La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié

Chapitre 4 : Une rencontre destinée

7311 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/01/2025 09:20

Chapitre 4: Une rencontre destinée






Cela faisait plusieurs semaines qu'ils marchaient vers l'ouest, sans s'arrêter. Warda avait soif et faim, mais il savait qu'il n'aurait droit ni à l'eau ni au pain, les gardes qui étaient chargés de l'emmener avaient reçu la consigne formelle de ne pas avoir la moindre compassion à son égard. Il se souvient encore de l'instant où une sentinelle elfe entra dans la tour avec une dizaine de ses compagnons pour lui annoncer qu'il allait être exécuté pour trahison à la frontière de la Guiogne, puis que son cadavre sera jeté sur les terres du Royaumes des Os. Cette terre se situait au sud de la grande forêt qui recouvrait le sud de la Guiogne (la forêt sur laquelle Taläsna gouvernait) et à la frontière Ouest avec l'Etale. Contrairement aux autres royaumes, celui-là n'avait ni souverain ni gouvernement. Ce n'était qu'une terre aride et sans espoir, rares étaient les habitants. Dit-on aussi que ce royaume est en réalité une stigmate laissée par les légions noires des Enfërs lors d'un de leur passage sur Natal. Les soldats de cette région du monde furent tous massacrés, et les légions ténébreuses avaient réussi à remonter jusqu'en Guiogne. Seulement, une fois à la frontière, la fière alliance elfes, nains, humains et dragons les repoussa jusqu'à l'océan. Le Royaume des Os fut depuis abandonné dans sa désolation, symbolisant le passage des Infërniens sur le continent et considéré comme le plus gigantesque cimetière. C'était là, sur cette terre maudite par les pas de la légion noire, que Warda allait être exécuté. Sa mort devait demeurer secrète aux yeux du peuple de Taläsna, pour éviter que l'on sache qu'il a existé. Si quelqu'un apprenait que le souverain des elfes sylvestres avait hébergé un elfe noir, alors tout le pouvoir en serait chamboulé. Warda aurait bien aimé pouvoir parler à Jaron mais malheureusement pour lui il n'était pas là, certainement que le loup géant avait été interdit d'aller l'accompagner. Les pas de Warda étaient lourds, maladroits et ses appuis incertains. Les elfes étaient reconnus pour être endurants, du moins c'est ce que Raön lui avait souvent raconté, mais Warda pourrait l'être plus s'ils acceptaient au moins de le laisser boire. Son pied glissa sur une pierre dissimulée sous le feuillage, et il tomba face en avant. Menotté dans le dos, il ne put amortir le choc lorsque sa tête heurta la terre. 

_ Relève-toi ! Hurla une sentinelle. 

_ Irdën Sendraär ! (lève toi démon !)

Le guerrier sombre tenta de se dresser, mais les forces lui manquaient. Un garde lui frappa dans le flanc pour le forcer à se relever mais son supérieure l'arrêta. Il s'approcha de l'elfe noir et le retourna sur le dos. Les lèvres gercées par la déshydratation et son souffle saccadé le persuada de faire une pause. 

_ Nem dernëal ner. (Nous dormirons ici.)

_ Nem asrëal se falder tër capalar Denarliël ! (Nous n'avons pas de temps à perdre Lieutenant !)

_Ren expendiaë ferdal yuit faard. Therdel sentreen hurduel. ((Je me sens fatigué depuis huit jours. Se reposer ne peut pas nous faire de mal) ou plus littéralement « Je (suis) fatigué depuis huit jours. Se reposer ne peut être (« ne peut être » est regroupé dans sentreen) mal. ».)

Les elfes vérifièrent que les lieux étaient sûrs et allumèrent un feu avant que le soleil ne se couche. Ils posèrent le guerrier sombre contre une souche et le lieutenant lui offrit un peu d'eau de sa gourde.

_ Demain, à l'aube, nous repartirons. Profite bien de ce soir, dans six jours nous atteindrons les Bois Brillants, puis la Forêt morte. Lorsque la huitième aube se lèvera nous serons à la frontière du Royaume des os, et lorsque le soleil se couchera, ta tête sera tranchée. 


Le bois brillant portait bien son nom, car lorsque les rayons du soleil atteignirent les branches qui pendaient autour des arbres, la rosée retenue par les crochets des feuilles qui tombaient en cascade le long desdites branches brillait de mille éclats argentés. Ces arbres étaient appelés les saules aux larmes de perle. La végétation était dense et l'humidité était plus dense. Bien que les elfes étaient plutôt silencieux, le lieutenant prit tout de même son temps pour expliquer à Warda que les montagnes de Léondia avait tendance à retenir les nuages du nord qui longeaient ses flancs jusqu'à s'amasser au-dessus des Bois Brillants, pour finalement se délester sur cet endroit. Et lorsque les vents de l'ouest venaient à souffler, les nuages repartaient vers le nord-ouest en longeant de nouveau la montagne et laissaient place au soleil pendant quelques jours et laissaient aux voyageurs la vue d'un resplendissant spectacle. L'elfe noir put boire et manger pendant l'une des pauses, s’il mourrait de faim il serait plus difficile pour les sentinelles de trainer son corps, et plus long. Ils voulaient s'assurer que leur mission reste secrète. Un matin, alors qu'ils s'apprêtaient à traverser une rivière, le lieutenant ordonna l'arrêt. Warda ne comprit pas tout, mais en un éclair, ils se dissimulèrent derrière et sous la végétation abondante. 

_ Un seul mot et tu es mort, dit un soldat à Warda tout en le tenant fermement face dans la boue. 

L'elfe noir n'aperçut qu'un éclat cristallin orangé à travers les feuillages. Il n'émettait aucun bruit, absolument aucun bruit. La chose contournait méticuleusement chaque fougère, chaque branche, chaque obstacle sans la moindre difficulté. Lorsque Warda put voir plus distinctement la « créature » qui avait forcé le groupe à se coucher, tout ce qu'il ressentit c'est une parfaite incompréhension curieuse qui s'empara de lui. Elle était de forme ovale, parfaitement lisse, les rayons du soleil se reflétaient sur elle comme ils se reflétaient sur de l'eau. Sa « peau » était uniformément orange, presque feu, hormis un ovale violet éclatant qui devait lui servir d'œil. Elle s'avançait très lentement, prenant tout son temps pour observer les alentours, scrutant de manière minutieuse chaque recoin de la forêt. Elle s'approcha de Warda, sans casser la moindre brindille sous ses pieds. Le garde aux côtés du prisonnier saisit la poignée de son sabre, prêt à le faire jaillir du fourreau. Lorsque la chose fut à leur niveau, une chose encore plus surprenante sauta aux yeux de Warda. Elle n'avait pas de pieds. Elle était en lévitation, depuis le début. L'elfe noir s'aplatit autant qu'il put lorsque la chose passa par-dessus son corps, sans rien remarquer. Peut-être n'arrivait-t-elle pas à baisser son regard ? Lorsqu'elle commença à s'éloigner, le lieutenant se leva d'entre les buissons et récita à voix-basse une incantation tout en faisant briller entre ses doigts une boule de feu bleutée. Il la lança sur la chose qui lâcha un horrible cri strident à fendre du verre et à déchirer les tympans. La chose virevolta de panique tout en se voyant consumée par les flammes bleutées, avant de se liquéfier, formant ainsi une vase orange encore fumante. Le reste de la compagnie se releva, encore sous l'état de l'adrénaline. 

_ Une Sentinelle, conclut le lieutenant. Je ne pensais pas en trouver ici.

_ C'était quoi cette chose ?! Demanda Warda encore dégouté par la masse gluante qui se consumait à vue d'œil.

_ Une Sentinelle, une entité créée à partir d'un sort d'invocation qui nous permet de surveiller nos forêts afin de prévoir une attaque surprise. Ils vont certainement envoyer des troupes sur place pour voir ce qu'il s'est passé. Mieux vaut ne pas trainer ici.

Les elfes sylvains reprirent la route, vigilant au moindre signe, de peur de se faire surprendre de nouveau par une Sentinelle, ce qui serait capable de compromettre leur mission. Le soleil céda à la pluie pendant le restant de la journée. Le lendemain, ils étaient sur les sentiers de la Forêt Morte. Lorsqu'ils y pénétrèrent, Warda remarqua le changement radical du paysage. Les seuls arbres qu'ils croisaient étaient noirs et vides de vie depuis bien longtemps, comme consumé par un incendie datant de plusieurs décennies. Rien n'y poussait, rien n'y vivait. Toute vie avait quitté les lieux depuis bien longtemps. 

_ Autrefois, l'Enfër a attaqué notre continent. Ils sont montés par le Royaume des Os et tué toutes formes de vie sur leur chemin. Cette terre était jadis une très belle forêt, mais les Inferniens l'ont brûlé et corrompu. Nous avons livré bataille à l'orée du Bois Brillant et remporté la victoire. On peut dire en quelque sorte que cet endroit est une extension du Royaume des Os.

_ Pourquoi le Royaume des Os s'appelle ainsi ? demanda Warda.

_ Parce que là-bas tout est mort. Comme cette forêt. Et bientôt, toi aussi tu feras partie de ce peuple.


Ils ne dormirent pas cette nuit-là. Les elfes sylvestres voulaient en finir au plus vite, rester davantage à portée des Sentinelles était dangereux.

Le lieutenant ne permit qu'une brève halte, l'air sec de cet environnement irritait la gorge et ils en profitèrent pour boire une gorgée. Un elfe montra sa gourde à Warda et lui dit:

_Tu en n'auras pas besoin, demain, au couché du soleil, tu n'auras plus jamais soif. 

Le guerrier sombre lui aurait arraché son sourire du visage si les chaînes dans son dos ne l'entravaient pas. Tout son corps lui faisait terriblement mal. Il avait faim, et ses muscles tendus étaient brûlants de douleur. Il se contenta de regarder le garde en train de boire devant lui, d'un air provocateur. Un des guerriers surveillait le secteur à l'écart de ses compagnons, certainement par crainte de tomber de nouveau nez à nez avec une Sentinelle. Ils se reposèrent pendant une heure, assis aux racines desséchées d'un arbre mort. La terre en-dessous d'eux était craquelée, et la cendre qui reposait dessus avait solidifié et fusionné avec du sable, formant ainsi une fine pellicule blanche aussi râpeuse que de la pierre. Lorsqu'ils finirent de récupérer, ils reprirent la route au milieu des ténèbres, avec pour seule et unique lueur un disque argenté dans le ciel masqué à moitié par un voile sombre de nuage. Ils marchèrent durant tout le restant de la nuit, jusqu'à ce qu'une lueur rouge s'élève au milieu des rares arbres fossilisés. Ils marchèrent encore, tandis que le soleil ardent grimpait sur le toit du monde, et les branches blanches étaient semblables à des doigts de squelette qui essayaient désespérément de l'attraper. Alors que Warda traînait ses pieds péniblement, le lieutenant et un autre garde l'emmenèrent en tête de groupe et le firent marcher, jusqu'au rebord d'une falaise. Face à lui, une immense terre jalonnée de canyons s'étendait jusqu'à l'horizon. Ni arbre, ni verdure n'osait s'élever sur ce royaume, rien qu'une terre sèche et fissurée l'attendait. 

_ Voici le Royaume des Os, lui dit le lieutenant. Lorsque le soleil aura atteint le versant ouest de cette terre, tu mourras.


Ils descendirent et empruntèrent un chemin qui se trouvait au fond de l'un de ces canyons. Le sol craquait sous leurs pas, les deux murs immenses de chaque côté les forçaient à avancer droit, sans aucune autre voie accessible. Le vent brûlant du désert s'engouffrait à l'intérieur et rappelait à ceux qui étaient en-dessous l'enfer du soleil martelant du dessus. L'un des gardes portait Algazalm sur son épaule, c'était celui qui avait provoqué Warda la veille en buvant une gourde devant lui. La lame géante semblait toutefois faire souffrir son épaule à cause de son poids écrasant. Cette vue fit légèrement sourire le véritable propriétaire de l'épée, au moins il n'était pas le seul à en baver. Ils marchèrent aussi loin qu'ils le purent, chaque heure semblait durer une éternité. Malgré l'intense chaleur, Warda sentait le froid l'envahir. Ce n'était pas à cause du vent, ni sa sueur perlant sur sa peau, mais la peur de la mort. Il savait que cette fois-ci, il n'arriverait pas à s'en tirer. Ce n'était pas simplement une planche de bois sur son dos qui le retenait, ce c'étaient des chaînes en alliage, impossible à briser par la force des bras. Le soleil avait dépassé son zénith depuis bien longtemps, et il allait bientôt atteindre le rebord des falaises. Le lieutenant aussi regardait le soleil, et lui aussi savait que l'heure était proche. Ils finirent par s'arrêter au milieu du chemin. Les os d'un animal jaillissaient du mur où ils étaient incrustés, le crâne bruni par l'âge fixait de ses yeux creux l'étrange spectacle. Le lieutenant elfe contempla le soleil qui progressait inlassablement vers la terre où il s'apprêtait à disparaître. 

_ Nous y voilà, dit-il sans se retourner. Nous avons respecté la volonté de notre souverain, nous avons marché jusqu'au couché du soleil en terre du Royaume des Os, et nous allons t'exécuter. Guerrier sombre, avez-vous une dernière volonté avant de mourir ?

_ Une seule, répondit Warda qui était tombé à genoux. Rendez-moi mon épée.

Les soldats se regardèrent, puis en fin de compte, l'elfe qui portait Algazalm s'avança vers Warda et planta l'épée juste devant lui. 

_J'espère, démon, que ton cadavre sera dévoré par les scolopendres. 

_ Dënardel ! Cria le lieutenant. Hors de ma vue.

Le soldat regarda son supérieur avec des yeux méprisants, et s'éloigna. Le lieutenant s'approcha du guerrier sombre et dégaina son sabre. 

_Elfe noir, je suis sincèrement désolé, je sais que vous avez sauvé une fois notre roi, et je vous en remercie. Mais votre acte de trahison ne peut être pardonné. Puis-je espérer que votre mort sera indolore. 

Warda regardait Algazalm dont les flancs brillaient aux dernières lueurs du soleil. Tout, tout ce qu'il avait fait, tout était inutile. Finalement, durant toute son existence il a lutté pour survivre et garder en lui les vies sacrifiées pour lui. Mais, en fin de compte, tout ça n'avait servi à rien. Il regarda le ciel avec des larmes aux yeux et dit, d'un air suppliant:

_ Pardonne-moi père.

Raon, Hélène, Carnassus, Rassoun, Mélane, Granland, et tout ce qui étaient morts pour lui, tous envahissaient sa mémoire. Il se rappela aussi du visage de Lindilla couvert de larmes, terrifiée, juste avant son départ. Serait-ce ainsi que tout allait se terminer, sur le visage de la femme qui su embraser son cœur en train de pleurer, en train de souffrir. C'était trop bête, mais c'était pourtant vrai. Tout était fini, il n'y avait rien à faire. Warda baissa la tête, découvrant sa nuque, Il sentit le froid du tranchant de la lame tâtait sa peau avant de s'élever.


Le lieutenant ressentait dans son cœur une once de pitié en voyant le guerrier noir accepter la mort. Et parce qu'il avait pitié de lui, il allait lui offrir la plus belle mort qui soit. Il leva sa lame et regarda une dernière fois le soleil qui plongeait entre les falaises. Puis...


Puis... Le sang chaud se déversa sur la terre, dans le son cristallin de la lame traversant la chaire et les os. Puis le corps sans tête tomba dans un nuage de poussière, inerte. Lorsqu'il rouvrit les yeux, un épais liquide coulait le long de sa tempe. Il entendit le cri des soldats affolés, puis, à côté de son épée, le cadavre du lieutenant reposait, répandant un flaque sombre autour de lui. Qu'est-ce qui se passe ? se demanda Warda en relevant son cou, qui étrangement, était toujours relié à ses épaules. Il se retourna puis deux sifflements désagréables retentirent avant qu'un elfe se retrouve avec deux énormes trous dans la poitrine. 

_ Nessran Tyna'less ! (Nous sommes attaqués !)

Les soldats dégainèrent leurs épées, faisant face à un ennemi invisible. Un nouveau sifflement retentit, identique au précédent, et l'un des elfes se fit arracher l'oreille et une partie du visage par une énorme pièce métallique en forme de pointe qui se planta dans un rocher derrière lui. Un carreau noir érafla la joue de Warda par derrière et vint se planter dans la jambe d'un soldat qui s'écroula par terre. Il n'eut pas le temps de se retourner qu'il sentit deux puissants bras l'attraper autour du cou et sous l'aisselle gauche. Son ravisseur le traîna par terre sans relâcher son étreinte pendant que deux de ses sbires, tous deux habillés entièrement en noir et armés jusqu'aux dents, chargeaient les elfes sylvains en brandissant des cimeterres aux lames dentées. De longs cheveux blancs contrastant avec le sombre de leurs vêtements flottaient derrière eux pendant qu'ils couraient vers leurs prochaines victimes. « Des elfes noirs ? » Se demanda Warda qui tenta en vain de se défaire de celui qui l'avait attrapé. La bataille faisait rage là-bas, les assassins en noir terrassaient aisément les guerriers sylvains, usant sans scrupule de leurs dagues attachées à leurs bras en même temps que leur cimeterre. Trois autres mercenaires noirs rejoignirent le combat, prenant les elfes en tenaille. 

_ Lâche moi ! Hurla Warda en donnant un coup de pied dans le genoux droit de son ravisseur, puis il se pencha brusquement en avant, faisant passer l'assassin par-dessus son épaule. 

Le guerrier sombre écrasa les lunettes de son agresseur sur son visage caché par une cagoule de cuir d'un grand coup de pied, puis il bondit directement vers Algazalm qui était toujours plantée par terre. Ses mains étaient toujours dans son dos, même s'il empoignait son arme il ne parviendrait jamais à se battre. Pourtant, s'il ne trouvait pas un moyen rapidement, les assassins ne feraient qu'une bouchée de lui une fois qu'ils auraient retrouvé leur camarade inconscient. Il ne vit qu'une solution, c'était sa seule option. Il commença à baisser ses poings à hauteur de ses genoux, et entama une descente minutieuse. Il était gêné par son armure, mais il devait faire avec. Il passa une jambe par-dessus ses bras, puis sentit un craquement. Il se retint de hurler, son armure était trop rigide pour ce genre d'acrobatie, mais il parvint à faire passer sa deuxième jambe par-dessus ses mains liées. Maintenant, il avait ses mains devant lui, c'était plus aisé pour se battre. Encore engourdie par la douleur, mais obstiné, il empoigna Algazalm et la fit jaillir du sol. Il ne restait plus que deux elfes, tous deux en grande difficulté. Ils étaient plus fines lames que leurs camarades, et la peur de la mort semblait leur conférer une force immense. Mais c'était insuffisant, ils allaient se faire tailler en pièces d'ici peu de temps. Et le temps, c'est exactement ce que manquait Warda pour s'enfuir. En se levant il remarqua l'arme qui avait causé la mort du lieutenant plantée dans le sol. C'était une immense étoile d'acier de un demi mètre de diamètre composée de quatre lames courbées. Il fallait une force phénoménale pour lancer un tel projectile. Il fallait la force d'un... d'un elfe noir. Il entendit son ravisseur à terre gémir, et avant qu'il ne puisse faire le moindre geste, il fut décapité par le pourfendeur d'acier. 

_ Désolé, mais je n'ai pas de temps à perdre !

Il leva son épée maladroitement, toujours les mains liées, et la posa sur son épaule. Il ne se retourna même pas, il courut tout droit, ignorant les derniers cris des elfes sylvains qui se faisaient trucider à ce moment même. Mais il ne put parcourir une assez longue distance qu'une autre ombre lui tomba dessus, et tous deux roulèrent par terre. L'assassin en noir était robuste, très robuste, Warda ne parvenait pas à se défaire de lui. Il le tenait fermement par le cou et dessous son aisselle. Le guerrier sombre se releva et s'élança contre la paroi rocheuse de toutes ses forces, écrasant son assaillant qui s'était fixé sur son dos. Il ne lâcha pas prise, alors Warda s'élança de nouveau, puis encore, puis encore, jusqu'à ce que son agresseur le lâche. L'elfe noir à l'épée gigantesque frappa son ennemi à la gorge avec la lame qui revenait derrière la poignée, puis une fontaine de sang aspergea son visage. Lorsqu'il se retourna, un autre assassin au cimeterre encore souillé d'hémoglobine s'approcha de Warda. Il n'eut pas le temps de réfléchir, ses bras agirent pour lui, il lui trancha le ventre, faisant jaillir ses tripes affolées. Il eut juste le temps d'apercevoir deux autres ennemis qu'il para par réflexe le cimeterre qui s'apprêtait à tomber sur lui. L'acier des armes retentit encore à trois reprises avant que Warda tente de frapper ses adversaires qui l'esquivèrent d'un geste vif. L'un des assassins l'attrapa par le bras et renversa Warda sans qu'il put résister. Il sentit la pointe d'une des longues dagues juste sous sa gorge. Le guerrier sombre saisit le poignet de son agresseur, l'écarta de son cou et donna un coup de tête arrière en pleine face. Le tueur en cuir noir recula tout en se tenant le nez dont le sang coulait à travers une grille de fer en guise de bouche. L'elfe noir reprit son arme, para le cimeterre d'un ennemi et les dagues affûtées d'un autre. Il ne vit pas le troisième se dérober sur son flanc droit. Warda eut juste le temps de sentir une violente douleur lui déchirer les côtes. Il tenta de frapper le soldat invisible, mais il ne fendit que de l'air. Il posa sa main sur sa blessure et y découvrit du sang. Il fut prit rapidement par la nausée, ses pas étaient ceux d'un ivrogne. Sa vision se troubla d'une tâche rouge après qu'un des assassins lui ait donné un coup de pied sauté au front. Jamais il n'avait reçu un coup si violent, il avait l'impression qu'un ours venait de lui arracher la tête. C'était comme le coup de poing de Galaran dans la forêt. Il ignorait s' il était debout ou couché, il avait juste un terrible bourdonnement dans les oreilles. On le frappa de nouveau, en plein visage. La terre aride et rocailleuse caressa brutalement sa joue avant de prendre une teinte carmin. Il tenta de se relever, mais un violent spasme contracta son estomac et sa cage thoracique, il vomit un liquide pourpre, un affreux goût de fer irritant raclait sa gorge. Il tenta de nouveau de se lever, mais il fut renversé d'un violent choc dans les côtes. Ses yeux étaient encore ouverts, irrités par le sable qui virevoltait encore en l'air, mais il ne voyait plus rien. Il ignorait ce qui se passait, il n'avait plus la force de savoir. La douleur l'assommait, peut être que la dague qui l'avait touché était empoisonnée, mais qu'importe, il souffrait trop pour avoir de la curiosité. Il ne vit pas non plus le chasseur tapis dans l'ombre.


Alors qu'un des hommes en noir se baissa vers leur dernière victime, caché dans l'ombre des rocailles, un chasseur aux grands yeux jaunes exorbitants les épiait, un arc tendu dont la pointe de fer affûtée reposait sur ses doigts fins écailleux. Son visage était tellement crispé par la concentration qu'entre ses fines lèvres noires jaillissaient des petits crocs blancs. Ses yeux par nature n'étaient pas accoutumés à la lumière vive, mais il avait appris à faire avec. Lorsque son empennage de plumes de vautour lui caressa la joue, tout son corps se crispa d'avantage. Le vent qui soufflait sur son visage poussait son odeur hors de portée des nez de ses cibles, faisait trembler les gris-gris en os et plumes attachés à ses nattes grises. Il implora à voix basse dans sa langue natale les esprits de lui donner la force et le courage pour affronter la tempête qu'il s'apprêtait à déclencher. Il ajusta son angle de visée et lâcha la corde. La flèche siffla et plongea dans la chair de sa victime profondément, entre les deux omoplates, la pointe de fer perça le cœur et traversa les côtes avant de rejaillir du torse de sa proie. Les quatre derniers assassins encore debout ne regardèrent même pas leur camarade lorsqu'il périt, leurs yeux étaient rivés sur le gobelin qui venait de dévoiler sa cachette en tirant sa flèche. L'un d'entre eux tendit son bras droit vers le nouvel ennemi et tira un projectile en forme de foreuse qui se planta dans la roche, juste à quelques centimètres de sa cible. Le gobelin terrifié se replia et disparu de nouveau. 

_ Endërnez cem ! Hurla l'un des assassins, celui qui avait un grillage devant la bouche.

Avant d'entreprendre quoique ce soit, un colosse à la peau grise d'une hauteur de deux hommes jaillit des ténèbres, ses grands yeux jaunes ornés d'une iris de fauve les fixaient, exactement comme un prédateur regarderait sa proie avant de bondir dessus. Il dégaina une énorme flamberge à sa ceinture et se saisit d'un bouclier en bois et en os, les crocs de nombreux carnassiers qu'il avait tué étaient plantés dessus de manière menaçante. Un assassin noir utilisa un rocher pour bondir dessus et frappa de toutes ses forces sur le bouclier qui lui barra le passage. Du bois et des os partirent en éclats sous le choc, mais le monstre géant résista, et même, repoussa son adversaire par la force brute et lui entailla la poitrine d'un coup d'épée. La blessure n'était pas très profonde, mais l'assassin regarda son torse saignant. Le colosse abaissa ses longues oreilles et montra sa dentition de prédateur à la manière d'un lion. Juste derrière la horde d'assassins apparut un second monstre, plus grand que le premier, armé d'un cimeterre primitif gargantuesque à la garde recouverte de fourrure. Il attrapa un tueur aux cheveux blancs et lui écrasa le visage sur un rocher, avec une telle brutalité que les lunettes noires lui rentrèrent dans le cerveau. L'ogre hurlait comme un animal féroce, menaçant les derniers survivants de son cimeterre monstrueux. L'assassin au grillage devant la bouche para un tomahawk d'un coup de cimeterre, et deux autres créatures identiques aux deux premiers vinrent encercler les hommes en noir. L'un avait pour arme une hache similaire à celle qui fut jetée quelques instants plus tôt tandis que l'autre avait une longue lance à la pointe de pierre affûtée. Le tueur noir entaillé chargea de nouveau vers le monstre au bouclier et l'attaqua sans répit, tailladant sans relâche l'écu d'os. Il finit par planter son épée dans le crâne central du bouclier sans parvenir à la dégager, alors il prit un léger recul et tira une de ses foreuses qui traversa le centre. Le monstre grogna, du sang coulait de son bras. Mais ce n'était qu'une blessure superficielle, le centre du bouclier était robuste et la pointe d'acier s'était figée dedans. Il tira son second projectile dans le côté gauche, et cette fois-ci le bois et les os explosèrent sous la force de l'arme mortelle qui traversa l'écu comme dans du beurre, en y laissant un trou béant. La foreuse toucha le monstre en plein dans l'épaule gauche, et se planta jusqu'à l'os. La créature fléchit un instant, ne parvenant plus à tenir son bouclier. Le tueur en noir s'approcha de son ennemi en tenant à deux mains son arme, et ce n'est qu'au dernier moment qu'il se rendit compte de son erreur. Le monstre se releva subitement et lui infligea une seconde blessure, bien plus profonde que la précédente, tranchant poumons, foie, estomac, intestins et cœur sur son passage. Le combattant en noir tomba sur le dos dans un râle étouffé par le sang qui lui montait à la gorge. Le monstre attrapa la bout de ferraille plantée dans sa chaire et l'arracha brusquement, puis se débarrassa de son bouclier devenu encombrant, dévoilant sa seconde blessure au bras gauche, plus superficielle. Les trois derniers assassins regardèrent à tour de rôle les colosses qui les entouraient, ils savaient certainement qu'ils étaient faits comme des rats. Peut être le souvenir des elfes qu'ils avaient tué juste avant refaisait surface dans leurs esprits, et peut être qu'ils se rendaient compte qu'ils venaient d'échanger les places. Deux monstres, celui à la lance et celui à la hache, chargèrent et s'en prirent à un assassin. Le guerrier à la lance paraît les coups de cimeterre pendant que l'autre tentait d'attaquer là où les ouvertures se présentaient. L'assassin était entraîné et compétent dans l'art de la lame, il se battait avec agilité et force, mais il ne pouvait rien face à deux créatures aussi brutales que furieuses. Finalement celui à la hache attrapa le bras droit de l'assassin et son compagnon le transperça de sa lance. Le dernier se retrouva coincé entre le colosse à la flamberge et celui au cimeterre d'ogre. Il attrapa la hache qu'il avait paré plus tôt et se lança vers le plus affaibli des deux. Il attaqua sans répit, maniant l'épée et la hache dans un enchaînement digne d'un danseur, comme il avait appris à le faire avec son maître pendant de longues heures. Mais il sous-estima son adversaire, il était bien plus robuste que ce qu'il ne l'imaginait. Il le paraît et l'esquivait autant de fois qu'une des armes le menaçait, et ripostait sans hésiter avec sa flamberge. La créature géante au cimeterre ne resta là sans rien faire pour admirer le spectacle, il vint au secours de son ami en maniant sa large lame. Ses coups étaient lents, l'assassin entraîné n'eut aucun mal à les esquiver, mais lorsqu'il voulut le parer avec son épée, la puissance du choc était telle qu'il n'eut pas d'autre choix que de la lâcher. Son arme d'acier  venait d'être tranchée en deux. Il tenta d'attaquer son agresseur aux côtes avec sa hache, il fut paré, et profita de la nouvelle opportunité qu'il lui était ouverte pour faire un tour sur lui-même et planta les dagues accrochées à son bras dans le ventre du géant. Normalement, ce coup aurait dû être mortel, mais lorsque l'assassin leva les yeux, il vit l'ogre lui dévoiler ses énormes dents dont deux crocs exubérants de la mâchoire inférieure qui atteignaient la lèvre supérieure de son sourire de prédateur. Sa main gigantesque attrapa le bras dont les dagues étaient encore plantée dans le ventre, retira les lames de sa chair, exécuta une torsion du bras, posa son pied sur l'articulation et d'un coup sec, l'assassin retrouva son bras complètement replié dans le mauvais sens. L'assassin en noir se contorsionna de douleur en hurlant et jurant tout ce qu'il savait. L'ogre s'approcha lentement de sa victime gesticulante au sol, leva son épée et sans pitié, il trancha le second bras. Un nouveau hurlement de douleur retentit, plus semblable à un crissement d'acier qu'à une voix humaine. Le géant attrapa son ennemi par le col de son vêtement de cuir noir, dévoila ses gigantesques dents et les planta dans sa gorge, l'achevant sur le coup. Lorsqu'il finit par arracher la moitié du cou de l'assassin, il le jeta négligemment par terre. La gueule encore pleine de sang frais, il se retourna vers le monstre qui rangeait sa flamberge et s'adressa à lui dans sa langue, brute et sèche, à découper chaque syllabe aux couteaux.

_ C'étaient quoi ces choses ? On en n'a jamais vu auparavant ? Garak ?

Le géant à la flamberge se pencha par-dessus un des cadavres d'assassins, celui au grillage devant la bouche, et retira sa cagoule de cuir. En-dessous de cet apparat terrifiant se cachait un visage à la peau noire, ses cheveux blancs s'étaient agglutinés au sang collé sur son visage. 

_ Des elfes noirs, Nurtag. Dourgen, Brentark, appelez Gartërn ! 

_ Gartërn ! Hurla le géant à la lance. Tu peux descendre, la voie est libre !

Le vieux gobelin descendit des rochers avec une aisance connue qu'à lui seule. Il s'approcha de Dourgen et lui demanda:

_ Vous n'êtes pas blessés ? Où est passé ton frère ?

_ Moi non, mais Garak et Nurtag oui. Brentark est certainement en train de fouiller les cadavres.

Effectivement, quelques mètres plus loin, Brentark troqua ses deux vieilles haches pour deux cimeterres récupérés sur les elfes noirs. Les lames dentées et aiguisées des deux épées étaient extrêmement tranchantes, en tout cas assez pour fendre l'armure d'un guerrier elfe. L'orque au nom de Garak ramassa son vieux bouclier, et finalement l'abandonna. Il ramassa l'un des projectiles qui avait percé son écu et le montra au gobelin. 

_Je n'ai jamais vu une arme pareille, conclut le gobelin. Celui qui les a conçu voulait une mort douloureuse à ses ennemis. 

_L'un d'entre-eux m'a touché, répondit Garak en faisant tourner entre ses mains la pièce métallique. Je me sentais déchiqueté de l'intérieur. 

_ Montre.

Garak se pencha à hauteur de Gartërn qui observa la blessure, fasciné. Il lécha son doigt et tâta l'intérieur de la plaie, ce qui fit grimacer l'orque. 

_ Tu vas mettre un moment à cicatriser cette blessure, elle est profonde. Je vais voir ce que je pourrais y faire. Que comptes-tu faire Garak ?

_ On emporte les corps, nous ne trouverons certainement pas de viande au milieu du désert. 

_ Tu es certain que tu peux continuer, il te faut te reposer.

_ Non, nous sommes trop proches du but.

Alors que Garak et Gartërn discutaient, Brentark fouillait les corps en quête d'éventuelles nourritures et de matériels, voire des armes. Il trouva une panoplie d'armes plus intrigantes les unes que les autres sur les corps des elfes noirs, surtout des dagues, des couteaux, des stylets mais aussi des pièces de fer en forme d'étoiles, plus ou moins grandes. Ils portaient également sur eux des fioles contenant des liquides sombres, certainement de la drogue ou des poisons. Il récupéra également l'une de ces étranges arbalètes miniatures que les assassins portaient à leur bras gauche. L'ingénieux mécanisme qui permettent aux deux branches de se replier l'intrigua, aussi il décida de s' en procurer une et s'empara des carreaux adaptés. Certainement qu'il trouvera le moyen de l'adapter à son propre bras. Pendant ses fouilles, il découvrit un elfe noir allongé, la trace de deux dagues dans son ventre, il était différent des autres. Il portait une cuirasse en acier sombre et à côté de lui était posée une immense épée recouverte de runes, et une immense lame qui se prolongeait le long du manche. Cette épée devrait être idéale pour Nurtag. Il s'approcha de l'elfe noir, et tandis qu'il s'apprêtait à prendre l'arme gigantesque, celui qu'il pensait mort le saisit par le poignet et toussa violemment du sang. Brentark surpris se releva et hurla à Garak:

_ Il est encore vivant !

Garak se releva rapidement et vint à la rencontre de Brentark. Le reste du groupe ne tarda pas non plus à s'amasser autour de l'elfe noir agonisant. Pour une étrange raison, il refusait de lâcher son épée, même s' il n'était visiblement plus capable de se battre. Nurtag s'approcha et brandit son épée au-dessus de lui.

_ Abrégeons les souffrances de ce monstre !

L'elfe noir se tourna vers Garak. Sur son visage éclaboussé de sang et recouvert de poussière, on pouvait y lire toute la souffrance qu'il a ressentit, toutes les peines qu'il a enduré et essuyé au fil de sa vie. Il entrouvrit les yeux, et murmura des mots incompréhensibles. Ce visage, ces yeux, ce regard profond qui vous perce l'âme jusqu'à en découvrir tous vos moindres secrets, ce regard, Garak le connaissait. Il attrapa le bras de son compagnon et s'interposa entre lui et l'elfe noir.

_ Non mon frère, ne le tue pas.

_ Pousse toi de là frère, c'est un ennemi.

Garak se retourna vers l'elfe noir. C'était étrange, il avait l'impression de l'avoir déjà vu. Il savait dès cet instant que sa vie serait bouleversée, que sa destinée sera à jamais liée à la sienne. C'était comme s' il avait vécu toute une vie juste pour le rencontrer. Il se pencha au-dessus de l'elfe noir qui retomba inconscient. 

_ Il n'est plus une menace, conclut Garak. Nurtag, aide moi à le porter.

_ Tu es fou Garak, lui répondit Nurtag. Mais tu es mon frère, je te suivrai où que tu ailles, quoique tu fasses. 

Nurtag se pencha et attrapa l'elfe noir avant de le transporter sur son épaule, tel un sac de pommes de terre. Garak se leva à son tour, et regarda le soleil couchant. 

_ En route.


La chaleur regagna peu à peu tout son corps et son âme. Il sentait toujours la douleur qui lui perçait les côtes et l'abdomen, ainsi qu'un léger fourmillement. Tout son corps lui faisait atrocement mal, et son crâne était une coque contenant toute la douleur en réserve. Sa tempe le faisait particulièrement souffrir. Il était couché, et le reflet de flammes peignait le plafond rocheux d'une caverne d'or. Il sentait sur son dos le contact de la paille et de la fourrure. Sa gorge l'irritait désagréablement. Il avait du mal à respirer, et ce goût atroce de fer sec ne cessait de le tourmenter. Il toussa, et tenta en vain de se relever. Il avait trop mal aux abdominaux et aux côtes pour faire le moindre effort. Les fourmillements devinrent démangeaisons. Il se tâta la plaie, des petits êtres visqueux et gluants remuaient à l'intérieur. Une main forte et rugueuse l'attrapa et écarta ses doigts de sa blessure. 

_Qu'est-ce que...

_ Laisse les faire leur travail, dit une voix caverneuse qui faisait plutôt penser à un grognement. 

_ Où suis-je ? 

_ Repose toi. 

Lorsque Warda ouvrit les yeux, le visage gris d'une créature au large front recouvert de tresses noires et aux grandes mâchoires aux crocs aiguisés le regardait. Deux de ses dents affûtées ressortaient du bas de sa gueule tant elles étaient longues et larges. Une autre créature, plus frêle et beaucoup plus petite, aux nattes grises et aux yeux aussi larges qu'un œuf d'autruche réajusta les asticots qui coulaient de sa blessure. Tout en donnant une gourde d'eau à boire, le grand monstre aux dents démesurées dit:

_ Ils te nettoient, ne les touche pas. 

Malgré la délicatesse avec laquelle le géant s'y prenait, Warda s'étouffa avec l'eau et se mit à tousser. Le colosse versa le précieux liquide plus lentement dans sa bouche. Après avoir bu, Warda toussa de nouveau, à chaque fois en s'arrachant une nouvelle dose de douleur au niveau des côtes. 

_Tu mangeras plus tard, lui dit le géant en se relevant. 


Lorsque Garak se releva, il rejoignit sa troupe qui était en cercle autour d'un feu. Dourgen était absent, il devait être dehors en train de veiller. Nurtag mangeait la viande d'elfe noir avec appétit, tandis que Brentark était en train de se fabriquer un nouvel harnais pour attacher sa nouvel arbalète à son bras. 

_Qu'est-ce que c'est ? Demanda Garak curieux de la trouvaille de Brentark. 

_ Une arme des elfes noirs. Il la portait au bras. Je compte me l'approprier. Ce sera utile pour chasser. 

_ Montre, fis Nurtag en mettant son morceau de viande de côté.

Quand le grand orque mania la petite arbalète, il remarqua à son tour que chaque côté de l'arme pouvait se replier le long du corps, et ne pas gêner son porteur de cette manière. 

_ Ce n’est pas très puissant, conclut Nurtag en rendant l'arbalète à Bentark.

_ Mais c'est pratique. Et discret. 

Brentark déplia les deux branches de l'arbalète et tendit la corde. Il plaça l'arbalète sur son bras et déclencha la gâchette qui se trouvait dans la paume de sa main, et la petite arbalète tira son projectile imaginaire. 

_ Plus besoin de s'encombrer avec un arc, conclut l'orque. 

_ Ouais, je ne suis pas tout à fait convaincu, répondit Nurtag en mordant dans sa part de viande.

Garak attrapa à son tour une broche avec planté dessus le bras d'un des assassins qu'ils avaient tué. Il mordit dedans, la viande était dure et nerveuse, il était difficile de les couper, donc il était normal qu'il était difficile de les manger aussi. Il croqua dedans et mastiqua longuement avant de pouvoir avaler. Des dents humaines auraient pu se casser dessus, mais les crocs des orques sont plus robustes et tranchants, ils pouvaient quasiment tout broyer. Pendant que Garak prit une nouvelle bouchée de viande, Nurtag lui demanda en montrant du menton l'elfe noir couché sur la paille:

_ Pourquoi l'avoir épargné ? 

_ Je ne peux pas encore te le dire, il devrait être le premier à savoir. 

Garak jeta un coup d'œil à l'elfe noir, Gartërn était en train de lui faire ingérer un remède de sa préparation afin de l'aider à se rétablir. Son regard tomba ensuite sur le fond de la caverne, plusieurs objets étaient enfermés dans des sacs de toile qu'ils avaient trouvés au cours de leur expédition. Mais leur plus fabuleux trésor était caché par une couverture robuste qui offrait la meilleure protection possible aux intempéries. C'était grâce à ce fabuleux souvenir préservé du temps par ses ancêtres et par son père adoptif Gartërn que Garak avait souhaité mener cette excursion, et finalement cette excursion devint son seul but dans la vie. Dourgen rentra à l'intérieur de la caverne.

_Je prend la relève, annonça Nurtag. Repose toi. 

Le géant se leva, prit son épée et un arc, et sortit pour prendre le poste de sentinelle. Dourgen s'assit et posa sa lance derrière lui. Sans dire le moindre mot, il prit une pièce de viande et commença à manger. Pendant ce temps, Garak remuait les braises à l'aide d'une baguette de bois. La nuit allait être encore longue, et lorsque le jour se lèverait, ils devraient parcourir une bonne distance avant d'atteindre la prochaine oasis, si oasis les attendait. 



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