La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié
Chapitre 15: Le roi des orques
Garak et sa horde rôdaient dans le nord du désert, usant de leurs dernières provisions pour arriver à destination. Lorsqu’il passa par delà une colline, il vit de la fumée au loin. Il savait ce que cela signifiait, ce devait être un village de leurs semblables. Alors que Brentark prenait la tête, Gartërn le retint, il se tourna vers son chef d’un air interrogateur.
_ Garak, es-tu certain de vouloir faire ça ?
_ C’est nécessaire, affirma le chef de clan.
Le gobelin s’écarta du passage du guide, puis le groupe suivit leur maître en direction de la fumée.
Les huttes étaient composées de peaux tannées posées sur des branches attachées en chapiteaux. Les tipis étaient disposés en cercle autour d’une hutte centrale de stature bien plus imposante. Les occupants de ce village étaient affairées aux corvées nécessaires, comme dépecer les bêtes et aiguiser les lances. À l’approche des étranger, les orques femelles se dressèrent et avertirent leurs compagnons qui se campèrent à l’entrée. Garak ne commença à les calculer que lorsque les lances furent brandies vers lui, il fit signe à ses camarades de faire halte et dévoila son visage en enlevant ses bandeaux. Malgré la méfiance apparente des gardes, Garak resta confiant et se présenta:
_ Moi, Garak, descendant de Thaarg, vient en paix.
Les orques lui faisant face ne baissèrent pas la garde, clairement l’inconnu n’était pas le bienvenu. Un individu plus massif et recouvert d’une armure composée d’os et de pièces métalliques rapiécés passa en avant, jaugeant son potentiel rival.
_ Tu n’es pas la bienvenu ! Dit-il simplement.
Garak, attentif aux moindres gestes, mais restant sur un ton calme et pacifiste, insista:
_ Je sais ce qu’est la rudesse de l'existence dans ce désert, reprit le voyageur. Nous avons besoin de vous, frères.
Le chef du village toisa le diplomate d’un air amusé, et cracha par terre.
_ Voilà tout ce que j’ai à t’offrir ! S’exclama t-il d’un air de défi. Maintenant va t’en ! Tu n’es pas notre frère !
Les gardiens de l’entrée ressaisirent la poigne sur leurs armes, le reste de la bande de Garak se préparaient à l’affrontement aussi, mais le descendant de Thaarg fit un signe d’apaisement à ses hommes.
_ Ne versons pas le sang, les croisés l’ont suffisamment fait. Je suis là pour vous faire une offre.
_ Une offre ? S’enquit le leader du village. Qu’est-ce qu’une bande de nomades comme vous peut bien nous proposer ?
Garak, sans se retourner, pointa la direction de l’est, droit vers l’Étale. Le chef orque regarda l’horizon et grogna.
_ Nous avons suffisamment souffert de la dernière croisade de ces félons ! Hors de question d’y retourner !
_ Je connais pourtant l’homme le plus recherché de ce royaume, y mener un pèlerinage, répondit Garak d’un ton sûr. De plus, nous devons craindre une menace bien plus grande venant de l’ouest.
_ La Cintrïll ? Demanda l’orque géant.
_ Nous avons croisé des réfugiés de ce peuple, la Cintrïll n’est plus.
Pesant les paroles du porte-parole, le guerrier massif le regarda d’un air interrogateur.
_ Qui ?
_ Vous le savez, répondit le fils de lignée royale. Un seul seigneur est capable de raser entièrement des royaumes sur son passage.
La peur s’empara du cœur des gardes à ces paroles. Tous le redoutaient, il n’y avait qu’un seul être capable d’anéantir les royaumes humains aussi facilement. Le ton de Garak se fit plus sombre.
_ Vous savez ce qui vous attend si vous restez ici.
_ Je refuse de faire prendre un risque aussi grand aux miens, dit le maître des lieux. Nous connaissons ta réputation de nom, Garak le fou. Tous les orques qui t’ont suivi ont trouvé la mort.
_ C’est faux, répondit avec une note d’humour le voyageur. Il désigna ses camarades. Eux sont vivants, ceci invalide les rumeurs.
_ Cesse donc avec tes histoires ! Grogna le goliath. Nous ne te suivrons pas, alors pars avant que ta réputation soit méritée, Garak le fou.
Les locaux commencèrent à encercler le groupe de Garak, la tension était palpable. Alors, devant l’animosité de leurs hôtes, Garak invoqua le seul argument que ces brutes sans cervelle peuvent entendre.
_ J’invoque le droit de défi.
Le chef du village souria de ses énormes crocs. Il s’imposa devant le descendant de Thaarg, bombant du torse. Il dit:
_ Si tu perds, vous nous donnerez tout ce que vous avez et vous retournerez d’où vous venez !
_ Si tu perds, répondit Garak face à son opposant bien plus large et grand que lui, vous aurez le choix de nous suivre.
Le grand orque ria devant les mots de son adversaire, et répliqua:
_ J’accepte le défi, moi, Ruukarth brise-les-os !
Il se défit de son armure, dévoilant une musculature encore plus imposante que celle de Nurtag. Garak fit craquer sa nuque, et enleva sa propre armure, dévoilant à son tour sa poitrine robuste et ses muscles saillants. Il confia ses affaires à Brentark et un cercle d’orques entoura les deux opposants. Le gobelin se mit entre les deux combattants et donna le départ.
_ Je vais briser tes os, cloportes ! Vociféra Ruukarth en chargeant.
Tentant une approche guère subtile, les bras énormes du guerrier encerclèrent le cou de Garak qui se baissa rapidement. Décrochant un uppercut, le plus petit des deux combattants eut un sourire de satisfaction en voyant l’un des crocs de Ruukarth tomber au sol. Bien que puissants, les mouvements lents et maladroits du géant manquèrent à chaque fois Garak qui, clairement, avait une expérience bien supérieure. Profitant de son avantage, l’étranger frappa dans les côtes, un craquement retentit. Le grand orque se tint le flanc, mais lâcha un petit rire.
_ Tu penses que tes pichenettes peuvent m’atteindre ?
_ Arrêtes de faire le fière ! S’exclama Garak. Je ne tiens pas à te tuer idiot, mais si tu insiste je n’hésiterai pas à t’estropier.
Face à l’assurance de son ennemi, Ruukarth donna un revers de bras qui le projeta au sol. Il tenta de lui écraser la tête d’un coup de botte, mais le défieur roula sur lui-même et saisit la jambe de son opposant. Il lui donna un coup de coude en plongeon sur l’articulation qui se tordit sous la violence du coup. Se relevant, Garak toisa son adversaire à terre qui se tordait de douleur. Ruukarth regarda avec haine le vainqueur et lui rugit au visage:
_ Fini moi !
Le visage de Garak resta calme, il tourna le dos à son ennemi, qui malgré tous ses efforts restait à ramper au sol.
_ Ta fierté te perdras.
Récupérant son armure, le leader orque se dirigea vers la place centrale du village, et tous les membres du clan s’inclinèrent.
_ J’ai vaincu votre chef ! Hurla Garak en levant le poing. Alors dorénavant vous devez vous soumettre à ma volonté !
Nul ne prononça le moindre mot, même les adeptes de Garak restèrent en retrait. Conscient d’être écouté par tous, il regarda chacun des membres de la communauté.
_ Bien que j’ai gagné le défi, je ne vous forcerai pas à me suivre, mais sachez que l’obstination ne fera que vous conduire à votre perte. J’ai vu un seigneur, bien plus valeureux que moi, décider de son propre chef de rejoindre la terre des croisés. Il dit y avoir connu un dirigeant charismatique, les hommes qui vivent dans ces terres ne sont plus les mêmes. Je veux croire en l’espoir mes frères, nous ne sommes pas condamnés à errer tels des bêtes. Je ne crois pas être accueilli les bras ouverts, mais au moins pouvoir entamer le dialogue avec leur maître. Nous vivons avec la honte des erreurs de nous aïeux, il est temps pour nous de revenir dans la lumière !
Garak dégaina son épée et pointa les ténèbres de l’ouest. Il s’écria:
_ Les hommes doivent affronter un ennemi bien plus redoutable que nous, un ennemi qui oblige à faire front commun. Il n’est pas seulement question de notre liberté, mais de la survie de notre terre Natal ! Si pour sauver mon peuple, vous mes frères, je dois effacer l’ardoise et verser mon sang pour les hommes, c’est un sacrifice que j’accepte. Je ne vous demande pas un tel dévouement que le miens, mais j’ai vu un elfe noir capable de pardonner ceux qui l’ont maltraité et sacrifier sa vie pour eux, je veux être aussi digne que lui. Mes frères, fils de Thaarg, êtes vous prêts aussi à pardonner à nos anciens ennemis pour bâtir le futur ?
D’abord nul n’osa se lever, mais au bout d’une dizaine de seconde, un jeune orque se leva, et demanda à Garak.
_ Est-ce vrai qu’à l’est l’herbe est verte et les rivières bleues ?
Garak souria de ses crocs, il s’avança vers l’enfant. Il lui caressa les cheveux tressés en dreadlocks et lui dit d’un ton rassurant.
_ Oui, fils de Thaarg, j’ai connu cette terre. Nous devons nous sacrifier, nous, pour que nos enfants puissent marcher sur cette terre et sentir ces fleurs. J’en fais le serment, tu les sentiras.
Sur ces paroles, les autres orques levèrent la tête vers Garak, une once d’espoir semblait les animer. Bien que de réputation notable, il semblait que Garak guidait son peuple vers un nouvel horizon. Est-ce que la folie permettait les plus grands exploits ?
Même Ruukarth, blessé, semblait être ému par les paroles de celui qui l’avait battu. La détermination de ce valeureux rêveur semblait dépasser les obstacles les plus insurmontables. Ce dernier se tourna vers l’orque à terre, et lui tendit une main.
_ Je sais quelle est ta considération pour le futur, mais toi aussi tu auras ta place parmis nous.
Les anciens fidèles de Ruukarth l’aidèrent à se relever et le soutenaient, une béquille lui fut donné. Une dernière fois, Garak regarda la foule et leur dit:
_ Préparez vous affaires camarades, nous partons d’ici une heure.
Alors que la nouvelle tribu conquise par le clan de Garak partait en direction du nord, en royaume d’Étale, Galro rentrait de la cité royale, profondément déçu. Il eut le plaisir à son retour de compter quelques nobles, mais peu avait répondu à l’appel. Il lut les parchemins dans son bureau, accablé par le manque de motivation de sa nation à combattre, le moment venu, le seigneur du Mal. Il était clair que sans le soutien de ses partisans que la guerre était perdue d’avance. Il eut un bref souvenir de Mayirr Long Couteau. Est-ce que Daërdilon avait déjà eut recours à ses services pour faire pression à ses opposants ? Il était maintenant connu que l’ancien Prophète utilisait des méthodes sournoises pour asseoir son autorité. Peut-être est-ce ce vice qui lui manquait pour être respecté ? Il se rendait compte qu’être un homme de pouvoir était tout sauf facile. Il devait s’asseoir sur ses principes, comme Tilbar lui avait enseigné des années plus tôt, il devait aussi bien veiller sur ses alliés que ses ennemis. Mais un message parvenu récemment lui attira son attention. Un rapport des tours de guet. Une armée, ou du moins un grand rassemblement, marchait droit vers Grenthenal, on ignorait tout de ces hommes, si ce n’est qu’un cavalier chevauchant un loup géant les guidait. Un guerrier sombre.
Alors qu’il était plongé au fond de ses pensées, Nardel frappa à la porte et demanda la permission de rentrer. Galro, sortant de sa torpeur, lui donna l’autorisation. Le jeune valet entra, une coupe de fruit dans les mains.
_ Comment va mon épouse ? demanda Galro concentré.
_ Elle est en train de lire, répondit le jeune serviteur qui posa la coupe de nourriture sur une table basse. Votre Flamboyance désire du vin ?
_ Non, c’est gentil. Je suis face à une impasse, j’ai besoin d’hommes pour aller à la guerre mais je n’arrive pas à rallier l’Étale derrière ma bannière. Et le roi est têtu, il ne comprend pas la menace qui nous plane au-dessus.
Face au désespoir de Galro, le jeune page s’avança vers son Prophète et lui dit d’un ton calme et rassurant.
_ Il existe une solution, votre Grandeur, mais cela implique… des concessions.
Curieux, le chef spirituel se retourna vers son fidèle allié, celui-ci le toisa comme pour creuser la question. Nardel semblait gêné.
_ Je t’écoute mon enfant, que devrais-je faire selon toi ?
Nardel était intimidé, mais il releva la tête et expliqua son stratagème.
_ Vous devez lui proposer une offre qu’il ne pourra refuser. Les nobles désirent toujours plus de pouvoirs, et assurer le bien être de leur lignée.
_ Tu veux que je lui donne le titre de roi de droit divin ? Demanda Galro. C’est contre les saintes écritures ! Je n’ai pas renversé un despote pour en mettre un autre à sa place.
_ Vous serez toujours le guide spirituel, rassura Nardel en se mettant à genoux. Mais le roi a une fille. Et vous êtes l’élu de Dieu, l’élu du Coeur.
Galro craignait le fond de la pensée de son serviteur, mais il le laissa le dire.
_ Épousez la princesse d’Étale, et l’armée royale sera vôtre, votre Flamboyance. Un sang divin pour régner, vous deviendrez automatiquement le roi et le Prophète de ce fait. Plus aucun noble ne pourra vous refuser quoique ce soit.
Galro baissa le regard, il avait une mine sombre. L’idée ne lui plaisait guère, même si c’était la meilleure. Il tourna ses yeux vers Nardel, non comme un maître, mais comme un ami.
_ Nardel, tu sais que je ne peux le faire. Je suis déjà promis.
Le jeune valet se releva, et saisit les mains de son Prophète avec tendresse. Cela étonna Galro, mais il ne pouvait se résoudre à le repousser.
_ Maître, je sais ce que vous éprouvez pour cette elfe noire, mais cette relation ne mènera nulle part. Votre phénix vous brûle, votre Luminescence, domestiquez le. Passez à autre chose.
Galro retira ses mains et se leva, d’un air grave il répondit à Nardel, mais sans la moindre once de méchanceté.
_ Tu ne peux savoir ce qu’est l’amour. Je serai prêt à tout renoncer pour elle.
_ Vous avez des devoirs, reprit Nardel. Ne vous laissez pas berner par vos sentiments, votre rôle de Prophète n’est pas seulement de diriger l’Ordre, mais aussi de le servir. De plus…
Nardel regarda le carrelage du sol, des larmes montaient à ses yeux. Il se tint la poitrine comme si un poignard invisible lui transperçait le cœur.
_ Je sais ce qu’est l’amour.
Galro fut surpris par le changement de ton de son valet. La porte de son bureau était bien fermée. Il s’avança vers son serviteur, lui saisit l’épaule.
_ Je suis déso…
N’ayant le temps de réagir, Nardel saisit la tête de son Prophète et lui arracha un baiser. Entre dégoût et surprise, Galro le rejeta en arrière, Nardel tomba brusquement par terre. En larmes, le valet se releva et s’essuya les yeux d’un revers de la main. Toujours sous l’effet de l’adrénaline, Galro regarda incrédule son serviteur.
_ Vous voyez maintenant, dit Nardel en pleurant. Je sais ce qu’est d’aimer une personne inaccessible.
_ Tu … Tu … Tu es …
Nardel s’écroula de honte, tenant son visage entre les mains. Le Prophète eut une moue de dégoût.
_ Tu es un sodomite !
En guise de réponse, Nardel pleura d'autant plus fort. Galro, encore sous le choc, tomba sur son siège, il s’essuya ses lèvres d’un revers de main.
_ Toi ! Mon plus fidèle serviteur, tu me trahis !
_ Ce n’est pas de la trahison, se défendit Nardel les yeux rouges de chagrin. C’est de l’amour !
_ Tu es un pêcheur ! Hurla Galro avec rage. Je devrais t’excommunier pour ça !
_ Ce… ce n’est pas ma faute votre Flamboyance. Je n’ai pas choisi d’être un homme. Je serai prêt à mourir dans les flammes du Phénix pour vous ! Si vous me l’ordonnez, je me couperai le pénis moi-même !
Honteux, Nardel se cacha le visage, il avait l’impression de s’être trop dévoilé. Sans autre procès, Galro se releva et contourna Nardel, tout en disant d’un ton grave.
_ Demain tu te flagelleras dix fois pour ce baiser que tu m’as arraché, puis dix fois de plus pour m’avoir blessé. Tu continueras de veiller sur Ilada, maintenant sors !
Cessant de pleurer, Nardel se releva, le cœur lourd. Il se contenta de répondre ainsi à son maître:
_ Vos désirs sont des ordres, votre Flamboyance.
Le petit serviteur roux sortit de la chambre en silence. Dans l’obscurité, Galro se mit à pleurer à son tour. Il avait un fardeau sur la conscience, il ignorait encore qui avait trahi qui.