La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié

Chapitre 7 : Le descendant de Thaarg

7810 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/01/2025 07:44

Chapitre 7: Le descendant de Thaarg






Au milieu d’une étendue de terre craquelée, sous un soleil accablant, une horde d’individus de grandes tailles recouverts de bandeaux de tissus avançait lentement, marchant inlassablement contre le vent brûlant du désert. Après s’être rétabli, Warda put marcher parmi les orques qui l’avaient sauvé. Le chef, celui qui portait de longues tresses sur son crâne, semblait donner courage à sa troupe, et si le désespoir venait à les faiblir, il ramenait toujours la volonté à ses compagnons de continuer la route. L’elfe noir cherchait tous les moyens afin de se protéger du soleil, sa peau noire absorbait d’avantage de chaleur que celle des orques, par conséquent il se recouvrit entièrement la tête de bandages blancs, ne laissant qu’une fine fente au niveau des yeux. À l’intérieur de son armure, il sentait l’humidité le gagner un peu plus chaque jour, à cause de la transpiration. Le gobelin profitait des moments de pauses pour guérir les blessures de ses camarades et de l’elfe noir. Après avoir retiré les vers, il avait placé à l’intérieur de ses plaies un mélange à base de plantes médicinales, de terre et de salives, afin de permettre à son corps de mieux se cicatriser après. Il était en quelque sorte l’érudit de cette étrange tribu. Bien qu’il fut vieux et inadapté au désert à cause de ses grands yeux sensibles à la lumière, il était un membre indispensable dont les orques refusaient de s’en séparer. Il apprit le nom de chacun lors d’une nuit, autour d’un maigre feu de bois. Le chef se nommait Garak, il connaissait la langue étalen après avoir été capturé par les croisés. C’était également lui qui avait lancé l’expédition, afin de retrouver un ancien tombeau. Nurtag était le géant, le plus fort de tous, mais surtout le plus fidèle envers Garak. Brentark et Dourgen étaient inséparables, ils étaient déjà amis avant de connaître Garak. Dourgen possédait aussi l’avantage d’avoir le meilleur sens de l’orientation du groupe, aussi c’était souvent lui qui partait en tête. Gartërn, le gobelin, était celui qui était le plus proche de Garak, aussi le chef orque expliqua à Warda que lorsqu’il était enfant, lorsque son père fut tué, Gartërn l’avait recueilli et élevé. En quelques sortes, il était son père adoptif. Durant les jours qui suivirent, Warda fut obligé de pratiquer le cannibalisme, mangeant la chair des assassins habillés en noir. La viande était dure et d’un goût repoussant, mais il se força tout de fois à la manger, ils étaient à cours de vivres et il ne pouvait pas se permettre de rejeter de la nourriture. 


Lors d’un matin, alors qu’un léger souffle brûlant souleva du sable sur le visage de l’elfe noir, en ouvrant les yeux, il vit une silhouette de large carrure avancer lentement vers lui. Lorsque ses contours se précisèrent, il distingua un gigantesque loup au pelage gris. Lorsqu’il se leva, il le reconnut. C’était Jaron. Il avait perdu beaucoup de poids, ses côtes déformaient ses flancs, et sa langue pendait hors de sa gueule tant la chaleur l’étouffait. Il fit encore quelques pas avant de s’effondrer dans le sable. 

_ Jaron ! S’écria l’elfe noir en bondissant vers lui. 

Un bras puissant le saisit à la taille et l’écrasa contre le torse de Nurtag. Garak se leva et sortit de son fourreau une énorme dague acérée. Le voyant s’approcher du loup, Warda tenta de se débattre, mais plus il frappait contre la poitrine du géant, plus celui-ci refermait son étreinte. L’orque se pencha au-dessus de Jaron, et cacha derrière son large dos sa sinistre besogne. L’elfe noir appelait le loup par son nom, suppliant Nurtag de le lâcher, mais les deux colosses étaient sourds à ses appels. Durant ce temps, la dague se plantait de la fourrure de l’animal agonisant, et des gémissements venaient aux oreilles de Warda. Après avoir fini son travail, Garak se releva en rangeant sa dague, et se retourna. 

_ Garak ! Hurla l’elfe noir. Pourquoi tu as fait ça…

Au même moment, Jaron se releva, et sa fourrure abondante autrefois fut tondue. Nurtag lâcha Warda qui sauta au cou du loup géant. Garak s’approcha de son compère et le remercia pour avoir retenu le guerrier sombre pendant qu’il coupait les poils de l’animal.

_ Comment m’as-tu retrouvé ? Demanda Warda à son compagnon quadrupède.

_ Ton odeur, tu empestait à des lieues à la ronde. Je t’ai suivi juste après que ces elfes t’aient emmené je ne sais où. 

Il secoua son énorme corps, se débarrassant des derniers poils qui furent coupés. 

_ Je me sens plus à l’aise maintenant, conclut t-il. C’est bon de se sentir au frais, j’avais réellement cru cuire littéralement sous le soleil.

_ Un loup qui parle ? Demanda Garak à l’intention de Warda. Voilà un bien étrange compagnon. 

_ C’est une longue histoire, répondit l’elfe noir en se retournant. C’est un très vieil ami.

Nurtag dit à Garak des mots incompréhensibles, dans la langue orque, aux sonorités gutturales et brutales. Le chef orque lui répondit dans cette même langue, mais de manière plus calme, plus apaisée. Il s’approcha ensuite de Warda et lui dit:

_ Mon frère craint que nous ne puissions l’emmener, ce serait une bouche de plus à nourrir et nous ignorons quand nous pourrons nous ravitailler. 

_ Vous voulez le laisser mourir ? Demanda Warda d’un air furieux. Garak, tu viens de lui sauver la vie et maintenant tu es prêt à l’abandonner dans le désert ?

_ Je n’ai pas beaucoup de choix, répondit-il. Nos gourdes sont presque vides et nos sacs sans nourriture. Ton animal doit beaucoup manger, ce n’est pas bon. En tant que chef, leurs vies reposent entre mes mains, tu comprends ?

Le guerrier sombre regarda le sable, il avait du mal à l’admettre, mais l’orque avait raison. Lui-même mourrait de faim, et si Jaron venait au sein de leur troupe, il dévorerait les dernières vivres à lui seul. Il se retourna vers le grand loup. Sans lui, il le savait, qu’il serait mort depuis longtemps. Il se rappela de cet instant où Jaron l’avant endormi avec son haleine, puis emmené dans la tanière de Mélane où ils le soignèrent. Il ne pouvait pas se résoudre à le laisser seul au milieu du désert, mais avait-il réellement d’autres choix ? Le reste de la horde de Garak se leva et fut prête à partir. Il ne fallait pas tarder, reprendre la marche avant que le soleil ne se lève, après une fois au zénith ils seraient de nouveau obligés de s’arrêter. Il caressa le museau de son ami et rejoignit les orques, le laissant derrière lui. Lorsque les colosses du désert prirent la route, Jaron resta assis, contemplant le dos du guerrier sombre. Garak se retourna vers le loup et s’exclama:

_ Tu viens ? Nous n’avons pas beaucoup de temps.


_ Tu sais au moins ce que tu fais ? Lui demanda Nurtag en regardant son chef.

_ Oui, je le sais, répondit Garak en commençant à enrouler un bandeau noire sur sa tête. 

Il savait pertinemment qu’en acceptant un nouveau compagnon au sein de leur clan, il acceptait également un nouveau fardeau. L’eau et la nourriture étaient toutes deux précieuses et rares, et les besoins d’un animal de cet acabit étaient du double de celle d’un orque. Mais d’un autre côté, la vie aussi était une denrée rare dans ce désert, et nul ne savait dans combien de temps il auraient une nouvelle rencontre. Il s’humidifia son bandeau avec un peu d’eau de sa gourde et regarda l’horizon. Un immense rocher en forme de croc jaillissait d’entre les dunes lointaines. C’était le futur relais qui les guiderait vers leur destination. Ils marchèrent jusqu’au moment où l’ombre et la lumière s'unissaient sur l’horizon, peignant le ciel d’une aura rougeoyante, et embrasant l’horizon d’une flamme d’or, avant de donner un aspect de vide à la terre. 


En milieu de nuit, au moment où le froid était souverain du royaume des Os, ils atteignirent le roc en forme de croc et campèrent à son pied. Ils déposèrent les lourds sacs autour du feu et s’assirent, faisant profiter leurs corps de la chaleur des éphémères rayons dansants. Brentark sortit de son sac sept pièces de viandes et les envoya à tour de rôle à Garak, Nurtag, Gartërn, Dourgen, Warda et Jaron. Ils l’embrochèrent sur des branches robustes et les mirent à cuir au-dessus des flammes, hormis Jaron qui avala sa part crue. Pendant que le reste du groupe entamait le repas, Garak sortit une carte de son sac et l’étala à même le sol. Nurtag, qui mastiquait sa viande bruyamment, le rejoignit et se pencha au-dessus de la carte aussi.

_ Nous sommes ici, indiqua Garak en montrant le dessin de roc en forme de croc. Nous devons aller au sud, et trouver le canyon du serpent. Nous avancerons à l’ouest, puis progressivement nous redescendons, j’ai entendu dire que dans cette région les oasis sont plus nombreuses, et à ce qu’il paraîtrait, il y aura même un fleuve dans ces environs. 

_ Puis ensuite ? demanda Nurtag.

_ Nous y serons.

Le grand orque se leva et s’étira, on entendait ses articulations craquer sous son impressionnante musculature. 

_ Combien de temps avant la prochaine étape ? Demanda-t-il.

_ Cinq jours avec une marche rapide, répondit Garak.

_ Et avec eux ? Fit Nurtag en désignant du regard Warda et Jaron. 

_ Guère plus…

_ Je vois. Garak, ils faut qu’ils partent.

Le chef orque regarda son compagnon et fit signe de désapprobation du regard. Il l’invita à s’asseoir d’un signe de la main, gardant son calme, mais Nurtag l’ignora.

_ Garak, ils mettent en péril notre mission. Tu le sais tout aussi bien que moi que nos provisions ne nous le permettent pas. J’ai vu dans nos réserves assez d’eau et de nourriture pour deux jours. En nous séparant d’eux, nous doublons ce temps.

_ Nurtag, même en doublant ce temps, ça ne suffira pas à atteindre la prochaine étape, toi-même tu l’as dit, avec eux nous tiendrons deux jours, sans eux, nous tiendrons quatre jours tout au plus, ce n’est pas suffisant pour atteindre la prochaine étape. Si nous devons mourir, je tiens à ce que nous soyons unis.

_ Tu es fou mon frère, répondit Nurtag. Si tu refuses de les chasser, je le ferai moi-même.

Tandis que Warda avalait son dernier morceau de viande, Nurtag et Garak semblaient se disputer. Vu l’intensité de la joute verbale, ce devait être grave. Le reste de la troupe les regardait, immobile, mais pas moins attentive. Alors que l’orque géant montait le ton, Garak restait assis et patient. Puis, le colosse s’exclama dans un rugissement, et enfin, Garak se leva et regarda Warda.

_ Bien, j’aurais dû m’en douter, dit-il. Warda, nous sommes confrontés à un choix difficile. Je pense que tu sais ce que c’est.

Le guerrier sombre le savait, même s' il n’avait pas compris le moindre mot lorsque Garak et Nurtag se parlèrent, l’intonation laisser deviner leurs sens.

_ Bien, comment allons-nous faire ? Demanda Warda. Sachez que pour ma part que je ne suis pas encore prêt à renoncer à la vie, et vous seuls pouvez me guider dans ce désert. 

_ Alors nous n’avons plus le choix, répondit Garak. Nurtag souhaite que tu partes, toi et ton loup, et toi tu es opposé à cet avis. Par conséquent, tu dois faire face à un défi, ami. Tu dois affronter Nurtag, celui qui t’as provoqué, si tu gagnes, tu reste, sinon tu devras partir. 

_ Soit, répondit Warda en empoignant Algazalm.

L’orque gigantesque sourit et empoigna à son tour la poignée de son énorme cimeterre, mais brusquement, le gobelin se releva et encocha une flèche en direction de l’elfe noir, tandis que Garak posa le revers de son poing sur la poitrine de son compagnon. Le chef orque tourna sa tête vers le guerrier sombre et lui dit:

_ Nous refusons toutefois de faire couler le sang, la vie est trop précieuse dans le désert. Par conséquent, il faudra vous battre sans arme, ni armure, seule votre force décidera du vainqueur. 

Dourgen traduisit à Nurtag les paroles du chef, puis le géant planta son épée dans la terre desséchée et jeta ses vêtements à même le sol, découvrant ainsi son corps massif, sa poitrine et son ventre étaient recouverts d’une armure naturelle de muscles, et ses bras étaient aussi larges que ses cuisses, avec il pourrait facilement briser la nuque d’un buffle sans la moindre difficulté. Sa peau grise prenait une teinte d’or à la lueur des flammes, contrastant avec la noirceur de ses poils qui recouvrait son poitrail. 

_ Bien, dit Warda en faisant face à son adversaire. Puisqu’il n’y a plus le choix.

Il imita Nurtag, plantant Algazalm dans le sol, mais lorsqu’il s’apprêta à se débarrasser de son armure, Jaron le bouscula du museau.

_ Arrête cette folie, lui dit-il. Partons, ça n’en vaut pas la chandelle.

_ Partir signifie mourir, lui répondit Warda.

_ Combattre aussi, il est énorme, il t’écrasera le crâne si tu l’affronte.

_ Ne t’inquiète pas, dit l’elfe noir en enlevant son armure, tout ira bien.

Il posa son plastron et ses gantelets aux côtés de son épée, et lorsqu’il souleva sa cotte de maille, il dévoila à son tour l’impressionnante musculature qui n’avait rien à envier à celle de l’orque. Il n’était peut-être pas aussi grand que lui, ni aussi impressionnant, mais ses abdominaux, ses biceps, ses triceps, tous ses muscles semblaient aussi unis et solides que du roc. Enfin, les orques comprirent comment un guerrier de sa taille parvenait à employer une épée aussi grande sans aucune difficulté, son bras était puissant et le montrait bien à la forme de ses muscles, pleinement développés et resserrés au maximum, afin de ne pas encombrer ses mouvements. Warda avait longtemps vécu une vie sauvage, et par conséquent, il savait ce que signifiait lutter pour la survie, et il était obligé à acquérir une certaine force et endurance qu’aucun autre aurait pu avoir avec une vie plus facile. Lorsque Warda s’avança jusqu’à se retrouver face à la poitrine de Nurtag, il souleva la tête pour faire face au regard d’ouragan du monstre. Garak donna un ordre à Nurtag qui recula de trois pas, et Warda l’imita. 

_ A mon signal, dit Garak, vous pourrez commencer. 

Les deux opposants levèrent les poings à hauteur de visage, en posture de combat, les pieds placés de manières à avoir un maximum d’équilibre sur leurs appuis. Lorsque le chef orque baissa le bras en guise de signe de début de combat, ils restèrent en position, jaugeant l’adversaire du regard, afin de trouver une faiblesse. Ce fut Nurtag qui chargea le premier après avoir jugé son adversaire, il utilisa tout son corps comme balancier pour son bras puis envoya un coup de poing qui passa par-dessus la tête de Warda qui se baissa, en profita pour frapper du pied le genoux de l’orque qui fut contraint de se baisser. Lorsque sa tête fut à hauteur du guerrier sombre, il lui donna un puissant coup de poing qui résonna contre sa mâchoire. Ses os étaient solides et anguleux, et l’elfe noir recula en se tenant ses phalanges douloureuses. Il n’avait jamais senti autant de résistance de la part d’un ennemi. Lorsque Nurtag se releva, l’elfe frappa de nouveau, plus fort, au niveau du diaphragme, mais son poing rencontra un mur de granit indestructible, et une énorme masse sombre lui percuta le visage de plein fouet et le renversa. Lorsque Warda se releva, la main du colosse l’attrapa à la gorge, le souleva et l’envoya au-dessus des flammes avant de qu’il ne retombe lourdement sur la terre aride. Une douleur brûlante irradiait toute sa colonne vertébrale, avec une telle puissance Nurtag était certainement capable de lui broyer tous les os de son corps. L’elfe noir se releva péniblement et fit face de nouveau à l’orque qui, déterminé, balança son bras par-dessus son corps avant de frapper. Warda le contra et contre-attaqua en cognant le nez aplati du géant, et profitant de son hébétement, il le frappa au menton, frappa du plat de sa main l’oreille qui était à sa portée, et percuta son torse à l’aide de son coude. Le monstre recula de deux pas, encore sonné par le coup porté à l’oreille, et avant qui ne se rende compte, Warda avait bondit sur lui, les deux pieds en avant, percutant de plein fouet son ventre. Lorsque les deux opposants se retrouvèrent à terre, Warda se releva et sauta genoux joints sur la poitrine de Nurtag ce qui lui coupa le souffle. Le guerrier sombre ne relâcha pas la pression, il martela le crâne de son opposant à coups de poing, mais le géant l’attrapa, se releva en portant au-dessus de sa tête le guerrier sombre, et l’envoya en l’air pour mieux le faire s’écraser contre le sol. 

_ Warda, s’écria Jaron.

_ Ça va, lui dit Warda en se relevant, ne voyant pas le coup de poing que Nurtag lui porta au visage.

Il tomba de nouveau face dans la poussière, du sang faisait agglutiner le sable sur ses lèvres. La main qui l’attrapa par l’épaule le souleva, avec que sa sœur ne vienne s’écraser à plusieurs reprises sur la tête de Warda avec violence. Finalement, l’elfe noir contra son poing, retrouvant ses esprits, et frappa à grand coup dans l’immense poitrine, donna un coup de boule dans la partie inférieure de la mâchoire de la bête, continua de marteler violemment le ventre de la créature grise, son point vulnérable, puis l’attrapa par le bras, le fit passer par-dessus son épaule et le renversa à terre. Nurtag, encore hébété, ne put contrer les coups de bottes que lui assénait Warda sur le crâne, et ne put rien faire lorsqu’il fut soulevé de nouveau et écrasé à terre à plusieurs reprises. Warda souleva l’orque au-dessus de lui et l’envoya avec violence contre la paroi rocheuse du croc géant. La bête enragée se releva, dévoilant ses énormes crocs, et fonça sur Warda qui lui bondit de nouveau dessus, les pieds plongeant sur son ventre, et fut renversé de nouveau. Lorsqu’ils se relevèrent, ils s’assénèrent à tour de rôle de terribles coups de poings, et à la fin, après avoir reçu un puissant crochet du droit directement dans la mâchoire, Nurtag tomba à la renverse. Warda s’avança vers lui pour porter le coup de grâce, mais à son tour, il sentit le vertige le gagner, puis les étoiles tournaient de façon étrange dans le ciel, et des vagues incohérentes firent remuer le sol inhabituellement sous ses pieds, jusqu’à ce que finalement le noir du ciel et la terre ne se retrouvent dans un drôle de parallélisme verticale. 


Le vieux gobelin s’approcha des deux corps allongés et prit le pouls. 

_ Ils sont encore vivants, dit-il. Cet elfe a réussi à faire coucher Nurtag, il est très robuste. Pourquoi leur lancer un tel défi Garak ?

_ Nurtag pensait qu’il n’était qu’un fardeau, dit Garak. Je voulais lui prouver le contraire, et de cette manière il a pu lui-même évaluer tout le potentiel de cet elfe.

_ Et qu’aurais-tu fait s' ils s’étaient réellement entre-tués ? demanda Gartërn. 

_ Aucune chance, Nurtag est le plus fort des membres de notre clan, c’est incontestable, et j’avais confiance en cet elfe noir. A force égale, il était impossible qu’ils puissent s’entre-tuer. 

Dourgen et Brentark réveillèrent à tour de rôle Nurtag puis Warda en leur donnant de l’eau et donnant de légères gifles. Ils se rhabillèrent chacun de leurs côtés, et chacun dans leurs coins tentaient de s’ausculter afin de voir l'étendue de leurs blessures respectives. Après que Warda cracha un mélange de salive et de sang, Garak se dirigea vers lui et l’invita à venir avec lui.

_ Guerrier sombre, viens avec moi.

_ Que se passe t-il, demanda l’elfe noir qui constata avec émerveillement qu’aucune de ses dents n’avait été cassée. 

_ Je dois te parler, de seul à seul. 


Ils s’éloignèrent du camp, dans la même direction que montrait la pointe du croc avec une torche avec un étrange objet enveloppé dans du lin que portait Garak sous son bras gauche. Lorsqu’il jugea qu’ils furent assez à l’abri des regards, il donna la torche à Warda qui avait la joue gonflée ainsi que le coin inférieur de l’œil droit. 

_ Je trouve que tu t’en es bien tiré face à Nurtag, lui dit Garak.

_ Tu trouves ? Demanda Warda avec une pointe d’ironie en se tâtant le visage. 

_ Il aurait pu t’arracher la tête, répondit Garak. Mais il ignorait ta force véritable, c’est cela même qui l’a mené à sa perte. Assis toi, la nuit est longue, heureusement, car j’ai une longue histoire à te conter. 

L’elfe noir obéit, puis l’orque s’assit à son tour, tout en posant l’objet mystérieux avec délicatesse à ses côtés. Warda posa la torche par terre, entre lui et l’orque. La lumière faisait briller ses crocs inférieurs, plongeait son visage dans le noir et faisait rejaillir ses yeux d’or dans les ténèbres. La créature à la peau grise entoura le visage de l’elfe noir de ses mains, et le l’ausculta minutieusement dans un silence absolue, ses pupilles fendus semblaient l’explorer sous toutes ses coutures. Après l’avoir observé sous tous les angles, il finit par déclarer:

_ Tu lui ressembles tellement.

_ A qui devrais-je ressembler ? demanda Warda en se tâtant de nouveau la joue enflée.

_ Il y a tant de choses que tu ignores, tant de choses que tu dois apprendre. Pour une raison qui m’est inconnue, dès que je t’ai vu pour la première fois, je savais que nous étions liés par le destin. Laisse moi te raconter l’histoire de mon peuple, Warda, et l’histoire du tiens.



Raldir, honteux de sa défaite, ne put sortir de ses appartements royaux pendant des journées entières, refusant toute compagnie. Pendant ce temps où son honneur fut bafoué, il médita sur ce qui s’était passé, lorsque Thaarg décida de l’épargner. Une larme de Natal l’avait sauvé ce jour-là, et même en sachant que cela signifiait refuser de mettre un terme à la guerre, Thaarg avait laissé la vie à son pire ennemi. Lui-même ne savait s' il aurait agit aussi noblement. Il rechercha au sein de sa bibliothèque une légende qui évoquait cette larme de Natal, mais aucun ouvrage ne référençait cette légende. Il en arriva à la conclusion que soit la larme de Natal était une légende connue seulement des orques, soit que Thaarg avait inventé cette histoire de toute pièce juste pour trouver prétexte à l’épargner. Cloîtré au milieu de ses rangées de rouleaux, il ne pouvait plus supporter d’ignorer la vérité. Il décida donc de rencontrer son ennemi juré, et savoir qui il était réellement. Secrètement, il partit pour les terres orques, escorté par seulement une armée de cinquante soldats. Lorsqu’il atteignit la ville aux étendards marqués d’un orque coiffé par cinq plumes, il fut d’abord prit pour un ennemi, et capturé. Il se laissa emmener, ainsi que ses soldats, jusqu’au repaire du roi orque. Thaarg, assis sur un trône fait d’acier, d’os et de plumes, les fixaient attentivement à travers les fentes de son casque. Il ordonna qu’on les relâcha, et invita le roi elfe à s’approcher. « Ton courage est grand, elfe, mais ton ignorance l’est tout autant. Que me vaut l’honneur, ou l’affront, de ta venue ? » « Je suis venu chercher réponse, sire orque, et réponse j’aurais lorsque je repartirais. ». Le roi orque fit apporter un siège et Raldir put s’assoir, face au souverain des peuplades sauvages du sud. « Quelle question nécessite réponse au point de risquer ta propre vie ? » demanda Thaarg. « Cette question se trouve être exactement ce que j’ai risqué en venant ici. L’autre jour, après notre défaite, pourquoi cette lame que tu tenais n’as t'elle pas versé le sang qui coule dans mes veines ? ». L’orque aux yeux brillants dans les ténèbres de son casque montra d’une main le ciel visible à travers un trou béant dans le toit de son palais. « Natal, notre mère et notre terre, a eu pitié de toi, elle t’offre une chance de te racheter de tes fautes. Est-ce que cette larme a-t-elle de nouveau touché ton front depuis notre rencontre ? » « Malheureusement non, répondit Raldir, mais je ferais tout pour la revoir de nouveau. À condition que cette légende soit vraie. » « Ainsi, doutes-tu de mes paroles elfe ? Soit, je te reconnais là l’intelligence d’un souverain, car en effet, les légendes ne sont que légendes, mais la pitié, elle, est véritable. A toi seul de décider si la légende est vrai ou pas, mais la tristesse de ce monde, elle, est vrai. Regarde autour de toi, et alors tu comprendra pas toi-même pourquoi cette lame que je tenais dans mes mains n’a pas transpercé ton cœur. Lorsque j’ouvre les yeux sur notre monde, j’y vois haine et violence, peur et colère, tristesse et soif de sang. En te tuant, roi Raldir, je n’aurais pas mis fin à la guerre, je n’aurais fait que approfondir les racines de la haine dans le cœur de nos deux peuples. Si ta tête venait à tomber, telle une hydre, la tête d’un autre aurait pris le pouvoir, plus enragée que la précédente, et nos races viendraient alors à plonger dans une guerre sans fin. Ce ne sont pas les souverains qui décident des guerres, mais les guerres qui décident des souverains. Vous autres, elfes, vous vous croyez supérieur grâce à votre don extraordinaire, dont nous-mêmes sommes dépourvus. Mais nous autres, orques, sommes libres et indépendants. Vos pouvoirs ne nous intéressent pas, et nous nous soumettons jamais à la volonté d’autrui. Contrairement à nous, vous avez un esprit de domination, vous êtes dépendants de vos serviteurs et un jour vous tomberez car plus personne ne soutiendra vos piliers de brindilles. Voilà pourquoi je t'ai laissé la vie, souverain, par pitié envers ton espèce. ». Raldir regarda le ciel, espérant qu’une larme viendrait tomber sur lui, mais il savait dans son cœur que cela n'arriverait plus jamais. Thaarg fit signe à ses gardes de ramener les elfes hors de leur royaume, mais Raldir résista et pria le roi orque de l’écouter. « Seigneur Thaarg, je suis navré de tout le mal que j’ai pu causer, mais un jour arrivera où nous marcherons main dans la main, sans crainte. Je ferai tout en sorte pour que mon peuple vous laisse en paix. » « Cette promesse est trop lourde à porter pour tes épaules, mais si tu y tiens tant, alors moi aussi, je tenterais de ramener mon peuple à la paix. ». Ainsi, pour la première fois de l’histoire, un orque et un elfe se serrèrent la main, signe de paix. Lorsque Raldir tenta de convaincre son conseil de mener une trêve avec les orques, ils s’exclamèrent avec colère, et bientôt, le roi elfe comprit les paroles de Thaarg, car c’était bien la guerre qui décidait des rois, car son peuple attendait de lui un souverain guerrier, un souverain dominateur, un empereur menant la race des elfes au-delà de toute limite. Thaarg échoua aussi dans la tentative de calmer la haine de son peuple. Les deux rois se rencontrèrent en secret à plusieurs reprises, et ils comprirent assez vite que mener la paix dans de si brefs délais était impossible. S' ils continuaient tous deux à se faire huer à cause de leurs idéaux, ils perdraient alors leurs postes et le contrôle de la guerre. Ils en conclurent alors qu’ils allaient agir comme leurs peuples souhaitaient respectivement, en versant le sang, mais grâce à leur pouvoir, ils seraient en mesure d’éviter au maximum les pertes de chaque camp, le temps que les deux races puissent se comprendre mutuellement. Malheureusement, ce rêve de paix tardait à s’exaucer, Raldir et Thaarg comprirent qu’ils n’y parviendraient jamais. Ils devaient cesser de jouer aux faux guerriers, aux deux rivaux invincibles, l'un d'eux devait perdre. Thaarg décida que c’était à lui de lever le drapeau blanc, et même sous les protestations de Raldir, il conclut que c’était à son espèce de disparaître. Le jour où Thaarg et ses légions se rendirent au palais du souverain elfe, lorsqu’il déposa les armes des Valeureux à ses pieds, quand les Trommas sonnèrent, personne ne vit les larmes que Raldir versa en voyant son compagnon renoncer à vivre. Il le fit peindre par son meilleur artiste, un portrait de Thaarg et ses serviteurs. Mais ce que l’histoire ne retint pas, c’est que Raldir fit faire un second tableau, avec Thaarg à ses côtés. En guise d’adieu, avant la cérémonie de départ, Raldir l’offrit à Thaarg afin de ne jamais oublier le lien qui les unissait. Alors que les voiles blanches disparaissaient à l’horizon, Raldir bénit les orques, priant pour leurs âmes. Trois cents ans plus tard, lorsque les descendants de Thaarg revinrent sur le continent, ils affrontèrent le souverain elfe et ses légions et les écrasèrent jusqu’à l'arrivée des elfes noirs. Les trois frères légitimes du sang de Thaarg se séparèrent après la défaite. L’un d’eux mourut seul, dans les forêts sauvages, le second fut assassiné, et le dernier ainsi que ses fidèles sujets partirent s’installer au sud du continent de Natal, proche de l’Etale, afin d’accomplir le dernier vœux de Thaarg qui fut d’être enterré comme un elfe. Avec l’aide de ses serviteurs, il lui construisit un tombeau et y enterra la dépouille de Thaarg vieille de trois cents ans, ainsi que son armure, son épée et son casque légendaire. Depuis, la légende raconte que seul un orque du sang de Thaarg peut retrouver le tombeau, et le secret transmit de père en fils et de mère en fille. 


_ Et je suis un descendant de Thaarg, fini par conclure Garak. Mon père, mon grand-père et mon arrière-grand père se sont transmis le secret, afin de ne jamais oublier d’où nous venons.

_ Et ton père t’as transmis le secret ? Demanda Warda.

_ Non, pas à moi, à Gartërn.

_ Le gobelin ?

_ Oui.

Garak se leva, contemplant les étoiles.

_ Nous autres orques, nous nous entendions bien avec les gobelins, en quelque sorte nous sommes de la même famille. Avant de mourir, mon père a avoué notre secret à Gartërn et m’a confié à sa garde. Gartërn est en quelque sorte mon père adoptif. C’est lui qui m’a enseigné tout ce que je sais aujourd’hui, qui m’a élevé comme son propre fils, m’a transmis la mission. Je suis le dernier porteur du sang de Thaarg. 

_ Je suis navré, lui dit Warda qui comprenait ce qu’il ressentait, car lui-même fut arraché à sa famille très jeune, et a vu sa famille adoptive se faire tuer.

_ Ne le sois pas. C’était notre destiné, à tous deux. Nous sommes liés par le destin. 

_ Comment le sais-tu Garak ?

L’orque sortit une dague étincelante du fourreau et la confia à Warda. Il s’assit aux côtés de l’objet enveloppé et enleva son voile. Lorsqu’il fut découvert à la lumière de la flamme, Warda vit le tableau décrit par Garak, un elfe d’une beauté extraordinaire aux côtés d’un orque semblable à Garak tenant sous son bras un casque recouvert de plumes et de rubis. En regardant plus attentivement l’elfe, Warda eut un étrange sentiment, venant d’un lointain passé oublié. Il se revit face à un étrange individu enveloppé dans un manteau noir. Ils n’avaient rien à voir l’un avec l’autre, car cet elfe inspirait la lumière et la pureté, et l’autre les ténèbres et le néant. Tout de fois, ils avaient tous deux un unique point commun, dans leurs yeux était emprunt une profonde tristesse. 

_ Regarde le couteau, lui ordonna Garak.

Warda trouva l’ordre étrange, mais il obtempéra. Il regarda un long moment l’acier du métal, noirci par les ténèbres de la nuit. Garak s’approcha de lui et tandis à ses côtés la flamme de la torche. Lorsque l’elfe noir vit son propre reflet dans le fer du couteau, il comprit enfin où l’orque voulait en venir. Il compara son propre visage à celui de l’elfe, et hormis la couleur de sa peau et de ses yeux, ils étaient si semblables: la forme du visage, le nez, la bouche, et même le regard étaient quasiment identiques chez les deux individus. Garak observait le tableau par-dessus l’épaule de Warda encore troublé par sa découverte et lui dit doucement.

_ Cet elfe représenté aux côtés de mon ancêtre n’est autre que Raldir en personne…

_ Ce n’est pas possible, se dit Warda à lui-même. Je ne…

_ Après sa métamorphose en elfe noir, on raconte qu’il se serait exilé sur son ile, et serait depuis devenu autre chose…

_ Laisse moi Garak, laisse moi seul.

L’orque se tut durant un instant, observant la réaction de l’elfe noir. Il restait immobile, face au tableau de Raldir et Thaarg lors des temps anciens. Si Garak avait raison, alors cela signifierait que Warda était le fils de Raldir. Mais quel lien unissait cet être terrifiant vêtu de noir et ce souverain elfe ? Il ignorait tant de choses sur eux, et tant de mystère flottait autour de lui-même. Si il existait un lien entre ce chevalier noir et lui, il préférait encore l’ignorer, car il savait que si lien il existait, alors il serait en grand danger. Garak l’attrapa par l’épaule et lui dit:

_ Je sais que c’est dur, mais j’ai besoin de toi. 

_ Comment ? Demanda l’elfe noir.

_ Vois-tu, j’ai fondé notre compagnie le jour où Gartërn m’avait offert ce tableau, depuis notre clan a monté une expédition afin de retrouver les vestiges de notre passé. Notre peuple n’est plus que tribus nomades, désorganisées, parsemées et désespérées car notre histoire est oubliée. Si jamais notre peuple venait à découvrir les exploits de Thaarg, si jamais nous découvrons que nous aussi avons connu l’âge d’or, enfin notre race se réunifiera et nous pourrons enfin accomplir le rêve de mon ancêtre, pouvoir un jour marcher main dans la main avec les elfes, sans crainte ni haine. Si tu es réellement le descendant de Raldir, si tu es réellement de son sang, ne souhaiterais-tu pas également réaliser son rêve ? 

_ Je ne réaliserai pas le rêve de Raldir… répondit Warda, ce qui attrista Garak dans un premier temps. Je réaliserai le tien.

_ Pourquoi ? Demanda l’orque.

_ Parce que toi, tu m’as sauvé la vie. Lui ne l’a fait que me la maudire en me l’offrant, si réellement il est mon ancêtre. 

Garak eut un léger sourire en l’entendant. Il leva la tête et admira les étoiles, minuscules amas de millions de diamants étincelants, si précieuses et pourtant inaccessibles. L’elfe noir ignorait à quoi devait penser le chef orque, peut être passé au temps du règne de Thaarg et ses innombrables légendes, ou peut être bien au futur, quand il aura enfin trouvé le tombeau de son illustre ancêtre. Il se retourna de nouveau vers lui et lui demanda:

_ Alors, guerrier sombre, me suivras-tu ?

_ Oui. Je serai à tes côtés.


Le lendemain matin, dès les premières lueurs de l’aube, la compagnie se leva, prépara ses affaires et repartit vers le sud. La chaleur devenait de plus en plus atroce, heure après heure, ils se recouvrirent la tête de bandeau de tissu sur lequel ils avaient uriné afin de garder un maximum de fraîcheur sans gaspiller d’eau. L’odeur était infecte, âcre, piquante et extrêmement salée à l’intérieur des bandeaux de tissu, mais dans une telle situation, cela n’a aucune importance. Le ciel était désespérément bleu, et le soleil d’une lueur d’or impitoyable. La terre craquelée sous leurs pieds devenait poussière dans leurs empreintes de pas. Gartërn priait pour voir un nuage dans le ciel, ne serait-ce que pour avoir un tout petit peu d’ombre. La dernière gourde fut vidée lors du second jour, par Nurtag, de ses précieuses perles liquides. Le chef orque dut admettre cette vérité, ils n’arriveraient pas jusqu’au canyon du Serpent. Le désert était grand, et l’eau rarissime. Après le troisième jour, lorsque la nuit tomba, la compagnie alluma sa dernière branche et creusa un trou dans l’espoir de trouver de l’eau. Au bout de trois heures d’efforts en vain, ils abandonnèrent et décidèrent de reprendre la route durant la nuit, sans l’aide d’aucune lumière. Au quatrième jour, alors qu’ils marchaient sans vivres et sans eau, certains de mourir sous le soleil accablant, un miracle se produisit. Ils aperçurent une silhouette à l’horizon. Lorsqu’ils s’approchèrent de l’étrange phénomène, ils trouvèrent une étrange chose verte épineuse aussi grande qu’un homme se dresser à la façon d’un arbre grotesque. 

_ Quel est cette chose ? Demanda Jaron curieux. 

_ Un trésor du désert, répondit Nurtag. Ces plantes sont rarissimes, et pour une raison inconnue, elles n’ont jamais besoin d’eau mais elles en sont toujours gorgées. 

Il sortit sa gourde ainsi qu’un couteau, tailla dans le tronc de la plante et la gourde de sa précieuse résine. 

_ Nous appelons ça cactus, c’est comestible mais piquant, prenaient soin de ne pas vous faire piquer, ça peut vous rendre malade. Passez moi vos gourdes.

Tout le monde obéit, et une par une, Gartërn remplit les gourdes de nouveau pleines et fraîches. Il découpa le cactus et passa un morceau par personne. 

_ Mangez, dit-il. Ce n’est pas aussi bon que la viande je l’admet, mais faudra s’en contenter.

Après que Warda enleva toutes les épines, il commença à sucer son bout de cactus, et un goût amer envahit sa bouche. Il hésita à deux fois avant de mordre dedans de nouveau, mais il savait aussi qu’ils ne trouveraient pas de nourriture avant longtemps, alors il continua à manger sa part. Le reste de la tribu aussi ne semblait pas insensible au goût infecte de la plante, de plus ils étaient de nature carnivore, mais il était question de survie, et ils finirent leurs repas. Gartërn découpa encore de nombreux morceaux de cactus et les rangea dans les sacs de provisions. Après ce repas copieux en comparaison des jours précédents, ils reprirent la route, toujours en direction du sud, et deux heures plus tard le voyage prit une tout autre tournure. Tout commença par un sentiment de béatitude, accompagné d’une légère fatigue. Ils décidèrent de se reposer à l’ombre d’un rocher. Ils avaient chaud à la tête, aussi ils se posèrent les gourdes fraîchement remplies sur le front. Warda avait une sensation de tournis, comme s' il avait tourné très vite sur lui-même, mais sans atténuation. Il regarda vers l’horizon, et une silhouette noire apparut. Un homme en plein désert ? Il voulut regarder plus attentivement, et lorsque la silhouette s’approcha, il le reconnut. C’était Carnassus ! 

_ Bonjours Warrrda, dit le vieillard noir avec son accent très marqué.

_ Carnassus ? Demanda l’elfe noir hébété. 

_ Qu’est-ce que tu racontes ? Demanda Jaron qui lui aussi n’arrivait pas à tenir sur ses pattes. 

Le vieil homme se mit à rire, puis se mit à chanter et à danser. Devant ce spectacle, Warda se mit à rire, et à frapper des mains en rythme. Le reste de la tribu le regardait applaudir un homme invisible, et chanter de joie, mais il ne les remarqua pas, il était heureux, et Carnassus sautillait tel une sauterelle. Soudainement, Jaron se leva, tituba en zigzag jusqu’à un tronc d’arbre mort couché et se mit à le mordre. 

_ Que fais-tu Jaron, demanda Garak qui n’arrivait plus à se lever.

_ De la viande ! S’écria le loup d’un glapissement de bonheur. De la viande ! Dans le désert !

Le gobelin regarda le loup, et se frotta les yeux lentement. Il se leva en s’appuyant contre le rocher et s’adressa à toute la horde.

_ Je comprends ce qui se passe. Est-ce que tout le monde voit des choses étranges ?

_ Oui, effectivement ! Répondit Brentark en riant. Depuis tout à l’heure vous n’arrêtez pas de danser.

_ Mais non, répondit Dourgen. C’est toi qui n’arrête pas de caresser cette énorme souris depuis tout à l’heure.

Les deux orques éclatèrent de rire en s’écroulant l’un sur l’autre, tandis que Garak grimaçait pour se retenir de s'esclaffer à son tour. Gartërn, qui lui aussi lâcha un hoquet de rire, tenta de reprendre ses esprits et tenta d’interpeller la troupe.

_ Nous sommes victimes d'hallucinations, dit-il en s’essuyant ses larmes. C’est à cause du cactus, sa sève devait être hallucinogène, il faut reprendre vos esprits !

_ Tu veux dire que nous sommes tous drogués ! Demanda Garak qui tentait de garder son sérieux. 

_ C’est l’explication la plus rationnelle qui soit, répondit le vieux gobelin. Ce devait être un cactus du démon, traditionnellement mes ancêtres l’utilisaient lors de rituels pour entrer dans le monde des esprits, mais souvent ces esprits sont malfaisants et nous font voir des choses qui détournent notre attention de notre but. Maintenant les esprits jouent avec nous, il faut que vous chassez ces images de vos têtes !

Warda n’avait pas entendu le vieux gobelin, aussi il se leva et rejoignit Carnassus et se mit à danser avec lui. Garak et Gartërn se mirent à méditer, tentant de se concentrer à chasser ces visions qui ne cessaient de les harceler. Lorsque le soleil se coucha derrière la ligne d’horizon, les hallucinations se dissipèrent et chacun retrouva ses esprits, ainsi qu’un terrible mal de crâne. Ils reprirent la route dans l’obscurité, afin de rattraper le temps perdu. Ils décidèrent de ne plus manger les cactus qu’en dernier recours. Warda s’approcha de Jaron qui portait sur son dos tous les sacs à provisions ainsi que les différents trésors qu’avaient trouvé Garak et sa compagnie. Le grand loup soupira profondément en songeant de nouveau à ce gigantesque morceau de viande imaginaire. 

_ Je me sens vraiment ridicule en y repensant, dit-il à son compagnon. J’aurais dû me douter que ce n’était qu’une hallucination, un si gros cuissot de sanglier en plein désert, ça ne pouvait pas exister.

_ Tu n’y pouvais rien, répondit Warda qui se souvint qu’il avait dansé et chanté devant tout le monde et à quel point il avait pu être ridicule. Nous étions drogués.

Lorsque la lune laissa place au soleil, ils arrivèrent sur une immense falaise. De l’autre côté, une seconde immense falaise lui faisait face, et entre eux un précipice rempli d’os et de sable les séparaient, les longeant d’est en ouest, zigzaguant jusque sous le soleil.

_ Nous y sommes, conclut Garak. Le canyon du serpent.


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