La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié

Chapitre 9 : L'avènement de Kaös

4246 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/01/2025 08:00

Chapitre 9: L’avènement de Kaös




Après la défaite des forces de Natal, elles furent contraintes de reculer sous la puissance phénoménale des armées de l’arbre noir, nombreux furent les villes et villages a être ravagés et réduits en cendre, le corps des innombrables innocents éviscérés furent pendus aux arbres préalablement calcinés, le royaume de Guiogne lui-même était incapable de résister face à l’Exterminateur. Sintraë et le royaume de Cintrïll tombèrent également sous la bannière de la flamme noire. Sur les ruines des cités encore en proie aux flammes, les serviteurs des ténèbres brandissaient l’oriflamme de l’Arbre maudit. Les nombreux prisonniers, suite au carnage de leurs maisons supplièrent pitié, mais en vain, car les femmes furent démembrées et mutilée avant d’être jeté aux flammes, les enfants jetés en pâture aux Zhaargs sous les yeux de leurs pères qui eux même subirent l’expression de la rage à l’état pure des orques noirs. Arrosés du sang de leurs victimes, les créatures malveillantes hurlaient d’un plaisir sadique. Bientôt, le Dieu noir envahi la partie sud ouest du pays de Guiogne, semant au passage mort, désolation et désespoir, jusqu’aux portes même de la capitale. Alors que les armées noires avançaient, Zuanlanor et les forces de l’alliance firent évacuer un maximum d'habitants et les emmenèrent à la cité de Guiogne, les protégeant derrière les murailles créées par la Volonté de Daös. Alors que les ténèbres se profilaient à l’horizon, Zuanlanor était assis sur un siège face à une table, pensif, cherchant son erreur lors de cette bataille décisive, et comment vaincre les forces obscures. 

Les portes s’ouvrirent, et deux gardes laissèrent entrer le roi Guiognien, qui à son tour vint prendre place sur le siège royal qui lui était réservé, et demanda à ce qu’on lui amène du vin. Lorsqu’ils furent seuls, le vieillard s’adressa au seigneur elfe.

_ Alors, nous avons été vaincus ?

_ Oui, j’aurais dû m’y attendre, j’ai suivi une mauvaise voie. Nous aurions dû le prendre par surprise, le dieu noir savait que nous avions réussi à le vaincre une fois à la frontière, et il n’aurait pas dû savoir que nous aurions recommencé. Son intellect nous dépasse amplement, il n’aurait jamais dû s’attendre à cette attaque. 

_  Malheureusement pour vous, l’intellect n’a rien à voir, répondit une voix profonde de géant. 

La porte s’ouvrit sur Dranoss, le capitaine de la garde sacrée de Daös, et sur un serviteur qui amena le vin commandé. Lorsque les gardes et les serviteurs sortirent de la pièce, seuls le dragon, l’elfe et le vieil homme restèrent cloîtrés dans la salle. Les flammes des torches faisaient danser leurs lumières sur le rebord des coupes d’or. Le gardien dragon s’approcha de son roi et resta debout à ses côtés. Le haut-elfe regarda le capitaine reptilien et lui demanda en Guiognien:

_ Que voulez-vous dire par que l’intellect n’a rien à voir dedans ?

_ C’est très simple, répondit humblement le dragon, Daös me l’a enseigné il y a fort longtemps que les dieux étaient unis au monde même, en sacrifiant leurs corps et leurs âmes ils fusionnent ainsi avec notre monde, et deviennent notre monde. Si Daös est présent dans toute chose, Kaös l’est tout autant. Si nous sommes Daös, nous sommes également Kaös, tout comme Daös et Kaös sont réciproquement l’un et l’autre. Seulement, seule la conscience la plus forte domine, et peut influencer les événements sur le monde. Votre altesse Zuanlanor, je crains qu’aucune de vos stratégies ne puisse le vaincre. Kaös n’avait pas besoin de prévoir votre plan, il le savait déjà avant même que votre pensée ne soit aboutie. Même le mortel le plus intelligent du monde ne peut rivaliser avec un dieu, car les dieux sont omniscients, ils connaissent et savent déjà tout, et possèdent entre autres le pouvoir de voir l’avenir à travers le cœur de chacun d’entre nous. 

_ Alors, comment avions nous pu le vaincre il y a des siècles ? demanda Zuanlanor perplexe. 

_ Je n’ai jamais dit que Kaös était invincible, car dans sa force réside sa faiblesse. Les dieux gagnent en force grâce à nos sentiments, ainsi Daös est nourrie par l’amour, la paix, le courage et l’harmonie, tandis que Kaös se nourrit de nos sombres sentiments, tels que la haine, la colère, la peur et la souffrance. Pour le vaincre, il faut appeler Daös et affaiblir Kaös par nos sentiments. Lors de cette bataille, nos cœurs étaient emplis de courage, et nous avions su dominer nos peurs. 

_ Alors, nous n’avions qu’à ressentir du courage pour vaincre les Enfërs ? Demanda le roi guiognien.

Le dragon détourna son regard, incapable de répondre. Ses yeux trahirent ses sentiments, et les deux rois comprirent où il voulait en venir. Le seigneur elfe se leva et frappa des paumes de ses mains sur la table, s’adressant à Dranoss d’une voix empli de colère:

_ Et que fait Daös en ces jours de terreur ?

Le capitaine dragon fit quelques pas, s’avançant vers une sculpture représentant son dieu. Il saisit entre ses griffes son collier, priant mentalement, et se tourna vers le haut elfe, une aura de tristesse émanait de son corps.

_ Je ne l’entend plus. Aujourd’hui, je ne ressens que violence et rage à l'intérieur de ma marque, Daös a laissé place à Kaös, il ne peut rien pour nous.

_ Comment cela peut-il être possible ? Demanda le roi de Guiogne en se levant. Comment Kaös est-il parvenu à reprendre le dessus ?

_ Daös a tenté de me prévenir à plusieurs reprises, répondit le dragon. Mais sa voix a faibli pour laisser place à celle de son ennemi juré. Notre monde a changé, la haine n’a cessé de croître en notre sein, et Kaös s’en est nourri, lentement, afin d’accroître ses forces. Il a été patient, il a agrandi ses armées, et il s’est nourri ensuite de la haine de ses propres créatures. Je ne serais pas étonné si leurs populations dépassent celles de Natals.

_ Que pouvons nous faire ? reprit Zuanlanor.

_ La question n’est pas de savoir ce que nous pouvons faire, mais ce que nous devons faire.

L’elfe retourna s’asseoir, son cœur empli d’effroi. Il saisit une coupe de vin et en posa le doux arôme sur le fond de son palais. Il aurait pu l’apprécier si seulement le fardeau sur son cœur n’était pas aussi lourd. Esleneus retourna à sa place également, les mains aux doigts entrecroisés posées devant lui, plongé dans de profondes pensées. Il tourna son regard sur l’une des statues de Daös et demanda à Dranoss:

_ Est-ce que notre dieu t’as montré l’avenir avant de disparaître ?

_ Oui, c’est la dernière chose qu’il a pu me transmettre avant de disparaitre.

_ Que t’a t’il montré ?

Le dragon regarda la lueur de la flamme dansant sur les rebords de pierres dans une valse mélancolique. 

_ Le cœur à travers lequel il a vu avait un avenir sombre, furieux, noir, et je n’ai vu que ténèbres. Des flammes recouvraient la Guiogne, et des rugissements s’élevaient dans les airs. 

Lorsque Dranoss finit de conter sa prophétie, tous restèrent silencieux. 


Taläsna marchait dans la place de la cité, tous les habitants se préparaient aux événements à venir, silencieux, seul le marteau et l’enclume osaient s’exprimer au cœur de la ville. Les femmes et les enfants déplumaient les oies, tandis que les hommes taillaient le bois, forgeaient l’acier et préparaient minutieusement les flèches. On recrutait des miliciens dans les ruelles, et les queues étaient longues avant d’atteindre le poste. Les soldats étaient nombreux en ville, et ils avaient reçu pour ordre de fouiller toutes les maisons afin de trouver tout objet métallique susceptible d’être reforgé. Les habitants coopéraient, offrant outils, œuvres ou bijoux aux soldats guiogniens. Les dragons gardiens guettaient sur les remparts, veillant sur le nuage noire qui s’approchait d’eux. Alors que le seigneur elfe contourna une taverne convertie en dépôt d’armes, il trouva Endëllen dans un camp d’entraînement improvisé, tirant à toutes allures dans le cœur des hommes de bois. On ressentait sa colère à chaque fois qu’un de ses projectiles s’envolait, frappant sa cible de plein fouet. Des larmes de rage coulaient sur ses joues, et lorsqu’elle se rendit compte qu’elle avait vidé son carquois, elle sortit la dague de son dos et l’envoya dans la tête d’un des mannequins, avec une telle violence que la lame la traversa de part en part. Lorsqu’elle s’avança vers ses cibles, Taläsna s’approcha d’elle et l’attrapa par l’épaule. Sur ce, elle arracha violemment sa dague et pointa sa lame sur la gorge du seigneur elfe. Ses yeux d’or étaient semblables à deux éclairs de haine, et de la pluie en tombait lentement. Taläsna écarta lentement la pointe d’acier du revers de la main et lui dit:

_ Il ne reviendra pas.

_ Je veux me venger ! Déclara-t-elle. Je tuerai son meurtrier ! De mes propres mains !

En l’entendant parler, Taläsna revit l’apprenti paladin à qui il avait enseigné l’art de la magie. Ses yeux brillaient de la même rage, celle d’une personne ayant perdu un être cher. Il posa les paumes de ses mains sur ses frêles épaules et la fixa à travers l’orage d’or.

_ Jamais tu n’y parviendras. 

_ Peu m’importe, je veux le faire payer, à chacun d’entre eux, la douleur de mon âme.

_ Tu mourras.

_ Alors soit.

Elle se défit de Taläsna, se retourna et reprit son acharnement sur les pantins de bois. Autour d’elle, des hommes de tout âge se battaient contre des poteaux sous les ordres de leurs instructeurs. Au milieu d’eux, il y trouva Zhu Ukite, portant des bandeaux sur sa tête et autour de son bras gauche qu’il gardait près du torse. Dans son regard on y lisait cette même haine que chez la princesse elfe, déterminé à rendre à l’ennemi coup pour coup. Les quatre tours de la cité reflétaient les dernières lueurs de soleil couchant avant que les ténèbres ne recouvrent la ville. 


Rassemblés dans la salle du trône d’Esleneus, immense salle aux colonnes de marbres, aux tapisseries rougeoyante et dorées et aux flambeaux illuminant d’une chaude aura , Endëllen, Taläsna, Zeinfranel, Zuanlanor, Dranoss et le roi Guiognien en personne prirent place en cercle autour d’une table disposée pour l’occasion. On y apporta nourriture et boisson, qu’ils prirent silencieusement, puis vint le moment de la conversation. Ce fut Esleneus qui prit le premier la parole:

_ L’heure est très grave, je ne puis vous le cacher. La plupart des nôtres sont morts sous l’assaut de l’ennemi, et Kaös est plus puissant que jamais. Jamais nous n’avions connu un aussi grand désespoir depuis la naissance de notre monde. Nous sommes affaiblis et encerclés par des forces dépassant toutes celles que nous avions connu autrefois. Nous sommes perdus.

Un vent glacial vint se frotter contre la nuque de tous les invités, avant qu’un gouffre n’avale leur restant de courage. Tous baissèrent la tête en guise de deuil, tous, même Zuanlanor connu pour sa fierté sans limite. Il se leva, ses yeux saphirs observèrent chacun d’entre eux puis il finit par dire humblement:

_ Je suis désolé. 

Taläsna releva la tête vers le haut elfe qui semblait prier pour les âmes de tous les déchus. 

_ Ainsi, tout est perdu ? Demanda-t-il.

_ Oui, répondit Zuanlanor, il semblerait.

_ Leurs forces sont immenses, reprit Dranoss. Nous tomberons tout comme nos frères.

_ Devons-nous abandonner tout espoir ? C’est-ce que vous dîtes, abandonner les armes et laisser l’ennemi nous écraser ?

_ Sire Taläsna, intervint Zuanlanor, vous plus que quiconque vous vous êtes rendu compte de la force du dieu noir. Plus rien ne peut l’arrêter. Regardez les choses en face, même auparavant nous n’avions jamais été témoin d’une puissance aussi colossale. Il n’existe plus aucun espoir.

_ Si… un seul.

Toute l'assemblée tourna son regard vers le seigneur sylvain. Taläsna se rappela de cet instant en compagnie de sa sœur, en larmes, il se souvint aussi qu’il s’était juré de ne plus jamais la laisser pleurer. Il se souvint aussi de Warda dont il avait ordonné l’exécution. Il revit ce jeune apprenti paladin, devenu par la suite un homme puissant, le seul à avoir réussi à tenir tête face au guerrier sombre. Galro était puissant aussi, il avait les croisés de l’Ordre sous son commandement, et en autre l’une des rarissimes Dyaladuil. Il se souvint de l’homme qu’il était devenu à la suite de la guerre des montagnes de Léondia, un chevalier d’honneur et vertueux. Il avait réussi à lui seul à rassembler les membres de l'Église sous ses ordres, et il était capable de bien plus. Il était celui qui représenterait le courage dont tous les hommes allaient en avoir besoin. Il plongea son regard dans celui du souverain aux yeux d’azur.

_ Faites appel à l’Étale.

Zuanlanor eut un léger air surpris, mais vite un sourire gagna son visage.

_ Je vois. Soit, que l’on envoie deux compagnies de messagers sur le champ. Une pour l’Étale, puisque sire Taläsna semble si confiant dans ce peuple, l’autre ira en Cintrïll trouver les derniers survivants de leurs armées. Je doute que cela suffise, mais il semblerait que nous n’ayons d’autres solutions. 

_ Bien, dit Esleneus. Quant à mes hommes, je leur ordonnerais de commencer les préparatifs du siège. J’ignore où est-ce que ça nous mènera sire Taläsna, mais puisque vous êtes le dernier à avoir encore de l’espoir, je vous suivrai. 



En haut de la tour nord, Galro ouvrit la porte de la pièce secrète à l’aide de sa clé et se joignit à Ilada. Il déposa un panier rempli de fruits sur lesquels la rosée du matin perlaient encore dessus. Il en sortit une pomme rouge vermeille, et l’offrit à sa bien-aimée. De ses yeux aux mêmes teintes que le fruit de la passion, Ilada regarda son amant avec un sourire empli de charme et de tendresse. Elle posa la pomme à ses côtés, saisit les mains du Prophète et l’embrassa longuement. Ses lèvres étaient brûlantes, humides, et légèrement sucrées. Il fit naviguer ses doigts longuement sur la mer d’ivoire, aussi lisse que lors d’un jour sans vent. Elle était si belle. Après avoir savouré cet instant de plaisir, ils se regardèrent mutuellement avec des yeux aimants. Galro baissa son regard sur le médaillon que l’elfe noire qui reposait sur sa poitrine. Il le frotta entre ses deux doigts et l’admira. C’était un bijou d’une splendeur remarquable, le cadeau même qui lui fut offert deux ans auparavant par l’Ombre, ses deux ailes encerclant un joyau noir. Il leva sa tête vers le visage resplendissant d’Ilada. 

_ Il fonctionne ?

_ Oui, depuis que je le porte, la malédiction ne m’atteint plus. La lune ne me fait plus aucun effet à présent. 

Galro sourit de plus belle, et embrassa le cou de son amante. Le travail tant acharné de Galro portait enfin ses fruits, tous ses sacrifices servaient enfin sa cause. Soudainement, Ilada eut un mouvement de recul et s’écria:

_ Il a bougé. Approche toi.

Galro se pencha sur le corps de la femme elfe et posa son oreille sur son ventre rond. Le son du liquide amniotique remué à l’intérieur du placenta le fit sourire. Cela faisait près de sept mois depuis leur première nuit. Au début, Galro fut choqué, et terriblement bouleversé lorsqu’elle lui annonça la nouvelle. Mais plus le ventre de sa bien aimée grossissait, plus l’idée d’avoir un enfant le réjouissait. Il apprit à vaincre sa peur de l’avenir, il avait aussi planifié un plan. Il la regarda droit dans les yeux, et lui dit:

_ Ilada, j’ai pris ma décision. Lorsque l’enfant naîtra, je te montrerai au monde.

_ Au monde…

Son regard s'assombrit brusquement. Galro ne s’attendait pas à une telle réaction. Il lui saisit délicatement les mains et voulut se faire aussi rassurant qu’un homme pouvait l’être.

_ Tu n’auras pas à avoir peur. Tu es ma femme, je te protégerai si nécessaire. Lorsqu’ils verront notre enfant, ils seront obligés de voir votre véritable nature. Grâce à notre remède, nous pourrons libérer tous tes semblables de la malédiction, et enfin nous pourrons vivre notre amour sans peur. 

_ Je sais, répondit-elle. Mais, si jamais tout ne se passait pas comme tu le dis, si jamais ils ont peur de moi, comment…

Un doigt la souleva par le menton, et l’obligea à faire face aux yeux noirs de son époux. 

_ Ne dis plus jamais une chose pareille. Ils ne te craindront plus jamais, comme tu ne les craindras plus jamais. Je t’en fais le serment. J’en ai assez de devoir t’enfermer ici pour te protéger, je veux passer plus de temps avec toi, et ailleurs qu’ici, je ne t’ai pas sorti des cachots pour te faire prisonnière une nouvelle fois. Laisse-moi te libérer.

La chaleur les gagna tous deux, les berçant dans une douce et lente sensation d’embrasement. Mélange d’angoisse et d’amour, amer et sucré à la fois, ils s’embrassèrent de nouveau, mais ce moment de paix fut interrompu par la porte qui s’ouvrit. Dame Ilada se cacha le visage derrière un voile juste derrière elle, mais ils furent rassurés en voyant que ce n’était que Nardel. Galro se leva et demanda la raison de la venue du jeune homme. Le serviteur s’inclina et lui expliqua ce qu’il en était. Lorsqu’il eut fini d’expliquer pourquoi il avait interrompu leur moment d’intimité, le Prophète fronça les sourcils d’un air grave et se retourna vers la mère de son futur enfant. 

_ Que se passe-t-il Galro ? Demanda Ilada.

_ Quelque chose de terrible… de vraiment terrible… Je crois que nous devrons parler de nos projets une fois prochaine. Écoute moi, il est probable que je ne revienne pas avant un moment, aussi écoute moi attentivement, dorénavant ce jeune homme sera ton gardien, tu ne pourras faire confiance qu’en lui jusqu’à mon retour. Aussi…

Il détourna son regard, incapable de lui avouer ce qu’il ressentait réellement. Il la saisit par les deux épaules, et l’embrassa une dernière fois, laissant des larmes s’échapper contre son gré. Il lui caressa le visage, se leva et rejoignit Nardel. Il s’essuya d’un revers de main, et saisit autour de son cou la clé qu’il conservait précieusement à l’abri des regards en temps normal. Il s’en défit et la posa dans le creux de la main du serviteur avant de le décoiffer amicalement.

_ Je compte sur toi, dit-il. Personne ne montera ici, pas même un paladin phénix, surtout pas un paladin phénix. Je suis clair ?

_ Oui, votre Luminescence. 


Dans la salle, tous les paladins avaient les yeux rivés sur le Prophète qui lisait attentivement le message. En mesure de précaution, Fradel était assis juste aux côtés de Galro si jamais le manuscrit se révélait être un autre piège magique. Tilbar avait l’air détendu avec ses bras croisés, mais quelqu’un de plus attentif aurait vu ses doigts effleuraient le bout du pommeau de son épée accrochée à la ceinture. Lorsque le Prophète eut fini sa lecture, il enroula le parchemin et le donna à un serviteur. 

_ Félicitation soldat, vous aviez accompli votre devoir. Je respecte votre courage et votre dévouement envers votre pays. Aussi, nous vous hébergerons et nourrirons comme il se doit. 

_ Je n’ai fait que mon devoir, répondit le Guiognien qui faisait face à Galro. Mon pays court un très grave danger, et crains que même en ayant fais de mon mieux, que ce ne soit pas suffisant. 

_ Alors nous ferons pour que cela soit, reprit Galro. Nous avons toujours une dette envers votre nation, et j’ai fait le serment de la rembourser. Nous irons au combat.

Sur ces paroles, le prophète libéra sa lame du fourreau, brandissant sa pointe vers le dôme de la grande salle sacré dans un tonnerre d'applaudissements. Les uns après les autres, les paladins dégainèrent à leur tour et imitèrent leur guide. La chaleur qui envahissait leurs cœurs rappela le jour où ils furent assiégés par les nains et qu’ils ont élu Galro en tant que Prophète. Tous avaient gardé en mémoire les sages paroles du jeune paladin faisant face au roi des montagnes de Guiogne, sa promesse de réparer les fautes de son prédécesseur. Ils formèrent un cercle autour de la pierre sacrée et acclamèrent leur chef en dressant poings et lames vers le ciel. Galro se retourna vers Tilbar et lui dit:

_ Cher ami, envoyez un messager chez le roi d’Étale. Nous aurons besoin de toutes nos forces si  nous voulons gagner cette guerre. 

_ Êtes vous certains ? Demanda Tilbar. Je ne crois pas qu'il soit encore en très bon terme avec vous, si vous voyez ce que je veux dire.

Effectivement, Galro se rappela soudainement que ses relations politiques étaient encore précaire avec les membres extérieurs de l’Église, et tout particulièrement avec le roi d’Étale. L’ancien prophète avait caché pendant longtemps avec une apparence sereine une cruauté impitoyable, et grâce à des complots, des assassins et des espions, fait asseoir son pouvoir, régnant ainsi à la place du roi d’Étale, qui durant cette sombre période se vit réduit à uniquement pouvoir signer les parchemins envoyés par l’Église pour les déclaration de loi, et qu’un couteau aiguisé fut tenu sous sa gorge n’était pas rare. Lorsque Galro prit la place de Prophète, il rendit le pouvoir au véritable souverain, mais cela ne suffit pas à réparer les fautes commises lors du passé. Le seigneur féodale avait perdu toute confiance envers l'Église, mais il ne pouvait pas en chasser les membres dorénavant que Galro en était le dirigeant, car chasser la caste religieuse provoquerait des révoltes, voire une guerre civile. Les tensions entre le roi d'Étale et les croisés de l’Ordre restaient tendus, malgré les tentatives de repentir de Galro. 

_ Que faisons nous ? demanda Tilbar. 

_ Nous devons le voir quand même, répondit Galro. 

_ Il ne sera pas facile à convaincre, commenta Fradel. 

_ Il n’est plus question que de nous, mais de notre monde. Nous paierons le prix si il le faut, sans lui, sans toute l’aide nécessaire, nous ne pourrons rien. 

Ses deux fidèles serviteurs inclinèrent leurs têtes en signe de respect et gardèrent le silence. La réunion dura encore une heure sur les stratégie militaires à adopter pour la futur guerre qui se présentait à leurs portes. Lorsque tous les paladins s’en allèrent, le jeune Prophète resta assis, Nardel à ses côtés, et contempla le dôme de la salle, représentant le paradis éternel, là où des anges se tenaient aux côtés du Seigneur, et l’un d’eux était blond au regard azuré, souriant comme un enfant. 

_ Sapharël, dit Galro à voix basse, ton âme est-elle en paix ? Que ferais-tu à ma place ?

_ Prophète ? Fit le jeune homme. 

_ Ne t’en fais point, dit Galro voulant se montrer rassurant, je vais bien.



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