La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié

Chapitre 5 : L'arrivée du Fléau

4080 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/01/2025 15:49

Chapitre 5: L'arrivée du Fléau







Dans le ciel, le soleil brillait d'un feu ardent et bombardait toute sa cruelle chaleur sur le crâne des matelots. Le vent avait cessé de souffler depuis quelques jours, la mer bleutée était si plate que sa surface semblait n'être qu'une énorme flaque d'huile. Affamés, les hommes priaient les dieux des océans de bien vouloir faire mordre les poissons à leurs hameçons qui nageaient dans la grande bleue depuis des heures sans le moindre résultat. Le capitaine Ferdalk, redoutable chef des pirates de la baie de Cintrïll, était avachi sur le rebord et scrutait l'horizon, en quête de nuages, tout en mastiquant la semelle de sa botte. C'était la pire chose qu'il puisse arriver à des marins, être prisonnier d'un anticyclone pendant des jours. Dans la cale de leur navire resplendissant, le Faucon des mers, reposait encore leur incroyable butin du mois dernier: des pièces d'or, des couronnes ornées de diamants, d'innombrables bijoux d'une valeur inestimables, des riches vêtements appartenant à la marine de Cintrïll, des armes décoratives entièrement en or, et même la statue du premier roi de Cintrïll, Bardnedeleus premier, en marbre noire, une pierre extrêmement rare venant des montagnes lointaines. Il avait dû payer de sa main pour acquérir son fabuleux trésor, un de ses hommes lui avait confectionné une « main » de remplacement temporaire avec un bout de bois et un crochet à thon. Un des marins, devenu complètement fou à cause de la faim, rampait par terre et sauta sur une sauterelle, et la mastiqua la bouche ouverte. 

_ Va-t'en scélérat ! s'écria le Capitaine Ferdalk. Dégagez de ma vue, vous me coupez l'appétit !

Le marin se contenta de répondre par des grognement accompagnés d'une pluie de mollards. Le capitaine regarda de nouveau l'horizon, mastiquant la semelle de sa chaussure tout en tapotant en rythme son crochet à thon sur la rambarde de son navire. Alors qu'il avait enfin accepté l'idée de mourir en pleine mer avec une montagne d'or, un vent frais remonta jusqu'à ses narines ramenant du large l'odeur de l'iode, du sel et de l'eau mélangés. La surface si plate se rida rapidement, et le drapeau qui se reposait à la verticale depuis bien trop longtemps se redressa de nouveau, un crâne de mort souriant de toutes ses dents. Lorsque Ferdalk redressa la tête, des nuages noirs envahissaient l'horizon. Enfin, un miracle ! Le capitaine au crochet se retourna, botta le derrière du marin fou qui rampait encore par terre et hurla:

_ Dressez les voiles bande de rats pestiférés ! Une tempête se prépare ! On rentre à la maison !

Les pirates abandonnèrent leurs cannes à pêche et hurlèrent de joie, accueillant à bras ouverts les nuages ténébreux venant du sud. La brise légère devint rapidement un souffle violent fouettant le visage, des vagues ondulaient à la surface de l'océan et les voiles se gonflèrent. La compagnie de pirates s'apprêtait à partir, mais lorsque le Capitaine Ferdalk se retourna vers les nuages, il vit une silhouette familière en jaillir. Un navire, un immense navire entièrement noir, qui se dirigeait droit vers eux. Il se gratta sa barbe infestée de poux et appela un de ses marins.

_ Oui mon capitaine ! Répondit le marin en question.

_Dis moi jeune puceau, qu'est-ce qui peut bien y avoir au sud ?

_ Ben, rien mon capitaine, il n'y a que de la mer. 

_Alors explique moi d'où peut bien venir ce putain de bateau !

_Je n'en sais rien mon capitaine.

Ferdalk regarda son morceau de semelle grignoté, et à vrai dire, le cuir n'est pas vraiment ce qu'il y a de meilleur à la bouche. Il en avait assez de crever de faim sur ce rafiot, il voulait du concret. De la viande, du vin, du rhum, voilà ce dont un marin avait besoin. Il n'y avait qu'une infime chance pour que ce bateau ait encore de la nourriture dans ses cales, mais il devait tenter quand même le coup. Il jeta sa vieille semelle sur le pont et ordonna à ses moussaillons de faire demi-tour.

_Qu'est-ce qui se passe capitaine ? Demanda un vieil homme à la barre. 

_ Un navire venant droit du sud, voilà la raison ! Allez du nerf ! Au menu il y aura de la viande !

Au mot « viande » tous les marins brandirent les armes et hurlèrent en chœur « La viande ! ». Jamais manœuvre dans l'histoire de la marine ne fut si rapide, le bateau se retourna brusquement et fonça droit vers sa proie, tel un faucon des mers. Le bateau noir était immense, par conséquent très lent, contrairement au Faucon. Ils n'avaient aucune chance de s'échapper aux griffes acérées. L'excitation à bord était à son comble, ils se rapprochaient des nuages noirs et du bateau sombre qui les attendait. Le capitaine se mit à rire en brandissant son épée, sa moustache et sa barbe volait dans le vent. Les marins préparèrent des harpons et sortirent des arbalètes aux carreaux enduits d'huile inflammable. Ils n'eurent pas le temps d'allumer le feu sur la pointe de leurs flèches, toute soif de pillage s'évapora lorsque deux autres navires identiques au premier sortirent de l'ombre. 

_ Que faisons nous capitaine ? Demanda le vieillard à la barre.

Le capitaine ne savait pas plus ce qu'il fallait faire. Il était trop tard pour aller faire demi-tour, même en s'empressant. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était avancer droit sur le trio de galères de guerre. Plus ils se rapprochèrent des nuages, plus de bateaux apparurent dans les ténèbres. Le vent si rassurant de tout à l'heure se changea en un souffle glacial qui dansait sur la peau des hommes. Là où trois galères naviguaient se dressaient maintenant des dizaines, voire des centaines de galions noirs. Le frêle bateau pirate pénétra dans l'ombre des nuages et traversa l'étroit chemin laissé par les navires gigantesques. Les occupants de l'armée de voiliers géants étaient entièrement recouverts d'armures noires, tous en rangs, complètement immobiles. Au sommet des mâts battaient des drapeaux rouges ornés d'un arbre noire dont les racines allaient vers le ciel et les branches vers le bas. 

_ Par toutes les saintes putes du paradis, s'écria un marin à voix basse. Jamais je n'ai vu pareil cauchemar. 

_ Je crains que ce ne soit pas terminé, répondit le capitaine en enlevant son chapeau comme s' il était en deuil. Regardez.

Devant eux, les navires noires semblaient s'étendre jusqu'à l'infinie. Il devait y en avoir des milliers, cette armada était bien plus grande que toute la flotte marine de Cintrïll réunie. Bien plus grande que toutes les flottes de toutes les nations réunies. L'esquif des pirates commença à attirer l'attention des créatures en armure noire sur les galères, deux bateaux s'approchèrent de l'embarcation des pirates et braquèrent sur eux des lances harpons. Ils étaient encerclés. 

_ Que devons nous faire capitaine ?! 

Le capitaine regarda son reflet dans la lame de son épée. Il était vieux, sale, fatigué, et son âme s'était vidée de tout courage. Il jeta son arme par terre, regarda les nuages sombres au-dessus de leurs têtes et répondit simplement:

_ Mourir.



Devant l'immense statue de Daös, qui d'une main faisait le signe de paix, deux doigts levés représentant la Tolérance et L'amour du prochain et le pouce situé à l'opposé légèrement incliné; et de son autre main il tenait Falcionn, la lame inclinée vers le bas, une vingtaine de membres de la Garde Sacrée du Temple priaient. Dranoss, le capitaine, tenait entre ses griffes un collier en obsidienne, malachite et de quartz, et orné d'une petite sculpture dans de l'ivoire à la représentation abstraite. Il priait, il murmurait en resserrant dans le creux de sa main le collier, il suppliait son dieu de veiller sur sa femme et ses deux fils: Berh et Valann. Sur l'épaule du capitaine était gravé dans sa chair l'insigne divin: un mélange entre une patte et une flamme divisé en cinq tiges qui partaient du centre en formant une spirale et devenaient par la suite les cinq doigts de la main de Daös. Il avait reçu cette marque très jeune et lorsqu'il rencontra un membre de la Garde Sacrée, il fut identifié comme un élu de Daös, il suivit une formation militaire et religieuse adéquate et devint par la suite le capitaine de la garde draconienne de la cité. Il a voué son existence au service de la Guiogne et de la cité, il était pieu dans sa foi et son sens de l'honneur n'avait d'égale que son courage. Sous la faible lumière des braseros, son armure brillait d'une lueur dorée, les ombres jouaient sur les gravures de son plastron. Tandis qu'il récitait sa prière, l'immense porte donnant accès au temple s'ouvrit, deux gardes dragons levèrent leurs hallebardes et laissèrent entrer un vieil homme. Ses yeux étaient d'un bleu intense, inspirant la sagesse, et sur sa chevelure blanche reposait un diadème d'or et d'argent. Sur sa hanche se balançait une épée enfermée dans son fourreau, la garde représentait Daös déployant ses ailes, exactement comme l'épée que la Statue du dieu dragon tenait entre ses griffes. Cette arme que le vieil homme détenait était la véritable Falcionn, la plus puissante et légendaire des Dyaladuils. Et le seul être humain à détenir la dyaladuil divine était le roi de Guiogne lui-même. Lorsque le roi pénétra dans le temple gigantesque à échelle humaine, Dranoss se releva, faisant face au nouvel arrivant, puis tous les membres de la Garde présents l'imitèrent. Quand l'homme fit un pas en avant, tous les dragons s'agenouillèrent devant lui. 

_ Que la paix et l'amour de notre dieu te touchent, dit Dranoss tout en restant incliné.

_ Que la paix et l'amour te touchent Dranoss, lui répondit le roi. 

Le capitaine se releva, tout en bénissant d'un geste son roi par le signe de paix, que le roi lui rendit. 

_ Que me vaut l'honneur de votre présence ? Demanda le capitaine dragon.

_J'aimerai te parler Dranoss. Je sais que j'ai interrompu ta prière et j'en suis sincèrement navré, mais il fallait que je te vois.

_ Vous n'avez point interrompu notre prière, Ô roi, c'était Daös qui nous a demandé de nous arrêter et de vous écouter. Notre dieu est miséricordieux et compréhensif, vous n'avez pas à demander le pardon. 

_ Merci Dranoss, si nous sortions admirer le soleil couchant et ses habitants.

Le capitaine dragon et le vieux roi sortirent du temple, marchèrent jusqu'aux rebords de la tour et admirèrent la cité. La Guiogne, la ville qui a fait porter son nom à la nation, était magnifique en ce soir là. Les habitants de la ville déambulaient au milieu des maisons. Les marchands fermaient leurs boutiques tandis que les gigantesques créatures ailées chargeaient des chariots de provisions et de biens matériels. Un homme amenait ses bœufs auxdits chariots et les confia aux immenses dragons qui le remercièrent.

_ Dranoss, commença le vieux roi, je me demande des fois comment font les hommes des autres nations pour se passer de vous.

_ Et je me demande souvent, Ô roi, comment nos ancêtres ont pu se passer de vous. Nous sommes liés, l'un n'est rien sans l'autre. Nous, nous avons la force, vous la délicatesse, nous détenons la sagesse, vous l'ingéniosité, nous avons l'intelligence, vous la ruse... Nos deux races sont complémentaires, notre force vient de cette union. 

_ Je ne saurais comment te remercier pour tous tes loyaux services Dranoss, dit le roi en extase devant le paysage. Toi qui a veillé sur moi, et mes deux prédécesseurs, et qui n'a jamais réclamé récompense. J'admire ton dévouement, dragon, ainsi que ta fidélité. 

_ Daös m'a choisi, répondit humblement Dranoss. Mon devoir est de veiller sur Falcionn et sur ceux qui la détienne. Je ne mérite aucune récompense, ce n'est que mon devoir.

Tandis que l'homme aux bœufs et ses compagnons humains firent rouler les gigantesques charrues, deux gardes dragons les escortaient jusqu'aux portes. Ils n'échappèrent pas aux yeux du roi qui continuait de les regarder, puis il vit dans le ciel des dizaines de créatures majestueuses les devancer vers le sud. 

_ La Grande Nidification a commencé semblerait-il, dit le roi. Comment ta femme se porte t'elle.

_ Elle est prête, lui répondit Dranoss, et elle ne tardera à pondre. Mes deux fils l'accompagneront jusqu'au Nid. Ils sont grands et forts aujourd'hui.

_ Et toi ? Ne souhaites-tu pas voir ton enfant éclore ? 

Le grand dragon aux écailles rougeoyantes et dorées scruta l'horizon, plongé dans de sombres pensées. La marque qu'il portait fièrement à l'épaule s'était mise à trembler plusieurs mois auparavant, mais depuis quelque temps, il sentait une tension électrique s'en échapper, et il lui arrivait souvent de se réveiller en pleine nuit, lorsqu'elle se mettait à brûler. Il saisit entre ses griffes son collier et pria à voix basse. Lorsqu'il fini, il se retourna vers son souverain, et lui dit:

_ Je voudrais tellement voir mon futur enfant briser sa coquille le jour de sa naissance, mais au fond de mon coeur, je sais que je ne peux pas. Il semblerait que Daös m'ait confié une nouvelle tâche, celle de rester à vos côtés.

_ Pourquoi donc ? Demanda le roi inquiet. Notre pays n'a pas connu de guerre depuis au moins un siècle, je n'ai jamais eu besoin de dégainer Falcionn une seule fois durant mon long règne. Dranoss, pourquoi ne pas toi aussi partir et profiter de quelques temps de répits auprès des tiens ?

_J'aimerai mon roi, mais mon devoir est d'être à vos côtés. Daös m'a envoyé des rêves, des avertissements, et je l'ai écouté. La garde sacrée restera à vos côtés.

Le roi regarda son fidèle serviteur droit dans les yeux, craignant ce qu'il cachait. Il s'éloigna du balcon pour revenir auprès du capitaine dragon et lui demanda:

_ Mon vieil ami, toi que j'ai toujours connu, dis moi, pourquoi, pourquoi ne pars-tu pas en cette heure de joie ? Pourquoi ne veux-tu pas rejoindre tes semblables pour fêter l'arrivée dans le monde de nouvelles vies.

Le serviteur de Daös regarda l'immense statue qui se dressait dans l'ombre du temple, puis regarda le ciel obscurcissant du sud.

_ Je ressens de nouveau les ténèbres. Le sud.

Le roi scruta à son tour le sud, cherchant aussi la trace du mal que ressentait Dranoss. Il se retourna vers son gardien, levant sa tête, cherchant à voir au travers des yeux du dragon.

_ Je te remercie de veiller sur moi Dranoss, jamais je n'oublierai ton sacrifice. Prions pour que ces rêves ne soient que des rêves.

_ Je le priais déjà messire, lui répondit le dragon en s'agenouillant. J'ai peur, tous les jours je prie pour que Daös écarte les ténèbres par la lumière de son cœur. Mais notre dieu est resté silencieux.

Le roi, perturbé par les nouvelles de son vieil ami, regarda le ciel. Son cœur la sentait aussi, cette oppression malfaisante, ce regard omniprésent qui les épiaient avec mépris. Il admira une dernière fois la cité avant de partir. Il remercia son compagnon une dernière fois dans un murmure et descendit escorté par une dizaine de membre de la garde royale humaine les innombrables marches de la tour d'Ivoire et d'Etoiles, fruit de la Volonté de Daös, dont les gigantesques arches d'or surplombaient toute la cité jusqu'à rejoindre les quatre Tours Blanches situés aux quatre points cardinaux. L'or divin des arches semblait avoir coulé des quatre tours en spirales avant de recouvrir entièrement le Cinquième Cercle, l'une des six immenses murailles entourant et séparant les différents districts. Au sommet de la tour d'Ivoire et d'Etoiles, Dranoss regardait une dernière fois le ciel du sud, priant pour que ses rêves ne soient pas des messages de Daös. 

_ Je veillerai sur cette cité, dit une dernière fois le capitaine de la garde sacrée en s'adressant au dieu gardien.


Sur une île plongée dans les ténèbres, là où nul plante ne pousse, là où la vie et la mort semble avoir fuis, là il ne restait plus que l'Ombre, régnant sur une immense cité en ruine depuis plus de dix milles ans, au cœur d'un château désert, au plus profond de la noirceur, un chevalier noir au casque d'acier à l'effigie d'une créature aux grands crocs, aux longues cornes et à la chevelure blanche, était assis sur son trône, à ses côtés une immense épée à la garde en crâne d'or, recrachant un serpent enroulé sur lui même en tenant entre ses dents une boule de cristal. Il tenait par la force de la volonté une boule de verre brillante en lévitation devant lui. Une Dêalvisial. Son regard voyagea d'un bout à l'autre du continent, en quête d'une réponse. Alors qu'il scrutait le monde à travers son artefact, deux yeux à la pupille fendus brillant d'un éclat dorée, entourés par une masse compact noire avant qu'un second iris l'entoure brillant de la même lueur que la pupille, avant d'être elle même entouré de ténèbres l'observait. Le chevalier noir sentit leurs présences, et aussi il cessa d'utiliser la Dêalvisial et par télékinésie, la déposa sur une table. De sous son casque, deux yeux rouges jaillirent de l'ombre et fixèrent l'inconnu caché dans l'obscurité.

_ Ainsi, tu es de retour, dit le roi ténébreux.

Autour des yeux aux pupilles dorées apparut un homme au teint aussi blanc que celui d'un linceul, et aux longs cheveux noirs coulant sur ses épaules. Son visage d'une splendeur angélique contrastait avec ses yeux diaboliques, et ses larmes noires qui coulaient et creusaient le long de ses joues, jusqu'à dessiner sur tout son corps des insignes reliés les uns aux autres. Il portait au niveau de la taille une robe impériale, ainsi qu'une ceinture qui soutenait un immense insigne d'or où était gravé un arbre à l'envers. De son dos jaillirent deux immenses ailes aux plumes noires. L'ange noir sourit légèrement, dévoilant des dents d'onyx scintillantes sous ses lèvres. 

_ Cela me fait plaisir de te retrouver enfin, Ombre.

Les yeux brillants se posèrent sur la Dêalvisial, puis sur l'Ombre.

_ Est-ce moi que tu recherchais, Ombre ?

_ Est-ce moi que tu viens chercher ? lui demanda l'Ombre à son tour.

Un sourire malsain se dessina sur le visage de l'ange, dévoilant de nouveau ses dents sombres. Il déplia entièrement ses ailes et montra le chevalier sombre d'un doigt.

_ Ou peut-être, est-ce ton fils que tu cherches ? 

L'Ombre garda le silence, se contentant de fixer de sous son casque la créature malveillante qui se dressait devant lui. Le démon aux ailes noires garda son sourire, sa pupille d'or toujours fixe sur l'iris rouge du souverain noir.

_J'arrive, murmura-t-il de sa voix envoûtante et cauchemardesque, je serai bientôt là. Lorsque je ferais le premier pas sur cette terre, tous les mortels qui vivent sur ce monde me craindront, hurleront mon nom et mourront. Je suis plus puissant que jamais, et nul ne survivra. Je voulais savoir avant de réduire ce monde en cendres, de quel côté ta lame se dressera ? De ceux qui mourront, ou de ceux qui tueront ?

Le casque à l'effigie de monstre se releva vers l'ange, laissant exprimer ses yeux rougeoyants. 

_ Je ne te suivrai pas, jamais je ne te suivrai.

_ Es-tu certain de ton choix, Ombre ? 

L'Ombre se releva, empoignant son épée, et la dressa en direction de la créature mystique.

_ Mon choix est certain, jamais je ne me joindrai à ta force.

_ Cela est navrant, répondit l'ange ténébreux dont des ailes commençait à couler un épais liquide visqueux noir. Toi, qui est immortel, toi qui possède les pouvoirs à l'égal d'un dieu, tu ne veux donc pas prendre part à la plus grande guerre où toutes les forces de la nature et divines s'affronteront. Et tous, nous savons à quel point ton soutien donnerait du poids dans la balance. A toi seul, tu es capable de décider de l'issue de la victoire ou de la défaite. A toi seul, tu es capable de défier le ciel et les abysses à la fois. Nous pouvons ensemble construire un nouveau monde à partir des vestiges de celui-ci, un nouveau royaume où tu règneras en maître absolu. Qu'en dis-tu ?

Les yeux du roi noir s'étrécirent sous le casque métallique aux paroles de l'homme aux ailes noires. Voyant la réaction du chevalier des ombres, l'ange diabolique sourit très légèrement et entre ses dents il murmura:

_ Je pourrais détruire la malédiction.

Le souverain sombre ne quitta pas des yeux l'invité à la peau de couleur marbre. Tandis que ses larmes noires creusaient ses joues jusqu'à ce que ses dents soient visibles aux travers, il murmura encore:

_ Je pourrais te rendre la lumière.

A ces paroles, le chevalier ténébreux abaissa son arme, des larmes perlèrent à ses yeux. Il les essuya d'un revers de son gant d'acier qui sortit de sous son immense cape noire. Il les admira durant un bref instant, grâce à ses Calénaclidyals. Il se retourna vers l'ange noir qui lui tendait une main.

_ Ensemble, nous détruirons cette terre, et je te rebâtirai un nouveau monde digne de ton pouvoir.

_ Toi, bâtir un nouveau monde ?

Le roi noir brandit de nouveau d'une main ferme sa lame vers l'homme aux yeux brillant d'une lumière d'or.

_ Tu n'es même plus une conscience, ton esprit malfaisant n'est qu'un amas de haine pure, ta colère a même supprimé tes souvenirs, ton identité, tu t'es perdu dans ta propre Volonté. Toi, qui ne peut que détruire, tu me promets de me bâtir un nouvel empire. Je t'ai connu, même avant que tu ne devienne cette haine pure, et déjà ton cœur était corrompu par la soif de destruction. Mon pouvoir ne te servira pas, je serai seul dans cette guerre, sans maître ni esclave. Et toi, dorénavant, disparaît. Je ne veux plus te voir.

L'ange noir dévoila une dernière fois ses dents noires, et murmura tandis que son corps se consommait en un nuage de ténèbres:

_ Lorsque je serais ici parmi vous, le choix ne t'appartiendra plus. Il y aura ceux qui mourront, et ceux qui tueront.

Sur ces dernières paroles, les yeux à la lueur d'or se désintégrèrent à leurs tours, ne laissant plus que du néant. L'Ombre resta immobile durant un long moment, méditant aux paroles de l'ange noir. Puis son regard se posa sur les restes d'un très vieux landau. Il caressa délicatement les rebords de cet ancien vestige du passé, tentant de se rappeler du visage de celui qui y dormait autrefois. Il tourna sa tête vers la fenêtre qui était ouverte sur un balcon, d'où il pouvait voir l'étendue du Royaume Déchu. Il rangea son épée dans son dos, à travers un anneau de fer lié aux épaulières qui soutenaient la cape sur son corps. Il était temps de partir, de nouveau, pour le continent, car les évènements futurs pouvaient influencer de manière imprévisible sur la Prophétie de L'Ombre.



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