La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié
Chapitre 3: Le devoir du Prophète
Il tombait une pluie telle que même les immenses jardins du Temple en étaient inondés. Un grand homme brun, portant une armure blanche à l'écusson d'un phénix tenant un cœur aux contours d'or regardait la cité ruisselante plongée dans les ténèbres. Par dessus son œil gauche il portait une très vieille cicatrice, ses yeux ténébreux observaient les nuages grondants et pleurants. Il n'était pas gêné par l'obscurité, car il avait reçu le don, il y a environ deux ans, de pouvoir voir au-delà des ténèbres. Il vit un homme de petite taille mais de carrure néanmoins imposante, qui traversait l'allée principal au milieu des jardins. Ses pas étaient maladroits et sa trajectoire incertaine. Un objet rond et lourd pendait au bout de sa main droite.
_ Je ne saurais te le dire, mais je t'aimmme à mouriiiirrr pour la prunnellle de tes yeuuux.... Je ne saurais que te faire jouiiiirrr....
Aucun doute, c'était bien lui. Sans se retourner, l'homme en armure blanche ordonna à un garde de s'approcher.
_ Oui Ô Prophète Galro, répondit le garde en s'agenouillant, que puis-je pour vous servir.
_ Allez ouvrir la porte à cet homme.
_ Certainement Prophète Galro.
Les deux soldats dorés disparurent derrière la porte. Un autre homme, portant aussi une armure blanche, mais sans blason ni dorure, était assis sur une chaise fabriquée par un artisan de renom. Il tenait dans sa main un verre dont l'éclat doré du liquide à la lumière des chandelles rappelait les couchers de soleil sur la mer.
_ Maintenant vous faites ouvrir les portes à de parfaits inconnus Ô Grand Prophète, demanda l'homme assis.
_ Ce n'est pas un inconnu, répondit Galro. Sachez Paladin Phénix Fradel que cet homme saoul qui frappe à nos portes n'est personne d'autre que votre supérieure directe.
_ Le Septième Paladin Phénix ? Comment l'avez-vous reconnu dans cette noirceur ?
_ Un éclair m'a dévoilé son visage, mentit Galro sans détourner son regard de son subordonné qui se faisait traîner pour rentrer au temple.
_Je me demande parfois si le choix fut le bon pour choisir votre Septième. Il est ivrogne, grossier, têtu, colérique et profite tous les soirs pour aller faire un tour dans les bas quartiers. Peut-être qu'un autre homme aurait mieux fait l'affaire. Junar semblait tout indiqué pour succéder à Sapharël.
_ Je sais que j'ai fait le bon choix. Malgré ses apparences de barbares, c'est un homme au grand cœur et fidèle. Nous nous connaissons depuis très longtemps, je sais qu'il est digne de confiance. Il est un pilier de la terre, sûr et inébranlable. Quant à tous ces défauts dont vous m'en avez parlé, il faut faire avec. De plus, il n'a jamais été écrit dans le livre des chevaliers fondateurs qu'être bon vivant était un péché...
_ Salut Prophète ! Hurla le Septième Paladin Phénix en voyant Galro aux balcons du temple.
Galro détourna son regard de son subordonné. Il s'assit face à Fradel, les mains recouvrant son visage. Là, c'était la petite goutte qui fit déborder la mer du vase. Il regarda droit dans les yeux le paladin phénix se demandant que faire.
_Ne vous en faites pas, le rassura Fradel en se levant. Il ne peut pas faire pire que la dernière fois.
_Ne me parlez plus jamais de cet épisode je vous prie. Notre pays fut au bord d'une nouvelle guerre avec Sintraë.
_ Il est vrai qu'embrasser la fille du frère du roi était peu délicat de sa part...
_Je vous ai dit de ne plus m'en parler...
Fradel se tut sur l'ordre de Galro. Il regarda le ciel qui fut pendant un bref instant illuminé par un éclair zigzaguant à travers les nuages noirs. Le son assourdissant ne parvint à leur oreille que quelques secondes plus tard.
_ Que comptez-vous faire Prophète ?
_ Il n'y a pas le choix, je vais lui parler.
Le prophète se leva et se dirigea vers la porte qui lui fut ouverte par deux gardes. Il marcha à travers les couloirs. La plupart des façades avait été rebâties depuis peu de temps, les travaux de reconstitution du temple étaient encore inachevés mais cela ne saurait tarder. Les coûts de la main ouvrière et des matières premières demandèrent des sommes astronomiques. Galro fut contraint de demander au roi d'Etale un prêt pour financer les réparations. Pour que le marché soit conclu le Prophète fut obligé de gagner la faveur du souverain en lui rendant de nombreux pouvoirs politiques que son prédécesseur lui avait confisqué. Lorsqu'il reçut l'argent que le roi lui promit, il dut également accepter de faire entrer au sein de l'Ordre son neveu du second degré pour faire de lui un apprenti paladin. Le garnement était frêle et sa fierté du combat se reposait encore un peu trop sur les vers de ses poésies d'aventures imaginaires. Tout de fois, Galro fit de ce garçon un apprenti paladin, dont l'instruction fut confié aux soins de Junar qui était le plus expérimenté des chevaliers de l'Ordre. Pendant ce temps, Galro s'était chargé d'instruire le nouveau Septième à l'enseignement de paladin. Il se concentra particulièrement sur la magie, mais il se révéla très vite que l'esprit obtus et impulsif de cet homme n'était pas vraiment adapté à la pratique de cet art. « Un coup de hache dans la gueule et l'affaire est réglée ! » répondit-il lorsque le Prophète tenta de lui faire comprendre toute la subtilité de la magie. Galro sortit de ses pensées lorsqu'il fut devant une porte dont le contour était éclairé. Un garde s'y tenait, un bleu recouvrant sa joue.
_ Que vous est-il arrivé croisé ? Demanda Galro.
_ Le septième paladin phénix m'a frappé Prophète, dit le garde du temple tentant de garder une allure droite et inflexible.
_ Il est encore saoul ?
_ Oui Prophète.
_ Quelle question... Ouvrez-moi la porte, je dois lui parler.
Le croisé ouvrit le passage à Galro. À l'intérieur, un homme chauve en armure d'argent portant un bandeau sur l'œil droit tenait sa bouteille d'une main et faisait de grands gestes de l'autre, racontant son histoire si passionnante aux soldats face à lui.
_... là je lui ai cassé le nez, comme ça (il imita un crochet du droit dans le vide, tanguant sur ses deux jambes.) puis paf ! Un coup de boule ! Lorsque le ruffian s'est échappé, la queue entre les jambes, je lui ait crié ben fort...
_Ne remontre plus jamais le bout de ton nez ou je te le ferai bouffer avec de l'ail.
Le Septième paladin phénix se retourna surpris, faisant un semblant de garde à vous, la bouteille sous l'aisselle gauche.
_ Oui Prophète ! À vos ordres !
Le chevalier d'argent tomba sur une chaise, trop fatigué pour tenir sur ses jambes. Son nez était aussi rouge qu'une cerise bien mûre. Son œil bleu avait du mal à rester ouvert, et il puait l'alcool et le fumier. Galro regarda la rangée de soldats qui sortirent de la pièce, comme s' ils reçurent l'ordre par télépathie. Le prophète regarda son subordonné comme un père regarderait son fils qui vient de commettre une énorme bêtise.
_ Pourquoi avez-vous frappé ce garde ? Demanda Galro en détournant à peine son regard vers la porte.
_ J'me souviens plus...
Désespéré, le prophète vint s'appuyer contre le mur juste derrière lui. Il se passa une main sur le visage, tentant de s'essuyer de la honte de son subordonné. Le chevalier tira le bouchon de la bouteille et tenta d'en boire une gorgée, mais il constata avec une certaine déception qu'elle était vide.
_ Tilbar, reprit Galro, il faut qu'on parle, tous les deux. J'ignore si tu es au courant, mais tu es le Septième Paladin Phénix, l'homme en qui j'ai placé toute ma confiance. Tu dois être un exemple, aussi bien pour le peuple que pour nos hommes. Pense tu montrer l'exemple ?
_L'exemple, l'exemple, mais si on a soif ?
_ Et si on s'ennuie ? Et si on a envie de lever des jupes ? Et si bon sang tu cessais de me faire honte !
_ Il n'y a pas de honte à avoir chef, je m'assume. Je suis un grand garçon, tout de même...
_ Tilbar, quand vas-tu comprendre que c'est moi jusqu'ici qui assumait les conséquences de tes actes ?! Et cesse de m'appeler chef !
_ Et comment alors ?
_ Prophète. Je suis le Prophète, et Prophète tu m'appelleras, comme tous les autres !
_ D'accord, d'accord...
Tilbar se leva, et posa sur la table sa bouteille vide. Lorsqu'il fut dos à Galro, il ne put s'empêcher de voir ce léger détail.
_ Ta cape ? Où est ta cape ?
_ Ah, ce bout de tissu ? Je l'ai égaré.
_ Comment ça égaré ? Mais attends... Ne me dis pas que tu es allé aux comptoirs avec ton armure ?
Le vieil homme chauve ne répondit pas, soit à cause d'un sincère sentiment de culpabilité, soit à cause de l'alcool qui imbibait encore son cerveau. Mais cela importait peu, il les avait encore fourrés dans un sacré pétrin.
_ Soit, jusqu'ici tu te débrouillais toujours pour passer inaperçu, avec ton manteau et tes habits de civiles, mais là, toute la ville doit être au courant de tes actes !
_ Mais voyons, ce n'est pas si grave que ça de...
Là, Tilbar se tut comme s' il sentait qu'il allait commettre une énorme erreur. C'est ce qui attira l'attention du Prophète.
_ Qu'as-tu encore fait ?
_ Oh rien, juste un petit plaisir d'homme...
_ Tu es allé dans un bordel ?
_ Oui, et alors, j'ai des besoins comme tout le monde !
_ Mais tu n'es pas tout le monde ! Tu es le Septième ! Tes responsabilités sont bien plus importantes que de simplement porter une cape !
_Je sais, c'est pour ça que je l'ai...
Le général se tut à nouveau, sentant qu'il avait trop dit. Les vermicelles qui pendaient à son nez ne demandaient qu'à être tirés d'un coup violent. Galro regarda son subordonné, sentant qu'il allait bientôt savoir où la fameuse cape avait été égarée.
_Ne me dis pas que...
_Si, répondit Tilbar. Je l'ai parié à un jeu de hasard et paf ! J'ai perdu. C'est pour ça que je suis rentré, j'avais pas envie que le tavernier me retrouve.
_ Et pour quelle raison tu ne souhaites pas que le tavernier te retrouve ?
_ Je lui ai commandé plusieurs bières, et pas de chance, je n'avais plus assez pour le payer. Mais c'est rien, je le rembourserai pour les dégâts.
_ Quels dégâts ?
_ La bagarre. Après avoir perdu ma cape je leur ai dit qu'ils étaient tous si cocus que Dieu leur a bien offert une petite compensation. On avait tous un peu bu et hop !
_ Et je suppose qu'après le tavernier ne te poursuivait tant pour les bières que pour les dégâts, ai-je raison ?
_ N'entrons pas dans les détails, j'ai mal à la tête.
Galro s'approcha de Tilbar et lui dit, droit dans les yeux:
_Si je suis venu, ce n'est pas tant pour m'exaspérer sur ta conduite et te réprimander, mais pour te rappeler qui tu es. Ce titre que je t'ai confié est un héritage vieux d'un millénaire, Sapharël était l'un de tes prédécesseurs, et de nombreux autres hommes de valeurs ont occupé cette place avant toi. Tilbar, je te prie, soit conscient de tout ça. En te ridiculisant ainsi, tu nuis à la réputation de tous ceux qui t'ont précédé. Sois l'objet de moquerie si tu le souhaite, mais ne déshonore pas ton rang.
Le vieil homme fixa son ancien élève de son œil bleu et soupira. Il se leva et répondit ainsi, tout en titubant pour aller jusqu'à la porte:
_ D'accord, j'y penserai. Maintenant je vais me coucher moi, j'ai mal aux cheveux.
Derrière la porte de bois se dressait un jeune homme, très facilement reconnaissable à ses cheveux roux et à son don pour suivre le Prophète comme sa propre ombre.
_ Nardel ? Que se passe-t-il ?
_On vous requiert Prophète.
_ Salut garçon, lui lança Tilbar en passant à côté de lui.
_ Qui me demande ? Dit Galro à son serviteur.
Le jeune homme attendit que le Septième Paladin Phénix ait refermé la porte pour s'approcher de Galro et lui dire à voix basse.
_ Dans la tour nord messire.
Le Prophète caressa les cheveux roux de Nardel en guise de remerciement et lui ordonna de surveiller la porte menant à la tour même une fois à l'intérieur et de ne laisser passer personne. Ils traversèrent tous deux les longs couloirs sombres dont les façades furent repeintes il n'y a que peu de temps. Lorsqu'ils se retrouvèrent face à la porte nord, Galro se retourna une dernière fois vers le jeune homme.
_ Personne ne dois rentrer, même si on te l'ordonne.
_ Oui Prophète. Personne n'entrera, je commence à avoir de l'expérience.
Galro donna une petite claque amicale à Nardel et ouvrit la porte qui donnait sur de nombreuses marches montant en spirale autour d'un vieux pilier central. Il prit soin de verrouiller la porte derrière lui avec la clé que seul lui possédait, attachée à un collier autour de son cou, cachée sous son plastron. Il monta la haute tour du temple. Officiellement, c'était une ancienne prison où étaient enfermés les détenus fous ou ensorcelés. Elle devait être rénovée pour devenir un nouveau bureau où le Prophète pourrait travailler au calme. Une fois au dernier étage, il se trouva face à une autre porte, dont le fer qui cerclait la serrure était entièrement rouillé. Il utilisa une nouvelle fois sa clef, et lorsque le « clac » très caractéristique du mécanisme résonna, la vieille porte sombre s'ouvrit. À l'intérieur se trouvait une immense chambre. Un lit pouvant contenir trois personnes était posé au fond de la salle, dont la soie rouge tombaient tel des cascades pourpres le long des rembardes en argent posées juste au-dessus de chaque rebord. Une petite table était placée au centre de la pièce, avec nourriture et cruche d'eau disposées dessus. Des torches et des bougies éclairaient la pièce. Le plafond se résultait en un simple trou qui permettait de voir le ciel et d'un grillage de fer. Juste au-dessus de ce grillage fut installé récemment un ingénieux mécanisme qui permettaient de faire rabattre deux battants de bois posées à l'horizontale afin d'éviter d'être trempé par la pluie. L'évacuation du cabinet installé dans un recoin de la pièce fonctionnait sur le même principe, il suffisait de tirer sur une corde et deux battants s'ouvraient pour empêcher la pluie de rentrer par le plafond ou de faire évacuer les besoins.
_Te voilà revenu.
Le prophète se retourna. Une silhouette sombre dont le visage était caché par l'obscurité était assise sur une chaise juste à côté d'un petit bureau, et cette silhouette le scrutait avec ses deux yeux rouges. Officieusement, les trois seuls qui étaient au courant de la véritable raison de pourquoi cette tour fut réaménagée étaient Galro lui-même, Nardel et cette individue. La silhouette sombre se leva et pénétra dans le halo de la flamme. Sa peau était noire, recouverte de glyphes, contrastant avec la blancheur de sa chevelure. C'était une elfe noire. Elle portait une robe rouge ornée de fleurs dorées. Elle s'approcha lentement vers Galro. Le Prophète l'attrapa avec délicatesse par la main et la caressa doucement.
_ Tu te sens bien aujourd'hui Ilada ?
_ Plutôt, oui... Mais je m'ennuie. Le livre que tu m'as apporté il y a deux jours, je l'ai terminé. J'espèrerais en avoir un autre, je veux encore découvrir d'autres auteurs.
_Je vois, lui répondit Galro. Mais aujourd'hui, je t'ai amené autre chose.
Le Prophète prit à sa ceinture une petite bourse en soie. Il enleva la petite ficelle qui l'entourait, plongea deux doigts à l'intérieur et en sortit un collier. C'était en réalité une amulette fabriquée à partir d'un rubis sombre entouré de deux ailes: l'une composée de plumes d'or, l'autre d'épines noires. Le talisman était attaché par une chaînette dorée aux reflets de soleil à la lumière des flammes.
_Qu'est-ce que c'est ? Demanda Ilada.
_ Il m'a fallu deux ans pour le faire fabriquer. J'ai demandé à deux chercheurs haut-elfes de trouver le moyen d'annihiler la malédiction de ton espèce. Je les ai payé suffisamment pour qu'ils acceptent de travailler pour moi et pour qu'ils gardent cette affaire sous silence. Ce n'est qu'un prototype, mais ce collier est peut-être la solution.
Ilada regarda son collier fasciné par la forme du pendentif. Le rubis semblait émettre des ondes invisibles qui faisaient trembler légèrement. Galro s'approcha d'Ilada et la tint par les épaules.
_Si il fonctionne, nous lancerons la production en masse et les tiens seront enfin libres.
Il attrapa les deux extrémités de la chaînette d'or et l'attacha autour du cou. L'elfe noire tourna sa tête vers le Prophète puis tendit une de ses mains vers sa joue.
_Non, dit brusquement Galro.
_ Que t'arrive-t-il ? Qu'est-ce que j'ai fais de mal ?
_ Toi, rien... C'est moi, je...Je ne suis pas encore pardonné.
Ilada tenta de toucher Galro du bout de ses doigts mais l'homme recula d'un pas.
_ Ilada... Je ne peux pas. Je suis le Prophète, il ne faut pas que...
_ Tu as peur de moi ? Pourtant tu viens de dire que la malédiction...
_Non, je n'ai pas peur de toi, ça n'a rien à voir avec ça.
_ Alors de quoi tu as peur ?
Le Prophète recula d'un autre pas. Dans sa poitrine un taureau enragé chargeait contre les barreaux de sa cage. Ce n'était pas de la peur, et c'est bien ce que craignait Galro depuis le début, depuis qu'il l'avait amené ici. Cette femme avait éveillé en lui un sentiment qui dépassait la haine, la colère, la souffrance ou bien toute autre émotion. Dès l'instant où elle avait levé la main vers le soleil, émerveillée par la lumière du jour, il ne voulait plus qu'une chose: la rendre heureuse. Et en ce moment, il souffrait, oui il souffrait de ne pas pouvoir lui dire ce qu'il ressentait. Il savait que s' il faisait un pas de plus, ce serait l'Ordre entier qui s'écroulerait. Il savait que ce sentiment pouvait renverser des royaumes entiers, déchirer les familles et les alliances. Il craignait plus que tout ce redoutable sentiment qui le tiraillait depuis deux ans: l'amour. Galro lui-même fut le premier étonné. Toute son enfance jusqu'à enfin être devenu paladin, il avait toujours souhaité tuer un elfe noir, celui qui avait tué son père. Durant de très nombreuses années il a haï cet espèce, mais depuis deux ans il est devenu vulnérable faute de pouvoir aimer une elfe noire.
_ Ilada, dit le Prophète. J'ai peur de ce qu'il y a là-dedans, sous ma poitrine. Il m'ordonne de faire des choses que je ne peux pas faire.
Ilada posa sa main sur le plastron du Prophète, comme pour sentir battre son cœur. Elle le regarda, droit dans les yeux, et lui dit:
_ Galro, je ne sais pas encore comment te remercier. Tu m'as libéré de ces cachots sombres, tu m'as offert un foyer, des vêtements, la parole, la raison... Tant de choses que jamais je ne me serais imaginé avoir auparavant. Et aujourd'hui tu m'offre un collier qui peut me libérer de la malédiction. Dois-je me laisser guider par ce que me dicte mon cœur ou dois-je le retenir pour toi.
_Ce n'est pas à toi de choisir, ni à moi. Nous sommes tous les deux victimes du destin. Je suis déjà hors-la-loi pour t'avoir logé et nourri. Si je t'avoue ce qui pèse sur mon cœur, alors nous serons tous deux condamnés.
Ensemble, ils s'assirent côte à côte sur le rebord du lit. Une tension électrique semblait relier ces deux êtres, mais cette même force étrange les repoussait l'un de l'autre. À travers les yeux rouges de l'elfe noire, Galro pouvait y voir la tendresse et la tristesse de ses sentiments.
_ Pourquoi tu ne peux pas m'aimer ? Demanda Ilada.
_ Je ne dois pas t'aimer.
_ Pour quelle raison ?
_Tu... Tu es différente. Je suis différent. Nous ne pouvons pas nous aimer.
Galro ne savait plus quoi faire. Il était lui-même à bout d'arguments. Il ne voulait pas rejeter à Ilada une image péjorative sur sa propre espèce. Elle posa ses doigts sur son épaule et lui dit délicatement:
_Si nous ne pouvons pas nous aimer, alors aimons nous juste ce soir.
_ Étrange compromis, répondit Galro. Mais est-ce que mon cœur me laisse réellement le choix ?
_ Sache que mon cœur ne me laisse pas réellement le choix non plus, mais j'accepte sa décision.
Lorsque les lèvres d'Ilada se posèrent sur celles de Galro, une irradiation de bonheur les enveloppa dans un cocon de douceur. Cette nuit-là, ils s'aimèrent, s'aimèrent et s'aimèrent encore jusqu'à ce que la Lune renaisse d'entre les nuages.