La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié
Chapitre 6: La Mort venue du sud
A Needdalshe, le plus grand port de tout Cintrïll, tous vaquaient à leurs occupations ordinaires: transporter les marchandises, échanger les marchandises, payer les marchandises et consommer les marchandises. Connu pour sa grande puissance économique, Needdalshe était aussi connu pour sa grande variété de services, allant du service bancaires aux services réservés exclusivement aux marins, tout comme la prostitution. De nombreuses sentinelles veillaient depuis le sommet des tours l’horizon azur, le soleil semant des paillettes d’or à la surface du saphir géant qu’était la mer. Alors que l’un des gardes mangeait un Tornillan(galette de pomme de terre et d’œuf roulée fourrée à la viande d’agneau et aux légumes variés) tout en jouant aux cartes avec ses partenaires, il détourna son regard vers l’océan et aperçu des nuages sombres naître sur la ligne séparant les eaux et le ciel. Un vent froid, chargé de sel et d’une odeur âcre lui caressa le visage. Il n’y fit pas attention et finit son repas, et bien qu’il l’ignora ce jour-là, il aurait pu décider du tournant de l’histoire de tout son peuple. En moins d’une heure, les nuages noirs qui étaient à peine visibles envahirent le ciel, accompagné par le hurlement du souffle gelé du sud. Les hommes regardèrent le ciel et crurent apercevoir deux immenses yeux de flammes à travers le voile de ténèbres. Quand le garde perdit ses cartes dans le vent, il se releva et observa la mer avant d’y découvrir des centaines de milliers de galions noirs qui recouvraient l’océan. Tout comme les cartes qui s’étaient envolées, son espoir fit de même lorsqu’il comprit trop tard que c’était la fin. La chaos frappait aux portes de la ville. Un éclair rouge illumina la mer, allumant le feu de la terreur dans le cœur de tout le peuple qui prit les jambes à son cou. Le seigneur de la ville sortit de son palais en entendant les hurlements et vit, lui aussi, les gigantesques iris enflammés qui naquirent entre les nuages à l’horizon. Il tomba à la renverse lorsqu’un rugissement retentit dans le ciel. Il regarda au-dessus de sa tête et vit des centaines d’ombres volantes, crachant des flammes droit sur sa cité. L’attaque fut si soudaine que personne ne chercha à fuir lorsqu’un torrent de feu les engloutit. Les créatures malfaisantes descendirent en piqué, brûlant tout sur leurs passages. Les maisons devinrent rapidement le bûcher pour les familles terrifiées qui s’y cachaient. Au milieu de la foule, le seigneur cherchait aussi abri pour échapper à ces terreurs ailées. Il s’arrêta brusquement lorsqu’une vague éblouissante passa devant lui, laissant derrière elle des hommes calcinés qui se débattaient alors que leur chair se consumait. Un gigantesque reptile noire se posa sur le toit du palais en rugissant, dévoilant ses ailes membraneuses dont la lueur rougeoyante les traversait.
_ Des dragons noirs ! Hurla un garde lorsqu’un d’entre eux l’attrapa et le broya entre ses serres.
Des archers prirent position sur l’une des tours et ouvrirent le feu sur une des innombrables bêtes. Les projectiles ricochèrent sur l’armure d’acier qui recouvrait le monstre cracheur de feu, et lorsque celui-ci trouva ses agresseurs, il les enveloppa dans un voile éblouissant de lumière rouge. Lorsque deux soldats traînèrent à bout de bras leur seigneur jusqu’au palais, des boules de feu jaillirent de la mer dans leurs directions.
_ Baissez-vous ! Hurla l’un des hommes d’armes lorsqu’une des pierres de feu s’écrasa dans la partie supérieure du palais.
La pluie de feu venant de l’océan détruisit une grande partie de la ville, emportant toute la place du marché dans un terrible fracas. Durant l’attaque des dragons, les immenses bateaux noirs accostèrent, et déversèrent les bêtes immondes de leurs cales, impatientes de tuer. Les soldats en armure noire rugissaient comme des monstres lorsqu’ils chargèrent la population affolée prise en tenaille. De leurs haches, épées, hallebardes, masses d’armes, ils tranchèrent, découpèrent, fracassèrent, démembrèrent chair, os et sang, entassant les morts, pillant les cadavres, brûlant les chaumières. Toute la ville devint rapidement un véritable enfer, inondée de cette lumière rouge, celle des flammes dévorant la ville. Alors que les gardes barricadaient la porte d’accès aux chambres du palais, le seigneur regardait à travers une brèche béante sa cité se faire détruire sous ses yeux. L’héritage que plusieurs générations s’étaient donné tant de mal à bâtir fut réduit en ruine en un seul instant. Il entendait le cri des enfants qu’on pendait par les pieds avant de les éventrer et de leur brûler les entrailles. Des bêtes hautes comme trois hommes, larges comme deux, recouvertes entièrement de métal noire, se saisissaient de leurs gigantesques tranchoirs et fendaient en deux leurs victimes, sans le moindre état d’âme. La déferlante de guerriers noirs se rassembla devant le palais, jetant des torches afin de le brûler. Tout en renversant un meuble d’un siècle, à la valeur historique inestimable, devant la porte, les deux hommes entendirent les pas par centaines qui montaient les escaliers.
_ Seigneur ! Hurla l’un des gardes. Écartez vous de la brèche !
Des martèlements retentirent, des coups de haches firent voler la barricade en éclat, et les deux gardes désespérés tentèrent de les retenir de leurs mieux. Tandis que le tonnerre grondait derrière la porte, venu du ciel, un immense dragon en cristal traversa la brèche en toute délicatesse. Comme hypnotisé par la créature, le seigneur resta immobile lorsque le monstre lâcha un terrible rugissement d’une voix de grincement d’acier. De son dos, son cavalier aux vêtements en lambeaux noirs descendit, et sous sa capuche, un masque aux plaques de fers superposées le fixait à travers deux fentes noires. Il écarta les doigts de son gant de fer et la gigantesque créature cristalline se métamorphosa en une épée dont il se saisit. Le chevalier noir s’approcha du seigneur d’une voix se répétant en plusieurs écho, vidant l’âme de toute volonté de vivre, lui dit:
_ Votre fin a sonnée, mortels.
_ Qui êtes vous ? Demanda le seigneur qui tomba à genoux, vidée de toute ses forces.
_ Je suis… la Mort.
Sur ces paroles, d’un geste vif, il trancha la gorge de sa victime qui resta encore agenouillé quelques instants, pendant que son sang coulait sur son corps, avant de choir dans une marre pourpre. La Mort regarda sa victime, son manteau ténébreux dansant devant la lumière des flammes, avant que ses deux fentes ne fixent les gardes qui tombèrent eux aussi à genoux, un filet de bave et de larmes coulant sur le visage. Le chevalier au masque tendit sa main vers eux et prononça:
_ Drazieldor !
Une vague de feu noir les engloutis, dévorant avec appétit la chair des deux hommes, avant de les plonger dans le néant. Au milieu de l’incendie, au milieu des chants d’agonie, au milieu du brasier de la colère et de la souffrance, quatre gigantesques ombres ailées atterrirent dans les vestiges du palais, et de ces immondes bêtes descendirent quatre chevaliers masqués. Les lueurs ardentes dansaient sur les contours d’acier des masques encapuchonnées. Ils se joignirent à la Mort, leurs ombres caressant les trois dépouilles.
_ Notre dieu est ravi, dit celui qui portait le masque d’un homme en pleure.
_ Nous ne faisons que commencer, reprit un autre portant en guise de visage une créature ornée d’une couronne d’épine et de deux cornes recourbées. Natal tombera.
_ Quels sont les ordres ? Demanda un homme portant un masque de fer ayant trois fentes verticales et une horizontale qui les croisait au niveau des yeux.
La Mort regarda en direction du nord, le brasier gigantesque dansant sur son masque.
_ Détruire la Guiogne.
Taläsna se réveilla en sursaut, trempé de sueur. Ses draps étaient humides de transpiration, et son cœur continuait encore de battre à tout rompre. Il s’assit sur le bord de son lit, reprenant son souffle. Ses derniers souvenirs de ce cauchemar étaient cinq ombres aux longs filaments sur un fond de flammes, portant d’étranges masques. Il se leva et s’habilla d’une robe de noblesse, brodée en soie et en perles. Il se dirigea vers son balcon, et écouta le chant des oiseaux. Un masque de fer, le fixant à travers deux fines fentes noires. Il effaça cette sombre image en tournant son regard vers un ruisseau qui traversait son jardin. Assise sur une pierre, aux côtés de ce ruisseau, sa sœur pleurait. La voyant ainsi, il descendit et la rejoignit. Il s’assit à ses côtés, et posa une main délicate sur ses frêles épaules. Elle se blottit contre son frère en sanglotant, tandis qu’il lui caressait les cheveux.
_ Dis moi sœur, délivre moi le mal qui te tourmente.
Elle l’agrippa par ses vêtements et serra le tissu de toutes ses forces, ne parvenant pas à sortir mot de sa bouche. Ses larmes cristallines coulaient le long de ses joues, sa bouche toujours souriante d’habitude était crispée de chagrin. Taläsna l’entoura de ses bras et ramena sa tête au plus près de son cœur, puis le donna un léger baisé dans sa marée ébène de cheveux.
_ Frère… Pourquoi…
_ Parce qu’il est de nature noir, répondit-il. Je savais qu’il ne pourrais que te faire du mal.
_ Frère… Pourquoi est-ce que…
_ Il t’a trahie, il t’a brisé le cœur. Il avait ta confiance, et en a exploité tes faiblesses. Et…
Il fit glisser sa main le long de sa joue, jusque sous le menton, et lui fit monter son regard jusqu’au sien. Ses yeux d’or scintillaient deux soleils, et des étoiles en coulaient. Il haïssait de voir ces étoiles chez sa sœur.
_ Il est mort à l’heure qu’il est.
Lindilla se blottit contre lui, cherchant à noyer ses larmes sous la chaleur fraternelle. Tout en la caressant, il lui murmura:
_ Il t’a fait du mal.
_ Je le sais…
_ Il t’a manipulé.
_ Je le sais…
_ Tu le haïssais.
_ Mais, alors… pourquoi…
Elle se redressa, faisant face à Taläsna, le regard inondé d’étoiles.
_ Pourquoi je l’aime encore ?
Le roi ne savait que répondre à une telle question. Depuis que Warda fut emmené en Royaume des Os pour y être exécuté, aussi bien par la volonté de Taläsna que celle de Lindilla, elle n’avait cessé de se pleurer, aussi bien de colère que de tristesse. Elle ne dormait plus, obsédée par la présence du guerrier noir qui hantait ses pensées. Des cernes creusaient son visage, chaque jour elle se rendait à la tour, et souvent elle n’en ressortait qu’à la tombée de la nuit. Il la dorlota contre lui et lui murmura:
_ Depuis le début, il nous a tous manipulé. Galaran et Warda ne sont qu’un. Il avait besoin de nous séparer, il a tenté de nous défaire l’un de l’autre, puis il t’a blessée au moment où tu étais la plus vulnérable. Son amour n’est qu’un mensonge. Depuis cette époque, dans la forêt, jusqu’à aujourd’hui, tout n’a été que mensonges.
_ Mais pourtant… L’amour que je ressens envers lui… N’est pas un mensonge.
Elle se releva et marcha jusqu’au ruisseau, où elle regardait son propre reflet. Elle se remémorait ces longs moments passés en compagnie de Warda, elle sentait encore ses longs baisers langoureux sur son corps, elle pouvait encore se souvenir du rythme de son corps lorsqu’ils ont fait l’amour. Elle se souvint de cette cellule sombre, où ils s’y enfermèrent, et s’y embrassèrent la première fois. Elle croyait qu’en ouvrant les yeux, elle retrouverait le guerrier sombre au-dessus d’elle, la tenant dans ses bras, alors que Galaran les poursuivait. Mais, en fin de compte, qui était Galaran ? Qui était Warda ? Lequel était faux, lequel était vrai ? Est-ce Warda déguisé en Galaran qui l’avait attaquée, ou serait-ce Galaran déguisé en Warda qui l’avait sauvée ? Dans son esprit, elle se sentait déchiquetée en deux parties, l’une le répugnait, l’autre l’aimait. L’une ne voyait que Galaran, l’autre Warda. Quelle partie de sa conscience écouter lorsqu’elles sont toutes deux aussi fortes. Qui était-elle devenue, maintenant, qu’elle ignorait ce qu’elle ressentait, la haine ou l’amour ? Le froid ou le feu ? Galaran ou Warda ? Sa conscience était déchiquetée en lambeaux, elle voulait à la fois le tuer, et vivre jusqu’à la fin de ses jours à ses côtés. Sous elle, les poissons dansaient de leurs corps longilignes contre le courant, longue valse sensuelle. L’un était d’or, l’autre couleur nuit. Elle les enviait, elle voulait elle aussi nager aux côtés de Warda, contre le courant, remontant le courant de l’eau jusqu’à l’origine de la création, et périr ensemble une fois le but accompli. L’ombre de son frère la recouvrit, et lorsqu’elle se retourna, il la serra contre lui, l’embrassant sur le front.
_ C’est fini sœur, plus personne ne nous séparera.
Alors qu’il la blottissait contre lui, un soldat elfe arriva et se mit à genoux en proclamant à son maître:
_ Sire Taläsna, Ô grand roi, le Conseil des Sept se réunit, je vous porte un message qui requiert votre présence au sein du Conseil.
Le seigneur elfe lâcha sa sœur à contrecœur, il l’aurait souhaité la soutenir plus longtemps, mais étant lui-même puissant, cela impliquait de lourdes responsabilités. Il revêtit de son armure d’argent et, escorté par une escorte composée d’une vingtaine de gardes royaux, il partit sur son palefroi blanc à travers la forêt.
Lorsque le jeune Nardel donna la lettre à son maître, lorsque Galro lut à peine la première phrase du rouleau, il se leva et s’écria:
_ La cité de Needdalshe n’est plus ! Seigneur, est-ce une plaisanterie ?
_ Prophète Galro, calmez-vous je vous prie.
N’écoutant pas Nardel qui était aplati à ses pieds, le Prophète s’avança vers ses paladins en exposant la lettre d’un air furieux.
_ Un messager traverse tout Cintrïll et le Royaume des Os à cheval pour m’apporter un rouleau dans lequel est écrit que la plus grande ville portuaire de Natal aurait été rasée de la carte ! Dieu m’est témoin, aucune armée au monde n’en aurait été capable ! Comment une telle plaisanterie a pu arriver jusqu’à ma personne ? Quelle seigneur stupide a eut l’idée grotesque de se moquer de moi ?
_ Que dit la suite du rouleau ? Demanda le paladin phénix Junar.
Galro reprit la lecture de son rouleau, et plus les lignes se suivirent, plus le désespoir se lisait dans ses yeux. Il finit par reprendre place sur son trône et lâcha le parchemin, le regard vide. Il regarda toute son assemblée de chevaliers blancs, ne savant que leur annoncer. Nardel ramassa le rouleau et une expression de terreur s’empara de son visage. Tilbar, curieux de ce qui pouvait provoquer une telle réaction chez son ancien élève, fit signe au jeune homme de s’approcher et de lui donner le rouleau. Il lut brièvement les quelques premières lignes, l’écriture était rude, plus semblables à des coups de griffes qu’au passage d’une plume, et au bas de la page, un sceau à la cire noire était posé, représentant un arbre à l’envers. Un doigt griffu de glace glissa le long de sa nuque, et un frisson douloureux s’empara de lui. Il se leva et rejoignit Galro en lui montrant le sceau.
_ Qu’est-ce que ça signifie ? Demanda-t-il à voix basse.
_ Tilbar, lis la à haute voix aux autres, tu comprendras.
Le septième paladin phénix déplia entièrement le rouleau et commença à annoncer à ses confrères son contenu:
_ Needalshe n’est plus. Tombée entre nos mains, elle a brûlé tout comme ses habitants. De leur sang nous avons tracé notre voie. Le feu noir se rependra sur votre monde, et vos chairs seront son festin. Nous sommes parmi vous. Et notre dieu réclame votre mort. Nul prisonniers, nul survivant. La vie est un immense champ de blé, où la Mort viendra et vous fauchera.
Gloire à la flamme noire, gloire au Dieu noir.
L’un des paladin phénix se leva brusquement et désigna son supérieur d’un doigt accusateur:
_ Que nous chantez vous, Septième Paladin Phénix ? La bière vous a-t-elle fait perdre la raison au point d’oser vous moquer de nous ?
_ Regarde le sceau avant de me juger, Paladin Phénix ! C’est l’arbre noir ! Je crois que ce message est on ne peut plus vrai. Avant nous, nos grand pères et arrière grand pères ont reçu eux aussi cette lettre, et aujourd’hui, voici que ce message nous est adressé.
_ Qui peut bien nous lancer de telles menaces ? Demanda un paladin inquiet. Qui peut assouvir une assez grande armée pour menacer de détruire tout Natal.
_ Nul autre que Kaös en personne, répondit Galro qui était toujours assis. Le Dieu noir, les ténèbres venus du Sud.
Une expression de terreur se figea sur le visage des chevaliers blancs, restant immobiles sur leurs sièges en cercle autour de la Pierre Sacrée. Junar se leva le premier, en s’adressant directement à Galro.
_ Vous voulez dire que ce serait l’armée des Enfërs qui aurait anéanti le plus grand port de Cintrïll ? Je croyais qu’ils avaient été détruits il y a plus de cent ans.
_ Je le sais, répondit le Prophète en posant sa tête sur ses mains entrecroisées. Mais les faits sont là, Kaös et ses légions sont de nouveau sur Natal.
_ Où est le messager ? Demanda un paladin.
_ Il est mort, répondit timidement Nardel. Lorsque les gardes l’ont récupéré, il s’est consumé en flammes noires.
_ Une chance qu’il n’est pas put vous l’apporter en personne, dit Tilbar à son maître. Envoyer un messager piégé, quel culot.
Sur ces mots, Galro se leva brusquement et arracha le parchemin des mains de Tilbar avant de le jeter au centre de la pièce. Un éclair rouge en jaillit et le rouleau explosa en une gerbe de feu ténébreuse. Lorsqu’elles s’éteignirent, une créature difforme de goudron hurla, dévoilant une redoutable rangée de dents aiguisées. Se levant maladroitement sur ses quatre membres de squelettes, elle se dirigea lentement vers le Prophète. Du feu s’échappait par deux orifices qui lui servaient d’yeux et de sa gueule, et soudainement, elle sauta par-dessus la Pierre et se retrouva face à Galro, sans qu’il ait le temps de s’éloigner. Tandis qu’elle ouvrait ses mâchoires visqueuses, un éclair blanc traversa sa tête et la déchiqueta en une centaine d’étincelles. Fradel, qui avait encore la main auréolée de magilith en activité, récita encore une formule sans perdre de temps:
_ Rayëltal !( Rayen: lumière (Rayël au pluriel) Tal: (diminutif de Taler) destruction. )
Une vague de lumière blanche explosa la créature démoniaque à répétition jusqu'à ce qu'elle fut totalement réduite en pièce. Des flammèches noires s’échappaient de sa carcasse goudronneuse pendant qu’elle disparaissait. Fradel s’approcha en jetant un dernier sortilège de flammes blanches afin de s’assurer de bien avoir achevé la bête. Les paladins qui durant tout ce temps étaient plaqués au mur se rapprochèrent de là où la créature fut tuée. Junar leva ses yeux vers son Prophète.
_ Un sortilège de projection suivi d’une invocation scellés dans un parchemin, activés à longue distance, c’est l’œuvre d’un mage de très haut niveau.
_ Au moins nous sommes fixés, commenta Tilbar. C’est bien Kaös qui a écrit cette lettre.
_ Ou un de ses serviteurs, reprit Fradel. A l’avenir, nous serons plus vigilants. Toutes personnes en provenance de Cintrïll devront être enfermées et isolées dans les cachots. Approuvez-vous cette idée Prophète Galro ?
Encore sous le choc, Galro se releva péniblement, les yeux fixés sur l’endroit où les flammes blanches venaient de dévorer l’immonde bête. Décidant qu’il en avait que trop vu, il décida de partir. Lorsqu’il partit vers les grandes portes d’argents, Fradel tenta de le rattraper mais Tilbar le tint d’une main forte.
_ Il approuve. Laissez le.
Galro regagna la tour du nord, et monta jusqu’à la chambre d’Ilada, et y resta cloîtré avec elle.
Au bout de plusieurs jours, Taläsna et sa garde royale arrivèrent au château de cristal, la fameuse et légendaire cité des haut-elfes, un héritage laissé après la guerre contre Raldir. Bien plus qu’une simple métaphore, la château avait été bâti dans du véritable diamant, sculpté à la main et à la magie. Sous le soleil couchant, il brillait d’une intense lumière d’or, d’où le second nom de Cité du soleil. Les haut-elfes étaient, sur le plan hiérarchique, la race dominante. Grâce à la magie et leurs immenses savoirs, ils étaient parvenus à se faire respecter de tous, et accumuler d’immenses richesses, aussi bien matérielles que intellectuelles. Maîtres absolus des arts de la magilith, ils acceptèrent très vite d’enseigner la voie des mages aux autres peuples, en échange de traités qui jouaient en leur faveur. Ainsi, rapidement, des hommes en provenance d’Etale, de Sintraë, et des régions lointaines de l’ouest, affluèrent en Guiogne pour apprendre à maîtriser ce don si extraordinaire. De cette manière, après avoir acquis autant de prestige et d’autorité au sein des autres nations, même le plus bas des haut-elfes est accueilli tel un prince chez les seigneurs hommes. Taläsna, qui régnait sur les sylvestres, souhaitait qu’un jour, eux-aussi, aient droit à ce respect. C’est ainsi qu’il avait reçu de l’Ordre de la Pierre Sacrée l’autorisation de former Galro, ainsi il avait pu clore des pactes diplomatiques avec l’Etale. Seulement, ce fut le même Ordre qui brisa le pacte il y a deux années de cela, en s’attaquant aux mineurs de la montagne de Léondia. Depuis ces événements, la réputation de son royaume et de son dirigeant décru, et le roi elfe sylvain dû faire face à de nouvelles difficultés politiques d’autant plus importantes. Lorsqu’il entra dans la ville cachée par les immenses remparts de cristal, il fut accueilli par la garde haut-elfe qui l’escorta jusqu’à la citadelle, la tour de l’Aurore et du Crépuscule. Un elfe aux cheveux d’or et à la robe carmin et azur s’approcha.
_ Soyez la bienvenu Ô sire Taläsna. Je suis l’Archimage Neëndell.
_ Merci de votre accueil, lui répondit le roi sylvain. Je suis ici afin de rejoindre le Conseil.
_ Je vois, alors laissez moi donc faire conduire vos chevaux à l’écurie par le soin de mes hommes.
_ Je vous en remercie Archimage Neëndell.
Le seigneur Taläsna descendit de sa monture et la confia aux gardes en armure noire et blanche, portant sur leurs casques une longue chevelure blanche.
_ Suivez-moi je vous prie, dit le magicien en faisant une révérence devant le roi des bois. Oh mais que vois-je ? Seigneur Nelassa est aussi arrivé, accompagné de sa fille, l’Arc Argent Endëllen.
Derrière Taläsna, un grand elfe sylvestre escorté par une dizaine de chevaliers d’or descendit de son cheval, il portait une armure d’acier aux rubis incrustés en cercle autour d’un arbre. Une femme d’une splendeur éblouissante le rejoignit, portant fièrement une armure légère d’argent et un arc en bois argenté dans son dos. Contrairement au titre de seigneur, l’Arc Argent est choisi chez les elfes sylvestres comme étant le meilleur archer sylvain de tout le royaume de Guiogne. N’importe qui, homme ou femme, noble ou mendiant, pouvait se prétendre à ce titre, du moment qu’il était en mesure de le prouver lors de la compétition de la Flèche Argent. Ainsi on devenait Arc Argent non par le sang, mais par le mérite. Nelassa fut autrefois Arc Argent, par conséquent il fut aussi un excellent professeur pour Endëllen. Ce même titre existait aussi chez les haut-elfes, mais connu sous le nom d’Arc d’Or. Et tout comme ils avaient l’Arc d’Or, les dix Archimages étaient choisis aussi en fonction de leurs compétences. Ils étaient les seuls capables de pouvoir voir grâce à la Dêalvisial à une dizaine de kilomètres de distance, et plus avec l’aide d’une Sentinelle. Lorsqu’ils arrivèrent au niveau de Taläsna, Nelassa s’adressa à l’Archimage.
_ Bonjour Archimage Neëndell. Moi et ma fille avions été convoqués au Conseil.
_ Ainsi voici le seigneur Taläsna, dit Endëllen en voyant l’elfe en armure d’argent. C’est un honneur, messire.
Ses yeux dorés ensorcelaient le regard de Taläsna de leurs beautés. La progéniture de Nelassa était une véritable œuvre d’art, il dut le reconnaître. Il était difficile, même pour un elfe, de garder son sang froid en la voyant. Elle passa à côté de lui en direction de la porte principale où les gardes lui laissèrent le passage.
_ Ainsi, votre fille est Arc Argent ? Demanda Taläsna au seigneur sylvestre qui était à côté de lui.
_ Elle a un talent extraordinaire, lui avoua Nelassa. Bien qu’elle porte mon sang, ses incroyables capacités ne viennent pas de moi, mais d’elle-même. Très jeune, elle avait déjà progressé beaucoup plus vite que ce que j’ai pu faire. Elle est un atout de taille, et je ne peux qu’être fier d’elle.
_ Venez messires, fit Neëndell en invitant les deux seigneurs à entrer. Le Conseil vous attend.
Taläsna fit deux pas en direction de l’entrée puis s’arrêta, remarquant un léger détail qui lui échappa au premier regard.
_ Que fait l’Arc Argent ici si c’est le Conseil qui nous appelle ? Son père fait partie du Conseil des Quatre, il est irréfutable, mais quand en est-il de sa fille ?
_ Ne vous a-t-on pas prévenu messire ? Demanda Neëndell.
Taläsna regarda les deux hommes elfes devant lui, cherchant une réponse à laquelle il n’avait pas de question. L’Archimage s’avança vers lui et lui apporta lumière sur ce mystère:
_ Sire Taläsna, vous aviez été convié par le Conseil des Sept, mais cette affaire ne dépend pas que de lui. Ce que nous nous apprêtons à vivre dépasse tous les ordres existants, le destin ne dépend plus que de nous.
_ Que voulez-vous dire ? Demanda Taläsna.
Un battement d’aile retentit au-dessus de leurs têtes, ainsi que les cris des vouivres lorsqu’ils atterrirent sur la place à l'entrée du palais. Des cavaliers célestes descendirent de ces magnifiques animaux aux écailles noires et blanches aux reflets d’or. Des humains, aux yeux bridés. Ils avaient la teinte de leur peau virant légèrement vers le brun, ainsi que de longues chevelures ébènes, et l’un d’entre eux arborait une longue et fine moustache qui volait sous les battements des ailes de sa monture. En plus d’une superbe armure aux couleurs riches et variées, il possédait un magnifique sabre sur son flanc, un superbe arc sculpté dans son dos, et un carquois aux flèches à l’empannage brillant d’or.
_ Le roi de Sintraë ? S’écria Nelassa. C’est un honneur, mais que me vaut votre visite.
_ Nous sommes ici pour la même raison que vous sire elfe, répondit le chevaucheur de vouivre. Le Conseil des Sept nous a appelé.
Dans un roulement de tambour semblable à un tonnerre grondant, une armée d’une cinquantaine de nains débarquèrent dans la cour, en tête Guldörr, chevauchant son béhémoth, dont dix de ses serviteurs maintenaient les cornes à l’aide de grandes cordes tressés en fourrure de bouc géant. Quand ils s’arrêtèrent devant les elfes, deux membres de la garde royale lui amena une échelle et le roi descendit du dos de la créature colossale.
_ Vous voici donc arrivé, s’exclama l’Archimage en lui faisant une brève révérence.
_ Un roi ne doit obéissance qu’à ses propres devoirs et responsabilité, répondit Guldörr en marchant droit vers la citadelle. Nous n’avons pas de temps à perdre.
Quand le seigneur des nains traversa la porte, Taläsna, Nelassa, le roi de Sintraë et Neëndell le suivirent. L’intérieur de la citadelle était de toute beauté, l’architecture aux courbes lisses et d’une perfection jamais vue dès lors émerveillait tous les visiteurs qui y pénétraient. Les vitraux qui laissaient pénétrer une lumière multicolore représentait l’histoire des elfes, depuis la chute de Raldir jusqu’au règne du conseil des Trois. Ensemble, ils montèrent les immenses escaliers qui se divisaient en deux, dont par la suite se séparaient en demi spirale, formant ainsi un cœur, avant de se prolonger par-dessus la grande Bibliothèque, là où les documentalistes rangeaient et triaient tout le savoir de leur peuple. Finalement, les deux escaliers se rejoignirent devant une grande porte qui menait à la Tour du Conseil des Sept. Ils montèrent encore de nombreux escaliers qui partirent en colimaçon dans son ascension. Enfin, ils pénétrèrent dans l’immense salle en forme de cercle, sept trônes étaient disposés autour du centre où une étoile aux quatorze branches. A chaque extrémité était inscrit les noms des fondateurs de la magie. Ainsi, Raldir était disposé sur la pointe du nord, là où Zuanlanor régnait sur son siège royal.
_ Bienvenue dans notre demeure, chers amis.
Il se leva, et écarta ses bras avant de les ramener près de son corps, faisant d’une main le signe de Daös, et de l’autre le signe de la déesse elfe, dont il consistait à replier tous les doigts sauf le majeur et l'annulaire qui étaient inclinés vers le bas. Des serviteurs haut-elfes placèrent des sièges supplémentaires aux côtés des sept trônes, assurant ainsi place aux nouveaux arrivants. Un très vieil homme était déjà assis aux côtés du trône de Zuanlanor, plongé dans de profondes pensées. Alors que les nouveaux arrivants prirent place, le roi elfe fit venir d’un claquement de doigt nourriture et boissons sur des plaques d’argent, avant de reprendre place.
_ Voilà un accueil chaleureux, commenta Guldörr.
_ Ceci n’est qu’une maigre compensation de votre long voyage, lui répondit Zuanlanor. J’espère que cela fera oublier fatigue et faim.
Le roi de Sintraë mordit à pleine dent une cuisse de faisan sauvage rôtie au miel et aux épices. Zuanlanor, plus délicat, prit une bouchée aux poissons et aux fruits rouges sauvages. Taläsna buvait un excellent vin en provenance des vignobles qui entouraient la cité, et il devait au moins l’avouer, il était d’une qualité rarissime, le roi haut-elfe les tenait en grande estime. Après une brève collation, le reste du conseil des Sept arriva. Deux grands seigneurs sylvains prirent place entre les trônes de Taläsna et Nelassa, dont sa fille était assise sur un siège juste à ses côtés. Le dernier seigneur haut-elfe, connu sous le nom de Leniel, entra et prit place aux côtés du roi. Zuanlanor regarda l’assemblée, puis prit la parole.
_ Mes amis, membres du Conseil et grands seigneurs, l’heure est grave. Un ennemi puissant est arrivé, un ennemi que nous redoutions et craignions. Ceux que nous avons vaincus il y a aujourd’hui plus d’un siècle sont à nouveau parmi nous. Les Infërniens ont attaqué la ville de Needdalshe et l’ont réduite en cendre.
Une brève rumeur circula au sein de tout le conseil lors de la déclaration. Taläsna tenta de garder son calme malgré l’importance de la nouvelle.
_ Comment est-ce possible ? Demanda le roi nain. Nous les avions exterminés jusqu’aux derniers il y a fort longtemps !
_ Le Dieu Noir a recouvré sa force, répondit Neëndell. Et plus encore.
_ Ainsi, Kaös est devenu encore plus puissant ? Demanda Nelassa à son tour.
_ C’est ce que nous craignions, répondit le vieil homme. Il y a encore quelques temps, je n’y croyais pas non plus.
_ Veuillez vous présenter, homme, nous n’avons pas encore eu le plaisir d’entendre votre nom, fit le nain en croisant les doigts.
_ Je suis Esneleus, le roi de Guiogne.
Le roi nain écarquilla des yeux et fit une brève révérence.
_ Je suis sincèrement navré messire, je ne vous avais point reconnu depuis l’époque. Vous étiez jeune autrefois, pardonnez mon erreur.
_ Tu n’as point de pardon à implorer, répondit Esneleus. L’erreur est admise, je ne t’en veux point.
Le roi de Guiogne fit un bref signe de Daös adressé à Guldörr, puis reprit parole.
_ Si les Enfërs attaquent de nouveau, tout de fois ils ne commettront pas deux fois la même erreur. Lors de la précédente guerre, ils s’étaient affaiblis en prenant le temps de tout détruire, et c’est exactement pour cette raison que nos ancêtres les ont vaincus. Si Kaös est puissant, il est également extrêmement intelligent, il ne se laissera pas piéger une seconde fois. Avant de s’en prendre aux faibles, il voudra tuer les forts. Nous, la Guiogne, représentons la seule nation capable de lui tenir tête. Si il a l’intention de frapper, il attaquera d’abord notre pays, et lorsqu’ils nous auront anéanti, plus personne ne sera en mesure de lui résister.
_ Donc, reprit Zuanlanor, l’enjeu de cette guerre est de taille. Vaincre l’ennemi ou laisser Natal à la merci de Kaös. Vous comprenez certainement mes frères que la défaite ne nous est pas permise. C’est pour cette raison que j’ai décidé de faire appel à vous tous. En ce temps de crise peu importe le pays, la race et les coutumes auxquels nous appartenons, nous ne serons qu’un. Nous ne serons ni le Conseil des Sept, ni la Guiogne, ni les elfes, ni les hommes, ni les nains, mais Natal.
Tous les seigneurs se regardèrent, comprenant la gravité de la situation et la nécessité de compter les uns sur les autres. Zuanlanor fit un signe à Neëndell qui dégagea de la magilith de son corps avant de le matérialiser sous forme de sphère, puis d’un mouvement de la main, il forma les mers, la terre, les forêts et fleuves à sa surface, donnant naissance à une Natal miniature. Lorsqu’il acheva ses finitions, il l’aplatit par la force de sa volonté et le maintint en lévitation. Le roi nain fut secoué durant un instant d’un bref frisson, certainement des démangeaisons, mais il resta tête haute, cherchant à cacher sa gène.
_ Je vous prie d’agréer mes excuses, dit le roi haut-elfe en voyant la réaction du nain. Peut-être souhaiteriez- vous que nous revenions à des méthodes plus conventionnelles ?
_ Je vais très bien, mentit Guldörr qui visiblement se forçait de ne pas grimacer à cause des picotements qui traversaient son corps. Allez-y.
_ Bien. Alors commençons.
Zuanlanor se leva et s’approcha du continent volant, et posa sa main au sud de Cintrïll, sur le port de Needdalshe, où un drapeau à l’arbre noir apparut.
_ Nous savons que Needdalshe a été détruite, donc c’est ici que notre ennemi a mit pied à terre. Si Esleneus a raison, si l’ennemi cherchait réellement à vaincre la Guiogne en première, voici le chemin le plus court qu’ils devront emprunter.
Sur le passage de son doigt, un ruban rouge flottant au-dessus de la carte en relief apparut, passant par le royaume des Os, puis le nord de l’Etale, et le royaume de Sintraë. Puis, d’un second geste de la main, il le fit disparaître.
_ Cette hypothèse aurait pu être juste, sans prendre en compte l’ingéniosité de l’adversaire.
_ Veuillez nous éclairer messire, lui demanda le roi de Sintraë. Pourquoi est-ce que l’ennemi ne prendrait pas le chemin le plus court ? Nous prendre de vitesse serait pour Kaös le meilleur moyen de nous terrasser, ainsi pouvoir écraser la Guiogne d’une seule attaque.
_ Ceci est vrai, répondit Esleneus. Pour un général humain, ce serait là certainement la meilleure stratégie, mais n’oublions pas à qui nous avons affaire. Kaös sait parfaitement comment nous raisonnons, nous mortels, et agit en conséquence, de manière irrationnelle. Il veut que sa frappe soit imprévisible.
_ Pas tout à fait, dit le roi haut-elfe. S' il veut nous surprendre, c’est avant tout pour nous provoquer. Son but premier est de nous manipuler afin de nous mener droit à son piège. J’ai déjà affronté ses armées auparavant, et j’ai appris durant ces batailles comment il s’organisait. On ne peut pas les surprendre, on ne peut pas les prendre en embuscade, ils connaissent toujours nos positions, c’est leur atout majeur. Si Kaös mène sa piétaille dans un piège, c’est pour le déclencher et le retourner contre ses adversaires. Il connaît parfaitement nos intentions, agir prudemment est inutile, à ses yeux nous ne sommes que des pions, et il sait parfaitement ce que nous allons faire avant que l’idée ne nous germe en tête.
_ Alors, comment comptez-vous le battre ? Demanda le roi de Sintraë.
Zuanlanor eut un léger sourire, puis montra sur la carte un champ de falaises gigantesques, non loin du Bois aux perles.
_ C’est ici même que nos forces les ont anéantis lors de la guerre précédente, ses troupes venant du sud seront vulnérables à un poste pareil. Il nous envoie une invitation, il veut que nous tendions une embuscade ici, il s’attend parfaitement à nous voir ici. Vu son ingéniosité, il serait capable de nous y tendre un piège où nos troupes s’y feront massacrer.
_ Donc si je comprends bien il faut l’éviter ? Demanda Guldörr.
_ Non, car il sait tout aussi bien que nous serions bien capable de comprendre son jeu. Aussi, il doit l’avoir prévu et il doit connaître également tous les endroits où nous serions capables de l’attendre.
_ Comment le vaincre alors ? Fit Taläsna qui ne comprenait pas où voulait en venir Zuanlanor. Si il est si intelligent, comment alors avoir l’avantage ?
L’haut elfe tourna autour de la carte, fixant de ses yeux de couleur saphir chacun des invités. Il se tourna vers le roi sylvain et lui demanda:
_ Aviez-vous déjà joué au Tëmsnen ?
_ Oui, souvent. J’en connais aussi les règles. Sur un plateau divisé en cases de couleur, cinquante pions sont répartis équitablement entre les deux opposants, et chaque type de soldat représenté ne peut se déplacer que d’une manière. L’infanterie ne peut avancer que d’une case, et tuer les pions sur les cases vertes. Le cavalier avance vite, jusqu’à trois cases, mais ses déplacements sont obligatoirement en zigzagues, mais accompagnés d’un chevalier qui avance de trois cases devant lui, ils peuvent recouvrirent facilement trois rangées. Les assassins ne peuvent tuer les pions qui sont uniquement dans leurs dos, mais peuvent prendre n’importe quelle place rouge. L’archer et l’éclaireur attaquent à distance, mais l’éclaireur ne peut se déplacer que sur les cases vertes. Les gardiens sont lents mais peuvent attaquer tout autour d' eux, d’où le nom qu’ils portent. Quant au roi et à la dame, ils peuvent se déplacer dans n’importe quelle direction, mais la dame à l’avantage du fait qu’elle se déplace du nombre de cases qu’elle souhaite dans n’importe quelle direction, ce qui en fait un atout majeur pour l’attaque et la défense. J’ignore encore quel est votre plan, mais sacrifier la dame serait idiot.
_ Exactement sire Taläsna, lui renvoya le roi haut-elfe. Ce serait effectivement très intelligent de chercher à la protéger pour porter le coup de grâce, mais que se passe-t-il lorsque l’on affronte un adversaire plus intelligent que soit ?
_ Nous finissons par la perdre, tout naturellement.
_ Soit… Et la perte de la dame est une lourde perte, et la défaite quasiment assurée. Mais encore une chose… Sire Taläsna, avez-vous affronté à ce jeu des hommes intelligents ?
_ Je ne joue à ce jeu qu’avec des elfes qui m’ont déjà fait preuve d’un esprit brillant, répondit Taläsna.
_ Est-ce que vous les aviez battus ?
_ Oui.
_ Est-ce que c’était difficile ?
_ Évidemment, chaque victoire était un mérite.
_ Est-ce que vous aviez déjà joué avec un idiot ?
Taläsna se mit à regarder étrangement le haut-elfe. Toujours aussi mystérieux dans ses propos, il ne semblait pas vouloir révéler immédiatement sa stratégie.
_ Je vous l’ai dit, je n’accepte de jouer qu’avec des elfes brillants.
_ Et pourquoi les avez-vous battus ?
_ Parce que je devais être plus intelligent qu’eux.
_ Alors pourquoi jouer avec des intellectuels s' il n’y a aucun défi ? Une fois, j’y ai joué avec un enfant. Vous seriez d’accord pour dire que j’avais tous les avantages de mon côté, l’expérience et la ruse étaient miennes, mes facultés mentales dépassent largement les siennes, pourtant il a gagné.
Tous le regardèrent étrangement, se demandant comment un être érudit aurait pu se faire battre à un jeu de pure intellect par un enfant.
_ Il devait être incroyablement doué, et vous l’avez sous-estimé.
_ Je n’ai fait aucune de ces deux erreurs sire Guldörr. Il n’était ni doué, ni rusé. Il était juste imprévisible. Un ignorant joue au hasard, laissant son adversaire exploiter ses faiblesses, et dévoilant en grand des ouvertures qu’il aurait dû combler. De sa part, toutefois, je m’attendais à une stratégie qu’il n’avait pas, ainsi, sans que je m’en aperçoive, absorbé par une éventuelle tactique de sa part, j’ai joué en conséquence, mais à un moment venu, mon roi est tombé sous le coup d’un pion de l’infanterie. Ce n’était pas qu’il l’avait prévu ma stratégie, ni qu’il avait prévu une réelle offensive, c’était du hasard. Et parce que j’étais cent fois plus intelligent que lui, je n’avais pas pu prévoir un coup de si bas étage. Voici ma stratégie…
Il fit apparaître la bannière de la Guiogne en haut des falaises qui longeaient les bois.
_ Nous allons jouer comme des idiots.
_ Je ne comprends pas ! S’écria le roi de Sintraë. Vous veniez de dire à l’instant qu’en prenant ce poste, Kaös allait sûrement nous tendre un piège !
_ Justement, répondit le seigneur haut-elfe. Kaös le sait que nous nous méfions de ce poste parce qu’il est idéal. Il s’attend à nous voir prendre du recul, ainsi il nous repoussera et nous y mènera de toute manière, prenant le poste avantageux pour ses troupes. Parce qu’il sait que nous allons éviter de le combattre sur un front qu’il a choisi, il ira nous chercher et nous piégera. Mes frères, qu’est-ce qui est plus idiot sinon envoyer sa dame droit dans un piège ? Jetez y la, c’est la seule chose à laquelle il ne s’y attendrait pas.
_ Mais que se passera-t-il quand la dame sera sacrifiée ? Demanda Endellen.
_ Qui vous a parlé de sacrifier la dame ? Demanda en retour Nërdell. Elle ne sera pas seule, nous la soutiendrons. Sa surprise ne sera pas de nous y trouver, mais comment il va nous y trouver. Il s’attend à nous voir surtout en retrait, cherchant à protéger nos châteaux. Ce ne sera pas le cas, nous y enverrons tous nos soldats disponibles, écrasant par le nombre nos ennemis. C’est pour cette raison que je vous ai tous conviés, je veux savoir si vos lames seront notre.
Le roi de Guiogne se leva, s’approcha de la carte, sortit Falcionn de son fourreau et la brandit au-dessus de la carte de Natal.
_ Cette épée me fut donnée pour protéger Natal et ses habitants, mes hommes sont vôtres.
Neëndell et Leniel dégainèrent à leurs tours leurs sabres richement décorés et les posèrent par-dessus la Dyaladuil divine.
_ Nous ne sommes pas des guerriers, avoua Neëndell, mais j’accepte de me sacrifier au nom de Natal.
_ Être Archimage et ne pas participer à la plus grande bataille de tous les temps serait une honte, dit Leniel. Je me joins à vous.
Nelassa et Endëllen se levèrent aussi, le père joignit la lame de son sabre parmi les autres épées, tandis que sa fille sortit une longue dague derrière son dos avant de l’imiter.
_ Ma famille sera heureuse de mourir pour notre victoire, déclara Nelassa.
Le roi de Sintraë fit de même, dégainant son sabre disposé sur son flanc, et dit:
_ En tant que chef des cavaliers du ciel, je me joins à cette cause, ainsi que mes hommes.
_ Roi Zuanlanor, dit le nain en se levant, je n’oublierai jamais ce que vous aviez fait pour les miens il y a deux ans, je n’ai toujours pas eu l’occasion de rembourser ma dette envers vous. Ma hache !
Un serviteur nain apporta l’offrande à son souverain qui marcha jusqu’au centre de la pièce et souleva son arme pour arriver à niveau égale avec les autres lames.
_ Le fer de nos montagnes est abondant, et mes soldats lourdement armés. Nos canons rugiront et nos haches trancheront. Mon peuple sera présent lors de cette bataille.
Les deux seigneurs elfes sylvains se levèrent et joignirent leurs armes à la coalition. Satisfait, Zuanlanor fit amener sa lance, Juzaliäl, et la brandit au-dessus du continent miniature.
_ En ce jour, nous oublierons nos appartenances raciales, nos royaumes respectifs et nos différences, en ce jour, nous sommes l’Alliance de Natal !
Il s’apprêta à faire lever toutes les lames, quand il vit Taläsna toujours assis dans son trône, le front posé sur ses deux mains jointes. Un chevalier au manteau noir, un masque de fer caché sous un capuchon de ténèbres, deux fentes noires le fixaient, ses habits déchirés flottaient autour de lui, sur un fond de flammes, de ruines et de désolation.
_ Sire Taläsna ? L’appela la voix de Zuanlanor. Ne vous joignez vous donc pas à notre alliance ?
Des habits déchirés flottaient sur un fond de flammes, de ruine et de désolation. Le seigneur sylvain se leva et se dirigea vers le continent flottant. Un masque de fer, caché sous un capuchon de ténèbres. Il dégaina Jindaïlyu de son fourreau d’argent. Il le fixait de deux fentes noires. Au fond de lui, une peur grandissante se nourrissait de ces images terrifiantes qui ne cessaient de lui revenir en tête. Il sentait qu’il était sur le point de commettre une erreur, mais son sens de l’honneur le poussait à poser sa lame par-dessus les innombrables épées. Un arbre noir, dont les racines se plantaient dans les cieux et les branches plongeaient dans la terre. Derrière cet arbre maudit, deux grands yeux en feu l’épiaient, et cinq silhouettes aux manteaux noirs s’avançaient. Le chevalier au masque de fer le fixait à travers deux fentes noires.
_ Je me joins à l’alliance de Natal, proclama Taläsna.