La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié
Chapitre 16 : De sombres retrouvailles
4346 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 11/05/2025 13:46
Chapitre 16: De sombres retrouvailles
Après un long voyage, Warda et ses protégés arrivèrent devant Grenthenal, en voyant la cité majestueuse, les voyageurs décidèrent de scander le nom de leur sauveur. Mais l’accueil fut glacial. Les gardes les refusèrent à l'intérieur de la ville, le groupe fut exilé en dehors des murailles. Les raisons évoquées étaient obscures, mais Usharr demanda à s'entretenir avec le maître des lieux.
_ Qui demande audience au Prophète ? demanda le chef de la garde devant l’Éclad. Une bande de mendiants ?
_ Le grand Warda, notre sauveur !
Le croisé de l’Ordre croisa le regard de l’elfe noir qui défit son turban. Avec un mélange de peur et de haine, le capitaine dit aux voyageurs:
_ Vous avez suivi un elfe noir ? Vous êtes devenus fous ! Croisés ! Exécutez tous ces païens !
Les croisés de l’Ordre commencèrent à dégainer les armes, ils brandirent les arbalètes en direction de la foule qui se mit à supplier, mais une voix familière à Warda résonna parmis les rangs:
_ Cessez sur le champ ! Laissez-moi rencontrer leur champion !
Un homme, de grande taille, en armure d’or et d’argent s’avança par-dessus les murailles. Il portait une cicatrice au-dessus de l'œil gauche, sa longue chevelure brune atteignait ses épaules. Il une mitre coiffait sa tête, à l’effigie du Phénix. Il toisa le guerrier sombre. Son regard était profond, la tension entre les deux hommes était palpable. Il déclara:
_ Faites entrer l’elfe noir, les autres devront rester dehors !
Warda descendit de sa monture, Jaron le fixa d’un air inquiet.
_ Tout se passera bien ? Demanda le loup à son compagnon.
_ Je vais m’en occuper, dit Warda, ignorant lui-même le sort qu’on lui réservait.
Une fois en face de la porte principale, le pont levi se baissa, l’ancien paladin lui faisait face de l’autre côté, escorté par des croisés en armure lourde. Les guerriers de l’Église encerclèrent l’elfe noir qui se laissa saisir et menotter. Un homme borgne de taille modeste mais de carrure impressionnante vint aux côtés du Prophète. Ce dernier portait une armure d’argent ainsi qu’une grande cape bleue brodée d’or blanc.
_ C’est lui ? demanda le chevalier chauve.
L’ancien ennemi de Warda acquiesça d’un mouvement de la tête, et s’avança alors que l’elfe fut immobilisé. Le gradé s’avança en même temps, prenant la poignée de son épée, mais Galro le retint. Le vieil homme regarda circonspect son maître.
_ Laissez moi l’honneur de venger votre père, il en est de mon devoir de verser le sang pour vous, votre Flamboyance.
_ Emmenez le, septième paladin phénix Tilbar. Je le veux dans mes cachots, les plus profonds.
Face aux ordres du seigneur de l’Ordre, le paladin d’argent ne put qu’accepter l’Ordre et faire enfermer le guerrier sombre. Les réfugiés se montrèrent réticents, ils étaient prêts à se battre pour sauver Warda, mais l’elfe noir hurla:
_ Arrêtez ! Mes amis, je vous ai juré de vous emmener en terre sainte, j’ai tenu ma parole. Ne sacrifiez pas vos vies en vains, j’accepte ma sentence.
Devant le fait accompli, les fidèles de l’elfe noir retrouvèrent le calme, non sans chagrin. Les croisés, encore confus, se contentèrent de rentrer dans la forteresse et de relever le pont levis par-dessus la douve. Au milieu des rues, en tête de peloton, Galro et Tilbar marchaient droit vers le Temple, suivi de près par Warda qui fut retenu par deux gardes de constitution robuste. Les spectateurs depuis les ruelles fixaient incrédule l’elfe noir, on aurait dit une bête de foire. Le Septième jeta un bref coup d’oeil au démon derrière son maître, et dit à voix basse:
_ Je ne comprends pas Galro, je croyais que tu voulais te venger de lui. Pourquoi ne pas l’exécuter maintenant ?
_ J’ai mes raisons, Septième. Maintenant obéis !
Dans la rue, la plèbe commença à huer Warda, l’insultant de tous les noms. “Tueur de paladins !”, “Engeance du dieu noir !”, “Monstre barbare !”, ainsi que d’autres ignominies que je refuse de retranscrire. Mais l’elfe sombre resta silencieux, jusqu’à atteindre le Temple par la grande porte. Galro se tourna vers son acolyte.
_ Appelles les paladins, nous devons nous réunir. Je dois régler des choses.
Son regard se tourna vers le guerrier sombre alors qu’ils pénétrèrent dans le saint bastion de l’Église. Exécutant les ordres, Tilbar quitta Galro qui emmena l’elfe noir dans les cachots. Une porte, affublée d’une serrure en gueule de monstre, fut ouverte par une clé en argent que portait le Prophète. Les gardes emmenèrent l’elfe des ténèbres dans un couloir d’une noirceur dans égale, à peine éclairé par des torches.
_ Ici ! Déclara Galro en désignant une porte.
_ Bien votre Flamboyance.
Les soldats jetèrent Warda dans une cellule, lui enlevant son arme. Ils l’enchainèrent au mur, sous le regard cruel de leur maître. Ils quittèrent la salle, mais Galro resta présent et congédia les deux soldats. Lorsque les deux hommes restèrent seuls, l’homme de foi saisit un tabouret et s’assit face au démon. Warda commença en premier:
_ Fais ce que tu veux de moi, mais laisse ces innocents rentrer !
Galro resta silencieux, contemplant le guerrier sombre enchaîné. Furieux, l’elfe noir tira sur ses chaînes.
_ Réponds ! Ils ont foi en moi, je ne veux pas faillir alors que j’ai réussi !
Le Prophète enleva sa coiffe, et la posa par terre délicatement. Il se releva lentement, et s’approcha de Warda. Face au manque de réaction de Galro, le guerrier sombre lui cracha au visage.
_ J’ai eu tort de croire en toi ! Dit agacé le prisonnier. Taläsna m’avait dit que tu avais changé, que tu avais changé l’Église entière. Tu vas les laisser crever dehors ?
Le porteur de parole divine s’essuya le visage de ses doigts, et contempla la salive sur sa main. Il releva les yeux, bien que toujours dur, son regard n’avait aucune animosité.
_ Et toi ? Tu me promet de réparer tes fautes, et voilà que de nulle part tu débarques avec une horde de gueux aux portes de ma cité. Tu ignores dans quel pétrin tu me mets. Je n’avais pas besoin de toi, pas maintenant !
Celui qui fut la némésis de Warda détourna le regard et se mit à contempler la seule bougie allumée. Alors que l’elfe noir était certains de tenter de briser par la force ses entraves, il fut interrompu par son ennemi juré.
_ Tu as raison Warda. J’ai changé… non ! Tu m’as changé…
Il défit sa ceinture et laissa son épée choir au sol. Il retourna auprès de l’assassin de son père, et le libéra. Incrédule, Warda le laissa s’éloigner alors qu’il lui tournait le dos.
_ J’ai toujours haïs les elfes noirs, avoua Galro. J’en ai même tué un dans mon enfance, mais toi… tu m’as bouleversé. Toi, celui dont j’ai juré de couper la tête, m’a montré une voie nouvelle.
Frappant du poing sur le mur, Galro y prit appuie, à deux doigts de s’écrouler. Face à ce comportement inattendu, Warda demanda:
_ Que t’es t-il arrivé depuis notre dernière rencontre ?
Galro se retourna lentement, les yeux rouges, puis il fini par se confesser.
_ J’ai libéré une de tes semblables, puis j’en suis tombé amoureux. Dorénavant, elle porte mon enfant.
Le grand ennemi de toujours se laissa glisser sur le mur, accablé par une dure vérité. Il se posa une main sur le front, il continua:
_ Je ne sais pas comment l’élever ! Celle que j’aime est considérée comme une créature démoniaque, et moi, le grand Prophète, ne sais pas comment la protéger des miens.
Pour la première fois, Warda se sentit compatissant envers un croisé de l’Ordre, car enfin il partageait la même douleur que lui. Face à cet être démuni, le guerrier sombre ne put répondre.
_ Ma chair, mon propre sang sera traitée comme une hérésie ! Dit Galro en pleurant. Toi, qui a toujours sû nous fuir, je t’en conjure, comment sauver mon enfant ?
Warda resta immobile, se saisissant ses bras douloureux, fixant le sol. Il finit par répondre, ignorant si cela convenait:
_ Ce sera difficile. Il devra lutter pour survivre, se battre chacun des jours de sa vie, trouver des alliés parfois surprenants. Chaque jour de son existence sera une épreuve, mais si j’y suis arrivé alors que je n’étais que le fils d’un forgeron perdu dans une forêt, ton enfant devrait avoir plus de chance que moi.
Cela eut le mérite de réconforter un peu le maître de la foi, qui eut un léger rire nerveux. Il s’efforça de se relever à son tour, faisant face à Warda.
_ Tu as probablement raison. J'aimerais te montrer quelque chose. Mais pas maintenant, je repasserai ce soir, quand tout sera éteint. En attendant, je dois te garder ici. Même en étant Prophète, je n’ai pas encore réussi à faire oublier la peur de tes pairs, je ne peux te mener là où je souhaite au grand jour. Ne m’en veux pas, je dois te rattacher.
Le guerrier sombre hésita, il comprit vite que même Galro était rebuté à le faire, mais que c’était nécessaire. Il plaça ses mains dans les menottes que le Prophète referma. Le champion de la lumière se dirigea vers la porte, mais prit soin avant de changer la bougie.
_ Je te ferai apporter de la nourriture. Officiellement, tu es un agent secret de l’Ordre, plus une arme théoriquement. Les autres paladins te maltraiteront, ils voudront te dresser pour accomplir nos missions. Je trouverai un prétexte pour te préserver. Ais confiance !
Galro referma la porte, la verrouillant. Il remonta le couloir sans avoir besoin de lumière, ses Calénaclidyals compensaient l’obscurité.
Lorsque le Prophète revint à la salle du conseil, ses ouailles le regardaient avec inquiétude, Galro le savait, il devait se montrer dur. Lorsqu’il s’assit sur son trône, les paladins l’imitèrent, attentifs à ses paroles. Nardel n’était pas présent, lui qui suivait généralement le Prophète comme son ombre. Cela interpella l’ancien paladin, mais il se ressaisit et se dressa.
_ Mes camarades, commença Galro, l’heure est plus grave encore que ce que je m’y attendais. Le roi d’Étale a refusé de nous aider, et la majorité des nobles préfèrent rester dans leur foyer plutôt que de se battre pour notre monde. Les légions de Kaös avancent sur la Guiogne et nous ne sommes pas prêts à mener la riposte. Je vous prie messieurs, donnez moi une bonne nouvelle !
La cours resta silencieuse, mais Fradel se leva, se plaçant au centre du cercle.
_ Prophète, les immigrés en dehors du château réclament l’elfe noir. Mais pour le moment ils se tiennent à carreau, un certain Éclad les maintient dans un statu quo. Mais il faudra trouver une solution pour tous ces réfugiés, nous n’avons pas assez de cachots pour tout ce monde.
Ignorant si cela faisait partie des bonnes nouvelles, Galro fit un signe à Fradel de retourner s’asseoir et médita sur ce rapport. Junar se leva à son tour, tenant un parchemin dans ses mains.
_ Le comté de Féraldal a répondu à l’appel. Ils souhaitent se repentir de l’affaire qui a terni leur réputation il y a une décennie. Ils prennent les armes et sont en marche.
_ Vous comptez sur l’aide de vauriens hérétiques ? Demanda un paladin âgé. Ils ne sont pas fiables !
_ Mais au moins ils sont de notre côté. Aussi votre Flamboyance, nos hommes ont recensé des mouvements au nord du pays. Nous soupçonnons une activité diabolique, mais l’ennemi qui foule nos terres est encore non identifié.
Bien que le nouveau comte de Féraldal avait souhaité prendre les armes aux côtés de Galro, le seigneur lumineux médita sur ses options. Il n’avait guère de temps, il devait trouver une solution. Heureusement que les rescapés des massacres en dehors du château n’étaient pas encore hostiles, mais cela pourrait devenir problématique si Warda ne leur était pas rendu. Seraient-ils capables de mener une révolte ? Attaqueraient-ils les murs de la capitale ? Ce n’étaient que des miséreux, mais Galro le savait, un homme suffisamment motivé était capable de grandes choses. Il en était lui-même un exemple, lui qui était dorénavant Prophète alors qu’il était le pire paladin de son temps. Il regarda derrière lui, s’attendant à voir surgir Nardel pour lui porter conseil, mais le petit serviteur roux était cruellement absent. “Où es-tu passé ?” se demanda-t-il. Pendant ce temps-là, un autre paladin déplia un parchemin, vu la peau de yack utilisée, ce devait provenir de Sintraë.
_ Le royaume de Sintraë est en flammes, un détachement de forces de l’armée noire assiège les châteaux. S’ils en prennent le contrôle, notre route vers la Guiogne ne sera plus sûre. Ils sont trop arrogants pour quérir notre aide, mais ils sont au plus bas. Leur roi est mort, le prince est au nord dans le château de Guiogne, la rivalité entre les clans ressurgit et l’un des Spectres commande un ost démoniaque.
_ Au moins nous n’aurons plus besoin de boire de thé à la graisse, se moqua Tilbar, même si sa plaisanterie servait à refaire tomber la tension, et visiblement il avait échoué.
_ Observons une minute de silence mes frères, ordonna Galro en priant pour les âmes défuntes.
Chaque paladin se pencha en avant, joignant leurs mains après avoir exécuté un signe du Perchoir. Ils prièrent tous, la passe vers la Guiogne allait tomber entre les mains de l’Archi-ennemi et de nombreux innocents étaient morts. Après un certain temps, le paladin Syriel, fraîchement formé par l’Ordre, se leva et fit son rapport.
_ D’après nos inquisiteurs, le pays est moins sujet aux phénomènes paranormaux et la présence de monstres diminue. On pourrait qualifier notre royaume de calme en ce moment.
_ Il faut enquêter, répondit Junar, cela me paraît suspect. Les goules, gobelins et autres créatures obscures doivent être recrutées en ce moment par la légion noire. Peut être que ces hordes grossissent déjà les rangs de Kaös.
_ Mais au moins ils nous foutent la paix, s’exprima Tilbar un peu plus enthousiaste. Nous pouvons nous concentrer sur la guerre, prenons le bon là où nous pouvons.
_ Les elfes noirs semblent également avoir déserté nos terres, reprit le jeune paladin. Nos paysans semblent être plus sereins.
Galro médita sur cette dernière phrase. Il se doutait que Warda ne pourrait pas beaucoup l’aider, mais il comptait lui poser la question à ce sujet. Il exprima une mine enjouée, malgré l’heure grave, et invita le paladin Syriel à se rasseoir.
_ Au moins une bonne nouvelle. Mais je dois vous confier, fidèles serviteurs du Cœur, que nous sommes encore loin de trouver des solutions face à l’invasion de Kaös. Toutefois…
Il réfléchit, et repensa à ses cours de stratégie militaire avec son enseignant. Il lui fallait du ravitaillement, des troupes et des commandants. Par chance, l’Étale était bien épargnée par la guerre qui ravageait le continent. La Sintraë sur la route pouvait servir de relais, bien qu’il faille déloger les envahisseurs. Les hommes de ce pays sont réputés pour être bornés et téméraires, les guerriers de cette nation sont réputés pour être les plus redoutables. Et leur acier de qualité pouvait s’avérer utile.
_ Nous allons libérer Sintraë, déclara Galro.
_ Libérer Sintraë ? demanda Junar étonné. Je vous rappelle qu’il y a quelques temps nous avions frôlé la guerre avec eux.
Son regard sévère se tourna vers Tilbar qui croisait les bras, lui renvoyant son accusation en levant le menton, fière.
_ L’heure n’est pas à la division, dit Galro avec fermeté. Nous avons besoin d’hommes, d’armes et de vivres. Les Montagnes de Sintraë recèlent de tout ce dont nous avons besoin. Même sans les cavaliers vouivres, cette nation est militairement redoutable. Chaque homme né sur ces terres est un survivant, un chasseur redoutable, un guerrier obstiné. Avec le comté de Féraldal et les nobles que nous avons pu confédéré, nous avons la force nécessaire pour repousser les hordes des Enfërs. De plus, nous avons des recrues dehors, juste aux pieds de nos murailles. Ils nous réclament l’elfe noir, donnons leurs en échange d’un service militaire.
Tous les paladins attablés s’apprêtèrent à bondir de leurs chaises, outrés des paroles du Prophète. Alors que la cacophonie d’indignation régnait, Tilbar les rappela à l’ordre.
_ Le Prophète a parlé ! S’exclama le Septième. Sa parole est divine. Nous obéirons, nous allons libérer l’elfe noir s’il nous l’ordonne.
Les chevaliers blancs se rassirent, envoyant un regard sévère. Mais le charisme intimidant du paladin d’argent les renvoya à leurs rangs et ils se turent.
_ De plus, ajouta Galro alors qu’il y rebutait, je vais conclure un marché avec le roi d’Étale.
Il serra du poing, il repensa à tout ce qu’il avait à protéger dorénavant. Son royaume, ses fidèles, sa femme, son enfant… Nardel aussi. Un des chevaliers blancs se leva pour demander la permission de s’exprimer. Galro lui fit signe, et le paladin parla.
_ Votre Grâce, le roi Thurnang a déjà refusé vos offres. Qu’est-ce qui a changé ? Vous avez réussi à trouver un accord ?
Galro déglutit, il sentit la pression le peser sur les épaules. Il avait le destin de l’Étale, non, du monde entre ses mains. Il eut une vision du visage d’Ildada lui souriant à la lumière des bougies. Il finit par répondre.
_ J’ai une offre qu’il ne peut refuser. Quelqu’un de sage me l’a suggéré. Je ne l’ai pas écouté, mais dorénavant j’ai ouvert les yeux…
Il revit Nardel en larmes, lui avouant son amour impie. Il se sentit stupide, son valet a toujours été de bon conseil. Avec amertume, il finit par donner l’argument qui ferait basculer les choses.
_ Je vais demander la main de la princesse Mélénia.
Le cercle des paladins fut surpris, il eut des applaudissements, mais l’enthousiasme disparu quand Junar se leva, et s’inclinant devant son maître.
_ Je dois reconnaître la sagesse de votre décision, dit le paladin phénix. Mais cela risque de bouleverser notre Ordre, l’Église et le Pouvoir ne seront plus qu’un. Le titre de Prophète deviendra héréditaire, n’avez vous pas peur d’une telle dérive ? Autant d'autorité entre les mains d’un seul homme, qu’il soit matériel ET spirituel, peuvent mener à un totalitarisme que nous abhorrons. Les quatre fondateurs ont divisé ces deux forces pour de bonnes raisons, le roi doit représenter la Loi des hommes, l’Église la Loi de Dieu. La Loi du Coeur !
Le vieux chevalier se mit à genoux, et joignit ses mains tout en baissant la tête. Il continua ainsi:
_ Prophète Galro, il y a deux ans, je vous ai suivi. Je vous ai offert mon épée et ma vie à votre service, et je ne regrette rien. Mais vous êtes encore jeune, le don de la magie rallonge notre vie. L’heure est grave, certes, mais à quel prix êtes vous prêt à payer pour sauver Natal ? Sacrifierez-vous notre foi sur l’autel de la guerre ?
_ Non… Répondit Galro calmement devant son conclave. Je ne sacrifierai pas notre foi. Juste moi… Juste… moi…
Il eut une vision de Warda, celui qui avait guidé toute cette foule jusqu’en Étale, là où il était le plus recherché. Il devait lui aussi tout donner. Lui qui voulait tant épouser Ilada, devait y renoncer. Il devait renoncer à l’amour pour gagner les faveurs d’un vieil aigris. Ses yeux étaient brûlants, il avait envie de pleurer, en repensant à tout ce à quoi il renonçait. Devant cette réponse, Junar se leva et plaça son poing contre sa poitrine.
_ L’Église se rappellera de votre Grandeur, votre Flamboyance…
Lorsqu’il se rassit, les autres paladins firent leurs rapports. Certains mentionnaient la hausse des recrues chez les croisés de l’Ordre, il semblerait que l’idée de combattre le seigneur du mal crée des vocations chez la basse classe. Voilà que les paysans étaient plus emprunts de zèle que les nobles ! Mais Galro ne faisait plus attention, il savait qu’il venait de prendre une lourde décision. Ilada, son amour, devait passer en second plan. Lorsque tous finirent les rapports et que la session s’acheva, les chevaliers blancs quittèrent la salle. Toujours inquiet, Galro se retourna. Le valet était toujours manquant. Où était-il ? Il se leva et se dirigea vers les couloirs.
Au détour d’un embranchement, Galro croisa deux servantes, visiblement choquées. Elles se prosternèrent, puis Galro leur demanda:
_ Auriez-vous vu mon valet ? Il a disparu.
_ Nardel ? Demanda la jeune fille aux yeux bleus. Je… Il…
Elle était hésitante, elle serra ses poings autour d’un pli de sa robe. Elle était en larmes.
_ Où est-il ? Demanda une seconde fois Galro, sentant la pression monter dans sa poitrine.
_ Il est dans la chapelle. Vous… vous ne voulez pas voir ça… votre Flamboyance.
Pris par l’adrénaline, Galro contourna les deux femmes et se dirigea rapidement vers la chapelle du Phénix. Plus il approchait, plus il entendait les rumeurs de la foule. Un prêtre y avait scellé l’accès devant les fidèles. Face à Galro, le prêtre s’inclina et dit avec sévérité.
_ Votre Flamboyance, vous ne devriez pas rentrer.
_ Je suis le Prophète ! s’exclama Galro. L’Église m’est ouverte, quel que soit le passage.
_ Ce n’est pas une affaire d’Église, répondit l’homme de foi. C’est une affaire d’homme. Il doit faire face ,seul , à ses démons.
_ Il ? demanda Galro.
Un claquement résonnant en échos parvint aux oreilles de Galro. Le claquement d’un fouet.
_ Nardel, dit le prêtre. Il fait acte de repentance selon ses propos. Nous ne devons pas l’interrompre.
_ Depuis combien de temps ça dure ? S’enquit le Prophète inquiet, comprenant enfin la réalité.
_ Hier soir. Il n’a pas arrêté une seule seconde, ni pour dormir, ni pour manger, je n’ai jamais vu pareille détresse. J’ignore quel genre de péché doit le ronger pour qu’il soit contraint de s’infliger une telle sanction.
Entendant le fouet claquer de nouveau, Galro poussa le paroissien et poussa les portes à face à lui. Dans l’obscurité du temple, seule la faible lueur des bougies dessina la silhouette ensanglantée d’un jeune homme, maniant un fouet d’argent. Il frappa de pleine force son dos, défiguré par les balafres. Alors qu’il leva de nouveau sa main, Galro l’interpella:
_ Nardel !
Le jeune homme n’y fit pas attention, et frappa de plus belle.
_ Nardel ! Arrête ! Je te l’ordonne !
Le garçon n’y prêta pas attention, il arma un nouveau coup, mais le Prophète s’élança et lui saisit le poignet. Nardel se débattit, mais Galro l’immobilisa complètement, et finalement face à la force supérieure de son maître, le valet cessa toute résistance et s’effondra dans ses bras. Galro constata le sang recouvrir ses mains. Face à l’horreur de la scène, Galro se tourna vers le jeune homme, ses yeux étaient mi-clos, il avait quasiment perdu conscience.
_ Vous êtes un ange …? demanda Nardel alors qu’il commençait à perdre connaissance.
_ Nardel… commença Galro ne savant que dire ensuite, toujours sous le choc. Pourquoi tu t’es fait ça ?
_ Mon maître… Sa Luminescence… M’a demandé de me punir… Alors je l’ai fait. Vais-je brûler dans les flammes du phénix ?...
Les yeux du serviteurs se refermèrent, et une larme en coula. Face à tant de souffrances, Galro sentit la culpabilité monter en lui. Tout était sa faute. Il serra Nardel dans ses bras, pris de pitié pour celui qu’il avait rejeté. Est-ce que Dieu le pardonnera un jour de ce péché immonde ?