La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié

Chapitre 11 : La tombe de Thaarg

2983 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/01/2025 08:14

Chapitre 11: La Tombe de Thaarg




Le canyon du Serpent était pour ainsi dire une immense fente terrestre sinueuse qui parcouraient de nombreux kilomètres. Le groupe nomade marchait le long de cette faille, sous un soleil harassant. Le vent de sable fouettait leurs visages, et des grondements jaillissaient des entrailles du serpent, exaltant la poussière de son ventre. La nourriture était rarissime, aussi ils n’hésitaient pas à se jeter sur la moindre denrée, que ce fut cadavre vieux de plusieurs jours, ou insectes des terres arides. Bien qu’ils se promirent de manger le moins possible le cactus aux visions maléfiques, il fut avalé plus vite qu’ils ne l’imaginèrent. Lorsque leurs sacs fut vidé de provisions, le désespoir commença à s’emparer d’eux. Même les cactus disparurent dans leurs régions, et quand aux cadavres, ils n’étaient plus qu’os depuis longtemps. Ils marchèrent pendant des jours le ventre vide et la gorge desséchée. La nuit, ils se reposèrent à l’abri du vent derrière un rocher. Cette nuit là, ils ne purent allumer de feu, faute de combustibles. Nurtag tomba raide, exténué de la journée. 

_ Alors Nurtag ? Demanda Garak en s'asseyant, je t’ai connu plus résistant que ça.

_ Je ne peux plus supporter ma faim, s’écria-t-il. Et cette douleur dans ma gorge par manque d’eau. 

_ Courage compagnon, dit Garak. Nous avons presque atteint la tête du serpent, avec de la chance nous trouverons une oasis. 

_ Ou pas, dit Brentark en posant son sac au sol. On ne peut pas dire que la chance nous ait souri ces derniers temps. D'abord ces elfes noirs armés jusqu’aux dents, puis le jeun, le cactus hallucinogène et pour finir, nous n’avons même pas atteint la tête du serpent que nous allons mourir.

_ Ne dis pas de telles sottises, répondit Gartërn. Nous y arriverons.

Tous gardèrent le silence. Ils restèrent couchés, enveloppés dans leurs manteaux de fourrures, tentant en vain de trouver le sommeil. Warda n’en n’était pas à son premier jeun, il fut livré à toute sorte d’épreuve, mais pour la première fois, mais jusque-là, il n’avait jamais eu personne pour partager son angoisse de la faim. Il se rappela de Merci, le Ssaros de Léondia, il lui était reconnaissant de l’avoir sauvé ce jour-là, en acceptant de lui donner vivres et eau. Seulement, Merci ne viendrait pas à son secours une nouvelle fois, il était mort depuis longtemps et nul ne vit dans le désert.


Lorsque l’aurore apparut, lointains rayons d’un soleil brûlant après une nuit froide, un nuage de poussière s’élevait de l'ouest. Le bruit sourd venant de la terre réveilla Warda qui ouvrit ses paupières, il ne put discerner ce qui se passait à cause de la lumière aveuglante. La compagnie se leva, encore courbaturée et affamée, tentant de comprendre ce qu’il leur arrivait. Le nuage de poussière s’approchait d’eux, lentement mais sûrement, des centaines de silhouettes se dessinant au travers. 

_ Encore un mirage ? Une hallucination ? Demanda l’elfe noir.

_ Je ne crois pas, les mirages ne parlent pas, répondit Garak. Celui-là est trop bruyant pour en être un. 

Nurtag était inquiet, l’elfe ressentait sa nervosité sur son visage. Lui aussi l’était, vu la masse que cette foule représentait, cela aurait pu être aussi bien une armée. Mais que ferait une armée en plein désert ? Ils attendirent, et ils furent stupéfaits de leur découverte. Des milliers de gens, à pied ou à chariot, marchaient en leur direction. Des femmes, des enfants, des vieillards pour la plupart. Leurs habits étaient mités par les rudes conditions du royaume de sable, mais certains semblaient avoir été autrefois de riches marchands au vu de leurs bijoux et de leurs longues tenues, inadaptées pour le désert. Lorsque les voyageurs arrivèrent à la rencontre des orques, ils s’arrêtèrent et eurent un léger recul en les voyant. Les deux groupes se jugèrent l’un et l’autre, tous deux méfiants. Garak s’avança le premier, les gens s’écartaient autour de lui. Nurtag fit mine de dégainer son arme, mais Garak se retourna et fit signe de rester tranquille. C’étaient pour la plupart des paysans ou d’anciens citadins, ils n’étaient pas armés. Bien qu’ils avaient semble t-il quelques gardes en armures, leurs épées semblaient n’être là que pour dissuader, bien rangées dans le fourreau. Le groupe d’orques pénétra au milieu de la foule silencieuse, et examinaient de temps à autre les chariots. Des amphores de vin, du poisson salé, des tonneaux d’eau, du tissu, voire même des instruments de musique. Brentark prit un morceau de viande séché et soudainement un petit homme lui sauta dessus en criant. L’orque le repoussa d’un revers de main, mais Garak le prit par le bras et lui ordonna de cesser sur le champ. L’homme à terre se releva, la face recouverte de poussière, et supplia les orques de laisser leurs vivres. 

_ Ne l’écoutons pas, s’exclama Brentark. Nous avons besoin de manger, ils ont de vivres, nous non.

_ Nous ne sommes pas des voleurs, répondit Garak d’un ton sec. Nous ne sommes pas les seuls à souffrir ici, si nous les pillons, ils ne survivront pas bien longtemps. 

_ Et nous ? Nous n’avons pas le droit de survivre ?

Garak se tut. Warda savait que même lui était affamé. Ils ne tiendraient plus longtemps dans un milieu aussi dure, sans eau ni nourriture. Ils tenaient à peine debout, et longue était encore la distance à parcourir. Ils perdaient souvent du temps pour économiser leurs forces. Il fallait prendre une décision, et seul Garak pouvait la prendre. Le chef orque s’avança vers le petit homme et lui demanda:

_ D’où venez-vous migrants ? Quelle est votre terre natale ?

_ Nous sommes des survivants de Cïntrill, notre royaume a été entièrement ravagé par une armée de monstres. Toute ma famille a été massacrée, j’ai vu mes enfants se faire pendre aux arbres avant d’être éviscérés.

Sur ces paroles, il tomba en larmes et s’effondra à genoux sur le sol. Son regard était empli de désespoir, il avait vu les ténèbres. Et ce regard, tous ces gens le partageaient, tous ont été victime du mal qui avait ravagé leur pays. On comptait nombre d’estropiés sur les chariots, ignorant s' ils étaient chanceux ou maudits d’avoir survécu. Un soldat s’avança vers l’homme abattu et l’aida à retourner sur son chariot. 

_ Nous avons tous vécu des choses horribles d’où nous venons. Ils chassaient avant tout les enfants, et leur faisaient souffrir milles tourments avant de les tuer. Leur but n’est pas la conquête, mais la destruction. 

_ D’où vient cette terrible armée ? demanda Warda.

_ Du sud, répondit le soldat.

_ Du sud ? Mais au sud de Cïntrill, il y a la mer.

_ Ils viennent d’un autre continent, dit Garak. Ils sont notre honteux passé. Ces terres sont également appelés Enfërs, les terres de souffrances, un grand mal y vit. Mes ancêtres ont commis une terrible erreur, et aujourd’hui nous en payons le prix.

La foule resta silencieuse, Warda contempla leurs visages, ce qu’il y vit le tétanisa. Ce désespoir, cette détresse, ces gens étaient démunis. Cela lui rappela son ancienne vie en Étale, puis sur le mont de Léondia. Mais contrairement à lui, ils ne possédaient ni son endurance, ni sa constitution, ce peuple avait troqué un enfer pour un autre. Il partageait avec eux l’angoisse, il savait ce que c’était de tout perdre. Tout comme sa famille, les leurs avaient été massacrés. Il s’avança vers un enfant, dévoilant son visage. L’orphelin eut un mouvement de recul, mais le guerrier sombre s’inclina, enlevant un de ses gants.

_ As tu soif ? demanda-t-il.

Le jeune garçon déglutit, une lueur d’espoir dans les yeux. Le guerrier sombre scruta les individus qui les encerclaient, ils étaient terrifiés à sa vue. Mais il s’en moquait. Il saisit une dague.

_ Je n’ai plus d’eau hélas, mais je peux encore te donner un autre cadeau.

Il se tailla les veines, faisant couler son sang. Tous le virent, et le garçonnet vint à lui, guidé par ses pulsions, but le précieux liquide de la vie. Garak souria à cette vue, les rescapés commencèrent à encercler l’elfe noir. Un garde armé s’avança et demanda:

_ Pourquoi ?

Warda ne répondit pas, il se contenta de se lever. Il monta sur un chariot, pointant la direction de l’Est. 

_ Par delà cette terre de désolation, je connais une contrée verte. Là-bas, vous serez protégés des ténèbres par un homme de bon, un vaillant chevalier de blanc veillera sur vous. Mais nous n’y arriverons pas seuls, nous avons besoin de vous ! Donnez nous de quoi tenir, encore un peu, et nous vous guiderons à travers le désert. Garak, ici présent, connais ses sentiers, nous vous mèneront à la terre verte si vous acceptez de nous aider, ne serait-ce qu’un peu. 

Une femme, en guenille, s’avança vers l’elfe noir, tenant dans ses bras son enfant. Elle était couverte d'hématomes, de poussière et de sang séché. Elle tomba à genoux, pleurant. 

_ Comment vous croire ? demanda-t-elle. Vous pouvez aussi-bien partir avec nos provisions et vous enfuir, comment croire qu’une terre verte nous attend ? 

Sous le regard médusé des orques, des hommes et des femmes, Warda enleva les tissus qui le couvraient, et jeta son épée à ses pieds. Il s’adressa aux fugitifs d’une voix de stentors. 

_ J’en viens de cette terre. L’Étale fut mon foyer il y a longtemps, j’y ai grandi, traqué par ses habitants. Ils me détestent, j’ai affronté leurs légions moi-même, ils m’ont même marqué dans la chair. Mais quand je vous vois, tous aujourd’hui, cela me rappelle mes propres heures les plus sombres. Tout comme vous, je suis une victime, j’ai connu le désespoir, la perte d’êtres chers, l’incertitude. Mais…


Des images lui revinrent, d’abord les Chamanes, puis Merci, et enfin, Lindilla. Des larmes lui montèrent aux yeux, il regarda même les plus éloignés. 

_ J’ai fait des rencontres formidables, la lumière est au bout du tunnel. En vous escortant, j’accepte la mort. Mais je ne veux plus voir des gens souffrir que je l’ai fait. Je ne veux plus voir le chagrin ronger vos âmes comme il a rongé la mienne. J’ai promis à mon père de trouver mon havre de paix, je le trouverai à travers vous. Que celui qui doute me lance la première pierre.


D’abord, Nurtag tenta de s’avancer vers l’elfe noir, certainement pour le rappeller à l’ordre, mais Garak s’interposa de son bras. Il admirait la foule qui s’avançait vers le héraut. La femme à genoux se leva la première, brandit son enfant vers le ciel, et supplia en pleur.

_ Démon, je t’en conjure… Emmène mon enfant en terre sainte !

Un autre homme, robuste, leva sa hache haut et fort, et la jeta au pied du guerrier sombre. 

_ Prend ma hache ! S’exclama-t-il. Emmène-nous en terre sainte !

L’orphelin la bouche encore pleine de sang du messie s’avança, levant une poupée de chiffon représentant vaguement un guerrier. 

_ Prend mon chevalier ! Dit-il les yeux rouges de larmes. Emmène moi en terre sainte !

_ Prend ma gourde ! Dit un vieillard borgne. Il clopinait jusqu’au guerrier en boitant, brandissant sa boisson. Emmène nous en terre sainte ! On t’en conjure, démon !

Les mains des hommes et femmes, brandissant tour à tour leurs offrandes, encerclèrent le sombre elfe, tous suppliant de rejoindre les vertes contrées d’Étale. 


Ignorant ce qui se passait, Nurtag regarda incrédule la scène, un ange des ténèbres entouré de ses fidèles. Il demanda à son chef de clan:

_ Comment a-t-il fait ? Quelle est cette sorcellerie ?

Garak ne bougea pas. Il se contenta de croiser les bras, le regard plein d’admiration. 

_ Ce n’est pas de la magie. C’est de l’espoir. 


Après que le clan put remplir ses gourdes et refaire ses provisions, Garak s’avança vers Warda, à la tête des rescapés. Il chevauchait son loup géant, Dourgen à ses côtés. 

_ Notre route n’est plus très longue, guerrier sombre, mais la tienne est immense. 

Garak regarda par-dessus l’encolure du loup la foule. Beaucoup étaient faibles, mais la foi renouvelée en un sauveur leur donnait des ailes. 

_ Peu pourront survivre au voyage. Tu le sais. 

_ Ils m’ont supplié de les guider en terre sainte, dit Warda en réponse. Je ne faillirai pas. 

Garak admira la splendeur du héro elfe noir, il ne pouvait masquer une certaine jalousie.

_ Tu es bien plus digne souverain que moi. Dourgen te guidera, mais c’est toi que ce peuple suivra. J’espère que tu sais ce que tu fais. Je ne serai pas long. Quand j’aurais retrouvé la tombe de mon ancêtre…

Il se tût subitement, comme s’il se rendait compte de la vacuité de ses actes. Warda se pencha de sa monture, tenant l’arrière du crâne de Garak, appuyant son front contre le sien.

_ Retrouvons nous en Étale, Garak. Nos destins sont liés. Je connais un chevalier qui a renoncé à la vengeance là-bas. Il saura m’écouter. 

L’orque serra plus fort l’étreinte, et murmura une prière à l’oreille de l’elfe. Les deux amis se quittèrent, leurs routes se séparaient. 


Après deux jours de marche, la vallée s’agrandit, dévoilant un fossé gigantesque. Garak tomba sous l’émerveillement de l’architecture troglodyte des lieux, un vestige incroyable du passé. Des orques de pierre de taille titanesques gardaient l’entrée de leur stature, malgré l’érosion. Sur les colonnes étaient sculptées des vignes anciennes, en fleurs. Pénétrant dans le sanctuaire, Garak et ses fidèles compagnons plongèrent dans des ténèbres poussiéreuses. Gartërn épousseta l’un des reliefs, une fresque gigantesque contant l’histoire des orques. Admiratif, il lâcha un soupir d’émerveillement.

_ Comme l’histoire racontée par ton père Garak, tout y est. 

Nurtag s’avança à sa tour, allumant une torche. Il admirait la beauté des lieux, un vaste édifice à la gloire du plus grand seigneur orque. Sur un autel composé de dix marches, un tombeau reposait à son sommet. Deux elfes tenaient son casque au-dessus de la dernière demeure de Thaarg. Garak, à la fois intimidé et sublimé, hésita à faire le premier pas. Il sentait sur ses épaules un poids ancestral lui peser. Le regard de tous ses ancêtres. Le voyant ainsi, Gartërn lui tapota délicatement le dos.

_ L’heure est venue mon roi. Soyez couronné, ramenez la gloire de Thaarg à notre peuple. Va, mon garçon.

Des larmes perlaient des yeux du gobelin, Garak s’avança, et gravit les dix marches, prenant son temps entre chacune d’elles. Il se remémora, deux jours plus tôt, de l’acte de sacrifice de Warda. A la dernière marche, il marqua un temps de pause.

_ Qu'attends-tu Garak ? demanda impatient son ami Nurtag. Tu l’as mérité ! Prends cette couronne !


Face au casque, admirant son reflet dans les trois énormes rubis, Garak venait de saisir une vérité qui dépassait même ses anciens rêves. Cette couronne, ces reliques, elles… ne représentaient rien. Le vrai trésor de Thaarg, ce n’était pas sa tombe, ni même ses armes. Mais son héritage. A travers Warda, il avait vu ce qu’est un véritable souverain. 

_ Je n’en suis pas digne, dit-il. J’ai risqué vos vies en venant ici, j’ai abandonné nos frères, je n’en suis pas digne.

Il fit demi-tour, redescendant les marches. Avec une pointe de déception, sa tribu le vit faire marche arrière. Nurtag le saisit violemment par les épaules, le secouant. 

_ Tu ne peux pas nous faire ça Garak ! Pas après tout ce qu’on a sacrifié ! C’est ton héritage ! C’est ton devoir ! C’est ton rêve !

_ Non Nurtag, tu ne comprends pas, répondit calmement Garak sans le regarder dans les yeux. Mon héritage, c’est mon peuple. Et je l’ai abandonné…

Il contourna son ami, faisant face à la lumière de l’extérieur. Il sourit, dévoila ses énormes crocs inférieurs. 

_ Tandis que le guerrier sombre, lui, a secouru de parfaits inconnus. Je dois me montrer aussi digne que lui si je veux tenir cette couronne.


Il commença à faire deux pas vers la sortie, quand son clan commença à le suivre. Gartërn lui demanda:

_ Où allons-nous ? 

_ Chercher le vrai trésor de Thaarg, répondit Garak. Allons chercher les nôtres !



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