blanche plaquée en arrière, un visage noir couvert de marques et ses paupières s'ouvrirent sur des yeux rouges. Lorsque Warda reconnu l'individu face à lui, il empoigna son épée. C'était Galaran, le prince ténébreux. 

_Lâche ton arme, ordonna l'elfe noir au manteau d'ombre.

Warda savait que ce serait lui laisser l'opportunité de le tuer d'un geste rapide s' il lui obéissait, mais pour une raison inconnue, ses doigts desserrèrent lentement la poignée de son arme. À qui répondaient-ils, à la volonté de leur propriétaire, ou à la voix de Galaran ? Finalement, il laissa son arme rangée dans son dos, ses bras pendant de chaque côté de son corps. Galaran eut un léger sourire et dit:

_Je ne suis pas venu pour me battre. 

_ Alors que veux-tu ? Demanda brusquement Warda. 

Galaran traversa l'étang, en marchant sur l'eau, comme si sa surface était un sol rigide et stable. Son aisance en était déstabilisante, il était si sûr de lui. Lorsque Galaran fut assez proche de Warda, il le regarda sous plusieurs angles.

_ Déjà deux ans se sont écoulés depuis notre première rencontre, et c'est à peine aujourd'hui que je me rends compte qu'à l'époque j'aurais dû mieux te respecter.

_ Que veux tu dire ? 

Le prince ténébreux lâcha un léger gloussement inquiétant. Il mit pied sur la terre ferme et tourna autour de son interlocuteur.

_J'ai appris énormément de choses sur toi, suffisamment pour éprouver un certain intérêt à ton égard. 

_ Que sais-tu de moi Galaran ? Certainement peu de choses.

_ Je sais que tu ignores tout de tes parents.

_ Raon et Hélène ? Demanda Warda sur un ton presque moqueur. Oui, c'étaient tous deux des humains.

_ Je ne parlais pas de ces misérables cloportes. Je sais que tu ignores tout de ceux qui t'ont engendré, de ceux qui t'ont offert la vie. 

Warda resserra son poing lorsque Galaran osa traiter ses parents de « misérables cloportes », mais il se retint de le frapper. Il ne voulait pas que cette discussion ne vire au cauchemar. Il se rappela à quel point le prince maléfique était fort et dangereux, le provoquer en duel serait se condamner à mort. 

_ Te rappelles-tu de notre rencontre il y a deux ans ? demanda Galaran plongé dans ses souvenirs.

_ Oui.

_Te souviens tu de cet elfe noir qui s'est interposé entre toi et moi ?

_ Relativement.

_ Il se trouvait être un de tes gardiens, il te protégeait à ton insu, et s'est sacrifié pour te sauver. Il se trouvait qu'il fut aussi autrefois mon serviteur. Heureusement pour moi, ce n'était pas le dernier en vie. 

_Qu'est-ce que tu me racontes ?

Galaran regarda Warda droit dans les yeux, d'un air lassé.

_Ce que je veux dire, c'est que j'ai retrouvé le dernier elfe noir chargé de ta protection, il se trouvait que c'était aussi une de mes anciennes connaissances. Il avait failli à sa tâche, car il avait perdu ta trace. Il avait été ligoté à une pierre, et des oiseaux mangeaient son foie avant que je ne le trouve. Avant de mourir, il me fit beaucoup de révélations sur toi. 

_ Quelles révélations ? 

Galaran ne répondit pas immédiatement. Il l'encercla de ses deux bras autour de son cou et le serra contre lui.

_ Celles qui me permettent de t'appeler mon frère. Enfin, nous sommes ensemble, Arock.

Warda s'écarta brusquement de Galaran, qui au lieu de se vexer, sourit légèrement. 

_Tu es complètement fou ! S'écria Warda. Je ne suis pas comme toi.

_ Pourtant c'est la réalité, Arock, tu ne peux pas la renier. Toi et moi nous partageons le même sang. Tous deux, nous partageons le même destin. 

Galaran fit un pas en avant, le pas qui décida Warda de se saisir de son épée rangée dans son dos. Il n'eut pas le temps de la dégainer que son « frère » lui dit:

_ Tu n'attaquera tout de même pas ton propre frère ? Voyons, Arock, tu ne ferais jamais une telle chose ?

_ Tu n'es pas mon frère ! 

_ Bien sûr que je le suis. Même si tu le renies, nous sommes tous deux intimement liés. Ignorer la vérité ne pourra que te causer du tort. Allons, Arock, viens avec moi.

Galaran tendit sa main droite vers Warda, comme pour l'inviter à danser, mais sa seule réponse fut le sifflement d'Algazalm jaillissant des lanières de cuir. Le guerrier sombre recula de quelques pas, et se mit en garde. 

_ Que fais-tu Arock ?

_La seule chose censée faire Galaran, te tuer. Et cesse de m'appeler Arock !

_Tu as même oublié ton nom ? Arock est le nom que notre père t'as offert à ta naissance. Te rappelles-tu au moins de sa signification ?

_Non, répondit Warda restant vigilant au moindre mouvement du prince noir.

Un sourire malsain se dessina sur les lèvres de Galaran, suivi d'un ricanement déstabilisant. 

_ Espoir.

Warda recula encore d'un pas, mais ce n'était plus volontaire cette fois-ci. Il se sentit bouleversé par le mot que représentait son nom. Il ne savait plus quoi faire, s' il devait rester dans cette posture de combat ou s' il devait simplement lâcher son arme et accepter de suivre Galaran. Il se retrouva adossé contre le tronc d'un arbre, toute sa volonté de se battre s'envola, il était prêt à abandonner toute résistance face à Galaran. 

_ Allez, lui dit le prince ténébreux. Viens à moi, ensemble nous pouvons changer ce monde.

_ Comment comptes tu le changer ?

_ C'est évident, en accomplissant la justice. Nous allons renverser les elfes, ainsi que toutes les races qui nous ont causé du tort, et tous les exterminer, jusqu'au dernier.

_ Alors, répondit Warda en brandissant de nouveau son épée vers Galaran, je t'affronterai.

Galaran regarda son « frère » d'un air amusé. Non, il faisait semblant d'être amusé, mais au fond de lui, il devait naître dans son cœur de glace une flammèche de frustration. 

_ Pourquoi me faire obstacle ? Mon frère, tu ne comprends toujours pas. Je veux rétablir la justice pour tous, même pour toi. Ces êtres futiles pour qui tu t'es battu jusqu'ici sont nos ennemis, des assassins, des créatures sans sens de l'honneur. Tu devrais toi aussi le savoir, car toi-même tu as subi l'injustice des hommes.

Warda sentit une boule de douleur se former dans sa gorge. Il se remémora tout ce qui s'était passé. Il se souvint de cette nuit où il avait tué ses premiers hommes, qui avaient tenté de violer Hélène, suivi du claquement du fouet d'argent qui déchiqueta la peau de son dos. Il se rappela de toutes les fois où il était traqué par les hommes qui souhaitaient encore et toujours lui arracher la tête pour la ramener en trophée. 

_ Oui, souviens toi, rappelles toi à quelle point ces hommes ont pu se montrer cruels. Ils ne méritent pas de vivre sur cette terre, au même titre que les elfes ou tous les autres habitants de ce continent. 

_Non ! Répondit Warda. Tu as tort, sur cette terre il y a aussi des innocents...

_ Alors si eux ils sont innocents leurs ancêtres sont coupables. Ils méritent de toutes manières de mourir. Tout comme Lindilla et son frère.

Lorsque le guerrier sombre entendit sortir d'entre les lèvres du prince noir le nom de la jeune femme pour qui il avait risqué sa propre vie, il s'approcha de Galaran et le menaça de sa lame en la plaçant à quelques centimètres de son visage.

_Si tu t'approches d'elle, je te tuerai sur le champ !

_Tu es tellement naïf mon frère. Jamais un cadet ne menacerait son aîné...

Soudainement, la main de Galaran repoussa Algazalm avant d'attraper l'avant-bras de Warda puis le tordit violemment, le contraignant à lâcher son arme. Il le frappa ensuite au visage d'un coup de poing si puissant que le guerrier sombre fut projeté pour mieux s'écraser contre le sol. Sa joue était engourdie, le sang qui y circulait à l'intérieur était semblable à du feu. 

_ Car l'aîné est toujours le plus fort, conclut Galaran. 

Le « cadet » se releva en s'appuyant contre un arbre, il avait la tête qui tournait. Il se tâta la zone douloureuse avec ses gants de métal, aucun doute, il n'y était pas allé de main morte. Il regarda droit dans les yeux le prince de l'ombre.

_Je ne te laisserai pas leur faire de mal, tu m'entends ?!

_ Pourquoi te dresses tu en barricade entre moi et nos ennemis communs ? Tu dois certainement ignorer qu'ils sont tous deux descendants d'un traître à notre patrie. Alënar, ce nom ne te dis rien ?

_Non, je n'ai jamais entendu ce nom. Quel est le rapport ?

_ Bien, alors je vais te le dire, c'est notre pire ennemi. Lui et les autres membres du conseil des Cinq ont trahi le puissant roi sombre pour s'emparer de l'arme suprême. Ils furent tous massacrés, y compris les complices qui les avaient suivis. À cause d'eux nous portons aujourd'hui ces marques maudites sur notre peau.

Galaran montra son cou en étirant légèrement le col de son manteau, exhibant ses marques noires et par la même occasion le début d'une profonde cicatrice qui plongeait vers son torse.

_ Ils étaient tous des elfes noirs ? Demanda Warda. Dans ce cas là, laisse Lindilla et Taläsna en paix, ils sont des elfes sylvestres, ils n'ont aucun lien avec eux.

_ Croyais tu que les membres du Conseil des Cinq sont nés elfes noirs ? Avant la métamorphose ils étaient des elfes ordinaires, et Alënar eut ces enfants durant cette période, deux fils. Lorsque la guerre des Conseils à éclatée, ces deux fils rejoignirent le Conseil des Sept. Puis lorsque le Conseil des Cinq s'en alla, ils se joignirent aux sylvestres. Taläsna et sa sœur sont tous deux descendants de l'aîné, et ils sont tout aussi responsables des actes du passé qu'Alënar lui même. 

Warda bondit vers Algazalm, la ramassa et brandit sa lame de nouveau contre Galaran.

_ Déchiquète mon corps s' il le faut, mais jamais je ne te laisserai les approcher.

Le prince ténébreux lança un rire amusé en guise de réponse. Il s'approcha de Warda sans crainte et lui dit:

_Tu es vraiment stupide. Au lieu de brandir ma lame contre moi, en ce moment, si tu tiens tant à elle, tu devrais aller la protéger.

_ C'est toi la menace !

_ Certes, mais je ne suis pas seul.

Warda sentit en lui la peur brutale l'envahir. Les fourmies s'emparèrent de tous ses membres, puis son cœur frappa comme un coup de tonnerre. Il se retourna vers le bois et y plongea. Même s' il ne le voyait plus, il entendait la voix de Galaran s'adressait à lui depuis la clairière.

_Tu ne pourras pas toujours échapper à ton destin Arock, un jour tu devras choisir entre eux et les tiens !


Lorsqu'il aperçut enfin la tour, il y accourut. Il trouva Jaron qui montait la garde devant l'escalier qui y menait. 

_ Que se passe-t-il enfin ? Demanda le loup géant. 

_ Est-ce que quelqu'un est parvenu à rentrer ?

_Non, je suis resté là à attendre depuis une heure sans qu'il n'y ait eu âme qui vive. Tu peux enfin m'expliquer ?

_Par le toit, dit Warda en regardant le sommet de la tour.

_Qu'est-ce que...

Jaron n'eut pas le temps de finir sa phrase que l'elfe noir se précipita dans les escaliers qui guidaient vers le sommet de la tour, l'arme au poing. Le guerrier sombre craignait le pire. Galaran avait réussi à avoir des assassins à sa botte, et venant de sa part, il savait qu'il devait se montrer extrêmement vigilant. Il ouvrit la porte violemment, tenant fermement son épée. Lindilla se réveilla en sursaut, presque en hurlant, et elle remonta sa couverture jusqu'au cou. 

_ Que se passe...

Warda fit un signe à la femme elfe d'être silencieuse. Il tentait de retenir sa propre respiration pour mieux entendre des bruits de pas éventuels, du moins le léger grincement du bois se pliant sous le pied. Ses oreilles étaient bien plus perfectionnées que celles d'un homme, il avait un jour pu entendre une mouche sucer un morceau de fromage à une distance de cinq mètres. Il resta attentif au moindre son qui l'entourait, même au souffle saccadé de Lindilla qu'elle tentait d'étouffer sous la couverture. Il n'y avait rien qu'un profond silence. Est-ce que finalement Warda avait pris de l'avance sur l'assassin envoyé de Galaran ? Si tel était le cas, il ne devrait pas tarder à arriver. Or, il se passa un long moment sans qu'il n'y ait rien. Il se rendit à l'évidence que Galaran avait sûrement bluffé. Il posa son épée contre le mur et soupira de soulagement. Il s'assit à côté de Lindilla, il sentait la chaleur qui émanait de son visage et de ses oreilles, comme si toute sa tête fut une boule de feu incandescente. Son front était trempé, et son cœur battait à tout rompre dans la poitrine. Lindilla retira la couverture de devant sa bouche et demanda:

_Qu'est-ce qui s'est passé ?

_ Rien, heureusement.

Le guerrier sombre se débarrassa de ses gants de fer et soupira de nouveau.

_ Peux-tu m'expliquer ce qui était censé se passer ?

_ C'était Galaran, j'avais cru qu'il allait encore te faire du mal. Mais je pense qu'il voulait simplement me faire peur. 

L'elfe noir se débarrassa de son armure et de sa cotte de maille. Il se baissa pour retirer ses bottes quand Lindilla lui demanda:

_ Galaran, c'est l'elfe noir qui a tenté de me tuer lorsque nous nous sommes rencontrés ? 

_ Oui. Il est très dangereux. Je l'ai retrouvé dans les bois...

_ Il est ici ? Demanda Lindilla affolée. Il faut que j'avertisse mon frère...

_ C'est inutile, il a dû partir à l'heure qu'il est. 

La princesse soupira dans un premier temps, soulagée, mais rapidement son expression de surprise laissa place à une autre émotion qui transparaît sur son visage. Elle regarda Warda droit dans les yeux lorsqu'il releva la tête.

_ Comment se fait-il que tu ais pu rencontrer de nouveau Galaran ? 

_ Je ne sais pas comment, mais il m'a fait venir à lui. 

_ Qu'est-ce qu'il pouvait bien te vouloir ? 

_ Je ne sais pas, répondit sincèrement Warda la tête entre les mains. Je crois qu'il voulait me recruter. 

_ Ça se comprend, dit Lindilla en se mettant à l'aise entre les draps. Il comptait sur le fait que vous deux apparteniez à la même race pour te persuader. Tu es un cas unique Warda, peu d'elfes noirs sont comme toi. Tu dois être très précieux à ses yeux.

_ Je ne crois pas qu'il ne s'intéresse à moi que pour cette raison...

_ Alors pourquoi toi ?

Warda se leva, fit quelques pas dans la chambre, et il appuya ses deux mains contre le mur, puis plongea dans de profondes pensées. 

_ Il m'a dit tant de choses... J'ai... J'ai eu si peur pour toi.

Il sentit sur son épaule la peau si douce et délicate de la paume de la main de Lindilla. Il se retourna et la vit elle, seulement avec une légère robe de lin qui laissait deviner les formes du corps qu'elle recouvrait. 

_ Non Lindilla, il ne faut pas nous...

Elle posa son doigt sur les lèvres de l'elfe noir puis l'embrassa, longuement, délicatement, ses lèvres pulpeuses étaient aussi fraiches que la rosée matinale. Lorsque sa bouche s'éloigna de celle du guerrier sombre, la princesse des bois lui dit:

_ C'est moi qui ai rompu le pacte, ne te sens pas responsable de mes décisions. 

_ Mais si...

_ Tu m'as sauvé la vie à deux reprises en faisant face à Galaran, il y a deux ans et aujourd'hui. Et Taläsna a encore une grande dette envers toi. Je...

Elle attrapa délicatement entre ses doigts enchantés le bras de l'elfe noir, où sous cette peau sombre elle pouvait sentir de puissants muscles. Elle amena la main de Warda sur son visage, se caressant le front, la joue, le menton, puis le cou...Elle était si douce. Warda retira sa main craignant ce qui allait arriver. 

_Je ne peux pas, il ne faut pas. Tu es destiné à un autre, à un prince.

_ Le destin m'a montré suffisamment de preuve que nous sommes liés l'un à l'autre pour que je comprenne que mon destin sera d'être avec toi. 

Elle posa sa tête sur le cou de Warda. Sa longue chevelure noire bouclée retombait sur son dos tel les branches d'un saule pleureur. Warda glissa sa main dans la noire cascade en remontant le long de l'échine jusqu'à sa nuque chaude et nue. Elle se blottit contre lui, sa poitrine ferme et tendre s'était durcit au contact du torse noir recouvert de marques sombres. Ils s'embrassèrent tous deux fougueusement, sentant la flamme de l'un se joindre à l'autre. Lindilla leva sa tête, dévoilant sa gorge sculptée par les anges. Warda goûta le miel savoureux de sa sueur jusqu'au niveau de son entre-deux-seins. Elle était chaude comme un brasier de douceur. Il se retrouvèrent de nouveau, l'un en face de l'autre, et rassemblèrent de nouveau leurs bouches, le souffle de l'un donnait des frissons à l'autre tant il était chargé d'amour. Il semblèrent tous deux danser, jusqu'à se retrouver au pied de leur lit. Lindilla poussa Warda qui tomba sur la soie, brillante, voire étincelante. Mais Lindilla, elle, brillait de mille feux dans ses yeux d'or, semblables à deux soleils. Elle défit le nœud d'une ficelle invisible sur son épaule droite, puis laissa tomber sa robe à ses pieds. Tout son corps semblait être sculpté par la main divine, ses formes lisses et délicates reflétaient la lumière du feu encore brûlant dans la cheminée. Même une déesse l'aurait jalousé de ne pas avoir une nudité si parfaite. Elle s'allongea sur Warda, qui fut secoué par un léger frisson qui traversa sa nuque lorsque ses tétons se posèrent sur son torse. Il posa ses mains sur son dos et descendit jusqu'au sommet de ses rondeurs. Elle se leva, les jambes écartées sur le corps de Warda, dressant son torse comme les femmes le font dans le tableau aux valeurs religieuses. Elle fit voler ses cheveux d'onyx de manière à les faire retomber le long de son dos. Elle regarda droit dans les yeux rouges du guerrier sombre et lui dit:

_ Maintenant à ton tour.

Elle défit la boucle de la ceinture de l'elfe noir et glissa ses doigts sous le pantalon de Warda, puis le retira en ne cessant jamais d'être en contact avec lui. Il se sentit d'abord gêné d'être nu devant elle, mais finalement cette sensation disparut pour laisser place à une intense sensation de plaisir. Lorsqu'elle l'embrassa de nouveau, il la renversa sur le côté et monta sur elle,et l'embrassa sur la bouche, l'embrassa sur le cou, l'embrassa sur les seins, l'embrassa sur le ventre, l'embrassa sur le sexe. Douce volupté et accomplissement ultime du plaisir. Il pouvait l'entendre même rire lorsqu'il y enfonça sa tête pour pouvoir profiter de la douceur de son pubis. Il frictionnait ses cuisses, ne cessant de la caresser. Il remonta le long de son corps, savourant chaque parcelle de sa peau enduit du sel de sa transpiration. Il regarda Lindilla droit dans les yeux et lui dit:

_ Je t'aime.

En guise de réponse, elle l'attrapa autour du cou et l'embrassa, avec l'énergie et la violence de l'amour. Elle inversa de nouveau les places, se tenant assis sur le torse de son amant, exhibant sa poitrine généreuse. Il la caressa, sa peau était parfaite sous ses doigts. Elle descendit son bassin le long des abdominaux d'acier, jusqu'à finalement atteindre son but. L'un contre l'autre, l'excitation des deux êtres était à son apothéose. Il la sentit l'envelopper, jusqu'à en être englouti. La première sensation qu'il eut fut la douleur, puis une intense sensation d'euphorie. Ils furent enfin tous deux unis.


Plus loin, au sommet d'un arbre, un soldat vêtu entièrement d'une tenue de cuir moulant noire, observait la tour incrustée dans l'arbre. Hormis ses cheveux blancs, tout son corps était enveloppé dans cette tenue de camouflage. Le long de son bras droit étaient rangées de multiples armes: couteaux, dagues, lames, aiguilles empoisonnées, mais son outil de mort le plus curieux furent ces deux fourreuses implantées au niveau de l'un de ses deux poignets. Sur l'autre bras il y avait une arbalète attachée dont les deux extrémités de son arc pouvaient être repliées grâce à un ingénieux système, et deux lames aussi longues que des couteaux de chasse recourbée. Sur son torse deux ceintures s'entrecroisaient, sur l'une était fixées de petits sacs contenant sans aucun doute poisons, drogues et autres ustensiles; sur l'autre étaient rangées dagues et carreaux pour recharger l'arbalète. Sur son dos il y avait rangé une corde lovée soigneusement avec à son extrémité un grappin. À travers des binocles sombres qui ne laissaient pas apercevoir ses yeux, il fixait attentivement la tour. On pouvait également voir, si on était seulement extrêmement attentif, deux autres individus semblables. L'un d'eux nettoyait ses dagues positionnées sur l'arbalète, ne laissant rien du sang de sa fraîche victime qu'il avait égorgé. Le troisième surveillait les environs, en quête du moindre bruit, du moindre mouvement, de la moindre vie. Le vent souffla, faisant vibrer les feuilles et les cheveux blancs des trois espions. Le murmure d'un chant parvint à leurs oreilles extrêmement sensibles. Ils descendirent de l'arbre sur lequel ils avaient attendu depuis le début, sans le moindre bruit. 


Warda tomba sur le dos, exténué. Jamais il n'aurait imaginé que c'était si épuisant. Mais à la fois, quel plaisir. Lindilla s'allongea à côté de lui, le sourire dessiné sur ses lèvres. Il l'entoura de son bras, l'amenant à côté de lui. Il remarqua alors à quel point elle semblait frêle et fragile lorsqu'elle était à ses côtés, lui qui possédait des muscles et une taille imposante. Il avait l'impression qu'il pouvait la briser comme de la porcelaine au moindre faux mouvement. Pourtant, elle avait entièrement confiance en lui, elle n'avait pas peur que l'homme qu'elle l'aimait la brise, car elle savait qu'il ne ferait jamais le moindre faux mouvement. 

_ Je t'aime, lui dit-elle.

_ Tu ne peux l'imaginer à quel point, lui répondit-il. 

Ils s'embrassèrent de nouveau, mais juste à cet instant précis, un garde elfe ouvrit la porte, un long filet de sang coulait sur son visage depuis le haut de son crâne.

_ Dame Lindi...

Lindilla se protégea de sa nudité en se recouvrant d'une couverture, alors que Warda se contenta de garder une expression absolue de surprise, incapable de réagir autrement. Le garde retint son souffle, lui aussi surpris. Il perdit finalement l'équilibre et s'effondra sur le sol. Warda sortit du lit, récupéra son pantalon et l'enfila d'une manière si rapide que lui-même ne se rendit pas compte qu'il était déjà habillé. Il aida le garde à se relever et le fit asseoir sur un siège. En plus de sa blessure au crâne, son visage était marqué de nombreuses marques de coups. Il tenta de le réveiller en le secouant mais l'elfe ne parvenait pas à reprendre ses esprits. Il se tourna vers une cruche remplie d'eau, sans réfléchir, il la saisit et en jeta le contenu sur le visage du garde, puis se mit à lui donner de légères claques pour le ranimer. Le soldat elfe reprit finalement connaissance, les yeux rouges gonflés comme deux tomates mûres. 

_ Êtes-vous réveillé ? Demanda Warda. 

_ Je... Je...

Comme si la douleur venait de se réveiller brutalement, le garde se plia brusquement de douleur, se tenant les côtes. Il tenta de se lever, mais il retomba finalement dans le siège. L'elfe noir prit une serviette qui trempait dans une bassine d'eau et l'appliqua sur le front du garde. Le soldat elfe remercia d'un signe de la main.

_ Que s'est-il passé ? Demanda Lindilla. 

_ Je ne me rappelle que de peu de chances Dame Lindilla, avoua le garde. Je sais que j'ai été frappé par derrière, sur la tête et que j'ai perdu connaissance...

_ Buvez, ça vous aidera peut-être, dit Warda en servant un godet d'eau.

En même temps que le garde remercia l'elfe noir, il ne put s'empêcher de le regarder fixement, comme si il dans le brouillard de sa mémoire enfin les images redevenaient net.

_ Maintenant, j'ai l'impression de pouvoir enfin me rappeler. Me rappeler de vous.

Il désigna en même temps Warda qui enfilait une chemise blanche qui lui allait un peu juste au niveau de ses épaules et de son torse. Lindilla avait réussi à s'habiller de sa robe blanche pendant que le garde détournait ses yeux vers son amant. Elle se leva et demanda sur un air étonné:

_ Qu'est-ce que vous me dites ? Warda vous aurez agressé ?

_ Pas seulement moi, je me souviens d'un elfe noir qui nous a agressé tous les trois alors que nous faisions notre ronde habituelle. Il a tué les deux autres, quant à moi il m'a assommé et traîné à travers la forêt. Là-bas il m'a battu, je me souviens maintenant parce que j'avais réussi à lui donner un coup de pied en plein visage.

Warda se tâta la joue que Galaran avait frappé, avec la force qu'il avait appliqué dessus il était plus facile de croire que ce fut un violent coup de botte qu'un simple coup de poing. Il se souvint des paroles du prince noir « Je ne suis pas seul... ». Il se maudit de ne pas y avoir pensé plus tôt, l'assassin n'avait pas été envoyé pour tuer Lindilla mais pour tuer les gardes. Il se détourna du garde et marcha jusqu'à la cheminée. 

_ Ensuite, demanda Lindilla affolée. Que s'est-il passé ?

_ Il m'a frappé si fort que je me suis évanouie. Il a dû m'abandonner parce que quelques heures plus tard j'étais allongé par terre, au milieu des arbres. 

Après avoir entendu le discours du garde, Lindilla regarda Warda, les vaisseaux sanguins dans ses yeux inondés de larmes s'étaient dilatés jusqu'à en donner une teinte globale rouge. Le guerrier sombre se retourna, se sentant mal à l'aise devant la femme qui pleurait. Elle s'approcha de lui, et lui tenta de s'éloigner bien qu'il fut coincé par la cheminée et la chaleur de ses flammes. 

_ Warda, dis moi la vérité, je veux savoir.

_ Lindilla, je te le jure, jamais je n'aurais fait de mal à ce garde, ni aux autres. 

_ As-tu réellement rencontré Galaran dans cette forêt ?

_ Oui, je l'ai rencontré ! Pourquoi tu ne me crois plus ?

Warda tenta de s'approcher de Lindilla mais elle recula lorsqu'il voulut lui donner la main. Sur son visage étaient inscrites les marques du doute et du chagrin. La femme elfe détourna son regard du guerrier sombre.

_ Je ne sais plus qui croire, dit-elle avec des sanglots dans le timbre de sa voix. Je ne sais plus quoi penser. 

_ Galaran nous a tous manipulé...

_ Cesse donc avec ton Galaran, tu n'as que ce nom à la bouche !

Warda reçut en plein visage la vague de colère jaillissant de ses paroles. Il venait de la perdre, le lien qu'il avait mis tant de temps et tant de mal à nouer venait de se rompre. Les yeux d'or de la princesse semblaient briller d'un éclat d'orage. À travers son regard il pouvait voir la rage et la tristesse en elle. 

_ Je t'ai vu, revenir ici, une arme à la main, ton arme...

_ Lindilla...

_ Ce garde dit avoir frappé son agresseur, et ton visage en porte encore la marque. Il a dit qu'il avait été traîné jusqu'au fond de la forêt puis battu là-bas, or tu y étais également. Je me demande si Galaran et toi n'êtes qu'une seule et même personne. 

_ C'est faux, rappelle toi, tu as vu Galaran par tes propres yeux, tu devrais le savoir mieux que quiconque jusqu'à quel point je ferais tout pour te protéger.

_ Justement, répondit Lindilla. Je ne me souviens que de peu de choses. J'ai été poignardée par une dague empoisonnée, j'ignore encore aujourd'hui si ma mémoire n'a pas été altérée. 

_ Jamais je n'aurais osé...

_Si, toi même tu l'as dit que je savais jusqu'à quel point tu serais prêt à tout pour moi. 

Elle se leva et se dirigea vers la porte, le garde était déjà levé et prêt à l'escorter. Warda attrapa Lindilla par le bras mais elle se débattit.

_ Écoute moi Lindilla !

_ Lâche moi !

_Lindil...

La lame froide du garde vint se poser sur sa gorge. Impuissant, il lâcha la femme qu'il aimait et la regarda partir. Le garde posa sa main contre le mur et avec une brève incantation il fit apparaître les barreaux de bois. Il rangea son sabre dans son fourreau et dit à l'elfe noir:

_ Sire Taläsna décidera de ton sort en temps voulu. Si tu as ne serait-ce qu'un fond d'honneur dans ton âme, tu attendras ton châtiment. 

Lorsque le garde elfe disparu, le guerrier sombre tomba à genoux, face aux barreaux de bois, il venait de tout perdre à nouveau. Il plongea sa tête dans le creux de ses mains et pleura, car bien plus que la colère de Taläsna, il redoutait la haine de Lindilla. Il pouvait entendre au pied de la tour Jaron hurler de tristesse.



Laisser un commentaire ?